B. LES DIFFICULTÉS DE L'IMMOBILIER TOURISTIQUE EN MONTAGNE

La problématique de l'immobilier dans les stations de sports d'hiver concerne seulement, ainsi que précisé précédemment, environ 1 % des surfaces classées en zone de montagne. De surcroît, ces stations de ski sont elles-mêmes très concentrées dans certains massifs, avec une prédominance de celui des Alpes du Nord. Le département de la Savoie concentre, à lui seul, 50 % du parc français de remontées mécaniques, suivi par celui de la Haute-Savoie, qui en représente 20 %.

Toutefois, considérant le caractère emblématique de cette activité touristique pour la montagne, l'importance des enjeux économiques, la lourdeur des investissements afférents, et surtout le fait que, au-delà de la concentration géographique des stations, tous les massifs sont concernés à un degré ou à un autre, vos rapporteurs ont jugé pertinent d'en examiner les tenants et les aboutissants.

Dans l'espoir de prolonger les succès du « Plan neige » initié dans les années 1970, les stations de ski ont construit toujours plus d'hébergements neufs afin d'assurer une fréquentation suffisante pour garantir leurs recettes.

Considérant que ce processus est à la fois dangereux sur le plan économique et néfaste sur le plan environnemental, vos rapporteurs appellent de leurs voeux un « Grenelle de l'immobilier touristique en montagne », qui mettrait sur la table toutes les données du problème, puis réunirait l'ensemble des parties prenantes pour faire émerger par la discussion des solutions durables. Un meilleur équilibre doit être trouvé entre construction et réhabilitation.

1. L'obsolescence de la procédure des unités touristiques nouvelles
a) La logique de la procédure instaurée en 1977

La procédure des unités touristiques nouvelles (UTN) a été instituée par la directive d'aménagement national relative à la protection et à l'aménagement de la montagne, approuvée par décret le 22 novembre 1977, dans un contexte de mobilisation de la société française pour la protection de l'environnement, qui avait abouti, notamment, au vote de la loi sur la protection de la nature du 10 juillet 1976.

Cette nouvelle étape de l'histoire de l'aménagement touristique de la montagne faisait suite à la période dite du « Plan Neige », caractérisée par la construction en altitude et en sites vierges, des grandes stations, dites intégrées, devenues le fer de lance de « l'industrie du ski » française. Les impacts sur l'environnement et les paysages des travaux intensifs nécessaires à la construction des routes d'accès et des domaines skiables alpins, ainsi que certains choix urbanistiques et architecturaux, avaient déclenché dans le milieu des années 1970 un mouvement de protestations, aboutissant à la directive du 22 novembre 1977.

Cette directive posait le principe d'une construction regroupée autour des urbanisations existantes et insistait sur la nécessaire préservation de la haute montagne, considérée comme faisant partie du patrimoine national. Elle admettait cependant la création de hameaux nouveaux, dans le cadre de ce qui fut appelé des unités touristiques nouvelles.

Justifié par la volonté de ne pas bloquer le développement économique autour des pratiques de loisirs et du tourisme, ce régime dérogatoire aux principes de base de l'urbanisme était encadré par des autorisations délivrées par l'État, au niveau central, sur la base d'études préalables. La mise en oeuvre de ces autorisations devait ensuite se faire dans le cadre de conventions passées entre les collectivités territoriales et les aménageurs et faire l'objet d'un suivi par phases.

b) Une intégration progressive dans le droit commun de l'urbanisme

La procédure UTN fut, par la suite, intégrée dans le code de l'urbanisme par la loi Montagne de 1985, puis adaptée en fonction du processus de décentralisation de l'urbanisme, qui lui a conféré un deuxième caractère dérogatoire : celui d'une autorisation délivrée par l'État préalablement à la délivrance des autorisations d'occuper le sol, alors que la compétence pour celles-ci était désormais confiée aux maires.

Ultime étape de ce processus, la procédure UTN a été intégrée à la loi relative au développement des territoires ruraux du 23 janvier 2005, dite « loi DTR », dans les schémas de cohérence territoriale (SCoT) créés par la loi du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains, dite « loi SRU », et perfectionnés par la loi du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l'environnement, dite « Grenelle II ».

