TROISIÈME TABLE RONDE :
QUELLE ORGANISATION DU SYSTÈME DE SANTÉ ?

Pr Gilles Bouvenot, président de la Commission de la transparence, membre du collège de la Haute autorité de santé (HAS), membre de l'Académie nationale de médecine. Je voudrais être très concret dans mes propos et, bénéficiant de l'expérience de l'audition publique de mars où cours de laquelle vous m'avez demandé des éclaircissements sur certains des termes que j'utilisais, essayer de définir d'abord le contexte général de l'évaluation des médicaments par la HAS avant d'évoquer les évolutions souhaitables pour ce qui concerne les évaluations des traitements ciblés.

Il existe, dans notre pays, un pacte de solidarité nationale qui fonctionne bien et qui fait que l'accès des patients à l'innovation est facile, sinon systématique, même en cas de médicaments particulièrement onéreux. Il y a en particulier les Affections de longue durée (ALD) qu'évoquait à l'instant Didier Tabuteau et d'autre part il y a, pour les établissements de soins, la liste en sus, sur laquelle je reviendrai. La Commission de transparence (CT) de la Haute autorité de santé est d'abord chargée de se prononcer sur le service médical rendu des médicaments, c'est-à-dire sur le bien-fondé de leur prise en charge ou non par la solidarité nationale. Ses avis, consultatifs, constituent une aide à la décision pour le ministre. La CT se prononce aussi sur l'amélioration du service médical rendu (ASMR) par les nouveaux médicaments, c'est-à-dire sur la quantité de progrès que leur utilisation est susceptible d'induire ; le niveau d'ASMR qui leur est octroyé concourt à la fixation de leur prix.

Un point très important à bien considérer est qu'on demande à cette commission de se prononcer sur les performances des médicaments sans se préoccuper en aucune manière des conséquences économiques (disons comptables) de ses avis qui ne peuvent donc être suspectés d'être sous-tendus par des arrières pensées de coût. Par ailleurs, la CT n'a pas à se préoccuper non plus de l'usage que certaines instances peuvent faire, en aval, de ses avis. Prenons l'exemple du Conseil de l'hospitalisation qui propose au directeur général de l'offre de soins et au ministre, d'inscrire ou non tel médicament coûteux sur la liste en sus. Or, nous savons tous qu'un médicament innovant et coûteux non inscrit sur la liste en sus n'est pas accessible aux patients, car à la charge des établissements. La décision d'inscrire ou non se fait dans des conditions que nous respectons, mais sur lesquelles nous n'avons jamais été consultés. C'est ainsi qu'un produit ayant obtenu une note d'amélioration du service médical rendu (ASMR) de niveau IV, ce qui veut dire progrès minime et non pas nul, risque donc fort de ne jamais être inscrit sur la liste en sus, alors qu'un produit avec une ASMR de niveaux I ou II ou III, a beaucoup de chances d'être inscrit. Or, certains médicaments d'ASMR IV peuvent être très utiles aux patients, en particulier dans le domaine du cancer.

Dans le même ordre d'idées, certaines pharmacies centrales ou certaines commissions médicales des établissements de soins ont décidé de ne pas acheter les produits ayant obtenu une ASMR de type V, qui signifie absence de progrès. Pourtant, pour la CT, absence de progrès ne veut pas nécessairement dire inutilité. Nous avions, à ce propos, dans un passé récent et dans l'intérêt des patients, créé l'expression "alternative utile" qui correspondait à des produits n'apportant manifestement pas de progrès au sens réglementaire du terme, mais dont nous pensions qu'ils pouvaient rendre service à certains patients résistants et/ou intolérants aux produits déjà disponibles. Nous avons été censurés par la Cour des comptes qui a considéré que le terme « alternative utile » faisait le lit de l'attribution d'une ASMR indue par le Comité économique des produits de santé, au moment de la fixation du prix. Il nous est donc interdit désormais de parler d'alternative utile, mais nous continuons d'y penser. Car la censure de la Cour des comptes est loin de résoudre le problème posé.

À la Haute autorité de santé comme à l'Académie de médecine, nous partageons l'idée que les traitements ciblés ont beaucoup plus de chance d'être efficaces que les traitements standards et sont même susceptibles d'être source d'économie pour l'assurance maladie dès lors qu'on ne les prescrit qu'à des patients qui, a priori, ont toutes les chances d'y être répondeurs. Néanmoins et même en cas de grande innovation et de traitement ciblé, nous nous devons de nous poser les questions essentielles suivantes. La première est : est-ce que cela marche ? La deuxième est : de combien cela marche-t-il ? La troisième, à ne pas occulter : pendant combien de temps cela va-t-il marcher ? Car si les traitements ciblés peuvent être source d'économies dès lors que leur emploi rationnel évite tout gaspillage, encore faut-il disposer à leur endroit de règles d'arrêt, afin de ne pas prolonger inutilement leur utilisation une fois que le patient leur est devenu résistant.

Nous savons que la recherche et le développement de ce type de produits sont coûteux. Mais les prix demandés en retour sur investissement par les industriels, sont-ils vraiment explicités et justifiés ? Ce n'est pas du ressort de la commission de la transparence de la HAS d'en débattre mais, en démocratie sanitaire, se poser cette question est de la légitimité de tout citoyen. Bien entendu, les traitements ciblés sont des produits de niche et la population cible des patients qui en sont justiciables est généralement très limitée, d'où les exigences des firmes en matière de fixation de prix. Le problème de la fixation des prix est d'autant plus difficile à résoudre que les prix sont fondés en grande partie sur une démonstration de l'efficacité et de la quantité d'effet dans les essais thérapeutiques réalisés avant l'AMM et non sur l'observation des performances de ces produits en vie réelle. C'est tout l'intérêt des études post-inscription, sur lesquelles je ne m'appesantirai pas.

Face à l'émergence de ces thérapies ciblées, quelles évolutions, quelles adaptations nécessaires la HAS doit-elle envisager dans le cadre de ses évaluations réglementaires ?

D'abord, et Didier Tabuteau l'a très bien dit, nous aurons de plus en plus à faire appel à la transversalité de la HAS, dès lors qu'un test compagnon sera associé à l'emploi du médicament dans le but de définir précisément les seuls patients qui en sont justiciables. Dans ces conditions, deux évaluations conjointes s'imposeront : celle du médicament par la CT et celle du test compagnon par la Commission nationale d'évaluation des dispositifs médicaux et des technologies de santé (CNEDiMTS) ce qui ne pose pas de problème particulier, la HAS étant déjà coutumière de ce type d'évaluation transversale.

D'autre part, la CT va devoir réfléchir à l'évaluation spécifique de ces thérapies ciblées qui ne pourra plus être la simple déclinaison de l'évaluation standard des produits « traditionnels ». Certains critères d'évaluation, mieux adaptés, devront être pris davantage en compte qu'ils ne l'étaient jusqu'à présent. La CT n'est pas du tout arcboutée sur l'utilisation systématique de la survie globale comme critère principal d'évaluation en cancérologie. Nous sommes et serons attentifs à l'évolution des consensus internationaux, une évaluation standard et univoque de tous les médicaments du cancer n'étant pas, dans bien des cas, la plus appropriée. Nos évaluations et les critères pris en compte pour la réaliser dépendront du type de cancer et de sa rareté, du type de cible et, même dans certains cas, la survie en fonction de l'évolution spontanée de la maladie ou sous traitement habituel pourra être retenue. Pour autant, nos critères de jugement devront toujours répondre aux deux exigences actuelles retenues par la Commission Européenne : être objectifs et vérifiables.

Un autre élément important d'évolution que la présidente de l'INca appelle de ses voeux, consiste à mieux discriminer les types d'essais cliniques considérés comme pertinents pour démontrer l'efficacité de ce type de médicament. Les thérapies ciblées sont des traitements de niche qui ne concernent que des effectifs restreints de patients. Aussi, ne nous attendons-nous pas à ce que les industriels nous soumettent, dans leurs dossiers de demande de prise en charge, de grands essais de phase 3 ayant inclus quelques dizaines de milliers de patients, comme c'est le cas pour dans le traitement de l'hypertension artérielle, du diabète, ou de la prévention des accidents vasculaires cérébraux dans une fibrillation auriculaire. Nous accepterons des essais d'effectifs limités. L'important est de trouver, dans l'intérêt des malades, une sorte de compromis entre le désir d'une mise à disposition rapide des nouveaux produits (qui suppose parfois des dossiers insuffisamment étayés) et le désir d'une mise à disposition la plus sécuritaire possible. Toutefois, dans l'incertitude, nous ne transigerons pas sur la sécurité des patients face à des AMM un peu trop précipitées. En revanche, nous ferons tout notre possible pour raccourcir nos délais d'évaluation, bien au-dessous des 90 jours imposés par la directive européenne. Encore faut-il que la durée de la négociation pour la fixation du prix par le comité économique des produits de santé (CEPS) n'allonge pas trop, du fait des revendications des firmes, cette mise à disposition.

