PREMIÈRE TABLE RONDE :
MÉDECINE DE PRÉVENTION OU DE PRÉDICTION : QUELLE RELATION MÉDECIN-MALADE ?

Mme Emmanuelle Prada-Bordenave, directrice générale de l'Agence de la biomédecine. Merci beaucoup M. le président d'avoir permis à l'Agence de la biomédecine de participer à cette table ronde et de vous présenter son rôle. Cette Agence publique est une agence sanitaire qui dépend de la Direction générale de la santé du Ministère chargé de la santé. Dans le cadre de la réunion d'aujourd'hui, c'est-à-dire de la génétique et de la médecine personnalisée, je parlerai uniquement de la relation médecin-malade. Quel rôle, agence de l'État, pouvons-nous jouer ?

Le Parlement nous a demandé de nous intéresser à cette question. Il a confié à l'Agence un rôle général en matière de génétique (article L.1418-1 du code de la santé publique), et un rôle particulier sur la réflexion en amont et l'élaboration d'un arrêté de « bonnes pratiques applicables à la prescription et la réalisation de l'examen des caractéristiques génétiques d'une personne et de son identification par empreintes génétiques à des fins médicales » (article L. 1131-2 du même code). C'est donc en liaison étroite avec un groupe de professionnels que nous avons réfléchi pendant plusieurs mois à l'élaboration de cette proposition, qui a fait l'objet finalement d'un arrêté en date du 27 mai dernier, publié au Journal officiel du 7 juin 2013.

Nous ne sommes pas les seuls à intervenir aux côtés des patients et des professionnels en tant qu'instance publique et à nous préoccuper de cette question, puisque, selon les sujets et les domaines, d'autres autorités publiques interviennent : la Haute autorité de santé (HAS), l'Institut national du cancer (INCa) pour les sujets relatifs au cancer, l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé ( ANSM ) pour le contrôle qualité des dispositifs médicaux car les tests génétiques sont des dispositifs médicaux de diagnostic in-vitro au sens des textes.

L'Agence de la biomédecine n'intervient pas dans le domaine de la génétique somatique, c'est-à-dire l'étude des tumeurs, mais se concentre sur la réalisation des bonnes pratiques, et plus généralement dans son champ de compétence, sur la génétique constitutionnelle, c'est-à-dire l'étude des caractéristiques génétiques de la personne elle-même. Notre champ de compétences couvre tout le champ de l'histoire de la vie de l'homme, depuis presque avant son commencement, puisque le diagnostic préimplantatoire est fait avant toute grossesse, et éventuellement ensuite un diagnostic prénatal. Arrive ensuite la génétique constitutionnelle post-natale et c'est ce dont il sera question aujourd'hui.

Je voudrais vous donner quelques chiffres, car les laboratoires qui travaillent dans ce domaine sont tenus d'adresser un rapport annuel d'activité à l'Agence. Ce sera dans le rapport à venir : il y a eu en 2012 dans notre pays 82 756 tests de cytogénétique et 416 767 tests de génétique moléculaire, qui couvrent aujourd'hui plus de 1 500 maladies. Il est intéressant de se reporter en 2009, car ces tests couvraient simplement à peu près 1 000 maladies. Il s'en est rajouté un peu plus de 500, et surtout les tests de génétique moléculaire étaient seulement 271 330. On voit donc une augmentation vertigineuse du nombre de tests entre 2009 et 2012. 228 laboratoires réalisent ces tests, et nous adressent régulièrement leurs rapports d'activité.

Les règles de bonnes pratiques ont été élaborées avec énormément de soin car, au sein de la médecine, et cela a été rappelé tout à l'heure par les orateurs précédents, cette génétique tient une place très particulière et le diagnostic génétique a des implications et une nature particulière. Le résultat d'un examen de génétique pour un patient est définitif. Il parle de ses caractéristiques génétiques, acquises à un stade précoce de son développement, ou transmises. Á partir de sa naissance ou de la fin de ce stade précoce, elles sont définitivement acquises et peuvent avoir des conséquences sur l'ensemble de sa famille. Aussi, les patients sont-t-ils très différents de ceux rencontrés habituellement dans un cabinet médical.

Pour des personnes malades, bien évidemment, une analyse génétique amènera un diagnostic. Cependant il existe aussi toute une catégorie de personnes, que l'on appellera patients, mais qui ne sont pas vraiment malades, ou en tout cas ne présentent pas les signes de la maladie. Ce sont par exemple, les membres de la famille de la personne qui s'est présentée spontanément pour une maladie : toutes ces personnes ne sont pas vraiment malades, ne présentent pas de symptômes et pour eux, la relation médecin-malade sera complètement différente. Dans cette catégorie, se trouvent d'abord des personnes asymptomatiques, que l'on dit porteurs sains. On en connaît l'existence depuis des siècles. Une analyse génétique révélera un risque de transmission à la descendance et pourra déboucher, s'il y a un projet parental, sur du conseil génétique. Puis on trouve des personnes encore asymptomatiques, mais que l'on peut dire pré-symptomatiques : elles ont dans leur génome la trace d'une maladie déjà présente, mais qui se révèlera plus tardivement. C'est là que sera posé un diagnostic pour le futur, comme l'expliquait Jean-Claude Ameisen. Cette maladie se révèlera dans le futur : aujourd'hui, on en est sûr.

Vient ensuite la prédiction avec les tests de prédisposition. Une personne totalement asymptomatique est soumise à un test de prédisposition, et l'on va déterminer un facteur de risque de développer une maladie avec une forte probabilité.

En dernier lieu, il y a les tests de susceptibilité qui finalement occupent en grande partie nos sujets de réflexion ; cela concerne bien plus de monde. Cela touche des personnes asymptomatiques, qui vont très bien pour lesquelles on fera une analyse génétique et déterminera un facteur de risque de développer une maladie. Pour eux, le risque est faible, parfois très faible. Nous avons tous des variants génétiques, parmi lesquels beaucoup sont identifiés ; or l'on sait qu'ils ne modifient que très faiblement les risques de maladie, et que le risque de développer la maladie est bien inférieur à celui de la prédisposition. Il est très important de souligner que l'anomalie génétique n'est ni nécessaire, ni suffisante pour développer la maladie. Alors que dire à ces patients, comment les prendre en charge ? Sont-ils vraiment des patients, ou simplement monsieur et madame tout le monde ?

Un autre point a été évoqué et porte sur les tests compagnons. Ils concernent des patients non symptomatiques d'une maladie génétique, mais sans doute atteints d'une pathologie, et auxquels on s'apprête à prescrire ou pas un médicament. Il s'agira alors de prédire la toxicité ou l'efficacité de ce médicament par ces tests. Ce sont bien sûr des analyses de pharmacogénétique.

Ce que nous essayons de faire passer, chaque fois que nous avons la parole en tant qu'agence de l'État, c'est l'idée que l'homme n'est pas tout génétique, et que bien sûr ces différents patients et les différents examens et diagnostics montrent une combinaison avec des pondérations variables entre les facteurs environnementaux et génétiques. Il faut que progressivement les Français comprennent cette complexité et se l'approprient, car ils sont sans doute encore restés sur l'idée qu'un variant génétique détermine avec certitude une maladie, très grave.

Nous avons élaboré cet arrêté qui définit les règles de bonne pratique en liaison avec la Haute Autorité de santé. Il insiste sur le fait que les caractéristiques de génétique constitutionnelle sont définitives, que les résultats ont des conséquences non seulement pour la personne mais aussi pour sa famille. Cet arrêté a vocation à être diffusé très largement, bien au-delà du cercle un peu restreint des spécialistes de la génétique, pour toucher les prescripteurs. Il n'y a pas aujourd'hui, sauf exceptions très rares, de restriction à la prescription des tests génétiques. Il est donc rappelé dans l'arrêté que l'individu doit rester au centre des préoccupations des acteurs. Une importance particulière doit être donnée à l'information, au consentement, aux modalités de rendu d'un résultat. Les travaux des généticiens qui se sont réunis pendant plusieurs mois au sein de l'Agence, dont certains sont présents ici aujourd'hui, ont tourné en grande partie autour de ces questions d'information, de consentement et de rendu du résultat, notamment pour toutes les découvertes incidentes, et pour tous les variants dont on sait qu'ils n'ont pas vraiment de portée, ou dont on ignore quelle portée ils ont.

Les examens génétiques ne doivent être prescrits que lorsqu'ils ont une utilité clinique et sont souhaités par la personne. Le seul fait qu'un examen soit disponible et réalisable ne justifie ni de sa prescription, ni sa réalisation. Ces règles seront une aide, je pense, pour les prescripteurs, pour la retenue, pour les patients, et pour les finances publiques.

On a évoqué l'augmentation fulgurante du nombre de tests réalisés. Dès qu'un test est inscrit à la nomenclature - il y en a très peu aujourd'hui -, cela se traduit presque immédiatement par une augmentation au décuple du nombre de tests prescrits, et donc de la charge pour l'assurance maladie. La prescription n'est pas soumise à des restrictions, mais dans les règles de bonnes pratiques, il est prévu qu'en principe elle doit être effectuée par quelqu'un qui connaît la maladie et ses aspects génétiques, éventuellement un médecin spécialiste.