Cette intégration fait de la commission spécialisée pour les UTN du comité de massif une instance associée à l'élaboration du SCoT, dont l'avis sur le projet d'arrêté figure dans le dossier soumis à enquête publique. Cette dernière étape consacre ainsi la réintégration définitive de cette procédure exceptionnelle dans la règle de droit commun de la décentralisation.

Au fil de cette évolution, le statut des décisions prises dans le cadre des UTN est donc passé du relevé de décision interministérielle pris après réunion d'un comité interministériel à un avis du comité de massif sur un SCoT élaboré par les élus.

La composition de la commission UTN a elle-même évolué pour être aujourd'hui une émanation du comité de massif où sont représentés des élus, des socioprofessionnels et des personnes qualifiées, notamment dans le domaine de l'environnement.

c) La distinction entre projets d'incidence locale et d'incidence régionale

Depuis la loi DTR du 23 février 2005, intégrée au code de l'urbanisme par le décret du 22 décembre 2006, la procédure UTN établit une hiérarchie entre :

- les projets d'incidence locale, pour lesquels la décision est confiée au préfet de département ;

- les projets d'incidence régionale, pour lesquels, dans les territoires non encore couverts par un SCoT, la décision est confiée au préfet de massif après consultation de la commission ad hoc.

Or, les effets combinés des seuils introduits par le décret UTN du 22 décembre 2006, pris en application de la loi DTR, et du décret portant réforme des études d'impact du 29 décembre 2011 peuvent aboutir à faire remonter au niveau du massif, des projets mineurs au regard de la logique de la procédure UTN, avec des conséquences majeures comme une obligation de modifier le SCoT.

Par exemple, des projets tels que 25 ha de golf, 200 emplacements de camping, soit 600 lits, ou 4 ha de terrain pour la pratique du kart peuvent déclencher une UTN de massif. Si l'on prend en considération la possibilité d'appliquer au cas par cas la procédure d'étude d'impact, ce sont tous les aménagements de terrains pour la pratique de sports ou de loisirs motorisés, ou même un camping accueillant 20 personnes, qui devront être examinés au niveau du massif. Au risque, si le territoire dans lequel se situe le projet est couvert par un SCoT, de déclencher une procédure de modification de ce dernier.

Vos rapporteurs estiment, donc, qu'une simplification des textes législatifs et réglementaires relatifs à la procédure UTN est nécessaire pour renvoyer de manière systématique au niveau départemental les projets de moindre envergure.

Proposition n° 40 : simplifier la procédure UTN pour les projets de moindre envergure, qui devraient être examinés au niveau du département et non plus du massif.

d) La nécessité de maintenir une cohérence d'ensemble

Selon vos rapporteurs, le fait d'avoir intégré la procédure UTN aux procédures d'élaboration des SCoT présente un inconvénient majeur : celui de ne plus assurer la cohérence d'ensemble des multiples projets. Antérieurement à la loi DTR de 2005, cette cohérence était, sinon garantie, du moins facilitée par l'unicité de l'analyse faite par le préfet de région, ou de département selon les cas.

En effet, en additionnant les projets UTN inscrits dans les SCoT couvrant un même massif ou sous-massif, on observe le plus souvent un surdimensionnement global des projets touristiques ou leur répartition aberrante dans une logique de concurrence plus que de complémentarité. Les procédures de coopération inter-SCoT, encore balbutiantes et facultatives, ne semblent pas à même de rétablir cette cohérence qui a été perdue.

Vos rapporteurs ne proposeront pas, à ce stade de leur réflexion, de solution opérationnelle pour pallier cet inconvénient bien identifié. Mais ils estiment indispensable de procéder à une évaluation des effets de la réforme de la procédure UTN par la loi DTR de 2005, qui pourrait être le préalable à une réforme ultérieure.

Proposition n° 41 : évaluer les effets de la réforme de la procédure UTN par la loi de développement des territoires ruraux du 23 février 2005, notamment sur la cohérence d'ensemble des projets touristiques inscrits dans les différents SCoT couvrant un même massif.