Enfin, très attentifs aux nouvelles modalités d'utilisation qu'imposent ces nouveaux médicaments, nous savons que leur évaluation ne pourra plus être systématiquement celle, in abstracto , d'un médicament pris isolément versus son placebo ou même versus le médicament de référence. Il s'agira davantage d'estimer les performances d'un nouveau produit dans le cadre d'un parcours séquentiel ou en association à d'autres produits et pour une durée de temps limitée, au vu des résistances qui ne manqueront pas de survenir et de l'arrivée de produits encore plus nouveaux à lui associer ou à lui substituer. C'est du même coup rappeler combien la connaissance des règles d'arrêt de ces traitements est indispensable.

Pr Véronique Trillet-Lenoir, professeur de cancérologie, université Claude Bernard Lyon 1, chef du service d'oncologie médicale au Centre Hospitalo-Universitaire de Lyon, présidente du Cancéropôle Lyon-Rhône-Alpes-Auvergne . Je voudrais vous remercier de me donner l'occasion de m'exprimer ici, et tout particulièrement après Gilles Bouvenot, ce qui est toujours un challenge. Tout d'abord comme on l'a rappelé ce matin, la cancérologie aime bien la terminologie et les mots-clés, puisque c'est elle qui a inventé la médecine personnalisée. Il a également été fait allusion ce matin au programme personnalisé de soins, sur lequel je voudrais revenir.

La médecine personnalisée, telle que la comprennent les cancérologues, est très loin des débats de ce matin, celle vue par la génétique. Nous nous attaquons à des mutations somatiques et le génome que nous étudions est mutant, mouvant. Il n'a finalement plus grand-chose à voir avec le patrimoine génétique initial, objet des préoccupations de ce matin, que les cancérologues ne partagent qu'à travers les prédispositions génétiques au cancer, sur lesquelles je ne reviendrai pas puisque Dominique Stoppa-Lyonnet a longuement évoqué ce problème.

En revanche, la médecine personnalisée des cancérologues est très loin de la génétique récréative, puisqu'il s'agit vraiment de médecine et de thérapies moléculaires, ciblées, de précision a-t-on dit ce matin, et Agnès Buzyn a ajouté tout à l'heure, stratifiées. Dans tous les cas de figure, elle est curative, même si elle est également prédictive. Elle repose donc sur l'identification de cibles par un test compagnon, et l'utilisation de médicaments, qui pour être efficaces, n'en sont pas moins souvent toxiques, et presque toujours coûteux.

Dans les changements d'organisation et de paradigme auxquels vous avez fait allusion, Didier Tabuteau, le premier, déjà signalé par Thomas Tursz ce matin, on trouve le démantèlement nosologique des tumeurs. A l'heure actuelle, rien ne peut ressembler autant à un cancer du sein qu'un cancer du poumon ou de la prostate, pour peu qu'ils partagent les mêmes anomalies moléculaires. On n'assiste donc pas tant à l'émergence de tumeurs rares et de niches, mais plutôt à une juxtaposition de tumeurs rares. Le cancer du poumon est actuellement la juxtaposition de 150 formes rares de cancers du poumon. Un des changements dans l'organisation de notre médecine est un décloisonnement extraordinaire entre les spécialités, et la nécessité absolue de renforcer la médecine transversale. Celle-ci se préoccupe de la biologie moléculaire des cancers plus que de l'organe d'origine qui finalement n'entre plus beaucoup en ligne de compte. C'est un premier mouvement.

Gilles Bouvenot nous a brillamment expliqué l'intérêt de ces thérapies ciblées pour sélectionner les malades candidats, c'est à dire les bons répondeurs, et ainsi faire des économies entre guillemets, ou du moins éviter le gaspillage. Je voudrais tout de même rappeler qu'à mon sens, ce qui coûte le plus cher à une société, ce sont des malades qui vont mal, ou qui ne reçoivent pas au bon moment le bon traitement, ou reçoivent un traitement coûteux prescrit de n'importe quelle manière. Autrement dit, Monsieur Bouvenot, je continue à trouver que dans votre dénonciation du système, vous n'insistez peut-être pas encore assez sur le cloisonnement entre l'autorisation de mise sur le marché (AMM), qui reconnaît l'intérêt d'une molécule, la commission dont vous assurez la présidence qui reconnaît ses performances, la troisième ou quatrième commission qui en déduisent le prix. À aucun moment je n'entends le ratio entre l'investissement d'une société sur la santé de ses citoyens et le retour sur investissement, et cela me donne en permanence le sentiment que le prix du médicament n'est jamais fixé en fonction du seul indicateur qui me paraisse intéressant, l'allongement ou le sauvetage de vies humaines. J'y reviendrai tout à l'heure car il me semble que la recherche en sciences humaines et sociales doit mettre en priorité cette problématique... Mais encore une fois ce « séquençage à haut débit » entre les différentes problématiques continue à me poser problème.

J'ai réagi tout à l'heure à l'apparition de résistances aux thérapies ciblées, car en fait il s'agit moins de résistance que de sélection de cellules qui, ne portant pas l'anomalie moléculaire, continuent à se développer malgré la thérapie ciblée, qui ne les cible pas. Quoi qu'il en soit, merci d'avoir rappelé que la survie globale des patients est un bel objectif. Mais c'est bien grâce à la survie sans progression que nous avons fait passer le cancer d'une maladie aigüe à une maladie chronique avec toutes les problématiques organisationnelles et économiques que cela comporte.

Quant aux thérapies ciblées, il faudrait dans l'avenir, et cela a déjà été longuement dit, booster la recherche les concernant, dans les conditions déjà définies. Elles ne feront probablement pas la différence en termes de guérison, mais en revanche, le dernier congrès auquel Agnès Buzyn a fait allusion a montré que l'immunothérapie des cancers est en train de devenir un outil majeur de ciblage intelligent par la mise à disposition du système immunitaire du patient, et que la complexité biomathématique de ces traitements va probablement faire appel de plus en plus à des modélisations, c'est-à-dire à de nouveaux métiers. Il a été dit à plusieurs reprises que nous ne ferions pas l'économie de plates-formes dans lesquelles les biomathématiciens, les bio-informaticiens, les biologistes des systèmes, devraient interagir en pluridisciplinarité avec les équipes de recherche et les équipes cliniques.

La gradation des soins sera probablement une question nouvelle, puisque nous ne mettrons pas des plates-formes partout, et d'ailleurs les patients n'ont pas besoin qu'elles soient partout. L'organisation des plates-formes de biologie moléculaire qu'a décrite Agnès Buzyn me paraît exemplaire. Il y en a une par région. Il faut que nous travaillions encore plus à l'accès des patients à ces plates-formes, sans pour autant négliger les aspects de proximité.

Je voudrais également attirer l'attention sur le fait que la médecine personnalisée est une médecine dans laquelle on individualise des traitements. Cela ne signifie pas que l'on n'est pas rigoureux vis-à-vis de ce que la science nous a appris, et en particulier des recommandations de pratiques qu'il faut continuer à suivre. Je trouverais particulièrement inquiétant que le terme de « personnalisé », fasse revenir sans garde-fous à des décisions individuelles de médecins brusquement inspirés par une fantaisie qui les éloigne des référentiels, très solides en cancérologie. Médecine personnalisée, oui, mais rigoureuse. Le service à la carte n'est pas aussi bien en médecine qu'au restaurant. Le programme personnalisé de soins est une quadrature du cercle insoluble, puisqu'il s'agit d'adapter à un individu, en le personnalisant pour lui, un programme issu de recommandations de pratiques qui par définition, issues de l'Evidence based médicine , sont universelles. C'est une des raisons pour lesquelles les cancérologues ont jusqu'ici, soyons humbles, échoué à mettre en place, le programme personnalisé de soins.

En revanche, grâce aux deux plans cancer précédents, nous avons appris à travailler en pluridisciplinarité. La réunion de concertation pluridisciplinaire est un modèle. Nous avons appris à sortir du carcan du colloque singulier, tout en le renforçant par la décision pluridisciplinaire. C'est une façon de personnaliser la médecine. Nous avons à côté des nouveaux métiers liés aux biotechnologies et à la progression de la science, personnalisé les soins de support et l'accompagnement des patients par des spécialistes de la douleur, des psychologues, ergothérapeutes, nutritionnistes, esthéticiennes. Ce sont des soignants non-médicaux, accompagnant le geste médical, et personnalisant la prise en charge.

