PROPOS INTRODUCTIFS

Pr Jean-Claude Ameisen, immunologiste, président du Comité consultatif national d'éthique pour les sciences de la vie et de la santé (CCNE). Comme vous le disiez, la notion de médecine personnalisée pose autant de questions qu'elle apporte de réponses possibles, et un premier point est qu'au fond cette démarche d'individualisation, d'adaptation de la médecine à la singularité de la personne, est ancienne. Traiter par antibiotique une personne infectée en vérifiant que la bactérie est sensible à cet antibiotique, est une démarche ancienne. Il en va de même, de l'adaptation au fonctionnement rénal de la personne, de la dose d'un médicament éliminé par le rein. La découverte des groupes sanguins et leur application dans les transfusions, la découverte des groupes HLA et leur application dans les greffes, sont ainsi des démarches de ce que l'on appelle aujourd'hui une médecine personnalisée.

Le terme donne l'impression qu'il s'agit d'une médecine sur mesure, s'adressant spécifiquement à la personne en tant que telle, c'est l'une des ambigüités. Or il s'agit comme pour toutes les démarches de la médecine, -et même si c'est un changement d'échelle et peut-être pas de paradigme-, de rattacher le patient à un sous-groupe abstrait de personnes qui sur les caractéristiques nous intéressant lui ressemblent le plus. D'une certaine façon, la médecine personnalisée, si l'on veut évaluer son efficacité par une démarche de médecine fondée sur les preuves, donc sur les statistiques, n'est pas une démarche sur mesure, mais plutôt d'appariement le plus congruent d'un patient à d'autres groupes de patients et à des croisements de ces groupes. C'est la congruence de cet appariement à d'autres sous-groupes qui définit la notion même de médecine personnalisée.

En outre, ce concept fait appel de manière peut-être plus frappante à des croisements de sous-groupes où chaque personne est une mosaïque, même si cela a toujours été le cas. C'est plus visible en cancérologie, puisque le séquençage du génome de la tumeur permettra d'apparier la tumeur du patient à des tumeurs d'autres personnes, et le séquençage du génome du patient permettra de l'apparier pour les effets secondaires et la tolérance aux traitements à d'autres personnes. Donc, on dissocie dans ces appariements, différents éléments qui constituent cette personne ; il y a ainsi un effort de formalisation mathématique, encore débutant qui vise à considérer les personnes comme des réseaux de molécules, de gènes, de fonctionnements. On est devant un paradoxe : ce que l'on appelle « médecine personnalisée », revient au fond à l'étude et à l'appariement de points précis dans des nuages de points. Comme le traitement lui-même repose sur la recherche et donc sur la validation statistique, cette médecine, ce traitement personnalisé, devient un sujet de recherche qui rétrospectivement, déplacera les points que l'on avait inscrits dans d'autres nuages de points. C'est mouvant et d'autant plus efficace que la singularité de la personne peut être décomposée en éléments non singuliers. C'est donc un peu différent de la vision habituelle que la société se fait de la démarche.

On met l'accent justifié la génomique, mais elle n'est pas, et de loin, la seule à prendre en considération. Le généticien Richard Lewontin disait que l'intérieur et l'extérieur s'interpénètrent, que chaque être vivant est à la fois le lieu et le produit de ses interactions. Ainsi l'environnement, dans la façon dont il déterminera la manière dont les gènes sont utilisés par les cellules et les corps, détermine en retour la manière dont les gènes sont utilisés par les cellules et les corps. L'une des approches de la médecine personnalisée, très différente des approches habituelles, consiste à équiper des personnes de capteurs qui les suivent dans leur environnement au fur et à mesure de leurs déplacements, et révèlent toutes les molécules, éventuellement toxiques, avec lesquelles cette personne singulière est en contact. Il y a, en outre, le microbiome, les centaines de milliers de milliards de bactéries que nous hébergeons, et dont des études montrent aujourd'hui la singularité de la composition chez chaque personne. Le microbiome a un effet sur notre métabolisme, nos réactions inflammatoires et sur la manière dont fonctionne notre système immunitaire. Les éléments de l'environnement, les éléments constitutifs de la personne et les microbes que nous hébergeons, constituent une singularité évolutive et multiple.