Enfin on a formulé une mise en garde sur les tests de susceptibilité. L'attention des médecins qui vont prendre connaissance de ces règles de bonnes pratiques est attirée, sur le fait que la contribution d'un test de susceptibilité est variable et généralement mineure, et contribue très peu, aujourd'hui en tout cas, à la prise en charge de la personne. On attire l'attention des prescripteurs sur la retenue dont ils doivent faire preuve.

La transmission du résultat est très importante, elle doit être faite par le prescripteur et non pas être envoyée par courrier. C'est d'ailleurs dans les textes, le Code de la santé le prévoit. Enfin l'on doit toujours prévoir un accompagnement psychologique. C'est toute la différence d'avec les tests par Internet où vous recevez un résultat non-rendu par un médecin, et non-accompagné d'une explication, et notamment sans accompagnement psychologique, alors qu'il peut être souhaité.

Nous allons à l'automne prochain ouvrir un site Internet à destination du grand public. Il n'est pas encore accessible, mais est en train de se construire en liaison étroite avec le Groupe stratégie en génétique et en diagnostic, dont l'adresse sera www.genetique-medicale.fr , qui permettra de transmettre un certain nombre de ces notions, en tout cas je l'espère.

Pr Anne Fagot-Largeault, professeure au Collège de France, membre de l'Académie des sciences. Je vais essayer de distinguer deux contextes dans lesquels on peut comprendre la notion de médecine personnalisée

Le premier sera celui de la médecine curative, essentiellement le traitement du cancer, qui est à l'origine de la notion. Je rappelle que cette notion est très récente. Elle a été lancée par l'industrie pharmaceutique dans les années 90, il y a donc seulement une petite vingtaine d'années, à propos d'un médicament du cancer du sein. Ici, il s'agit d'une médecine moléculaire adaptée à certains traits du génome de l'individu, et il est très difficile de penser dans quel sens c'est personnel, puisque, comme cela a été très bien dit précédemment, c'est une caractéristique de groupe ou de sous-groupe que l'on cherche chez le malade. L'avantage promis à travers cette attitude de recherche à quel groupe vous appartenez, c'est que d'une part nous serons plus efficaces en ne prescrivant qu'aux bons répondeurs, et d'autre part que nous ferons faire des économies au système de santé, car le prix du séquençage du génome baisse, en prescrivant moins, à juste titre, et même en intervenant de façon préventive si l'on sait détecter les prédispositions sur votre génome. Le côté noir de cette médecine, habituellement passé sous silence, est le problème de ceux qui ne seront pas traités, parce qu'ils seront classés non-répondeurs au traitement. On voit apparaître à travers cette perspective l'aspect inégalitaire de cette médecine.

Le second contexte dans lequel on peut penser la médecine personnalisée, est celui de la médecine régénérative, celle qui fait des greffes, qui répare des tissus, qui vous redonne des parties de votre corps, voire une amélioration esthétique ou de performance. Ici, littéralement, on se rapproche d'une médecine personnelle, sur mesure. Il vaut peut-être mieux dire individualisée plutôt que personnalisée. Puisqu'en raison de la complexité de nos systèmes immunitaires nous sommes tous différents, une médecine pertinente sera adaptée à notre propre système. Bien sûr, ce n'est pas encore tout à fait la réalité : on greffe encore des tissus ou des organes d'autrui en combattant la réaction immunitaire par un traitement immunosuppresseur, mais on commence déjà à voir la possibilité demain, de recourir à des cellules souches venant de la personne malade pour lui reconstruire une peau neuve, des muscles abîmés, un coeur abîmé. Il est exprimé à ce propos des espoirs de rajeunissement ou d'amélioration de l'état de la personne. Cette médecine-là serait réellement adaptée à des besoins particuliers ou des demandes de personnes particulières. Le problème est qu'elle aurait un coût très élevé puisqu'il faudrait une médecine par personne.

On peut distinguer trois niveaux dans cette médecine :

- s'il s'agit de réparer une peau brulée, ou de greffer un rein, on se dit que ce sera pris en charge par le système de santé, ce sera un bon traitement ;

- s'il s'agit de chirurgie esthétique, en principe le système de santé ne le prendra pas sous sa coupe sauf cas spéciaux ;

- mais s'il s'agit d'une médecine d'amélioration, elle n'aura cours que pour les personnes pouvant se l'offrir. Il est clair que l'accès à cette médecine coûteuse serait inégalitaire, car on imagine difficilement que son coût soit supporté par la solidarité.

Je me place maintenant dans la position du malade, du patient, et je fais la remarque générale suivante : il y a souvent à l'heure actuelle une expression des patients qui se plaignent d'une frustration à l'égard de la médecine, qui souffrent d'être pris pour des machines et d'être traités comme tels. Vous téléphonez à l'hôpital, c'est une machine qui répond, vous devez discuter avec une machine. Vos données personnelles, vos paramètres individuels sont numérisés. Ils sont une colonne de chiffres. La pratique des médecins est standardisée dans une médecine « evidence based ». Il y a donc chez beaucoup de patients la revendication d'une médecine qui les comprendrait mieux, personnellement, d'un abord des médecins ou des services médicaux qui prendrait toutes leurs dimensions en compte.

La publicité pour la médecine dite personnalisée tombe dans ce contexte où il y a l'aspiration à un contact personnel, à une empathie du médecin qu'on ne trouve pas, qu'on a le sentiment de ne plus rencontrer. Et l'on croit tout naturellement que la médecine personnalisée va remplir cette attente. C'est faux, bien sûr. Ce qu'on appelle la médecine personnalisée n'a aucun rapport avec cela. Dans la manière dont elle a été lancée, cette médecine est de la publicité. Mais c'est de la publicité à l'occasion de quelque chose de très sérieux, à savoir un tournant difficile à prendre à la fois par l'industrie pharmaceutique, le monde médical, le système de santé. La notion de médecine personnalisée donne une image attractive mais fausse, d'une vérité à la fois attirante et préoccupante : nous avons été habitués à croire que notre médecine, notre système de santé, sont les mêmes pour tous. Or, l'époque de la même médecine pour tous est révolue. Elle devient personnalisée, c'est-à-dire différente pour chacun, « customised », comme on dit, et on le craint, proportionnelle aux ressources de l'individu qui sera capable ou non de se l'offrir.

Pr Philippe Amouyel, professeur d'épidémiologie et de santé publique au Centre hospitalier et universitaire de Lille, directeur général de la fondation Plan Alzheimer. J'aimerais tenter de rendre le plus concret possible cette médecine personnalisée pour pouvoir ensuite analyser son impact sur la relation médecin-malade. Pour ce faire, j'ai essayé de trouver trois exemples publiés dans la littérature, qui donnent des visages à cette médecine personnalisée.

La consultation médicale n'a pas changé, cela reste la relation entre un médecin et son patient. Elle a une particularité tout de même : en général elle est réalisée pour un motif de consultation. On peut espérer que cela ne changera pas et nous verrons qu'indirectement cela aura des implications sur cette consultation médicale. La consultation médicale comprend un interrogatoire, un examen clinique et des examens para-cliniques. Ces informations élargies à la génomique et aux omics en général, existent déjà, certes en quantité moindre. Il y a en général un peu de prévention envers les enfants, essentiellement autour des vaccins et de certains dépistages.

L'apport de ce que l'on appelle la médecine personnalisée, on conviendra tous que c'est un mauvais terme, reste l'étude de vastes ensembles de molécules biologiques et de signatures moléculaires appelées habituellement biomarqueurs. Cela a commencé avec les gènes et le génome, mais cela ne fait que commencer. Les scientifiques développent d'autres systèmes d'information avec le transcriptome, le métabolome, le protéome et tous ces omics qui se déclinent quotidiennement aujourd'hui. On passe d'un mode d'information linéaire, un dosage biologique avec une réponse, à un mode d'information parallèle avec, sur un même sujet, des milliers d'informations que ne peut pas spontanément appréhender un cerveau humain. Il faudra des outils.

Il convient de distinguer deux éléments :

À la consultation du spécialiste, on obtiendra une meilleure description de chaque patient. C'est important, cela répond à une demande. Les cancérologues sont très en pointe dans le domaine, les microbiologistes également. Ces nouveaux examens complexes ajoutent à la précision du diagnostic, à l'amélioration de la prise en charge. Ainsi, nous avons une utilisation quasiment directe. On la qualifie de médecine de précision. Je crois que c'est le bon terme, et l'on peut développer des thérapies ciblées dans le cancer. On est vraiment toujours dans la même relation, avec un apport d'information supplémentaire.

Pour ce qui est de la consultation du généraliste, on change complètement de modèle. Ces sources d'informations vont être rémanentes, codées et accessibles. Une fois la séquence effectuée, on ne va pas la refaire dix fois. Toute l'information sera disponible. En ce qui concerne les tests spécifiques moléculaires, ils sont faits pour une raison particulière en général, pour une cible, une mutation particulière. En une fois, on a toute l'information et elle va être stockée, gardée quelque part. Cela signifie que pour un individu donné il y aura un énorme potentiel d'informations, qui fournira des probabilités plus ou moins importantes de survenue d'évènements. Nous ne sommes plus dans une consultation motivée par un motif de consultation, mais dans des situations absolument non sollicitées, non voulues par le patient, ni même par le médecin. Tout cela décrira un ensemble de déterminants et de situations potentielles, qui soit surviendront dans la vie du patient, soit ne surviendront pas, sans parfois savoir lesquels vont influencer. Une évolution de l'environnement, pour tout un tas de raisons, fera que cette probabilité changera complètement par rapport aux études mises en oeuvre dans le passé, comme le disait très bien Jean-Claude Ameisen.