Nous avons encore beaucoup de progrès à faire pour améliorer cette personnalisation de la prise en charge. Nous ne sommes pas bons dans la prévention et le dépistage, les associations de patients l'ont dit. Nous sommes dans un pays latin où la culture de la prévention et du dépistage ne sont pas dans les moeurs, où les météorologues nous annoncent quelques éclaircies mêlées de quelques averses, alors qu'aux États Unis il y a vingt ans qu'on annonce 30 % de risques de pluie et 20 % de risques d'humidité. C'est pour cela que nous avons du mal à convaincre les patients d'entrer dans une culture de prévention et de dépistage. Nous avons des freins liés à des croyances, des crispations de tous ordres, et nous devons progresser en tenant compte de ces spécificités culturelles, en arrêtant d'être dans la coercition, qui a fait la preuve d'une certaine inefficacité en matière de prévention et de dépistage.

Á côté des biomarqueurs biologiques, nous devons être attentifs à des biomarqueurs cliniques. La personnalisation de la médecine, y compris par les thérapies ciblées, dont la plupart sont orales, c'est la prise en compte de la typologie des patients en termes de comorbidité, de co-médication, de grand âge, d'adaptation aux traitements, qui sont autant d'éléments majeurs dans la réussite ou l'échec d'un traitement, dans son bénéfice/risque positif ou non. Nous avons tendance à les négliger au profit d'autres marqueurs beaucoup plus coûteux, mais infiniment moins pertinents.

La plupart des thérapies ciblées sont disponibles sous forme orale, et leur avènement bouleverse l'organisation, puisqu'elles nécessitent une acculturation à un parcours de soins presque exclusivement extrahospitalier. Dans l'environnement très hospitalo-centré où nous sommes, l'implication des médecins généralistes et des structures de ville non médicales est absolument essentiel pour assurer une coordination territoriale de qualité, génératrice d'économies de soins, de qualité, du désengorgement des services d'urgence embolisés par des malades dont la prise en charge n'est pas coordonnée, pour éviter la rupture de la continuité des soins, etc .

Enfin les sciences humaines, sociales, et la recherche interventionnelle doivent être développées. Les patients doivent bénéficier d'éducation thérapeutique, devenir des patients experts. La recherche médico-économique doit être faite si possible en amont de la mise à disposition d'un médicament.

Pour finir, ces thérapies orales mettent l'accent sur la perversité du système de T2A, qui ne reconnait pas l'acte intellectuel mais uniquement l'acte technique. Son bon fonctionnement en matière de thérapie ciblée orale, passera par la définition d'un parcours de soins qui ne sera plus une nomenclature à l'acte.

Pr Thomas Tursz, cancérologue, directeur honoraire de l'Institut Gustave Roussy. Nous avons parlé jusqu'à maintenant d'un petit nombre de médicaments, actifs sur un petit nombre de malades, pour peu de temps, pour des prix très importants et qui nécessitent des tests compliqués. Si nous nous limitons à cela, je crois que nous passons à côté des énormes enjeux et des défis majeurs pour notre système de santé que représente la révolution autour de la nouvelle classification des maladies en fonction de leurs aspects génétiques et moléculaires.

Même si le problème des quelques nouveaux médicaments issus de ces concepts est bien sur important, et j'y reviendrai, il est capital de dire que le plus important aujourd'hui, c'est bien le changement de paradigme. Il influera considérablement dans l'évolution du système de santé, dans la façon dont nous le préparons, le pensons, et dont nous l'organiserons dans l'avenir. En cancérologie, le point-clé est le bouleversement de la classification des tumeurs, qui jusqu'ici reposait avant tout sur l'examen anatomo-pathologique des échantillons tumoraux au microscope, et donc sur des aspects purement morphologiques. Cette classification histologique des tumeurs a été bien sûr très utile, et a permis d'établir des protocoles thérapeutiques permettant de guérir aujourd'hui environ 50 % des cancers. Mais nous en atteignons maintenant les limites. Cette classification ne permet pas de prédire quels seront les malades qui vont ou non rechuter après un traitement, ceux qui vont développer des métastases, et surtout ceux qui vont répondre à tel ou tel médicament ou à la radiothérapie. C'est bien pourquoi en recevant le même traitement, certains malades vont guérir et d'autres vont rechuter. Plutôt que distinguer simplement entre les malades qui « ont de la chance » et « ceux qui n'en ont pas », les progrès de la biologie et des technologies nous montrent que l'hétérogénéité des tumeurs est bien plus grande que ce que nous pensions, et que beaucoup des entités telles que les cancers du sein, du poumon, ne sont pas une maladie unique, mais un mélange de 20 ou 30 maladies différentes (voire plus), liées à des mécanismes génétiques et moléculaires différents, et qu'il faudra donc traiter de façon différente. Si certains malades répondent et vivent, et certains ne répondent pas et meurent, c'est parce qu'ils n'ont pas la même maladie, et qu'ils n'auraient pas dû être soignés de la même façon. Ce démembrement des maladies, cette nouvelle nosologie du cancer est en elle-même une révolution qu'il va falloir assimiler, et qui aura des conséquences lourdes sur les concepts, mais aussi sur les technologies, l'organisation des soins et, bien sûr, les traitements dont les premiers médicaments ciblés, apparus depuis quelques années, ne sont que les précurseurs .

On a parlé du tsunami des nouveaux médicaments anti-cancéreux en développement. Je ne crois pas en ce tsunami de médicaments, et surtout je ne pense pas que l'arrivée de médicaments efficaces chez certains malades soit en soi une mauvaise chose qu'il faille redouter et contenir, pour de pseudo-raisons d'économie. L'enjeu n'est pas le moratoire ou le rationnement de l'innovation, c'est bien son organisation intelligente et efficace qui doit permettre d'administrer rapidement ces nouveaux médicaments aux quelques malades qui sont susceptibles d'en bénéficier, et seulement à eux. Je voudrais rappeler que ce « tsunami » arrive après une pénurie, une disette, un Sahel de médicaments pendant 40 ans en cancérologie. Il n'y a pas eu de médicament nouveau important entre le Cisplatine à la fin des années 60 et les taxanes découverts par un Français, Pierre Potier, à la toute fin du XX ème siècle. Mais ce sont les concepts et les procédés de découverte de ces nouveaux médicaments qui ont été bouleversés par nos nouvelles connaissances biologiques. Les drogues nouvelles étaient autrefois créées d'abord par des chimistes qui jouaient avec les molécules naturelles ou non, et savaient brancher merveilleusement des radicaux sur ces molécules, sans pouvoir préjuger à l'avance de leur éventuel effet anti-tumoral. Ils livraient ainsi des millions de nouveaux composés à des biologistes, pour qu'on les teste et les crible sur de complexes systèmes de lignées tumorales en culture et de modèles de cancers animaux, dont on ne sait toujours pas s'ils sont bien représentatifs des tumeurs humaines, que ces candidats-médicaments étaient éventuellement censés soigner. Il fallait aussi passer par la longue série d'essais cliniques de phases I, II, III pour qu'ils soient finalement enregistrés et mis sur le marché.

Cette stratégie a été utile puisqu'elle a permis de mettre sur le marché 30 à 40 médicaments qui constituent la base de la chimiothérapie conventionnelle. On peut quand même dire qu'elle est extraordinairement peu efficace, longue, et très coûteuse. Il y a de toute façon un problème de fond de la cancérologie, et peut-être de la médecine en général. On ne peut pas continuer comme cela. Actuellement, la découverte du génome et du produit des gènes change tout à fait la donne. La découverte des oncogènes et de leurs mutations permet de comprendre les mécanismes mêmes de la carciniogénèse, c'est-à-dire de la transformation d'une cellule normale en cellule cancéreuse. Les techniques nouvelles de séquençage du génome permettent d'analyser rapidement les anomalies génétiques dont les cellules cancéreuses d'un malade précis sont porteuses, et de prédire, dans une certaine mesure, quelles devraient être la structure et les propriétés d'un médicament potentiellement efficace pour contrecarrer l'effet de ces anomalies génétiques. On peut voir la structure tridimensionnelle d'une molécule, la partie altéré dans cette molécule, et ce sont maintenant les biologistes du cancer qui demandent aux chimistes de leur préparer « à façon » un médicament dont les cibles moléculaires précises et les propriétés seront ainsi prédéfinies. Certes, ce seront bien toujours des chimistes qui synthétiseront ces médicaments du futur, mais non plus en fabricant « à l'aveugle » des milliers de molécules. Ils fabriqueront à la demande une molécule qui ira se fixer exactement à tel endroit, dans telle poche, dans tel repli de telle molécule. Ce tsunami donc, on n'y pourra rien, c'est une avancée inéluctable de la recherche et de la technologie. C'est ainsi que l'on inventera maintenant des médicaments, en nombre, dont peut-être certains seront intéressants. Il faut se préparer à ce changement.