2. Le phénomène des « lits froids » en stations
a) L'immobilier comme facteur de croissance

Depuis le lancement du « Plan neige » dans les années 1970, l'immobilier a été le moteur économique de développement des grandes stations intégrées de sports d'hiver, caractéristiques notamment du département de la Savoie 4 ( * ) . Dans ce système, les programmes immobiliers neufs garantissent le financement des équipements et constituent donc un fondement indispensable de la viabilité financière du modèle économique des stations.

Ce modèle s'est consolidé au début des années 1970 : alors que la faiblesse des études de marché et les premiers caprices de la fréquentation creusent les déséquilibres financiers, les promoteurs doivent trouver de nouvelles recettes que seul l'immobilier est en mesure de fournir rapidement. En augmentant la capacité d'accueil, cette logique implique irrémédiablement un réajustement des équipements en remontées mécaniques, lesquels seront à nouveau financés par la promotion immobilière. C'est un engrenage qui a très largement participé à alimenter la croissance immobilière des stations.

Dans un contexte de maturité du marché des sports d'hiver, une telle mécanique entraine une érosion du parc d'hébergement marchand au profit du non marchand. Or, ce phénomène constitue le motif le plus fréquemment invoqué pour justifier des programmes immobiliers toujours plus nombreux. La nécessité d'une mise en marché constante et régulière d'hébergements touristiques neufs apparaît aujourd'hui, pour les opérateurs ainsi que pour les élus, comme une nécessité impérieuse afin de maintenir a minima un seuil de fréquentation stable et garantir l'activité des stations.

b) « Lits froids », « lits chauds » et « lits tièdes »

Classiquement, on distingue les lits « professionnels » des lits « diffus ». Les premiers sont ceux proposés régulièrement à la clientèle par des agents économiques qui en tirent leur principale source de revenus. Il s'agit essentiellement des hôtels, des résidences de tourisme, des appartements mis en gestion auprès des agences immobilières ainsi que des clubs et villages de vacances. Les lits dits « diffus » regroupent, quant à eux, ceux dont l'occupation est réservée au propriétaire et à son entourage, ainsi que ceux qui sont loués de manière plus ou moins régulière sous forme de meublés de tourisme. La répartition entre ces deux catégories est relativement équilibrée dans les stations de montagne.

Cette distinction ne recouvre pas celle entre lits chauds et lits froids, laquelle est uniquement fondée sur le taux d'occupation des lits. Faute d'une définition officielle, on considère généralement qu'un lit est dit « froid » lorsqu'il est occupé moins de 4 semaines par an, et qualifié de « chaud » s'il est occupé au moins 12 semaines par an. Les lits occupés entre 1 et 3 mois par an sont qualifiés de « tièdes ».

c) Des mécanismes d'incitation fiscale très attractifs

Dans ce contexte, l'implantation des résidences de tourisme est apparue comme une solution permettant un renouvellement quantitatif et qualitatif du parc d'hébergement. Avec des services associés attractifs et un réseau puissant de commercialisation, cette formule d'hébergement présente des performances de remplissage élevées.

En outre, ce dispositif est proposé comme un investissement locatif sûr pour les propriétaires : en achetant dans une résidence de tourisme classée, ils ont pu bénéficier d'une déduction de TVA sur le prix d'achat ainsi que d'une réduction d'impôt dans le cadre des dispositifs « Demessine » et « Censi-Bouvard », en contrepartie d'un engagement d'affecter leur bien à la location pendant une durée de neuf ans.

Ainsi, stimulées par une défiscalisation incitative, les opérations de ce type se sont multipliées et peu de stations ont échappé à ce phénomène. Aujourd'hui, cet environnement favorable à la création de résidences de tourisme a parfois abouti à une surproduction d'hébergements neufs qui amène à s'interroger sur la viabilité à moyen terme de ce modèle de développement. À l'échéance règlementaire des baux à un horizon de neuf à douze ans, ce sont autant de logements qui sont susceptibles de sortir du marché locatif. La poursuite du développement immobilier des stations à travers ce dispositif contribue mécaniquement à réamorcer régulièrement des besoins en hébergements neufs.

d) Un parc immobilier vieillissant

Construits dans les années 1960-70 afin de répondre à l'engouement des Français pour les sports d'hiver, la plupart des grands ensembles d'immeubles collectifs sont aujourd'hui dégradés en raison de leur âge, d'un entretien insuffisant, d'une location intensive et d'une qualité parfois médiocre de la construction et des matériaux utilisés.