Ces informations bénéficieront pour certaines, de réponses thérapeutiques et d'actions à mettre en oeuvre, même si ce n'est pas nécessairement un médicament, mais pour beaucoup ce ne sera pas le cas. Le coût pour un million de paires de bases de la séquence va baisser bien plus rapidement que la loi bien connue de Moore, qui a démocratisé complètement l'ordinateur. Cela veut dire que ces éléments vont s'imposer, à un prix relativement accessible. On n'empêchera pas le système de se mettre en place, donc il faut vraiment essayer d'anticiper.

L'autre élément sur lequel j'aimerais insister concerne les conséquences « massives », à cause de la masse d'informations que cela va générer, sur tous les problèmes d'interprétation de ces données liés à leur nature probabiliste. Ce n'est pas parce qu'on connaît l'alphabet cyrillique qu'on est capable de lire la Bible en russe. Il va falloir former les médecins à l'accès à ces informations, informer le patient sur l'accès à ces informations, discuter de l'accès de tiers à ces informations. On sort de la relation médecin-malade et tout ce qui va en découler, en particulier la responsabilité du médecin. Sur des échographies nous avons des responsabilités quant au bon diagnostic, mais cela va être décuplé pour une information génétique. Enfin, il va falloir assurer l'information du patient, et de l'individu qui n'a pas nécessairement une maladie, et surtout la protection de tout cela, avec un accès extrêmement large est très difficile à mettre en oeuvre.

J'ai donc pris trois exemples de la littérature, avec juste une petite information au départ pour vous donner une idée du volume des données.

962 génomes humains disponibles sur Internet ont été analysés. Un génome représente en gros 2 téraoctets par patient ; un millier de génomes représentent 1 pétaoctet ; on commence à entrer dans des chiffres dont il faudra tenir compte. Il y a plus de 25 millions de variations de l'ADN dans l'ensemble de ces à peu près 1 000 génomes. La moitié de ces variations sont individuelles, c'est-à-dire uniques ou simples. On les trouve chez un ou deux individus maximum. Les variants fréquents, plus de 1 %, représentent à peu près 35 % de ces variations, soit à peu près 9 millions. Pour essayer de vous donner une idée du vertige de ce que représente ce volume d'informations : un mégaoctet, c'est un million d'octets, une photo numérique : 4 millions d'octets, un gigaoctet, c'est un milliard d'octets, 20 gigaoctets, c'est l'enregistrement complet des oeuvres de Beethoven. Avec 10 téraoctets on a tous les ouvrages d'une bibliothèque universitaire ; 200 téraoctets, tous les imprimés de la Bibliothèque nationale du Congrès ; un pétaoctet, un million de milliards d'octets, à peu près mille génomes, et 5 120 pétaoctets, c'est le web en 2011. On estime que pour le web, une loi de Moore s'applique tous les 5,3 ans par le doublement du niveau d'informations. 5 éxaoctets, ce sont tous les mots prononcés depuis le début de l'humanité. Je ne sais pas comment ils l'ont calculé, mais c'est ce que j'ai trouvé dans la littérature.

1) Premier exemple : les Beery twins. Les jumeaux Alexis et Noah Beery, (un article est sorti dans Sciences Transnational Medicine en 2011) sont diagnostiqués à deux ans, en 1998, pour une infirmité motrice cérébrale. La Maman, Reeta, observe des fluctuations en particulier au cours de la journée, et on pose à ce moment-là le diagnostic de dystonie dopa sensible. On les met sous L-dopa, et on constate une amélioration spectaculaire de la vie de ces enfants. Mais certains problèmes persistent qui ne sont pas classiques, des tremblements des mains, des maladresses, des troubles de l'attention, et douze ans plus tard Noah commence à présenter des spasmes du larynx violents et des troubles respiratoires graves justifiant des réanimations respiratoires régulières. Entre temps la science a évolué et dans la dystonie dopa sensible on ne cherche que les mutations que l'on connaît à l'époque, c'est-à-dire dans les gènes Tyrosine Hydroxylase et GCH1. Et chez les jumeaux on n'en trouve aucune. Donc question : si ce n'est pas une dystonie dopa sensible, de quoi s'agit-il ? Or il se trouve que le Papa est cadre chez Life Technologies , qui produit les appareils de séquençage de chez Affymétrix en particulier, et il décide avec des chercheurs du Baylor College de réaliser un séquençage complet du génome des deux enfants, du frère ainé, du père, de la mère, et des grands parents. Résultat, on trouve une nouvelle mutation non décrite, qui correspond bien au syndrome, mais elle n'est pas dans les gènes que l'on avait anticipés. Donc un nouveau diagnostic intervient qui permet une modification du traitement compensateur, et on ajoute non seulement un complément en L-dopa, mais aussi en 5 hydroxytryptophane, et un inhibiteur de la capture de la serotonine. Aujourd'hui Noah va bien, il arrive à écrire, il se concentre au collège. Petite conséquence non prévue sur la famille, dans laquelle des fibromyalgies avaient été diagnostiquées chez la mère et la grand-mère : on s'aperçoit qu'elles ont à l'état hétérozygote les mutations des enfants à l'état homozygote ; on les met sous inhibiteurs de la recapture de la sérotonine, et du coup elles vont beaucoup mieux. Voilà un premier exemple des conséquences directes et indirectes de ce type d'information.

2) Deuxième exemple, voici un arbre généalogique familial chargé . Le sujet, Stephen Quake, a 40 ans, un de ses petits neveux est décédé de mort subite, des grands parents et un père morts d'accidents vasculaires cérébraux et d'accidents cardiaques. Il a un peu d'embonpoint mais rien de particulier. Il se pose des questions parce qu'il est ingénieur en bio-informatique dans un laboratoire à Stanford. Il fait faire le séquençage complet de son génome. On lui trouve 2,6 millions de mutations. On fait différents systèmes de calculs de risques ; il se trouve que son risque est élevé pour l'infarctus, le diabète de type 2 et certains cancers. On lui trouve des variants dans trois gènes associés à la mort subite, probablement les mêmes que ceux de son petit neveu qui vient de décéder de mort subite ; des variants associés à l'athérosclérose, et quelques indicateurs de variation de sensibilité aux médicaments. On commence à développer des programmes d'analyse à partir de toute cette information issue des variants, qui permettent d'avoir des visions d'ensemble et de fournir des calculs de risques sur l'ensemble de la vie. Stephen Quake a un risque d'obésité et de maladies coronaires de l'ordre de 40 à 50 % ; cela veut dire que dans toute son existence, il aura 4 à 5 chances sur 10 de développer ce type de maladie. Pour arriver à ce résultat, on a créé des programmes bio-informatiques qui essaient de lier automatiquement mutations, informations associées dans la littérature et risque. On appelle cela de la « bibliomique », cela existe effectivement. Stephen Quake est ingénieur et a publié les résultats de sa recherche avec Euan A. Ashley dans le Lancet en 2010 .

3) Le dernier exemple est celui du patient, Michael Snyder, qui a été suivi pendant plus d'un an et demi. On a pu détecter pendant cette surveillance une infection à HRV, une infection à RSV, et également des changements dans sa vie. Durant cette surveillance, on lui a fait un bilan omics complet, on a effectué bien sûr la séquence complète de son génome, du transcriptome sur ses cellules sanguines, du protéome dans son sérum, bref il a eu droit à tout. Ensuite cela a été intégré dans des logiciels complexes. On fait des calculs de risques tout au long de la vie, et on lui trouve 80 % de risques de faire un glaucome à angle ouvert, par exemple, et toute une autre série de risques, surtout un risque de diabète de type 2 un peu plus élevé. Il y a là l'analyse complète de tous les polymorphismes associés à ce risque. Ce qui est intéressant, c'est que pendant l'année et demie de surveillance, il a eu des glycémies régulières, car cela faisait partie du bilan complet, y compris clinique. Totalement par hasard, c'est pendant cette période que sa courbe de glycémie s'élève brutalement juste après une infection à RSV. Cette dérégulation de sa glycémie persiste, il décide alors de changer énergiquement son style de vie, ce lui permet de ramener sa glycémie à un niveau normal. Donc, il a un diabète, il le découvre complètement par hasard concomitamment à la survenue d'une infection, et il se prend en charge. Toutes ces informations et ces cynétiques sont intégrées dans des profils complexes qui sont maintenant associés à l'individu, et il a même créé un concept qu'il appelle IPOP, ce qui veut dire Integrative Personal Omics Profiling , qu'il considère comme intégrable à son dossier médical, et qui pourrait être utilisé dans le cadre du suivi.