Cela produit une masse extraordinaire de données, suivant les aspects singuliers de la constitution biologique et de l'environnement que l'on étudie. Cela pose en effet un problème de protection de la vie privée, de la confidentialité, car au fond ces données ne sont utiles que si elles sont recueillies sur un nombre suffisant de personnes, et si elles sont centralisées ou circulent d'un laboratoire à un autre. Comment les protéger, d'autant que des travaux récents indiquent que l'idée de protéger l'anonymat de données génétiques est sans doute illusoire ? C'est donc un véritable problème à prendre en considération. L'interprétation de ces données pose un deuxième problème : faire la part de variations singulières et de ce qui peut avoir une traduction significative en termes de maladie ou de santé.

Le troisième souci réside dans la discordance entre ce que l'on peut interpréter, et ce que l'on peut changer en intervenant. Comment communiquer cette information ? Que faire de cette information ? Dans l'avis n°120 récent du Comité consultatif national d'éthique (CCNE) sur les « questions éthiques associées au développement des tests génétiques foetaux sur sang maternel, le CCNE a réfléchi sur l'évolution des outils de séquençage, et une question se pose. Faut-il tout lire et choisir ensuite ce que l'on va dire, faire le tri entre le signifiant et non signifiant ? Faut-il ne pas tout lire ? Ce serait peut-être la première fois dans la médecine que des médecins s'interdiraient d'acquérir une information par peur de ne pas savoir quoi en faire. Cette masse d'informations et la difficulté de l'interpréter engendre des problèmes nouveaux particulièrement en matière d'organisation et de réflexion sur le conseil génétique. On se trouve face à un décalage de plus en plus grand entre ce à quoi la technique donne accès, les règles mises en place sur le choix libre et informé, et ce que la personne peut faire de l'information.

Une autre implication, vous l'évoquiez, est que la médecine personnalisée va modifier la différence entre les maladies rares et les maladies dites fréquentes en faisant de ces dernières une myriade de maladies rares pour les traitements. Sur le plan économique, il faudra repenser la manière dont on recherchera les traitements adaptés. Nous disposons d'une expérience dans ce domaine avec les maladies rares, les nouveaux modèles de R&D de médicaments mis en place dans le cadre de cette particularité, pourront devenir le nouveau modèle.

Paradoxalement, il existe aussi me semble-t-il, un risque d'exclusion. En effet, si on estime que mieux vaut donner à un sous-groupe de patients un traitement efficace avec des effets secondaires rares, que fait-on avec les sous-groupes de patients pour lesquels on ne dispose pas de médicaments efficaces et bien tolérés ? Si l'on ne donne pas le traitement parce qu'il n'est pas assez efficace d'un point de vue statistique et engendre des effets secondaires ; il marche, mais un peu, quel sera le seuil ? À un moment, on exclut les personnes pour lesquelles le résultat serait moins bon. Or si on donne ce médicament à tout le monde, à ce moment-là il n'est guère utile de séparer les sous-groupes. C'est donc un véritable problème, sauf si, pour chaque sous-groupe, le développement thérapeutique donnait des résultats équivalents, ce qui est a priori peu probable, en tout cas dans une même durée.

La prédiction n'est jamais qu'une extrapolation du passé. Il n'existe pas de boule de cristal dans laquelle les chercheurs lisent l'avenir. Si les conditions changent, les mêmes relations de causalité n'induiront pas les mêmes conséquences. Encore une fois, la prédiction consiste à inclure le patient dans un groupe, sans prendre spécifiquement en considération son avenir. On écrase l'avenir, dans la mesure où on donne un poids démesuré à une forme de prévision, par rapport à l'ensemble des autres évènements imprévisibles. Dès lors, libère-t-on, augmente-t-on le degré de liberté de la personne, ou risquons-nous de l'enfermer ? Que fait-on d'une information quand la prédiction en particulier ne peut pas se traduire en prévention, et qu'elle est simplement un dire de l'avenir ? Arnold Munnich disait que « prédire sans pouvoir prévenir, c'est médire ». Cela interroge sur le service que l'on rend éventuellement à prédire l'avenir.

Un article est paru la semaine dernière sur la version Internet de la revue Science, qui corrèle des profils génétiques sur un grand nombre de personnes, à la capacité de poursuivre des études et au niveau d'études que l'on peut poursuivre. Dans ce domaine éloigné de la santé, cela va-t-il aider les personnes, ou les instrumentaliser, les enfermer dans un avenir prédit ? C'est une question importante.