Pour faire une comparaison rapide, ce n'est pas la première fois qu'il existe un tel décalage entre un progrès faramineux des connaissances biologiques, et une lenteur des progrès thérapeutiques. La cancérologie au début du XXI ème siècle est dans la même situation que les maladies infectieuses au début du XX ème , en 1900, c'est 20 à 30 ans après les découvertes fondamentales de Pasteur, qui a introduit la théorie microbienne. Il n'a pas trouvé tous les microbes, mais il a complètement changé la façon de classer, de penser, de réfléchir et même de prendre en charge les maladies infectieuses, même si on connaissait celles-ci avant Pasteur, avec la notion d'épidémie, d'isolement. Il a totalement changé le regard sur ces maladies, comme notre regard sur le cancer est en train de changer totalement. Il a fallu 60 ans entre Pasteur et Fleming, pour que le premier antibiotique, la pénicilline, soit introduite en pratique courante. Comment faire, puisque nous sommes quelque part entre Pasteur et Fleming, pour que ceci ne dure pas 60 ans ?

Or 30 ans se sont déjà passés depuis les découvertes fondamentales, et quelques médicaments plus ou moins intelligents sont en train d'arriver et pourraient être les premiers représentants de ces nouveaux médicaments « intelligents » du cancer, l'équivalent des antibiotiques. L'enjeu est maintenant d'accélérer l'histoire, il ne faut pas que ce processus prenne à nouveau 60 ans. De toutes façons, la recherche ne procède plus de la même façon. Là est l'importance des masses critiques, de la vraie pluridisciplinarité, qui n'est plus simplement la réunion de quelques médecins dans une pièce ou se parlant au téléphone, mais des professionnels d'horizons différents, de métiers différents, partageant leur savoir, leurs technologies, leurs connaissances au service des mêmes malades.

Didier Tabuteau l'a très bien dit en parlant des nouveaux métiers, des nouveaux acteurs majeurs de la lutte contre le cancer que seront les biologistes du génome et les bio-informaticiens, car il va falloir rendre ces résultats multiples sous forme visible, lisible et interprétable pour les médecins. Et aucun médecin n'est capable d'interpréter un résultat génomique seul, si on ne lui explique pas quel médicament il faut utiliser en fonction des anomalies génétiques et moléculaires, qui s'accumulent au sein de la même cellule. Le cancer est bien une maladie génétique, une maladie de plusieurs gènes, et non pas d'un seul, qui accumule des mutations génétiques, car l'instabilité génétique est une des constantes de cette maladie.

Sommes-nous en si bonne situation que cela pour que le monde entier nous admire, comme il a été dit ? Je n'en suis pas sûr du tout. L'innovation ne concerne qu'une très petite minorité des patients. Moins de 5% des patients français, quoi qu'en disent les Plans cancer, ont accès à un essai thérapeutique au cours de leur vie et auront accès à l'un de ces médicaments. Et encore, la plupart de ces essais thérapeutiques ne posent pas ce genre de question, mais sont issus de marketing industriel et servent plutôt à mettre en place des équivalents de médicaments existant déjà, ou à créer des habitudes de prescription chez les médecins. Cela se traduit par le fait que les grandes compagnies pharmaceutiques, ont déjà tendance à déplacer leur recherche fondamentale et translationnelle vers les États-Unis (y compris les firmes françaises ou ex-françaises comme Sanofi-Aventis). Les grands essais de Phase III, qui étaient un peu notre spécialité, où il s'agissait d'inclure un très grand nombre de malades ne seront peut-être plus utiles et de toutes façons, ne se feront plus en Europe, mais pour des raisons de coût, en Europe de l'Est, en Chine et en Inde.

Nous faisons actuellement, en fonction de ce que nous dit l'anatomopathologiste, le même traitement à tout le monde : on surtraite certainement un bon nombre de malades, dont le cancer n'évoluerait pas, avec trop de radio et de chimiothérapie, mais on ne sait pas dire lesquels à l'avance. Et c'est une des principales conséquences attendues de la nouvelle médecine : éviter les traitements inutiles ou inefficaces. Même si nous sommes encore loin des traitements réellement individualisés pour chaque malade, de la haute couture ou du sur-mesure, il nous faut quitter l'ère du prêt-à-porter et de la taille unique pour tous et toutes.

Quelles que soient les critiques qu'on peut aujourd'hui faire au concept de médecine personnalisée, la cancérologie traditionnelle est dans une impasse grave : avons-nous fait des progrès dans les quarante dernières années ? Le cancer du poumon avancé, que l'on n'a pas pu opérer, métastatique, reste un très mauvais cancer. Ne fumez pas. En quarante ans on peut dire, en montrant les meilleures séries, que l'on a augmenté la survie moyenne des malades de huit mois. Pendant le même temps, le coût moyen du traitement a augmenté entre 100 et 1 000 fois. Sans cynisme, on peut se poser la question de savoir si ces huit mois de vie supplémentaires valent vraiment de tels surcoûts. D'autre part la façon dont se font les essais thérapeutiques est l'addition. On montre que A + B est mieux que A, que A+B+C est mieux que A+B, etc . L'on cherche à ajouter des médicaments qui sont en général coûteux, à des thérapeutiques qui existent déjà. Cela ne fait qu'alourdir le traitement, le rendre plus toxique, plus coûteux, et pas beaucoup plus efficace. Il serait beaucoup plus rationnel et avantageux de réserver le médicament A aux malades susceptibles de répondre à A, le médicament B aux seuls malades potentiellement répondeurs à B, etc .

On parle beaucoup des coûts des médicaments, mais on ne parle pas assez du coût des nouvelles biotechnologies. Or, comme il a été dit ce matin, il va probablement s'effondrer, d'autant plus qu'il y aura une concurrence et un marché. Le séquençage complet du génome va devenir rapide et est déjà à moins de 100 dollars. Ainsi, nos modèles médico-économiques ne devront pas prendre en compte seulement le prix des traitements, mais aussi celui de ces technologies. De plus, les progrès et les évolutions de ces technologies, comme dans le cas de la téléphonie mobile ou de la micro-informatique, seront sources de développement économique pour de petites firmes de biotechnologies, et seront à l'origine de nouveaux métiers. Il s'agit là de réels investissements d'avenir, qui devraient être pris en compte dans l'évaluation de ce nouveau type de médecine.

Les cancers vont être démembrés en un certain nombre de maladies qu'on pourrait qualifier d'orphelines, et je peux donner deux exemples qui montrent à la fois la beauté et les inconvénients de cette médecine. Le premier concerne le cancer du poumon, dont je vous ai dit que c'est un mauvais cancer. Des Japonais ont montré que 3 % des malades atteints de ce cancer ont une anomalie d'un gène appelé ALK. Or il y avait dans le pipeline de Pfizer un médicament anti-Alk, que Pfizer ne voulait pas développer et était prêt à jeter à la poubelle. Quand cette publication est sortie, ils ont commencé un essai. Pour traiter 80 malades ils ont génotypé 3 000 personnes pour savoir si elles avaient cette anomalie. On parle des tests compagnons en disant qu'on va les développer. Est-il raisonnable de considérer 3 000 malades pour en traiter 80, et dire à 97 % d'entre eux qu'on ne peut pas les traiter ? N'est-il pas plus raisonnable d'essayer de trouver d'autres anomalies permettant ainsi peut-être un autre traitement ? L'intérêt des techniques pangénomiques me paraît être évident. Par ailleurs je ne suis pas sûr que ce soit à l'État de payer pour donner un médicament de Pfizer ou de Roche. Il y a là une question qui me paraît importante. En tous cas chez ces 3 % de malades ayant cette amplification d'ALK, les résultats sont très spectaculaires avec ce médicament. Certains patients sont encore vivants. C'est la première fois que la FDA a accepté un médicament en phase 2, sans phase 3.