Si on revient à la relation médecin-malade, c'est un colloque singulier, où il y aura une augmentation colossale du volume d'informations, essentiellement sous forme de valeurs probabilistes. Il va falloir modifier la façon dont on aborde les questions. On passe vraiment de la notion d'art « médical » comme la voyait Auguste Comte à celle de science. Il va falloir commencer à utiliser des outils scientifiques, ce qui pose la question de l'accès aux données du patient par le médecin, du dossier numérique et des coûts générés par le stockage. Aujourd'hui, stocker et accéder à un téraoctet coûte extrêmement cher. Se pose alors la question du niveau de formation du médecin, du niveau d'information du patient, du lieu où l'on va réaliser ces études : nos hôpitaux, nos laboratoires, les laboratoires de biologie médicale. Des sociétés sont en train de se positionner sur ce terrain, Google qui gère à la fois l'information et ce genre de données ( Société 23andMe ) est en train de le faire. C'est intéressant d'aller regarder ce qu'ils font, et cela pose d'abord le problème de la protection des individus.

Je vais conclure par une phrase de Michael Snyder parue dans Cell. C'est le scientifique qui a voulu tester ce qu'est la médecine personnalisée dans les trois exemples précités. Il explique deux choses : « je veux savoir, je n'ai pas de raison de ne pas connaître l'information, parce que si cela peut me permettre de prévoir, je veux le savoir ». Donc, on a une vraie volonté de l'individu qui s'exprime. Puis il prend son côté médecin, et l'idée qui émerge est que vraiment il va y avoir un niveau et un volume d'informations tel que le médecin généraliste ne pourra pas le gérer seul. Il faudra qu'il le gère en coordination et cela va changer complètement les pratiques.

Dr Anne Cambon-Thomsen, directrice de recherche au CNRS, UMR 1027 « Épidémiologie et analyses en santé publique » de l'INSERM et de l'Université de Toulouse 3 Paul Sabatier, responsable de l'équipe « Génomique, biothérapies et santé publique ». Je suis généticienne, chercheuse et responsable d'une plate-forme génétique et société à Toulouse. Mon propos sera moins illustratif que celui qui vient d'être présenté. C'est évidemment sur la question du rôle du dialogue médecin-patient dans la prise de décision que je m'attarderai pour traiter de la prédictivité. Elle est liée à la question de l'interprétation des données générées et à celle de la responsabilité de la personne vis-à-vis de la gestion de sa santé. Nous venons de voir un exemple très exigeant à ce niveau ainsi que sur la question de la disponibilité des informations, de l'accès aux informations, qui sont également à considérer hors du contexte médical.

On vient de parler de séquences avec des chiffres éloquents. Que change la large échelle à laquelle on s'expose en faisant notamment du séquençage ? D'une part il y a la constitution de bases de données au long cours, issues à la fois de données de recherche et de données de clinique, qui convergent, de façon anonymisée, vers les mêmes bases de données. On doit informer les personnes de cette possibilité de réutilisation de leurs données mais aussi de l'éventualité de ré-identification à partir de données de séquences croisées avec d'autres types de données accessibles publiquement. Cela concerne peut-être plus la recherche, mais l'inquiétude existe parmi les personnes qui font l'objet de tests génétiques à cette échelle, quel que soit le contexte. En effet des exemples de ré-identification, à partir de données minimales contenues dans des bases à accès ouvert ont été décrits. Un article qui commence à être célèbre, est paru dans Science au début de cette année sur ce sujet (246 ( * )) .

Les questions qui se posent au niveau du dialogue, concernent la validité et les limites du consentement classique, tel que décrit même au sein des textes de régulation des tests génétiques dans le contexte français en particulier. La nature du séquençage est-elle différente de celle d'autres tests génétiques, et doit-il y avoir un consentement managé, opéré d'une façon différente, spécifique, concernant en particulier l'étendue des informations qu'il recouvre ? Ces différentes facettes de l'information génétique massive sont à considérer aussi du côté des patients ou quand on parle de recherche, des participants. Quel est le droit à l'information et concerne-t-il toute information générée ? On sait qu'on génère plus d'informations en faisant une séquence, que lorsqu'on réalise des tests spécifiques ciblés. Quelles sont les mesures d'accompagnement adéquates ? Nous venons d'entendre les mesures de bonne pratique qui viennent d'être édictées en France.

Au-delà des patients, au niveau des professionnels de santé, beaucoup de questions se posent. Un professionnel de santé concerné par la génétique va devenir un conseiller dans des situations extrêmement variées. Il va devoir gérer de l'information produite à un moment où l'on ne sait pas si elle sera utile un jour. Á quelles conditions prescrire la production d'information génétique à large échelle, compte tenu du contexte économique de ces tests dont on vient de parler et qui montre que la production massive d'information par séquençage à large échelle va être économiquement plus avantageuse que la production successive d'informations génétiques ciblées ?

Parmi ces enjeux du séquençage à large échelle, je vais parler, d'une part de ce qui concerne le consentement, dont j'ai déjà évoqué les spécificités, et d'autre part des découvertes non sollicitées ou dite incidentes, en particulier lorsque de telles informations peuvent permettre de façon certaine de prédire une maladie grave qui peut être traitée ou améliorée par une prise en charge précoce ; et aussi qu'en est-il si une telle maladie ne peut être ni prévenue, ni traitée ? Je ne parlerai pas des susceptibilités. Mon propos consiste non pas à décrire ce que sont les bonnes pratiques en France, cela a déjà été fait, mais ce qui se passe ailleurs, et d'élargir au débat international dans ce domaine.

Je vais vous présenter quelques-unes des recommandations de la Société européenne de génétique humaine , parues au mois de mai 2013, qui disent en préambule que des protocoles doivent être établis concernant comment et quand une information de type séquençage du génome devrait être produite, partagée, conservée, et pour combien de temps. Étant donné la rapidité de ces nouvelles découvertes, il est important que des bio-banques et des bases de données soient créées, avec des informations à jour sur les génotypes et de l'information phénotypique sur les variants et les patients. Il ne faut pas oublier cette notion : on constitue des bases en même temps que l'on traite des patients. Les ressources nécessaires pour ces bases doivent évidemment être trouvées quelque part.

J'ai sélectionné quelques-unes de ces recommandations parmi les 11 existantes (247 ( * )) :

- La n° 3 dit que l'utilisation des puces sur génome entier ou l'analyse du génome complet, demandent une justification. Nous nous trouvons dans la même logique que celle décrite tout à l'heure dans le cadre des pratiques en termes de nécessité : besoin de résoudre un problème clinique et de proportionnalité : l'équilibre des avantages et des inconvénients, pour le patient. Donc le simple fait que la technique existe et qu'elle est économiquement intéressante n'est pas suffisant pour poser son indication.

- Quand l'utilisation de ces techniques est envisagée, un protocole doit être établi avant, pour guider la conduite à tenir devant les découvertes non sollicitées. Si la détection de variants génétiques non sollicités indique un problème de santé sérieux que l'on peut traiter ou prévenir, un professionnel de santé devrait donner l'information, ce qui n'est souvent pas le cas hors du système de santé.

- La recommandation suivante dit que des lignes directrices pour le consentement éclairé dans le cadre du diagnostic doivent être développées. Cela veut bien dire qu'on n'en est pas là pour le moment, et il y a effectivement de larges débats et de nombreux travaux et études pilotes pour en parler et essayer différents types et contextes de consentement pour ce genre de tests dans la pratique clinique.

« Le droit de ne pas savoir d'un patient » ne prend pas automatiquement le pas sur la responsabilité propre du professionnel quand la santé du patient ou celle de ses proches parents est en jeu. Cette phrase fait débat. Les associations de patients pourraient apporter une contribution importante sur la façon de prendre en main cette question, et il serait intéressant de revenir sur cette phrase, dite par des professionnels, au sujet de l'avis des patients. Ici effectivement le droit de ne pas savoir commence à connaître certaines limites.

Cela tombe en plein dans un débat qui a lieu aux États-Unis, puisque le Collège américain de génétique et génomique médicale a fait paraître des recommandations au mois de mars de cette année :

- Quand le séquençage est pratiqué dans le cadre clinique, quelle qu'en soit la raison médicale, les laboratoires doivent examiner systématiquement 57 gènes spécifiques. Il y a une liste établie dans ce texte et le but est de déceler des informations additionnelles considérées comme cliniquement utiles. Donc le non-sollicité devient obligatoire.

- Ces découvertes doivent être communiquées aux cliniciens et au patient. Le 25 avril, après plusieurs débats, une clarification a été apportée par ce Collège qui précise que ne pas rapporter de telles découvertes serait considéré comme non éthique.

- Dans ce contexte, le patient n'a pas la possibilité de refuser l'analyse sur ces 57 gènes s'il accepte le test du génome entier.

- Ces recommandations s'appliquent aussi pour les enfants. Évidemment, cela fait débat, et tout le monde n'est pas d'accord même aux États-Unis.

Le 16 mai 2013 dans Science , deux articles sont parus, dont un qui argumente contre ces recommandations, signé exclusivement par des auteurs américains. Il dit que le consentement éclairé est la colonne vertébrale du soin aux patients, que les tests génétiques ont depuis longtemps requis le consentement des patients, qui ont le droit de ne pas connaître leurs résultats. Toutefois la médecine du XXI ème siècle commence à utiliser les outils du séquençage du génome, et un énorme débat surgit sur la question du maintien de ces droits du patient à l'ère de la médecine génomique. Cette publication, signée par Wolf et ses collaborateurs, argumente donc contre les recommandations de l'American College of Medical Genetics and Genomics. Ces auteurs disent que révéler des découvertes incidentes sans le consentement du patient est une méconduite. Dans le même numéro de Science , il y a un autre article dont une partie des auteurs font partie de l'American College , mais ils s'expriment à titre individuel. Ils disent que les laboratoires ont une obligation de révéler les découvertes incidentes qui apportent un bénéfice clinique. Á cet égard, la Commission consultative d'éthique des États-Unis auprès de la Présidence, a lancé une consultation publique sur la question des découvertes incidentes et la date limite pour répondre à cette consultation publique est le 5 juillet.