Les systèmes de copropriété, très développés dans ces grands ensembles immobiliers, ont également constitué un frein à l'entretien des parties communes, l'ensemble des propriétaires ne parvenant pas à se mettre d'accord pour entreprendre des opérations d'entretien et de rénovation jugées trop coûteuses.

Parallèlement à ce phénomène de vieillissement du parc immobilier, les attentes d'une partie des visiteurs ont profondément évolué depuis le début des années 1980, entrainant une inadéquation croissante entre l'offre locative et la demande. D'une part, la clientèle s'est diversifiée et ne compte plus seulement des passionnés du ski, mais également des familles voulant diversifier leurs activités et qui attachent une importance plus grande à élargir et à la qualité des logements offerts ; d'autre part, on observe une présence croissante de la clientèle étrangère, notamment venant du nord de l'Europe, plus attentive au confort et à la taille du logement. Pour ces raisons, un grand nombre de ces appartements en copropriété voient leur taux d'occupation diminuer, délaissés par les candidats à la location.

Une rénovation de l'immobilier de loisir en montagne aura des incidences multiples : elle est la condition de la pérennité de l'attractivité des stations de montagne, elle permettra d'éviter un rythme de construction trop élevé au détriment des espaces naturels, elle constituera une source de travaux non délocalisables pour les entreprises et permettra, grâce à la rénovation thermique des bâtiments, de lutter contre le réchauffement climatique ; elle apportera, enfin, une réponse aux attentes nouvelles de la clientèle.

C'est bien le sens du « Grenelle de l'immobilier de loisir » que vos rapporteurs appellent de leurs voeux.

Depuis les années 2000, de nombreuses stations se sont résolument engagées dans la rénovation de l'immobilier. Malheureusement, le constat est aujourd'hui unanime : ni les outils mis en place, depuis l'adoption de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains (« SRU ») en 2000 jusqu'au rapport de la SCET, ni les expérimentations conduites sur les territoires n'ont permis d'obtenir les résultats escomptés. Une impulsion nouvelle est donc aujourd'hui nécessaire, avec la mobilisation de dispositifs de nature différente que les territoires pourront mettre en oeuvre en fonction des caractéristiques propres du parc de logement concerné.

e) Un préalable, améliorer la connaissance de ce phénomène inquiétant

L'hébergement touristique est habituellement appréhendé en dissociant le parc marchand, ou « professionnel », du parc non marchand, ou « diffus ». La capacité marchande s'exprime en « lits touristiques », dénombrés le plus souvent à l'aide des fichiers des offices de tourisme locaux.

Échappant par nature aux réseaux de commercialisation, l'hébergement non marchand ne peut cependant faire l'objet d'un procédé similaire. Par défaut, son évaluation s'appuie sur les données relatives aux résidences secondaires recueillies par l'INSEE.

Lorsqu'il s'agit de disposer d'une approche globale du parc d'hébergement touristique diffus, le statisticien se heurte à un certain nombre de difficultés :

- il est hasardeux d'additionner le parc marchand, exprimé en lits touristiques, avec le secteur non marchand, exprimés en unités de logements. Cet obstacle est néanmoins partiellement surmonté par l'application d'un ratio arbitraire de lits par résidence secondaire ;

- à l'intérieur du secteur diffus, la distinction entre lits chauds et lits froids s'avère pour le moins incertaine, notamment en raison de l'opacité qui entoure la mise en location des logements par le biais des sites Internet, souvent non déclarée, qui s'est fortement développée au cours des cinq dernières années.

Vos rapporteurs considèrent donc comme un préalable nécessaire à la mise au point d'une stratégie globale d'intervention, la création d'observatoires départementaux qui permettraient d'obtenir une vue exacte et détaillée du parc des lits existants, ou autorisés par les documents d'urbanisme, à la fois dans leurs caractéristiques et dans leurs taux d'occupation effectifs.