Un des paradoxes de la médecine personnalisée, ce qui montre que ce terme de personnalisé est étrange, consiste à réinsérer une personne dans un groupe. C'est-à-dire : vous, personne singulière, vous avez un diabète, un cancer, un risque de maladie d'Alzheimer, de maladie psychiatrique. La démarche tout à fait naturelle de vous ranger dans un groupe pour pouvoir mieux définir, mieux traiter, possède un pouvoir ou un risque potentiel de discrimination. Comme toutes les démarches médicales, la médecine personnalisée comporte un risque de discrimination, car elle range la personne dans un groupe. Cela amène à réfléchir profondément.

Comme on l'évoquait dans l'avis n° 120 précité, cela interroge sur le rôle que la société veut voir jouer au médecin. C'est un problème de formation. Comment interpréter et pouvoir transmettre cette masse énorme de données, comment faire ré-émerger la personne derrière cette approche médicale qui paradoxalement en fait une identité absolument abstraite, un point dans un nuage de points ? Faut-il repenser le rôle de la médecine en faisant du médecin un médiateur, un interlocuteur parmi tous les spécialistes qui recueillent et interprètent les données ? Doit-il être un homme-orchestre qui sait à la fois interpréter les résultats du séquençage du génome et de toutes les données, et en plus parler à la personne ? Cela amène à s'interroger sur un risque paradoxal, pas si étonnant que cela, de dépersonnalisation lié à l'approche de la médecine personnalisée. Au fond, la véritable singularité de la personne, son histoire, ses espoirs, ses craintes, apparaissent comme une gêne, une interférence avec un processus qui justement a essayé d'établir un profil-type par rapport aux groupes où on l'a rangé.

Longtemps la médecine s'est définie comme un art dans la mesure où elle n'était pas une science, et désormais, il s'agit peut-être de savoir si à mesure qu'elle devient une science, elle peut également rester ou redevenir un art, celui de prendre en compte le patient dans sa singularité, en tant que personne humaine. Le rôle des sciences humaines et sociales, de la réflexion éthique, des associations de patients et des autres secteurs de la société est sans doute important, non pas comme demandeurs, mais comme partenaires à part entière dans cette réflexion. Le terme de médecine personnalisée est sans doute trop ambigu et pas parfaitement adéquat, car il semble dire que la personne est prise en considération alors qu'en fait, elle doit l'être en plus de cette démarche.

Cette approche exige, comme toutes les avancées en médecine, de se garder du triomphalisme, risque principal. En effet, il empêche une réflexion critique, court-circuite toutes les manières de réfléchir avec l'impression d'être devant la solution à tous les problèmes, comme il y a douze ans, avec le séquençage du génome humain qui pendant un temps relativement bref a donné l'impression que toutes les maladies allaient être guéries, et que la médecine allait radicalement changer.

Pr Hervé Chneiweiss, président du comité d'éthique de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), directeur du laboratoire de neuroscience de l'institut de biologie Paris-Seine, membre du conseil scientifique de l'OPECST . Vous avez tous les trois déjà très bien posé les questions. Je vais les reprendre simplement pour les présenter d'une autre façon. Qu'est-ce que la médecine personnalisée ? En tant que médecin, la première question est : pourrait-il exister une médecine qui ne soit pas personnalisée ? Le colloque singulier patient-médecin, caractéristique de la médecine, est évidemment toujours une démarche personnalisée. Les hasards de la traduction automatique m'ont fait trouver une piste. Si vous regardez « personalized medicine » par un traducteur de type Google, cela donne "médecine orientée vers le patient". Cela ressemble beaucoup aux conclusions que Jean-Claude Ameisen présentait : on peut se demander si la technicité ou l'illusion de la technicité ne nous aurait pas conduits à perdre de vue le patient derrière la maladie. Effectivement, quand j'étais étudiant en médecine, un de mes maîtres répétait sans cesse « la médecine est un art qui meurt et une science qui naît ». Le modèle anatomo-clinique fondé en France par Magendie, puis Bichat et Broca, les progrès de la biologie, ont permis les succès de cette médecine basée sur les preuves, permettant l'élaboration de recommandations de plus en plus précises. Grâce aux progrès des biotechnologies, nous pourrions la dépasser, c'est ce que l'on imagine possible dans un avenir proche, obéissant ainsi à une certaine idéologie de la promesse. C'est dès demain que nous pourrions lire la séquence de l'ADN ou enregistrer les paramètres de ce corps numérique avec les 400 mesures déjà possibles : la pression artérielle, la glycémie, l'imagerie de différents organes, etc .

