OUVERTURE
PAR MM. ALAIN CLAEYS ET JEAN-SÉBASTIEN VIALATTE,
DÉPUTÉS, RAPPORTEURS

M. Alain Claeys, député de la Vienne, rapporteur. Je vous remercie d'être présents aujourd'hui pour cette deuxième audition publique consacrée à la médecine personnalisée.

Je rappellerai rapidement le contexte de notre étude que certains d'entre vous connaissent déjà. L'Office a été saisi par la commission des affaires sociales d'une étude sur les enjeux scientifiques, technologiques et éthiques de la médecine personnalisée, la lettre de saisine spécifiant notamment que cette médecine exigeait des investissements coûteux ainsi que la nécessité de définir des règles précises de conservation des données.

Notre première audition publique du 27 mars dernier visait à définir la médecine personnalisée à travers les pathologies ciblées, les outils utilisés, et à mesurer son impact en termes de recherche-développement (R&D). Des évolutions scientifiques et technologiques considérables ont fait découvrir la complexité extrême du vivant et sa profonde diversité. Les outils comme le séquençage à haut débit, la bio-informatique, les nanotechnologies, ont permis de progresser dans la compréhension du fonctionnement normal et pathologique des gènes, des cellules, des tissus, des organes. Comme le constatait le Pr André Syrota, la médecine devient individualisée parce que le vivant est individualisé. La découverte de nouvelles cibles, de nouvelles voies de signalisation, de leur modification au cours de telle ou telle pathologie, ouvre des perspectives nouvelles pour les malades. Ainsi le vivant est-il scruté, analysé voire réparé, ce qui suscite chez nos concitoyens des espoirs mais aussi des craintes fondées et infondées, qu'il nous appartient de prendre en considération.

L'audition publique d'aujourd'hui tend à mesurer les défis éthiques et sociétaux que la personnalisation des traitements implique. Nous avons constaté lors de nos visites et auditions que le concept de médecine personnalisée faisait débat, induisant un questionnement subtil non seulement sur la relation médecin-malade, mais également sur la place du patient et sur celle des différents intervenants impliqués dans cette relation. Comment ce colloque singulier entre le médecin et son patient évoluera-t-il à l'heure de la génomique ? Comment le patient lui-même gérera-t-il les informations qui lui parviendront sur sa propre santé présente, voire future, et sur celle des membres de sa famille, informations qui vaudront pour le présent et parfois pour l'avenir ? L'intervention de la médecine se fera-t-elle plus tôt dans la vie des personnes ? Même en étant bien portant, sans signe clinique apparent, le patient aura noué une relation avec le médecin, car les possibilités médicales permettront d'anticiper une pathologie susceptible d'apparaître dans cinq ou dix ans. Quel sera l'impact éthique et sociétal de la baisse drastique des coûts de séquençage ultra rapide du génome, sur laquelle chacun s'accorde ?

Voilà autant de questions que nous devons nous poser, et pour lesquelles il nous faut essayer d'apporter des réponses. Une autre interrogation est également importante : qui aura accès à cette nouvelle médecine et comment les systèmes de santé fondés sur la solidarité comme le nôtre, pourront-ils fonctionner ? Je pourrais multiplier les interrogations, mais c'est l'objet des tables rondes d'aujourd'hui de tenter de donner des éléments de réponse.

En vous renouvelant nos remerciements pour votre participation, je passe la parole à Jean-Sébastien Vialatte