Ce n'est pas une question facile et il existe effectivement un débat. Je conclurai en ouvrant sur d'autres débats actuels. Le British Medical Journal de mai 2013 se demande s'il faut séquencer le génome de tout un chacun : un article dit oui, un autre dit non, qui se font face, avec des arguments dans les deux sens. Derrière cela, finalement, quelles sont les garanties pour les personnes et les utilisations ? On voit bien que l'on s'éloigne, avec ces questions, de la relation médecin-patient, qui est le coeur de notre table ronde. Mais il ne faut pas ignorer que l'accès aux données génétiques sort aussi de cette relation, et on ne peut pas faire fi de cette réalité.

Pr Florent Soubrier, responsable du département de génétique du groupe hospitalier de la Pitié-Salpêtrière-Charles Foix . J'ai consacré mon exposé à la relation médecin-patient, et il s'agit bien d'un patient et non d'un malade, puisque je vais parler du diagnostic pré-symptomatique dans les maladies génétiques, dans un cadre bioéthique et dans la relation qui s'installe entre le médecin et le patient.

Les différentes circonstances dans lesquelles on peut réaliser des tests génétiques sont les suivantes :

- Des tests de confirmation de la maladie, chez une personne qui a déjà des symptômes, chez qui on va découvrir une maladie héréditaire et l'identifier, par identification de la maladie génétique.

- Des tests prédictifs chez un apparenté, ou des tests prénataux, pour une maladie génétique de l'enfant avec des symptômes particulièrement sévères. Les tests pré-symptomatiques, ceux dont je vais parler, concernent des maladies génétiques de révélation plus ou moins tardive, à l'âge adulte la plupart du temps, mais aussi, disons, au milieu de l'enfance. Ils posent des problèmes particuliers.

- Des dépistages néonataux, mais je n'entrerai pas dans cette considération.

Les diagnostics pré-symptomatiques dans les maladies héréditaires à révélation tardive :

La demande de test est faite pour la personne qui veut savoir si elle est porteuse d'une anomalie génétique.

Il existe un cadre juridique bien précis pour ces analyses : L'article R 1131-4 du code de la santé publique prévoit que : « Préalablement à l'expression écrite de son consentement, la personne est informée des caractéristiques de la maladie recherchée, des moyens de la détecter, du degré de fiabilité des analyses ainsi que des possibilités de prévention et de traitement. En outre, elle est informée des modalités de transmission génétique de la maladie recherchée et de leurs possibles conséquences chez d'autres membres de sa famille » . Le code fixe les conditions de prescription et de réalisation des examens des caractéristiques génétiques d'une personne à des fins médicales. Ces tests pré-symptomatiques sont réalisés au sein d'une équipe pluridisciplinaire, dans le cadre d'un protocole. L'équipe est déclarée, et le médecin délivre une attestation certifiant qu'il a délivré des informations à la personne concernée et a recueilli son consentement. Les enjeux de ce test vont être fonction de la gravité de l'affection dépistée et surtout du risque associé à l'anomalie génétique.

Je ne parlerai que de maladies ayant une certaine sévérité, et surtout des mutations associées à un très fort risque. Je ne parlerai pas des tests de prédisposition et de susceptibilité. L'importance de l'enjeu vient de la possibilité de surveillance, de prévention ou de traitement curatif. On peut voir sur une échelle les différentes proportions de sujets qui vont développer la maladie parmi les porteurs de la mutation. Nous avons des maladies comme l'hypertension artérielle pulmonaire où seulement 15 à 20 % des sujets porteurs d'une mutation du gène BMPR2 vont développer la maladie. A l'inverse, pour BRCA1, BRCA2, on trouve des proportions qui peuvent atteindre 80 % de développer un cancer, et dans la maladie de Huntington, il existe une pénétrance complète, c'est-à-dire que 100 % des sujets porteurs de l'anomalie génétique vont développer la maladie. Donc les enjeux vont être très différents selon les cas, même si dans tous les cas, les maladies sont graves. Cette annonce potentielle d'une mauvaise nouvelle doit se faire dans une relation médecin-patient tout à fait particulière, et justement Emmanuelle Prada-Bordenave faisait allusion à ces bonnes pratiques.

Je soulignerai des points qui me semblent importants, que j'ai pu tirer de la pratique médicale :

- Le premier point est la prise en compte de l'étape de la vie où se situe le patient, et je prendrai un exemple précis, l'annonce d'une mutation BRCA1, BRCA 2. Si cette annonce est faite à une femme de 25 ans, les conséquences ne sont pas les mêmes que pour une femme de 60 ans ou plus. Il faut bien expliquer à la personne, patient, malade, la différence entre être à risque et être atteint. C'est parfois bien difficile à faire assimiler par le patient, mais c'est une notion extrêmement importante pour gérer le quotidien lorsque l'annonce a été faite.

- Dans cette relation médecin-patient, il faut se donner du temps, être à l'écoute, être attentif aux mots choisis qui ont des répercussions majeures même si le patient entend ce qu'il veut entendre la plupart du temps.

- Assurer un suivi de l'annonce est essentiel à la démarche. Ce n'est donc pas une rencontre unique mais il y aura tout un processus d'accompagnement dans lequel les psychologues, les conseillers en génétique notamment, ont un rôle important. Tout cela a été parfaitement cadré par les recommandations de l'Agence de la biomédecine.

M. Alain Claeys. Vous dites, tout cela a été cadré, mais le médecin est-il formé aujourd'hui pour cela ?

Pr Florent Soubrier . Le généticien l'est, mais il est vrai que ces recommandations vont aller vers un cadrage plus strict, et le médecin généraliste n'est pas formé à cela. C'est pour cela qu'il me semble que ce genre de tests doit rester dans le cadre de médecins formés spécialement, car, on l'a vu, les conséquences en fonction des pathologies sont très spécifiques.

Dans la prise en charge il y a des phases importantes : l'écoute, le conseil par le généticien, par le spécialiste de la maladie, une phase de réflexion ensuite où le patient peut avoir le choix de décider ou non de faire le test en fonction des informations qu'il aura reçues ; enfin, la décision est prise et il y aura le rendu du résultat, puis, le dernier point est celui du suivi spécifique.

Les conséquences de la prédiction sont les suivantes :

- Quand le test n'est pas fait, le résultat n'est pas connu, la personne se trouve dans l'état d'être à risque. Ce doute est vécu au quotidien. Il n'est pas toujours facile à gérer, et il peut paralyser l'action, tout projet, et expliquer aussi tous les symptômes que le patient peut éprouver avec un risque subjectif souvent autour de 50 %.

- Le résultat favorable contrairement à ce que l'on peut penser peut entraîner des réactions surprenantes bien qu'explicables. C'est la culpabilité du non-porteur vis-à-vis de son frère ou de sa soeur, qui eux sont porteurs. Cela met le non porteur dans une situation un peu à part. Et quelquefois le risque écarté d'une pathologie sévère a des conséquences tellement importantes que cela va pouvoir changer la façon dont il gère sa vie, c'est-à-dire, avec cette expression très belle d'Alexandra Dürr, « guérir du risque ». Ce n'est pas neutre, parce qu'il va pouvoir complètement changer son cadre de vie, ses projets, quelquefois changer sa vie de couple. Il y a parfois beaucoup de choses qui vont être décidées à la suite d'un résultat favorable.

- Dans les résultats défavorables, il va falloir distinguer porteurs et atteints, gérer le temps qui sépare le résultat de la déclaration de la pathologie quand celle-ci est inéluctable. Il y a une incertitude sur l'âge de début ou de sévérité, et également une adaptation familiale et sociale à faire.

Quel est le pouvoir prédictif du test, avec quelle est la prise en charge ? Il existe une difficulté à prédire la survenue quand la pénétrance n'est pas complète. On ne peut pas aller au-delà d'une certaine information vers le patient, encore moins pour l'âge de début de la pathologie. Mais savoir peut permettre, selon le type de la prédisposition, un dépistage précoce. Je voudrais insister sur l'intérêt des centres de suivi spécialisés que par exemple l'INCa a mis en place pour les personnes porteuses de mutations prédisposant aux cancers, qui permettent une vraie prise en charge et assurent le meilleur suivi. Ce pouvoir prédictif permet également les mesures préventives chirurgicales, qui sont parfois lourdes, mais peuvent apporter des gains importants en termes d'années de vie

Mme Simone Bateman, sociologue, directrice de recherche au CNRS, Centre de recherche médecine, sciences, santé, santé mentale, société (CERMES3) - CNRS UMR8211/Université Paris Descartes/EHESS/
Inserm U988. Pour répondre à la question posée par la table ronde, j'aimerais pouvoir me référer à une définition consensuelle de la médecine personnalisée. La littérature est abondante ; cependant, une revue de cette littérature m'a conduit à constater qu'il n'y a de consensus ni sur une définition, ni sur le champ que le terme recouvre, ni sur le point d'entrée qu'il convient de privilégier pour comprendre son développement. Toutefois quelques idées reviennent avec insistance.