Enfin, je voudrais terminer sur l'importance de nouveaux types d'essais thérapeutiques. Traditionnellement les essais de phase 1 sont des essais de toxicité menés chez des malades ayant épuisé les traitements conventionnels. On y recherche des frémissements de réponse clinique, et 2 à 3 % de ces malades bénéficiant de ces phases 1 ont la chance d'avoir un médicament efficace. Les traitements sont donnés à l'aveugle. Actuellement nous essayons d'adapter les traitements aux anomalies moléculaires présentes, et nous arrivons à des taux de réponses en phase 1 de 30 à 40 %. C'est déjà considérable, et cela montre le potentiel de ces techniques. Il s'agit de malades qui arrivent à ces essais très tardivement après avoir reçus 5, 6, 7 traitements inefficaces, coûteux et toxiques, qui les ont mis en mauvais état général. Essayer de ne plus donner ces traitements serait un élément tout à fait important. L'un des messages est que l'essai ne doit plus être présenté comme un dernier recours, une dernière chance, mais très tôt dans la maladie, comme une chance supplémentaire de survie. Ils peuvent se faire en France même de façon regroupée comme nous l'avons fait dans le cancer du sein. Les malades sont demandeurs. Nous avons inclus en six mois plus de 400 malades pour des essais thérapeutiques dans 18 centres. Certains de ces malades ont eu des réponses alors qu'ils avaient résisté à 3, 4, 5, 7 lignes de chimiothérapie, et ont des anomalies moléculaires multiples. Cependant, dans le mélanome, il arrive que toute la maladie disparaisse, mais qu'au bout de six mois, elle rechute. Ce sont les résistances, qui sont liées à la sélection de sous-clones de cellules tumorales, présentant de nouvelles anomalies génétiques. Ainsi, le médicament a de fait exercé une sélection darwinienne des clones résistants. L'avenir des médicaments ciblés sera ainsi paradoxalement de les combiner entre eux pour contourner ces résistances, à l'image des poly-antibiothérapies de nombreuses infections, ou des trithérapies du sida.

Mme Valérie Seror, économiste, chargée de recherche INSERM-IRD. Université Aix-Marseille . Je vais vous proposer une perspective économique.

Un premier point d'entrée est technique, où il s'agit de considérer le développement des bio-marqueurs, des tests de génomique, qui conduisent à une médecine plus stratifiée, caractérisée par des arbres de décisions médicales plus complexes. Un autre point d'entrée est sociétal, et dans ce cas le développement de la médecine personnalisée peut être une réponse aux demandes des patients pour plus d'implication dans leur prise en charge médicale. Également, comme il vient d'être plus ou moins montré sur le cancer du poumon, l'économique peut être un point d'entrée, le développement de ces tests et bio-marqueurs pouvant être une réponse au rendement décroissant du progrès biomédical. Enfin, le développement de ces tests pourrait être une réponse à la crise de l'innovation pharmaceutique.

En adoptant une perspective sociétale large, beaucoup de travaux ont montré une augmentation de l'individualisme, constatée tous dans nos pays, et également de façon un peu contrastée une montée en charge des mobilisations collectives des patients. On pourrait dire que la médecine personnalisée pourrait contribuer à satisfaire les demandes des patients pour plus de transparence dans l'information médicale, à plus d'implication dans la décision médicale. En revanche, les bio-marqueurs et les tests génomiques ne vont pas faciliter la communication sur les risques.

Cette réflexion un peu large s'inscrit dans un contexte caractérisé par une croissance forte des dépenses de santé. Le cadre du cancer est exemplaire, puisque entre 2005 et 2009, l'histogramme montre une augmentation des dépenses en médicaments de 220 % environ. Les plates-formes, indiquées par Agnès Buzyn, ont été mises en place avec une montée en charge assez rapide des tests, un doublement de leur nombre au bout de deux ans. Ces éléments sont forts et arrivent aujourd'hui un nombre croissant de bio-marqueurs, de thérapies ciblées. Une question se pose alors : le surcoût des tests est-il compensé par un meilleur ratio cout/efficacité ? Des travaux ont été menés dans la littérature internationale. La réponse est oui dans certains cancers colorectaux, dans certains cancers du poumon. Qu'en est-il d'autres indications, d'autres organes atteints, d'autres bio-marqueurs, et que traduisent ces réponses positives sur les relations entre le prix des médicaments et la cotation des tests ?

Pour illustrer, Je vais m'appuyer sur une étude publiée que nous avions menée. Elle évalue l'apport d'un test génomique, qui vise, car il y a une étude prospective en cours, à guider la décision médicale de chimiothérapie dans certaines formes de cancer du sein, avec envahissement ganglionnaire mais sans métastases, c'est-à-dire environ 30 % des cancers du sein. Deux stratégies étaient comparées. La prise en charge standard de ces femmes par chimiothérapie incluant anthracyclines et taxanes; et une autre reposant sur un test génomique. Selon le résultat du test, des patientes identifiées comme de bons pronostics se voyaient proposer une chimiothérapie avec seulement des anthracyclines, alors que celles identifiées comme de mauvais pronostics avaient la prise en charge standard. Sur le plan des efficacités, il n'y a pas de différence significative de survie sans rechute à cinq ans parmi les patients de bon pronostic, ce qui suggère qu'il n'y a pas de bénéfice clair lié à l'adjonction de taxanes dans leur chimiothérapie. En revanche pour les patients de mauvais pronostic, le bénéfice de l'adjonction des taxanes était significatif sur un plan statistique, et absolument flagrant. À l'époque où l'étude avait été menée, le docetaxel, une molécule de la classe thérapeutique des taxanes, n'était pas encore un médicament générique, et le test génomique représentait une option-coût efficace, à condition que son coût reste inférieur à 2 100 euros. Mais si on considérait une baisse de 30%, cohérente avec le passage du médicament au générique, on voyait qu'un coût du test maximal à 1140 euros permettait une option-cout efficace.

Cette analyse coût-efficacité, et en réalité tous les travaux publiés, montrent qu'il y a une interdépendance entre la cotation des tests et le prix des médicaments, une complémentarité entre tests et thérapies ciblées, puisque l'utilisation conjointe du test et du médicament conduit à un bénéfice clinique supérieur à leur utilisation séparée. Il en ressort de mon point de vue, que les enjeux de cotation dépassent la question de l'équilibre des comptes de l'assurance maladie. Celle-ci est soumise à des arbitrages entre faciliter l'adoption d'une amélioration thérapeutique, et avoir les moyens de l'offrir à ses patients.

D'un autre coté les décisions de cotation ont un impact direct sur le marché des médicaments et des tests. Pour aller un peu vite, on peut dire qu'une cotation d'un test trop basse peut être comprise comme une désincitation au développement d'autres tests, alors que si elle est trop élevée, pourrait conduire à des rentes de situation payées par les adhérents de l'assurance maladie.

Par ailleurs, la complémentarité entre les tests et les thérapies met en lumière des barrières organisationnelles, qui ne sont pas propres à la France. Plusieurs travaux publiés en Europe et aux États Unis montrent la même chose. Il y a besoin de davantage de coopération dans l'évaluation de la valeur ajoutée des tests et dans les décisions de prix et de cotation, dans la mesure où cette complémentarité clinique de ces deux éléments, devrait se traduire dans une évaluation conjointe de leur valeur ajoutée, ou du prix.

Le développement de ces tests et de ces thérapies ciblées, pourraient permettre de prescrire certains traitements aux seuls patients susceptibles d'en bénéficier, d'éviter des traitements inutiles, coûteux, toxiques, dans un contexte, en tous cas dans le cancer, d'augmentation très rapide des dépenses de santé et de médicaments. Cela pourrait freiner ou atténuer l'escalade thérapeutique et les coûts associés. Cependant ces travaux militent dans le sens d'analyses coût-efficacité systématiquement intégrés aux essais cliniques, et non pas effectués après.

Mme Elisabeth Thouret-Lemaitre, consultante, spécialiste de propriété industrielle . Il m'a été demandé d'intervenir pour vous présenter la décision de la Cour Suprême Myriad Genetics/Association for Molecular Pathology , qui vient d'intervenir le 13 juin 2013 aux États-Unis et aura peut-être un impact sur l'organisation du système de santé lui-même, ce qui dépasse largement mes compétences. Elle arrive après la présentation des différentes décisions relatives aux mêmes sujets, faite lors de la première audition publique de votre Office au mois de mars.

Cette décision était attendue et a fait l'objet de commentaires nombreux, de manchettes de journaux, qui se sont empressés d'en faire une conclusion rapide, alors qu'elle nécessite à mon avis une lecture approfondie, une réflexion beaucoup plus longue. Il faudra suivre l'application de cette décision aux États-Unis même, puisque ses conséquences interviendront rapidement, l'Office des brevets américain ayant déjà présenté un mémorandum à ses examinateurs pour qu'ils en tiennent compte.

Vous vous souvenez de l'affaire Myriad et je n'en rappelle pas les données. Une décision en première instance a annulé les brevets de Myriad, puis la Cour d'appel les a au contraire remis en vigueur, et à la demande de différents mouvements et de différentes associations qui se sont constituées, la Cour Suprême s'est penchée sur cette affaire. Je vais vous donner une traduction libre et personnelle de l'opinion de la Cour, car il est difficile d'interpréter complètement ce qui a été dit. Le résumé a été communiqué par le rapporteur de la décision.