M. Jean-Sébastien Vialatte, député du Var, vice-président de l'OPECST. Je m'associe aux remerciements d'Alain Claeys. Comme je le constatais en conclusion de la première audition publique, qui fut très instructive, le caractère flou du concept de médecine personnalisée induit plus de questions que de réponses tranchées. Nous sommes en quelque sorte à la croisée des chemins, les outils technologiques désormais à notre disposition ont accru très rapidement nos connaissances. Les pathologies sont mieux caractérisées qu'autrefois. Une nouvelle nosographie se dessine. Il en va de même des traitements. Parallèlement, les personnes tendent de plus en plus à connaître leurs déterminants de santé, qu'ils soient génétiques ou autres. Cependant, malgré la possibilité qu'offre la médecine personnalisée de préciser et de quantifier des facteurs de risques individuels, ces derniers ne se transformeront jamais en certitudes. Un risque restera toujours un risque, donc source d'incertitude malgré l'apport de la science. Les médecins devront décider du traitement à offrir à leur patient selon des résultats qui confèrent certes plus de certitude, mais qui possèdent aussi une incertitude inhérente. Comment par exemple, prendre la décision clinique de donner tel ou tel traitement à un patient dont le profil génétique implique qu'il a 30 % de chance de subir des effets secondaires ? Dès lors, quelles seront les attentes des patients surinformés de leurs éventuelles prédispositions ? Que préviendra-t-on ? Que soignera-t-on ? Comment évoluera la relation médecin-malade dans ce contexte ? Ce sera le sujet de notre première table ronde, ce qui sera sans doute l'occasion de débattre de la définition de la médecine personnalisée.

Il est probable que dans quelques années, les patients se présenteront avec une série de données de santé incluses dans leur portable. Une autre partie pourra être conservée dans telle ou telle banque de données au risque de diffusion malencontreuse, voire volontaire, s'il s'agit de piratage. Quel sera le niveau de protection de ces données très personnelles ? Est-on en mesure de garantir cette protection à nos concitoyens ?

En tant que biologiste, je constate que la médecine personnalisée suscite d'immenses espoirs car elle est perçue comme une médecine de pointe. Le niveau d'information du grand public est désormais élevé. Mais quelles sont les informations retenues et privilégiées par lui ? Il est probable que l'on n'échappe pas totalement à un certain goût du sensationnel, générateur de déception, car si la connaissance des mécanismes pathologiques a progressé, le transfert et l'application de ces découvertes au lit du malade se révèlent bien lents. Lors de la première audition publique, nous avons eu l'occasion d'en débattre pour constater que la médecine personnalisée induit un changement de paradigme dans le modèle de R&D des médicaments, car elle va à l'encontre de la logique d'application d'un même traitement à un grand nombre de patients. Les blockbusters assuraient un certain équilibre dans le portefeuille des molécules détenues par un industriel, et pour les systèmes de santé publique, les traitements à large spectre permettaient de faire facilement accéder tous les citoyens à un même niveau de soins. Or la médecine personnalisée est une médecine stratifiée qui oblige à reconsidérer le modèle médicaments et induit l'utilisation d'un test compagnon du traitement. Comment financera-t-on l'accès équitable à ces nouveaux traitements ?

Quelle sera la réaction des grands groupes pharmaceutiques après la récente décision de la Cour suprême américaine dans le litige médiatisé opposant la société Myriad Genetics et deux associations, l'Union américaine pour la défense des libertés et la Public Patent Foundation ? L'ADN humain est un produit de la nature et ne peut donc être breveté a décidé très récemment la Cour Suprême. Dès lors quel sera l'impact de ces changements de paradigme sur l'accès aux soins ? Comment améliorer l'organisation de notre système de santé pour garantir un égal accès aux traitements et une égale qualité des soins ?

Nous savons combien les associations de patients sont investies aux côtés de la recherche, et parfaitement au fait des promesses cliniques que recèlent les avancées biomédicales. On mesure d'ailleurs leur impact car aux États-Unis elles se sont impliquées dans le procès contre Myriad Genetics . Les attentes sont donc fortes, chez les malades et leurs familles. Il est fort important pour nous parlementaires de mieux connaître la perception, le rôle qu'entendent jouer les associations de patients, car elles représentent les premiers concernés, à savoir les malades. Quelle est leur vision du système de santé ? Comment l'adapter ? Ce sera l'objet de notre quatrième table ronde.

La médecine personnalisée reste un concept paradoxal pour la médecine contemporaine. Très scientifique et objective, fondée sur une masse impressionnante de données numériques dont l'interprétation est dévolue à des tiers à la relation médecin-malade, elle cherche à prendre en compte tous les paramètres de la situation unique de chaque patient.

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