De fait, tout un corps numérique est en train d'apparaître à côté du corps réel. Allons-nous céder à la croyance que nous pourrions tout voir/mesurer, donc tout prévoir, tout dépister, tout prévenir, tout traiter ou tout remplacer ? Axel Kahn, dès les années quatre-vingt-dix évoquait une médecine instrumentale unique, et Claude Le Pen, l'émergence d'un médecin ingénieur qui gère une maladie dont les malades ne sont que les supports. Il ne s'agirait à coup sûr pas d'une médecine de la personne mais d'une technologie médicale adaptée à chaque individu.

Mais que pourrait-on raisonnablement reprocher à cet objectif de délivrer le bon traitement au bon sujet et au bon moment ? Cet objectif final doit offrir une meilleure santé, réduire les coûts globaux en sortant du système non efficace du « one fits all » , c'est-à-dire un même médicament pour la même maladie pour tous. Le raisonnement est en effet simple : des médicaments dangereux et inefficaces provoquent des décès évitables, des réactions indésirables, les fameux effets secondaires dont certains entraînent des hospitalisations coûteuses, et pour le moins un gaspillage en médicaments qui ne fonctionnent pas. La médecine adaptée à chaque individu suppose toutefois une infrastructure de soins qui n'existe pas. Dès aujourd'hui, l'accès aux soins reste très souvent difficile pour les patients ; elle sera un fardeau plus lourd encore pour le système de santé « d'une médecine à la carte ». Déjà les coûts explosent au fur et à mesure des nouvelles techniques « pour tous ». Quelle que soit l'orientation prise, on constate que la maîtrise de ces coûts semble inaccessible pour la recherche, pour un usage clinique en particulier, et pour les nouvelles technologies qu'exige la médecine personnalisée.

En conséquence, on observe d'ailleurs que les différents acteurs, au lieu de s'engager sur la voie royale de cette médecine de demain, ont tendance à ne pas se précipiter. L'industrie pharmaceutique est réticente à s'adapter car la médecine personnalisée réduit la taille du marché et les bénéfices liés à ses médicaments vedettes, car derrière les « one fits all » , il y a aussi les blockbusters. Le système prudentiel résiste aux changements car le retour sur investissement des diagnostics et des thérapies adaptées à chaque individu n'est tout simplement pas là. Au contraire dans un premier temps, cette démarche, y compris la démarche de prévention coûte cher, et la perspective de rentabilité est éloignée. Les patients pourraient être une force motrice, mais à part quelques groupements autour de maladies rares ou du VIH, les associations de patients pour des maladies plus générales, comme le diabète, ne sont pas présentes. Les organismes de règlementation continuent de débattre sur la meilleure façon de gérer la nouvelle complexité, et l'on peut par ailleurs se demander dans quelle mesure ces agences de régulation ont le pouvoir légal de créer de nouvelles règles.

La médecine personnalisée oblige à tout un ensemble de tests-compagnons du traitement : génétiques, d'imagerie médicale, de biologie, et d'autres aspects encore. Il est éthiquement important de déterminer quelle entité doit contrôler l'accès à ces différents tests. Est-ce la loi du marché comme dans certains pays, les payeurs, le médecin ou les ordres médicaux, le Gouvernement ? Devons-nous continuer à faire confiance à l'industrie pour la mise sur le marché de tests qui répondent à des normes nécessairement plus strictes ?

On se demande finalement si ce corps numérique n'est pas aujourd'hui l'objet d'une vaste dérèglementation, avec des outils ou des procédés de traitements qui apparaissent, alors que la preuve n'a pas été totalement faite. Lors d'une réunion scientifique récente il était fait allusion à une société de biotechnologies récemment rachetée, qui a mis au point un appareil permettant de détruire certaines petites ramifications nerveuses autour de l'artère rénale pour traiter l'hypertension. Il semble que les fondements médicaux sur laquelle repose cette technologie soient extrêmement minces, en termes « d'evidence-based médicine » . Mais comme c'est un procédé de soin, il échappe à toute une partie de la règlementation. Comme techniquement il fait dans de bonnes conditions de sécurité ce qu'il annonce, à savoir détruire les ramifications nerveuses visées, il peut obtenir un label CE et apparaître dès lors comme un procédé certifié.