Myriad a découvert la localisation précise et la séquence de deux gènes humains, dont les mutations peuvent augmenter considérablement les risques du cancer du sein ou de l'ovaire. Myriad a obtenu des brevets pour cette découverte. Ce cas, traité par l'opinion et la Cour suprême, concerne les revendications de trois brevets, et nous demande de résoudre le problème de savoir si un segment d'ADN existant dans la nature est brevetable au sens de l'article 35 USC, paragraphe 101, de la loi américaine, si ce segment est isolé du reste du génome humain. Nous donnons également notre avis sur la brevetabilité de l'ADN créé de manière synthétique, connu sous le nom d'ADN complémentaire, qui contient la même information codante pour la protéine que celle du segment d'ADN naturel, mais ne contient pas de portion d'ADN ne codant pas pour les protéines. « Nous considérons que le segment d'ADN existant dans la nature, est un produit de la nature et n'est pas brevetable simplement parce qu'il a été isolé. En revanche l'ADN complémentaire est brevetable car il n'existe pas dans la nature » dit la Cour.

La décision de la Cour d'appel est donc en partie confirmée, et en partie annulée.

Voilà le résumé de l'opinion de la Cour Suprême. Il suit un long raisonnement de plusieurs pages qui expliquent le pourquoi de cette décision. Si on l'examine complètement, et que l'on connaît la lettre amicus curiae briefs qui a été présentée par le Département de Justice des États-Unis, on s'aperçoit que les arguments sont à peu près les mêmes. D'ailleurs l'opinion et le juge précisent qu'il est important de noter que la décision n'a pas examiné les revendications de méthode, ni les brevets relatifs aux nouvelles applications de la connaissance des gènes BRCA 1 et 2. Cette partie est très importante, partie 3 de l'opinion. Et la Cour n'a pas non plus considéré la brevetabilité d'un ADN dans lequel l'ordre des nucléotides naturels aurait été modifié. Donc les juges et en particulier le rapporteur, ont bien mentionné ce qui n'avait pas été traité. Il s'agit d'une décision limitée aux gènes existant dans la nature.

Il y a eu différents commentaires, certains rapides, et puis des commentaires émanant du domaine de la propriété industrielle, qui soulignent le fait que la décision est limitée aux gènes eux-mêmes, que les revendications d'application n'ont pas été examinées et n'ont pas fait l'objet de la décision. Différentes analyses sont un peu succinctes, mais il y en a une très intéressante sur le blog YP Talk, que je vous engage à lire car elle serait un peu longue à vous expliquer. Il est clair qu'il faut attendre et voir comment cela peut évoluer dans le temps. Comme je vous l'ai dit, l'Office des brevets américains a immédiatement présenté un mémorandum à ses examinateurs pour limiter la délivrance de brevets à des gènes existants.

Il faudrait rappeler qu'en Europe, la protection conférée par un brevet à une séquence de gènes est limitée à la fonction technique de cette séquence, telle que décrite dans la demande de brevet. Il y aurait peut-être un certain rapprochement entre la jurisprudence américaine qui vient de sortir, mais qui n'a pas été traitée complètement, et la jurisprudence européenne. Voilà ce que je pouvais vous dire ce jour.

Pr Laurent Degos, ancien président de la Haute autorité de santé (HAS), membre de l'Académie de médecine, et membre correspondant de l'Académie des sciences. Je me cantonnerai à parler du bémol de Gilles Bouvenot, de ce qu'a dit Didier Tabuteau sur les difficultés économiques en rapports avec les maladies orphelines ou les médicaments orphelins, et ce que n'a pas pu traiter notre ami Thomas Tursz en raison du temps. Il est vrai que ce problème du prix des médicaments dits ciblés ou personnalisés est devenu un problème.

J'ai participé activement à la première découverte d'une médecine personnalisée pour une leucémie, la plus grave, puisqu'elle tuait en huit jours, et qui maintenant est guérie pour 90 % des patients. À l'époque, le médicament que nous avions trouvé, un dérivé de la vitamine A, ne coûtait rien et ne coûte toujours rien. Et petit à petit un autre médicament est venu traiter cette maladie, l'arsenic, un produit relativement naturel également, mais 400 fois plus cher que le premier traitement. Et si l'on considère les traitements personnalisés actuels, le Soliris représente quand même 350 000 euros par an par personne, une somme importante.

Ma question est de savoir pourquoi y a-t-il eu ce grand changement brutal, dans une décennie, du prix de ces médicaments dits personnalisés ?

Tout d'abord, j'aimerais faire un rappel sur certaines confusions. Vous avez vu ce matin, on parle de médicaments personnalisés, de médecine personnalisée, de sous-groupes, de médecine proche... On ne sait pas très bien si c'est le médicament qui est ciblé, ou si c'est la petite population-cible : à ce moment-là nous nous approchons du médicament orphelin. Ces médicaments personnalisés ont besoin de tests, de biomarqueurs. Ils sont souvent faits par des biotechnologies, et s'approchent donc des biothérapies, dans une certaine confusion entre médecine ciblée, personnalisée, de biothérapie. Cette limite est un peu floue, et lorsqu'on parle de médecine personnalisée, ciblée, souvent il est question de médecine de petites populations.

Les prix de ces médicaments de petite population montrent une constante. Si l'on traite 300 personnes, cela revient à 350 000 euros par an par personne en France pour le Soliris. Si l'on traite 3 000 personnes comme le Glivec, c'est 30 000 euros par an par personne. Si l'on traite 30 000 personnes, ce sera 3 000 euros, etc . Quand on multiplie le prix et le volume, on obtient le même nombre. Il y a bien la recherche d'obtenir quelque chose qui s'approche du milliard d'euros en France dans cette dépense.

n peut se poser la question pourquoi il y a eu ce changement. Tout d'abord, les laboratoires Sanofi depuis un an cherchent à arrêter leurs recherches, pas seulement en France, mais leur recherche fondamentale propre. En effet on trouve les médicaments ciblés au hasard de certains mécanismes défectueux. Et l'on ne peut pas avoir dans les laboratoires d'une société pharmaceutique tous les mécanismes, et toute la recherche biologique. Si bien que l'on fait appel aux laboratoires universitaires, académiques, pour pouvoir trouver ces petits mécanismes. Ces laboratoires académiques font émerger des start-up qui vivent ou ne vivent pas, et les entreprises pharmaceutiques reprennent celles qui ont des produits efficaces.

Nous assistons à un changement de la vision de ce qu'est la recherche, et même j'irais plus loin: quelquefois on trouve un produit contre un mécanisme, mais qui n'agira pas du tout sur cette cible, et en trouvera une autre. Par exemple, un anti récepteur contre le virus HIV n'a pas eu d'effet sur le sida, mais par contre est un très bon médicament pour mobiliser les cellules médullaires. Cela n'avait rien à voir. Il y a de plus en plus de molécules pour lesquelles une cible est cherchée, et le jour où elle est trouvée, tant mieux, il est possible de s'en servir.

Une deuxième voie de réflexion des laboratoires pharmaceutiques s'est ouverte après l'affaire Viox, qui a failli mettre à plat le numéro un mondial, Merck, en raison de class actions , car il était insupportable pour ce laboratoire de suivre tous ces procès. Une réflexion a été menée par les différents laboratoires, séparément. On s'aperçoit maintenant que tous ont abouti à la même conclusion. Pour un risque égal, si vous traitez une centaine ou un millier de personnes, mettons que le risque soit de 1 pour 10 000, il faudra au moins dix ans pour voir un cas, et cent ans pour voir dix cas. Par compte si vous traitez 100 000 personnes, ou un million, au bout de quelques années, vous voyez des effets délétères, et au bout de cinq ans, vous avez des procès. Tout le monde s'est dit qu'il était bien préférable de chercher des médicaments pour traiter des petites populations, plutôt que des traitements pour de grandes populations.

Il y a conjonction entre le milieu académique qui trouve des mécanismes assez restreints, et donc des cibles et des médicaments pour de petites populations, et une réflexion industrielle qui se comprend très bien, de ne pas prendre trop de risques pour ne pas mettre toute la maison en danger. De plus, puisque la découverte est faite au niveau académique, il n'y a plus besoin de recherche fondamentale pour ces médicaments orphelins. La mise sur le marché est plus simple, le remboursement est en général accepté et il n'y a pas de taxes car il s'agit de traiter une maladie orpheline. Il n'y a pas besoin de publicité, ni d'aller voir les généralistes car si cette maladie concerne cent personnes, les généralistes n'en verront jamais une seule. Cela permet d'alléger le budget. On y trouve beaucoup d'avantages. Donc tout le monde recherche ces médicaments ciblés pour de petites populations.

C'est ainsi que le cancer, dont beaucoup de mécanismes sont connus, pour lequel nous possédons beaucoup de moyens pour pouvoir réagir, a beaucoup de médicaments ciblés. Mais à chaque fois ils deviennent des médicaments orphelins : la moitié des 100 médicaments orphelins sont des médicaments anticancéreux. Il y a donc un mouvement général auquel nous devons réfléchir, et ma réflexion emporte des conséquences.