Proposition n° 42 : créer des observatoires départementaux sur le nombre et les caractéristiques des lits existants ou autorisés, dans la perspective de la définition d'une stratégie globale d'intervention.

f) La nécessité de donner aux élus un meilleur contrôle de la destination des constructions

Le droit de l'urbanisme permet aux auteurs du règlement du PLU d'interdire ou de soumettre à conditions les « occupations et utilisations du sol » et de définir des règles relatives à la destination des constructions autorisées. Face aux risques d'atteinte au droit de propriété que les auteurs du règlement du PLU sont ainsi susceptibles de porter, le législateur et le pouvoir réglementaire sont venus encadrer strictement leur marge de manoeuvre :

- le règlement du PLU ne peut opérer de différenciations qu'entre les neuf destinations limitativement énumérées à l'article R. 123-9 du code de l'urbanisme : habitation, hébergement hôtelier, bureaux, commerce, artisanat, industrie, exploitation agricole ou forestière, entrepôt, services public ou d'intérêt collectif ;

- un PLU peut interdire les changements de destination des constructions, mais uniquement entre les catégories de destinations existantes en droit de l'urbanisme.

Par conséquent, le droit de l'urbanisme s'avère en l'état actuel insuffisant pour favoriser l'hébergement régulier et maîtriser sa destination :

- le code de l'urbanisme ne permet pas de contrôler l'évolution des logements gérés anciennement en formule locative par le biais de la résidence de tourisme en habitation secondaire : la résidence de tourisme n'est pas assimilée à la destination « hébergement hôtelier » (malgré des points communs évidents), l'une des catégories de destination de l'article R.123-9 du code de l'urbanisme, mais à la catégorie « habitation ». Dès lors, à l'expiration du bail commercial, il n'existe aucune possibilité de contrôle, au titre de l'urbanisme, puisque la transformation de la résidence de tourisme en résidence secondaire n'est pas considérée comme un changement de destination ;

- l'interdiction des changements de destination des constructions constitue un outil peu adapté à la maîtrise de la destination des constructions dans le temps : si les règlements des PLU peuvent interdire les changements de destination des constructions à condition de se fonder sur une motivation d'intérêt général évidente, cette interdiction ne peut s'opérer qu'entre les catégories existantes en droit de l'urbanisme. Dès lors, il est impossible d'interdire le changement de destination d'une résidence de tourisme et sa transformation en résidence secondaire, les deux types d'habitation relevant de la catégorie « habitat ».

Proposition n° 43 : modifier le code de l'urbanisme pour créer une sous-catégorie « hébergements touristiques banalisés », tels que hôtels, clubs de vacances ou résidences de tourisme, afin de permettre aux communes de s'assurer de la pérennité de la destination marchande des lits touristiques.

g) La généralisation de sociétés foncières pour la réhabilitation

La poursuite de la construction neuve pour compenser les pertes chroniques de lits existants ne constituant pas une solution pérenne, il s'avère aujourd'hui nécessaire de travailler sur le stock de lits existants. Or, un grand nombre de logements en station nécessite une rénovation, au risque de se retrouver « avec des immeubles, voire des quartiers, devenus vétustes faute de réhabilitation », ce qui pourrait à terme compromettre les capacités d'hébergement en station.

Dans ces circonstances, la mise en place de structures foncières prêtes à acquérir des biens, les rénover, les gérer et, le cas échéant, les revendre, constitue une piste intéressante pour favoriser la rénovation de l'immobilier de loisirs dans les stations. Plusieurs formes sociales sont envisageables pour la création de ces foncières : société par actions simplifiée ; société d'économie mixte ; société ou organisme de placement immobilier ; établissement public foncier local (EPFL).

En Savoie, la Compagnie des Alpes, contrôlée par la Caisse des dépôts et consignations, a mis en place une société foncière, la Foncière Rénovation Montagne.

La Foncière Rénovation Montagne

En avril 2013, la Caisse des Dépôts, la Compagnie des Alpes (CDA) et des établissements bancaires actionnaires de la CDA ont créé la Foncière Rénovation Montagne, société par actions simplifiée (SAS) dédiée au financement de la rénovation de l'hébergement touristique en montagne.

Le capital de cette société est détenu à 48,8% par la Caisse des Dépôts, 16% par la Banque Populaire des Alpes, 16% par la Caisse d'Epargne Rhône Alpes, 9,6% par le Crédit Agricole des Savoie et 9,6% par la CDA.