Nous devons également considérer que nous sommes devant une société ouverte dans laquelle les patients disposent d'un droit à l'information sur leur santé, et peuvent aussi exiger que des tests soient disponibles. Nous sommes dans une société de l'Internet et donc si ce n'est pas disponible en France ou s'il existe une régulation française, il n'est pas nécessaire d'aller très loin pour arriver à obtenir des avis ou des possibilités d'accès supplémentaires.

En 2010, le Nuffield Council en Grande-Bretagne a rendu un avis sur le « medical profiling » et la médecine en ligne, et cela s'appelait l'éthique de la médecine personnalisée, « ethics of personalized care in a consumer age ». Le Nuffield Council a identifié cinq grands chapitres de tension, où s'opposent à chaque fois dans ce droit à l'information, les avantages et les inconvénients de la mise à la disposition du grand public de ces tests. Il s'agit de tests génétiques, mais aussi d'autres tests. Ainsi on trouve en ligne de nombreux tests pour auto-diagnostiquer ou non un début de maladie d'Alzheimer. On peut s'interroger sur la validité de ces tests et sur leur intérêt. D'un côté les avantages sont une meilleure information, une meilleure prise en charge, un meilleur respect de l'autonomie de la personne, un meilleur usage des deniers publics, de l'autre côté les risques sont liés aux difficultés de compréhension des résultats. Ce qui est vrai pour les variants génétiques, l'est tout aussi pour l'imagerie médicale, et pour d'autres paramètres de la personne, qui peuvent varier au cours du temps (pression artérielle, glycémie, etc .). Le risque est également un éloignement, voire la perte de la relation médecin-malade. Si tout passe par Internet, il n'y a plus de relation personnelle, on risque l'atteinte à la vie privée et le mercantilisme dans les pays où l'on peut faire de la publicité directe par rapport à un certain nombre de tests. Je pense que Dominique Stoppa-Lyonnet évoquera ces questions de susceptibilité liées au diagnostic. Par exemple pour le cancer du sein : la publicité de Myriad Genetics était « vous avez toujours voulu savoir, maintenant, vous pouvez savoir », par rapport à une mutation qui portait sur 2 à 3 % des cancers du sein...

Trois grandes questions éthiques sont dès lors ouvertes :

- en premier lieu l'individualisation permet un traitement sur mesure, pas toujours nécessaire, et n'évitant pas toujours tous les effets secondaires. Il existe un risque d'idéalisation de cette personnalisation, dans la tendance générale du zéro défaut, ou du zéro risque ;

- en second lieu, elle permet la responsabilisation, avec les limites de la responsabilité individuelle. Si l'on vous informe sur tous vos facteurs de risques, comment cette responsabilisation entrera-t-elle en conflit éventuel avec le principe de solidarité de l'assurance maladie ? Un assureur remboursera-t-il les soins d'un diabétique qui n'a pas arrêté de manger du sucre ?

- en troisième lieu les personnes orientées par des groupes de pression, par la publicité ou le marché, voudront avoir systématiquement accès au dernier test ou à la dernière molécule. Dans ce consumérisme le médecin n'est pas forcément celui qui est le plus écouté.

L'essentiel est d'intégrer les bénéfices de la biomédecine adaptée à une histoire de la personne dans un questionnement éthique, de ne pas confondre le corps numérique avec le corps réel, de ne pas confondre le corps avec la personne, d'être capable de combiner la technique et la considération de l'être, qui ne se résume pas à la maladie, ni même à la personne malade.

Pour reprendre une formulation d'André Grimaldi, il faut créer la médecine intégrée plus que la médecine personnalisée, une médecine intégrée qui associe à la composante biomédicale adaptée au corps numérique, la composante psychosociale, adaptée au sujet, et une composante pédagogique essentielle adaptée à la personne. Il faudra former des personnels à la prise en charge des différents éléments de ces corps numériques. Cela est nécessaire pour donner à l'individu les moyens au quotidien de prendre réellement en charge soit sa pathologie, soit le potentiel d'une pathologie, et surtout bien vivre avec.

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