L'assurance maladie, est concernée. Avec des médicaments aussi coûteux, le Soliris à 350 000 euros par an par personne, si simplement 0,8% de la population se voyait prescrire ce type de médicament, toute la sécurité sociale y passerait. On ne pourrait plus payer ni un hôpital, ni un médecin, une infirmière... Il y a un vrai sujet. Ces médicaments pour l'instant sont peu nombreux, avec très peu de patients. Mais la montée en charge est grande : 220 % en cinq ans, a-t-il été dit, mais si l'on considère les médicaments oraux anti cancéreux, c'est 400 % d'augmentation. Il y a donc là un mouvement qui pourrait être dangereux pour l'assurance maladie : ne couvrir que les grands risques, et laisser le reste à charge, les petits risques, c'est-à-dire tout ce qui est générique. On peut se poser la question de savoir si la sécurité sociale est faite pour très peu de personnes, un très faible pourcentage de la population.

Au sein de l'Europe, l'Europe de l'Est ne veut pas ce genre de médicaments, et de fait va demander à ce que l'Europe de l'Ouest les paie. Autre conséquence : le Glivec, un modèle, est devenu un blockbuster qui a rapporté énormément au laboratoire Novartis. Cet exemple pose la question de savoir si en fin de compte l'on va garder ce terme de maladie orpheline, destiné à l'origine à protéger la recherche de nouveaux médicaments dans un contexte difficile. L'industrie cherche de progressive blockbusters , c'est-à-dire cherche une petite population, et étend l'indication progressivement. Alors ce médicament rapportera plus.

Comment va-t-on endiguer ces phénomènes ?

En France, nous jouons vraiment le jeu du volume. Avec les plates-formes, nous cherchons l'indication précise, et ne donnons le médicament qu'à ceux qui en ont besoin. En Angleterre, ils cherchent l'utilité, et les médicaments anticancéreux sont très peu mis sur le marché, car cela apporte assez peu de survie, ou de vie augmentée, pour le patient. Les Allemands travaillent sur le prix lui-même. Ils mettent un plafond de prix. Donc chacun des pays cherche à pouvoir endiguer cette montée en charge de ces nouveaux médicaments.

Les laboratoires pharmaceutiques font des médicaments pour des petites populations, et mettent des prix assez élevés pour pouvoir survivre, car ils ont une entreprise mondiale à faire vivre. Pourquoi ne chercherait-on pas à promouvoir de nouveau des médicaments de grandes populations, qui permettraient en fin de compte aux laboratoires de vivre ? Aux États Unis, les industriels ont décidé d'arrêter de fabriquer les vaccins car les risques d'effets adverses, et ensuite de procès, étaient très importants. Et l'Etat fédéral a pris en charge toutes les indemnités de tous les accidents liés aux vaccins.

Certes il faut promouvoir, et je suis tout à fait pour, cette médecine personnalisée, mais aussi s'interroger sur le prix qu'elle représente, et essayer de conforter les laboratoires pharmaceutiques à ne pas abandonner les traitements des grandes populations.

Mr Alain Claeys L'intervention de M. Olivier Perche arrive au bon moment. Nous allons lui demander sa réaction sur l'intervention de M. Laurent Degos.

M. Olivier Perche, (LEEM) pour les entreprises du médicament, responsable du développement chez Roche Diagnostics . J'interviens donc au nom des sociétés pharmaceutiques et de l'industrie du diagnostic. J'aurais du mal à dépasser le mandat qui m'a été confié et de faire un commentaire à chaud de ce que je viens d'entendre.

M.Alain Claeys . Dans le cadre de votre mandat vous aurez, quelques éléments de réflexions, j'en suis sûr.

M. Olivier Perche . J'aurais quelques éléments de réponse. J'espère vous les donner tout au moins.

Dans la médecine personnalisée et l'organisation des soins, les enjeux pour le patient, les professionnels, les autorités ou les industriels, qu'ils soient du diagnostic ou de l'industrie thérapeutique, ont été évoqués au cours des différentes interventions précédentes. L'objet est de pouvoir accéder à l'innovation en coordonnant l'activité de l'ensemble de ces partenaires.

L'activité diagnostic intervient dans le parcours de soins et à ses différentes étapes, pour apporter des réponses sur des facteurs de risques, ou dans le contexte de dépistage ou d'identification de pathologies, pour la prévention, pour l'éligibilité de traitements. Elle s'attache à une molécule, ou au suivi. De nombreux acteurs interviennent et donnent des réponses aux cliniciens : le biologiste, le pathologiste, le radiologue, ou le biologiste moléculaire. Apparait la notion de diagnostic intégratif pour laquelle il n'y a pas encore une coordination complète. Ce peut être un axe de réflexion pour le futur.

L'évolution du diagnostic dans la médecine personnalisée a été évoquée par Mme Agnès Buzyn pour les phases 1 et 2. Le travail bibliographique mené par le LEEM montre que sur des phases 2 et 3, l'on est à plus de 400 molécules pour lesquelles il y a un couple molécule et test prospectif, dont à peu près 170 molécules pour des tests de phase 3. Donc des avancées seront effectivement proposées dans les temps futurs.

Pour autant, des problématiques demeurent, notamment pour la mise sur le marché. En ce qui concerne le médicament, la HAS et le processus sont bien banalisés, bien organisés et tout à fait aptes à répondre aux questions qui sont posés pour mettre des molécules sur le marché. Il en est de même concernant le test de diagnostic in vitro , néanmoins avec des paramètres qui restent bloquants dans le processus, et je mentionne là les délais. L'assemblage des deux dans le contexte d'une médecine personnalisée, est complexe.

Contrairement à ce qui se passe pour un médicament, un industriel ne peut pas demander la mise sur le marché d'un test diagnostic et des désynchronisations s'en suivent. M. Gilles Bouvenot évoquait les critères d'évaluation. L'évaluation technique et médicale du médicament est séparée et désynchronisée du test. Pour le test, ces critères ne sont pas publics, ni connus des industriels eux-mêmes. De même pour les délais. Il n'y a pas à ce jour d'évaluation économique du couple médicament-test diagnostic, et les acteurs sont différents.

M. Gilles Bouvenot évoquait la notion de transversalité à développer dans l'évaluation commune. Des exemples récents montrent que le processus d'un médicament est bien analysé et est arrivé à la publication pour sa mise sur le marché, alors que le test diagnostic associé, malgré une demande antérieure, n'a toujours pas été accordé ou n'est toujours pas évalué pour sa mise sur le marché. Il y a donc une désynchronisation complète des deux aspects, ce qui occasionne une perte de chance pour le patient d'obtenir un traitement lié à son test préalable, des retards pour la commercialisation, un frein à l'innovation. L'évaluation du test reste donc à définir.

Des propositions peuvent être apportées sur l'harmonisation du processus d'assemblage du test et de la molécule : par la saisine des industriels du diagnostic désirant une évaluation simultanée de la molécule et du test, le processus restant évidemment à construire autour de cette synchronisation. L'évaluation technique et économique du test et de la molécule en association pourraient être faite conjointement, ce qui représenterait une nouveauté en particulier pour les industriels du diagnostic, et pourrait amener à la construction d'un acte comprenant une partie test et une partie activité médicale. Ce processus aurait l'opportunité de pouvoir être encadré dans une notion de délai. Par l'utilisation d'un test diagnostic marqué CE, obligatoire, ce qui n'est pas forcément le cas aujourd'hui.

Ce matin a été évoquée la notion d'utilité clinique du test lui-même: un règlement européen est en cours de préparation et sera publié dans les prochains mois. Il devrait apporter ce critère d'évaluation pour la médecine personnalisée. Un remboursement temporaire du test associé à sa molécule, pourrait être un autre paramètre.

L'idée est de pouvoir apporter de la valeur ajoutée au patient, aux autorités par une prise en charge et une meilleure connaissance, pour une sécurité d'évaluation, pour les professionnels de santé dans le rapport entre les bénéfices et la toxicité, et pour les autorités en charge de la définition de son remboursement.

Débat

M. Alain Claeys . Les intervenants ont pu faire leurs exposés. Le temps est compté. Mais y a-t-il quelques questions ?

M. Didier Tabuteau . Je voudrais réagir sur la question du modèle économique. On sent qu'elle est cruciale pour l'évolution de cette thérapeutique, et je crois que l'on doit admettre être dans une phase de changement de paradigme. Cela restera-t-il marginal, ou cela va-t-il s'étendre ?