La première est qu'il s'agit d'une médecine faite sur mesure (en anglais, customised, ou tailored , par analogie avec les tailleurs, l'habillement). C'est-à-dire que l'on va tenir compte des caractéristiques individuelles du patient, principalement ses caractéristiques biologiques, notamment génétiques, mais aussi des données concernant son environnement et son mode de vie. Ce profil est défini de manière objective, car l'individu est saisi à un niveau élémentaire de son existence biologique.

Cette personnalisation ne peut se confondre avec des conceptions plus philosophiques de la personne, par exemple un autrui incarné engagé dans une relation, un sujet de droit responsable de ses actes, voire avec l'idée d'une médecine holistique attentive aux besoins de chaque personne au moment où elle se fait soigner. On la retrouve dans la notion de colloque singulier, mais également dans un programme de l'INCa qui personnalise des soins en cancérologie. Ce programme n'a rien à voir avec la médecine personnalisée dont nous parlons, puisqu'il s'agit de mettre en place une meilleure coordination et un accompagnement du patient dans son parcours de soin.

La notion de médecine personnalisée renvoie donc, soit à un système de santé, soit à des soins de santé. Le terme anglais comporte le mot medicine mais aussi parfois le mot health care , donc soins de santé au sens le plus large, non forcément associés à une pathologie. Ce système est censé s'accommoder, à tous les stades de la prise en charge, de ces différences individuelles. Il s'éloigne d'une médecine dite à « taille unique », one size fits all , mais nous savons que cette vision est un idéal puisque dans la pratique, il s'agit d'identifier des sous-groupes de personnes susceptibles de bénéficier de traitements ciblés en fonction de leur profil.

La seconde idée qui revient dans la littérature est celle-ci : des technologies rendent possibles cette nouvelle vision d'une médecine sur mesure. Le terme en anglais est enabling technology . En effet, la médecine personnalisée s'appuie sur un ensemble de connaissances et d'outils techniques qui rendent possibles la caractérisation du profil biologique ou génétique de chaque patient et donc la mise en oeuvre de soins adaptés. Outre les avancées dans les domaines de la génomique, de la bio-informatique, de la pharmacogénétique et de la pharmaco-génomique, il s'agit notamment de la nouvelle génération de machines de séquençage, plus puissantes et donc capables de faire le travail en moins de temps et à moindre coût. Certains rapports privilégient l'analyse des enjeux et des risques associés à l'utilisation de ces nouveaux outils techniques : par exemple, le rapport de la Commission présidentielle américaine pour l'étude des questions de bioéthique, W hole Genome Sequencing : Privacy and Progress , met en avant le séquençage du génome entier ; un rapport du Nuffield Council, Emerging Biotechnologies , consacre une petite partie de son analyse à la médecine personnalisée et à ce qu'ils appellent la médecine génomique; un autre rapport du Nuffield Council mentionné par Hervé Chneiweiss, M edical profiling and online medicine : the ethics of personalised healthcare in a consumer age , identifie Internet comme une technologie importante dans ce champ.

Une troisième idée s'impose également dans le débat : cette médecine dite personnalisée a commencé dans un domaine spécifique, l'oncologie. En effet, le recours aux outils de la génomique a pu s'inscrire dans des pratiques déjà bien établies d'examen et de classification des tumeurs. Dans ce cas, il s'agissait de caractériser non pas le profil du patient, comme il est dit dans les définitions que j'ai pu trouver dans certains rapports, mais les altérations génétiques de la tumeur avec pour but d'affiner le diagnostic, le pronostic du cancer, mais aussi de choisir le traitement le plus efficace ou le mieux toléré, voire d'éviter un traitement inefficace aux effets secondaires toxiques. En d'autres termes, la médecine personnalisée vient renforcer les moyens que l'oncologie met déjà en oeuvre dans sa mission thérapeutique proprement dite.

Certes la rhétorique voudrait qu'on « personnalise » le diagnostic et le traitement, qu'on « prédise » l'efficacité d'un traitement, qu'on « prévoit » la tolérance ou l'intolérance à un traitement, mais nous sommes dans ces cas loin de ce que nous entendons habituellement par médecine préventive ou médecine prédictive. Il s'agit plutôt d'une médecine de précision, qui pour le moment s'applique à un nombre limité de personnes, chez qui l'on a détecté les quelques marqueurs associés actuellement à des thérapies dites ciblées, ce qui a été rappelé également par Anne Fagot-Largeault. Toutefois, au long terme, l'oncologie aspire à une nouvelle classification des cancers fondée sur des caractéristiques génétiques, avec l'espoir d'une efficacité accrue. La traduction de cette aspiration dans la pratique passera également par des essais cliniques dont les modalités, notamment la phase 3, doivent être pensées en fonction du fait que les cibles concernent des groupes de patients de plus en plus petits.

Le cancer peut-il servir de paradigme pour le développement de cette médecine sur mesure dans d'autres spécialités ? Alors que le cancer est aujourd'hui compris par certains comme une maladie du génome, ce n'est probablement pas le cas pour bien d'autres maladies comme par exemple les maladies cardio-vasculaires. Cela limite peut-être l'extension du paradigme d'une médecine individualisée à d'autres spécialités. Sans doute faut-il garder à l'esprit l'idée que la médecine personnalisée est en développement et a encore à faire ses preuves.

Cette insistance sur le mot « médecine », comme sur le mot « personnalisée », laisse dans l'ombre un enjeu essentiel. Son extension repose, comme je l'ai rappelé, sur l'identification de nouveaux variants génétiques associés à des thérapies spécifiques. Or cela ne peut être établi que par la collecte de données à des fins de recherche sur de très grandes populations de patients. Outre les recherches fondamentales déjà menées dans ce domaine, le rapport Toward Precision Medicine du National Research Council américain de la National Academy of Sciences préconisait déjà en 2010 la collecte de données observationnelles en situation clinique en vue d'alimenter un réseau commun de données. La récente initiative de mise en commun de données de recherches par un réseau d'institutions, réunies sous le nom de Global Alliance, va tout à fait dans le sens préconisé. Le schéma présenté dans le rapport a été élaboré voici trois ans, et déjà l'une des pièces commence à se mettre en place. Même les personnes qui dans une démarche privée souhaitent faire établir leur profil génétique par l'un des services directs aux consommateurs existant aux États-Unis, ont elles-mêmes alimenté de telles bases de données. Aujourd'hui certains de ces services sont fermés, et ont vendu leurs bases à d'autres entreprises, dont par exemple des industries pharmaceutiques.

Les retombées de ces recherches ne seront pas immédiates, car la simple production de données n'équivaut pas à l'élaboration d'une information scientifiquement rigoureuse, pertinente et cliniquement utile. Cependant, toute production de données engage le patient ou le client dans une nouvelle forme de contribution à la recherche dont il convient de préciser les termes de consentement à la participation. On assiste là à une reconfiguration du cadre de la relation entre le médecin et son patient, qui dépasse largement celui plus restreint auquel renvoie la notion de colloque singulier.

On peut enfin s'intéresser à l'absence du mot génomique dans l'expression médecine personnalisée, alors que c'est cet ensemble de connaissances et de technologies associées qui rend possible cette nouvelle démarche thérapeutique. Ce fait va de pair avec le constat qu'hormis le débat sur l'intérêt pour l'individu des données relatives aux gènes de susceptibilité fournies dans le cadre des services directs aux consommateurs, l'impact de la génomique sur l'évolution de la génétique médicale comme une forme de médecine personnalisée est plus rarement abordé dans les rapports mentionnés. Cependant, beaucoup d'articles récents sont consacrés aux découvertes fortuites qui pourraient être faites dans le cadre de stratégies de recherches fondées sur l'analyse des génomes. Ces découvertes suscitent des controverses - auxquelles a déjà fait allusion Anne Cambon-Thomsen - sur l'obligation d'informer sur le droit de ne pas savoir, notamment lorsque la médecine ne peut rien proposer en matière thérapeutique. Ces controverses montrent bien que les enjeux de la médecine dite personnalisée se définiront nécessairement au-delà des frontières du seul champ d'une prise en charge thérapeutique mieux ciblée de certaines affections.

La génomique commence à faire ses preuves comme outil pertinent dans le diagnostic prénatal, notamment dans les tests non-invasifs récents faits sur sang maternel. Il s'agit là d'un champ de pratiques et de problèmes distincts, relevant plutôt d'une médecine dite prédictive, au sens où elle détermine des probabilités d'être atteint d'une maladie ou d'une affection. Elle peut être éventuellement préventive lorsqu'il est possible mettre en place une surveillance, voire des mesures prophylactiques. Le fait que les deux champs de pratiques mobilisent un même ensemble de connaissances et de techniques suggère que la médecine personnalisée entendue comme une médecine de précision, ne pourra échapper à certaines des interrogations qui depuis longtemps traversent la génétique médicale. Dans ces circonstances, ce ne sera plus l'individu, défini dans son rapport à une population, qui sera au centre de cette médecine, mais la personne dans son rapport à ses apparentés, et dans ses aspirations à une descendance en bonne santé.

Débat

M. Alain Claeys, député, rapporteur . Je souhaiterais que l'on revienne sur cette reconfiguration de la relation malade-médecin. Pour nous, en tant que parlementaires, c'est un sujet important.