Il ne faut pas faire une fatalité du fait qu'aujourd'hui des médicaments de niche ont des tarifs très élevés. Cela peut s'expliquer pour des raisons historiques. Laurent Degos en a avancé une explication, il y en a sans doute d'autres. Si des médicaments de niche, ou très spécialisés, ou en soins personnalisés, se développent, la façon de les tarifer va aussi complètement se transformer. On n'est pas du tout enfermé dans un système où la règle de la division ou de la multiplication par 10, prenant en compte le nombre de patients et le coût du traitement, va se poursuivre. Je crois au contraire qu'il faut préparer la modification des modes de tarification. Pour ma part je suis convaincu que dans dix ou quinze ans, si ces médecines se sont développées, les modes de tarification rendront ces évolutions tout à fait compatibles avec des assurances maladies, même sous contrainte. Il ne faut pas raisonner à modèle économique constant. L'enjeu est de le transformer à travers cette évolution.

Pr Dominique Stoppa-Lyonnet . Je m'adresse à Mme Thouret-Lemaître, dont je remercie l'analyse de la décision de la Cour Suprême. Ce que j'ai retenu est que la décision concernant la brevetabilité des ADN complémentaires fait couler beaucoup d'encre, du moins sur les conséquences sur la brevetabilité, notamment des protéines recombinantes, qui seraient un peu modifiées par rapport à ce que l'on trouve dans la nature. Mais concernant la première partie, c'est-à-dire la non-brevetabilité des gènes dits naturels, même s'ils sont le siège de mutations délétères, j'aurais voulu avoir votre point de vue sur les conséquences que cela pourrait avoir précisément sur ce dont on parle, c'est-à-dire sur la brevetabilité des tests compagnons, qui sont associés à une mutation pour une thérapie particulière.

Mme Elisabeth Thouret-Lemaître . C'est une décision importante, qui n'a pas fini de faire couler de l'encre. Elle est très limitée. Pour ce qui est de votre question, je pense que l'on va pouvoir continuer à trouver un intérêt dans ce qui va être fait. Je ne suis pas sûre que tous les commentaires soient terminés. La décision est assez limitée, il reste beaucoup de points à voir.

Pr Dominique Stoppa-Lyonnet. Il me semble que la décision est assez claire concernant l'identification de gènes. En gros, la séquence de gènes, qu'ils soient mutés ou pas, ne peut plus entrer dans le domaine privé, ne peut plus être brevetée. Donc ne peut-on pas considérer que cela ouvre l'ensemble du marché des tests génétiques, que ce soit en génétique constitutionnelle ou somatique ? D'ailleurs, il ne faut pas se leurrer, cette décision arrive à point nommé en même temps que le séquençage très haut débit. Il y a eu, j'imagine, une pression extrêmement forte des sociétés de biotechnologies qui développent le séquençage très haut débit, devenu impossible si plus de 20 % des gènes sont brevetés.

Mme Elisabeth Thouret-Lemaître. Vous avez tout à fait raison, et il faudrait voir la suite et les conséquences, et surtout les commentaires qui vont être faits, parce que la décision américaine est très limitée.

Mme Valérie Seror . Il y a autour de la table des personnes qui sont plus dans la technique, donc ils pourront dire ce qu'il en est véritablement. Il semblerait d'après ce que je lis que pour l'instant que les tests compagnons sont principalement développés sur des médicaments existants, et qu'il ne faut pas s'aveugler derrière le Glivec et l'Herceptin, même si les laboratoires pharmaceutiques commenceraient, semble-t-il à intégrer ce virage de développement conjoint. Du coup les aspects économiques sur les économies d'échelles ont du sens.

M. Yann Le Cam, directeur général d'EURORDIS (organisation européenne des maladies rares), vice-président du Comité européen d'experts sur les maladies rares (EUCERD). Sur l'aspect économique, je ne voudrais pas laisser une trace d'informations erronées de notre point de vue, sur un sujet aussi essentiel pour les malades, notamment en générant des peurs irrationnelles, non fondées sur des faits.

Deux informations fausses ont été apportées dans cette première partie de table ronde :

On parle de tsunami de médicaments orphelins. C'est faux. En 2006 au cours d'un groupe de travail, un colloque européen y a été consacré. On y a présenté un modèle mathématique fondé sur vingt ans d'expérience aux États-Unis et dix ans en Europe, montrant qu'il n'y en avait pas, qu'il ne fallait pas confondre mise sur le marché et désignation orpheline. Ce modèle fonctionne. En 2013 et pour les prochaines années, dans un contexte de fort progrès scientifique, il y a 8 à 12 médicaments, soit 10 médicaments orphelins en moyenne mis sur le marché en Europe par an, pas plus.

Deuxièmement, on ne peut pas faire l'amalgame entre le nombre de malades à traiter et l'augmentation du prix qui serait linéaire. C'est une contre-vérité. Sur la base des 100 premiers médicaments, le prix augmente 10 fois quand la maladie est 100 fois plus rare : donc il n'augmente pas 100 fois.

Voilà, pour restaurer des chiffres et des faits qui permettent un débat mieux éclairé.

Dr Frédéric Staroz, médecin pathologiste, président du syndicat des médecins pathologistes français . J'avais juste deux remarques assez brèves. Le Pr Agnès Buzyn parlait des plateformes qui à l'évidence ont permis un accès très large aux tests compagnons et aux thérapeutiques innovantes. Le fait est que la continuation de ce modèle capte l'information, et en particulier l'accès à cette formation que chacun a jugée indispensable, l'appropriation de ces réalisations de tests.

La deuxième remarque concernait ce que disait le Pr Laurent Degos. Il a été répété que le cancer était extrêmement hétérogène. Je ne sais pas si chacun s'imagine à quel point il l'est. Chaque cellule d'un même cancer va avoir un profil génomique différent, et le Pr. Thomas Tursz parlait d'un phénomène où il y avait un accélérateur à fond et des freins cassés... Il n'est pas toujours nécessaire de démonter totalement la voiture pour savoir ce qui se passe dedans, et de temps en temps, justement, l'observer au microscope permet directement de savoir. Malgré tout, les nosologies actuelles ne sont pas obsolètes, mais tous ces tests moléculaires sont complémentaires et doivent s'y intégrer. Je ne suis pas sûr qu'il faille jeter totalement le bébé avec l'eau du bain dans ces circonstances.

M. Laurent Degos. Pour répondre à Didier Tabuteau tout à l'heure : le modèle économique doit être vu, certainement, mais si l'on baisse le prix des médicaments actuels, alors que les industriels ont surtout ces médicaments, et très peu de grande populations qui deviennent génériques, ils rechercheront soit des fusions-acquisition pour essayer d'augmenter le portefeuille, soit des acquisition de start-up pour la même raison, ou alors il faudra conjointement les aider à avoir des médicaments de grande population, avec tout ce que cela comporte comme difficultés. Si l'on baisse les prix, avec un modèle économique fondé sur de toutes petites populations, ils ne pourront pas avoir d'actionnaires.

Pr Thomas Tursz. Il y a un point très important dans l'évaluation de ce futur modèle économique, c'est encore une fois qu'aucune de ces drogues seules ne guérira le cancer. L'avenir est qu'il y ait combinaison de drogues, car il y aura plusieurs anomalies, des résistances, où émergeront des clones sélectionnés. Or, le schéma actuel de mise sur le marché, comme le schéma que proposent les industriels, vise à mettre un médicament sur le marché tout seul, avant de permettre de faire des associations, en particulier avec des médicaments issus de firmes concurrentes. Ceci est une catastrophe scientifique et économique et amène à de gros problèmes industriels : sur dix substances qui entrent en phase 1, une seule deviendra réellement un médicament. Les industriels jettent donc à la poubelle neuf médicaments sur dix, sur lesquels ils ont déjà énormément investi sur les plans recherche et essais précliniques.

Peut-être certaines de ces drogues, comme celles qui ont été jetées du temps de ces screening que j'évoquais tout à l'heure, ne seraient jamais devenues des médicaments seules, mais auraient pu être intéressantes en association ou en combinaison, parce qu'elles auraient levé ou contourné des résistances. Un système serait intéressant, qui permettrait très précocement de tester sur un fonds particulier, je pense que ce devrait être un fonds européen, des combinaisons de médicament, en fonction des anomalies du génome. En effet on peut réaliser 3, 4 mais pas 10 000 tests compagnons. C'est le gros argument qui amènera le séquençage complet du génome comme une étape nécessaire, et qui finira par économiser de l'argent.

La réalité du cancer quotidien, est de donner à 90 % de la population des médicaments qui ne marchent pas, coûtent cher, et sont toxiques pour tout le monde ; d'en essayer au hasard un deuxième, un troisième... un huitième, ayant de moins en moins de chances de marcher. Si l'on pouvait s'attaquer à ce problème comme à l'un des problèmes majeurs de la médecine personnalisée, dans ce modèle économique nouveau, il y aurait un élément de réflexion très important.

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