Pr Thomas Tursz, cancérologue, directeur honoraire de l'Institut Gustave Roussy. Je parlerai cet après-midi plus précisément des problèmes posés par le traitement personnalisé du cancer. Mais après ce débat un peu général, j'aurais voulu intervenir sur certains points qui me paraissent plus globaux et importants, et en particulier devant des élus de la République.

On peut spéculer à perte de vue sur l'importance de cette médecine, sur le temps qu'elle mettra à exister, sur les avantages et les inconvénients apportés aux patients et sur son coût pour la société.

Le premier point est que c'est inéluctable, incontournable. C'est un saut de la connaissance, on ne reviendra pas en arrière. Et si dans un pays comme la France, dans une structure comme l'Europe, on ne se donne pas les moyens de le faire bien, intelligemment, de partager ces connaissances et ces résultats, cela durera longtemps, ce sera mal fait, sans contrôle de qualité, et à nouveau ces progrès apparaitront lents, coûteux et peu efficaces.

L'autre risque que je perçois est réellement celui d'une médecine à deux vitesses, une médecine de classe, où les patients riches pourront à leur frais faire séquencer leur tumeur, le plus souvent à l'étranger, et bénéficier de traitements personnalisés, alors que les autres continueront à être traités par les méthodes et les médicaments conventionnels, dont nous voyons aujourd'hui les limites et les inconvénients.

Je crois que la notion de pluridisciplinarité, essentielle en cancérologie, doit maintenant s'élargir vers un réel pluri-professionnalisme. C'est vraiment dans la mise au point stratégique de consortia, de spécialistes différents travaillant avec des technologies différentes, mais partageant l'ensemble de leurs données, l'ensemble de leur savoir, de leurs connaissances, que l'on progressera.

Enfin, contrairement à ce que j'ai entendu, les malades, dans ma spécialité, le cancer, sont très demandeurs de ce type de médecine. Autant l'essai thérapeutique a été longtemps considéré comme le dernier recours quand tout le reste des traitements avait raté, la dernière voie avant le miracle ou avant Lourdes, autant il est en train de devenir l'offre précoce, dans le cours de la maladie, d'une chance réelle de traitement. Ceci change aussi beaucoup la place de la recherche clinique, qui devient de plus en plus importante, et va de plus en plus être réclamée par les malades.

J'en parlerai dans le domaine du cancer, mais ceci concerne d'autres domaines. Je voudrais insister sur le changement de classification des maladies. Ce point crucial va plus loin que la cancérologie. Le Parkinson est probablement un mélange de 30 maladies, l'Alzheimer de 50, et une nouvelle nosologie des tumeurs doit être faite. L'intérêt général, public, social, éthique, scientifique est qu'elle soit faite de la façon la plus courte, rentable, équitable, et avec le plus de critères de qualité.

Je voudrais enfin dire combien ces notions nouvelles vont modifier la relation médecin-malade. Bien sûr elle doit continuer à exister, c'est un médecin qui doit être le référent du malade, l'orienter, le guider, l'appuyer, l'éclairer, mais c'est une équipe de gens partageant leurs connaissances, leurs technologies, leurs savoirs qui orienteront les décisions thérapeutiques, en fonction des résultats d'ordinateurs géants, et non pas de ce qu'ils ont pu lire dans tel ou tel journal, ou dans leur expérience passée. C'est vraiment, pour paraphraser Edgar Morin, un enjeu de gestion collective de la complexité, un changement de paradigme. Et la pire des choses serait de ne rien faire maintenant en pensant que de toute façon cela se fera tout seul, ou dans tellement longtemps que ce n'est pas la peine de prendre des décisions tout de suite. Il faut essayer que cela ne coûte pas trop cher, que ce soit supportable par la société, que cela se fasse bien.

M. Alain Claeys. Par rapport à l'ordinateur, qu'elle est la place du médecin référent ?

Pr Hervé Chneiweiss . Nous avons assisté à deux présentations, non pas conflictuelles, mais tout de même... D'un côté Philippe Amouyel nous a présenté des programmes développés par des personnes qui ont accès aux technologies informatiques et aux technologies omiques, et de l'autre, je suis à peu près d'accord avec ce que vient de dire Thomas Tursz.

Mais il n'y a pas que la génétique, il y a tous les omiques qu'il va falloir intégrer. Un ingénieur de santé va certainement être nécessaire, il va falloir ouvrir la relation médecin-malade. Et va se poser immédiatement l'inégalité d'accès à l'information ou à cette médecine intégrée. En effet, nous l'avons vu sur un des schémas : l' Integrative Personal Omics Profiling (IPOP) qu'a montré Philippe Amouyel intègre les différents domaines. Je ne veux pas minimiser les choses, mais je dirais que le domaine du cancer, c'est-à-dire l'identification de mutations dans les cellules tumorales, le suivi de ces mutations et le ciblage de la tumeur, est presque le cas le plus facile par rapport aux multiplicités du schéma IPOP, qui a montré l'interaction entre les différents facteurs de risques et d'environnement par rapport à la personne.

Donc, comment les pouvoirs publics vont-ils ouvrir la relation médecin-malade ? Florent Soubrier a semblé vouloir garder le conseil génétique au médecin qui prescrit le test. Mais comment va-t-on ouvrir cela aux nouvelles connaissances qu'ont les patients eux-mêmes, à cet ingénieur de santé, à ces nouveaux métiers du conseil génétique, en tenant compte également des nouvelles pratiques des médecins généralistes, qui eux n'y comprennent vraiment pas grand-chose aujourd'hui ? Il y a vraiment des enjeux de santé publique et d'ouverture des données privées à de nouveaux professionnels, auxquels il faut réfléchir.

Pr Philippe Amouyel. Ce que dit Hervé Chneiweiss est tout à fait juste. Par hasard, dans le cadre de programmes de recherches j'ai eu à interagir avec les personnes de l'entreprise 23andM e sur des programmes neuro-dégénératifs Parkinson. Vous savez tous comment cela a commencé. La femme de Sergey Brin, un des patrons de Google, était biologiste moléculaire. Il lui a offert un laboratoire, et avec leur exceptionnel esprit d'entreprise, ils ont monté 23andMe , qui offrait au début la possibilité d'avoir des informations sur la généalogie. C'est ce qui a permis le fameux article de Science entre autres : vous donnez votre génome, et à partir de petits bouts de séquences vous dites, sans le savoir, qui vous êtes, où vous habitez, quels sont vos parents, et votre nom. On peut le faire aujourd'hui sur Internet dans près de 10 % des cas. Et puis Sergey Brin s'est trouvé une mutation dans le Parkinson quand il a fait le test. Cela a complètement changé son approche intellectuelle. Il a mis de l'argent dans le système pour la recherche sur la maladie de Parkinson. 23andMe perd encore beaucoup d'argent, mais il continue, et c'est un fabuleux laboratoire expérimental de ce que l'avenir pourra être.

23andMe est un acteur majeur dans les consortiums de recherche sur les maladies neuro-dégénératives. Leurs bases de données sont composées uniquement de volontaires recrutés sur Internet. Ils ont pu ainsi constituer ainsi une des grosses bases de données génomiques sur Parkinson. Ils font un appel par internet, proposent des génotypes pour trois fois moins cher, et construisent des bases colossales, hors de tout système scientifique ou légal. L'information est simplement issue de questionnaires et de la bonne volonté des gens. On peut se dire que ce n'est pas scientifique. Ils sortent des documents sur des caractéristiques peut-être inutiles, des gènes qui vont gouverner des cheveux frisés ou des choses comme cela. Mais cela veut dire qu'il y a vraiment un enjeu, une population très demandeuse et des outils très puissants.

En effet, quand c'est très ciblé, quand il s'agit du diagnostic qu'évoquait Florent Soubrier ou Thomas Tursz en matière de cancer, on est déjà dans la médecine de précision. Simplement c'est un plus pour le médecin, un nouvel examen qui vient enrichir vraiment une consultation de spécialistes. Dans les cas précédents, nous sommes sur des données qui peuvent générer des informations telles que : « je vais chez un généraliste, il peut m'annoncer que mon père n'est pas mon père, par exemple ». Doit-il le dire ou non ? Il est important que cette relation médecin-malade soit conservée, même s'il y a tout cet environnement en réseaux qui ne manquera pas d'intervenir. Il faudra un « intercesseur » car nous ne sommes que des hommes : « je n'ai peut-être pas envie de savoir si je vais avoir telle maladie, si je vais décéder dans cinq ans. J'aimerais pouvoir discuter avec mon médecin traitant d'abord ».

Pr Jean-Claude Ameisen . Je crois que c'est important ce qu'Anne Cambon-Thomsen évoquait, ce droit de ne pas savoir. Et cette pression qui consiste à penser que toute information est forcément utile, et que l'on est forcé de savoir qui est son père, quel risque on a etc ., est un vrai problème. Si c'est l'ordinateur qui pilote, c'est comme les tests sur le net : on pose une question, on a des réponses, y compris à celles qu'on n'a pas posées. Cela demande non-seulement une formation, une pluridisciplinarité avec des ingénieurs de santé, mais aussi du temps. Or, dans une époque de tarification à l'activité, le temps du dialogue n'est pas considéré comme une activité. Ce paradoxe, la dépersonnalisation de la médecine personnalisée, contient la seule chose dont on va faire l'économie : ce ne sont pas les séquenceurs, ni les ordinateurs, mais le temps.

Comment reconstruire de manière ouverte cette relation entre une personne et un interlocuteur médecin, qui n'est pas forcément celui qui a fait le test, séquencé, analysé ? Il y a quelque chose à repenser en partenariat encore une fois, avec les associations de patients. Le fait de pouvoir identifier la personne sur une séquence, et que les séquences circulent, posent un véritable problème de confidentialité et de risque de discrimination, à une époque où l'on s'aperçoit que celle de nos conversations et de nos échanges de méls n'est peut-être pas aussi grande qu'on le croit.

Un point que l'on n'a pas évoqué, il est un peu éloigné, mais il est très simple : le fait d'envoyer quelques cheveux et d'avoir un séquençage permet non seulement de séquencer son génome, mais aussi celui de n'importe quel voisin. Il n'y a donc pas simplement le problème de confidentialité dans la manière dont les données sont échangées ou recueillies, il y a aussi la question de savoir de qui l'on séquence le génome.

Ce sont des problèmes de fond. Le temps, la réflexion, sont nécessaires, sans encore une fois se laisser entraîner par les côtés très intéressants d'une démarche qui avance à pas forcés.

On a parlé de la validité...Quelque chose me préoccupe depuis quelques années. Contrairement à ce qui se passe aux États-Unis avec la Food and Drug Administration , le marquage CE des dispositifs médicaux de diagnostic ne prend pas en compte l'utilité clinique, mais simplement les caractéristiques techniques. Et si l'on se met à rentrer dans une analyse du génome, du métabolome, du microbiome avec des instruments mis sur le marché, sans que leur utilité clinique et leur intérêt aient été évalués, on a un problème auquel il faut réfléchir au niveau européen.

Un dernier point : nous l'avons vu, il y a non seulement insistance sur ce qu'on peut lire de précis dans le corps, mais de plus un déplacement vers le génome. Comme le plus facile à interpréter d'un point de vue informatique est actuellement l'information génétique, on a l'air de dire que c'est la plus importante. En gros, ce qu'on sait le mieux analyser devrait être le plus important. Or ce n'est pas le plus important. Comment ne pas faire basculer ce qu'on appelle la médecine de précision vers simplement une médecine d'étude génétique ? Dans l'aspect intéressant de responsabilisation de la personne (vous en savez beaucoup plus sur vous si vous le voulez, et vous pouvez changer votre mode de vie), il y a un risque en termes de solidarité, qui n'est pas seulement la difficulté de prendre en charge économiquement ces analyses, mais d'oublier les contraintes d'ordre général, qui jouent un rôle extrêmement important sur la santé.

Il me semble me rappeler que dans la dernière étude de l'INSEE, le premier facteur de mortalité de cancer, ce n'est pas la séquence génétique particulière de la tumeur, mais le niveau socio-économique des personnes atteintes de cancer, car il entraîne un retard d'accès au diagnostic, donc un retard de traitement. Or, cela ne se lit pas dans le génome. On a donc un risque de dire : vous savez tout sur vous, vous êtes responsable. Mais pour les deux millions d'enfants qui vivent sous le seuil de la pauvreté, ce n'est pas dans l'analyse de leur corps aujourd'hui que l'on peut imaginer et prédire les conséquences en termes de santé, dues à un environnement socio-économique.

Il faut donc avancer dans la réflexion sur cette démarche, mais ne pas oublier le rôle des facteurs que nous construisons ou non, de l'ordre de l'environnement au sens très large du terme : les études de l'OMS ou de Michael Marmot sur les déterminants socio-économiques de la santé ne se lisent pas dans le corps du nouveau-né, du foetus, de l'enfant ou de l'adulte, avant que les déterminants de leur environnement n'aient commencé à produire leurs effets.

Mme Simone Bateman . Juste un petit commentaire en réponse à votre question sur le médecin référent. Je suis tout à fait d'accord sur le fait que les tests génétiques doivent être pris en charge par un spécialiste puisque c'est lui ou elle qui connaît le mieux le problème pour lequel consulte la personne. Mais une enquête que j'ai menée auprès de personnes ayant une mutation pour deux types de cancers héréditaires mentionnés par Florent Soubrier, montre que le médecin traitant est très important, car il peut, par méconnaissance, ne pas aiguiller le patient suffisamment rapidement et à bon escient chez le spécialiste. Il peut y avoir une perte de chances liée au fait de perdre du temps dans un parcours de soin inapproprié. Mon sentiment est qu'il est urgent de proposer une meilleure formation en génétique notamment pour le généraliste, médecin que le patient voit le plus souvent et qui joue un rôle clé dans le réseau de soins.

Mme Emmanuelle Prada-Bordenave . Je voudrais juste revenir sur deux points. L'aspect financier, et le gros plus apporté par ces techniques de génétique et la possibilité d'y accéder rapidement : la limitation de l'errance diagnostique. Elle a un coût considérable pour nos systèmes de santé. Il ne faut jamais oublier que si ces technologies apparaissent coûteuses aujourd'hui, elles apportent une économie relative, qui est l'économie de l'errance diagnostique et de son coût, sans parler de la pharmacogénétique, de tout ce qu'on a dit ce matin sur les effets toxiques en cas de mauvaise prescription.

Sur le point qui vient d'être soulevé par Mme Bateman, nous Agence, en liaison avec la Haute Autorité de Santé, et l'ANSM, sommes positionnés dans cette idée que cette médecine devait servir à soigner des malades. Il est vrai, des personnes se présentent sans être malades, et vont se faire prescrire une analyse : autant pour la prédisposition, pour les personnes pré-symptomatiques, il s'agit vraiment d'une démarche clinique, autant pour les tests de susceptibilité il faut vraiment faire preuve d'une très grande prudence. C'est là que les médecins les plus généralistes, les plus proches des patients vont être le plus impactés. Bien sûr, dans le cas du Pr Florent Soubrier, les patients ont déjà été triés, car les pathologies sont graves. Mais le médecin généraliste, ou le gynécologue, devant des troubles de la coagulation, vont être directement confrontés à la nécessité ou non de prescrire des tests qui dans la plupart des cas vont être de susceptibilité. Et là nous devons faire preuve de pédagogie. C'est pour cela que ces règles de bonne pratique vont être diffusées aux généticiens, qui n'en ont pas vraiment besoin puisque ce sont eux qui les ont construites, mais surtout aux prescripteurs non spécialisés dans la maladie génétique, voire non spécialisés dans la maladie très grave.

Il va falloir une sorte d'apprentissage de nos professionnels pour ces nouvelles techniques, et tant mieux si les outils sont moins coûteux et plus puissants. Mais ils doivent toujours être utilisés pour soigner, et non pas pour faire de la génétique récréative. Car la génétique récréative est quand même de la dépense de santé. Entendez-le au sens de la comptabilité nationale. Quand est installé chez nous quelque chose qui fait du séquençage du génome, c'est de la dépense de santé et c'est un poids pour notre société. Si on installe ces grands séquenceurs, et la direction générale de l'offre de soins s'est engagée à le faire de manière déterminée, il faut qu'ils servent à soigner et non pas à savoir si l'on a les cheveux frisés.

Mme Catherine Vergely, secrétaire générale de l'Union des parents d'enfants atteints de cancer et de leucémie (UNAPECLE). Je représente l'Union nationale des associations de parents d'enfants atteints de cancers ou de leucémies. J'interviens ce matin sur un autre sujet.

Vous êtes très éloignés des préoccupations du citoyen moyen, car s'il a envie de faire son génome sur Internet, même s'il n'est pas remboursé, il le fera. Par ailleurs la personne actuellement au SMIC n'a absolument rien à faire des tests que vous avez montrés. Ils sont faits par des gens supérieurement intelligents, avec des moyens pour décoder leurs génomes ou décoder leurs enfants, mais ne sont pas accessibles à la majorité.

J'ai une question importante. On parle bien de la relation médecin-malade, de médecine de prévention, dont on sait qu'elle n'a pas atteint son zénith en France. Nous avons devant nous cette obligation de la mettre en place, c'est un enjeu citoyen, qu'elle soit pour la médecine personnalisée ou pour les autres. Il me semble que la médecine du travail, la médecine de prévention dans les institutions, celle chez nos enfants dans l'éducation nationale, ne sont pas suffisantes.

Il me semble important de replacer la médecine personnalisée, et pas uniquement la génétique, dans la perspective du bien-être du citoyen, sans être uniquement de la médecine de haut vol. Par exemple le diagnostic de la tuberculose, maladie qui remonte en France, est important. Je voudrais remettre le débat à ce niveau. Nous avons peut-être des professionnels hyper-pointus à former, mais déjà, les médecins de prévention et du travail ne sont pas reconnus par nos institutions. Ils auront également, vu leur expérience avec des personnes, malades ou non, des leçons à nous donner pour la médecine personnalisée.


* ( 246 ) Gymrek M, McGuire AL, Golan D, Halperin E, Erlich Y. Identifying personal genomes by surname inference. Science, 2013 Jan 18;339(6117):321-4).

* ( 247 ) VAN EL CG, et al. Whole-genome sequencing in health care. Eur J Hum Genet . 2013 June;21(6):580-4.

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