Cette foncière faîtière a pour vocation d'investir dans des foncières locales, dont elle détient la majorité du capital, qui acquièrent des hébergements vieillissants, les rénovent puis les vendent sous gestion locative.

La foncière locale propose les appartements à acquérir, lesquels constituent des lits froids ou tièdes (dans certains cas des lits chauds si l'exploitant risque de ne pas renouveler les baux). Ce choix est validé par le Comité d'orientation stratégique de la Foncière Rénovation Montagne. À ce jour, environ 250 appartements ont été acquis, à un prix en moyenne inférieur à ce que projetaient les actionnaires de la foncière faîtière. La moitié des acquisitions a concerné des blocs, ce qui devrait permettre la rénovation des parties communes et une amélioration de la performance énergétique du bâti.

La rénovation est le plus souvent assurée par des entreprises locales. Les fusions de lots ne sont pas automatiquement privilégiées, la demande continuant à exister pour les petits appartements. Les premières rénovations ont été achevées en novembre 2013.

Une société filiale de la société locale de remontées mécaniques assure le portage des baux jusqu'à la vente du logement, en lien avec une agence immobilière locale. La société locale de remontées mécaniques, actionnaire de la foncière locale, garantit à la foncière locale des loyers de 4% minimum.

Enfin, les appartements sont vendus au bout d'une dizaine d'année avec un bail attaché de neuf ans minimum. Le taux de rentabilité interne (TRI) de l'opération a été évalué, avant le lancement des premières opérations, à 6% dans l'hypothèse d'une revente au bout de douze ans. Selon les premières estimations de la CDA, le TRI effectif pourrait être légèrement supérieur.

L'objectif est d'investir 75 millions d'euros en cinq ans, ce qui devrait permettre la rénovation de 500 appartements. Cinq stations ont été ciblées, dont les remontées mécaniques sont directement ou indirectement gérées par la CDA : La Plagne, Les Arcs, Les Ménuires, Les Deux-Alpes et Serre Chevalier. Etant donné le nombre d'acquisitions déjà réalisées, l'outil pourrait monter en puissance plus rapidement que prévu.

Cette formule est à encourager, tant la présence d'un investisseur capable de peser sur le marché immobilier local est susceptible de créer un effet d'entraînement et de conduire à un renforcement des démarches de rénovation.

En la matière, les initiatives doivent demeurer locales et impliquer de manière décisive les sociétés de remontées mécaniques, lesquelles disposent des moyens d'investissement les plus importants et sont les premières intéressées aux résultats de telles opérations.

Proposition n° 44 : généraliser la mise en place, en mobilisant l'épargne locale, de sociétés foncières pour la réhabilitation de l'immobilier de loisirs.

h) Le recours au régime du bail à réhabilitation

La loi n° 90-449 du 31 mai 1990 visant à la mise en oeuvre du droit au logement a créé le bail à réhabilitation, défini comme un contrat par lequel soit un organisme d'habitations à loyer modéré, soit une société d'économie mixte dont l'objet est de construire ou de donner à bail des logements, soit une collectivité territoriale, s'engage à réaliser dans un délai déterminé des travaux d'amélioration sur l'immeuble du bailleur et à le conserver en bon état d'entretien et de réparations de toute nature en vue de louer cet immeuble à usage d'habitation pendant la durée du bail.

Le régime juridique de ce dispositif présente les caractéristiques suivantes :

- le bail à réhabilitation emporte deux engagements pour le preneur : réaliser des travaux d'amélioration sur l'immeuble et conserver l'immeuble en bon état d'entretien et de réparation ;

- le preneur à bail qui reçoit les loyers des occupants est exonéré de taxe foncière sur les propriétés bâties pendant toute la durée du bail ;

- le bail à réhabilitation doit être conclu pour une durée minimale de douze ans ;

- à la fin du bail à réhabilitation, le bailleur retrouve la libre gestion de son bien et n'a pas à verser d'indemnité pour les travaux d'amélioration réalisés par le preneur.

Vos rapporteurs jugent la philosophie générale de ce dispositif pertinente pour encourager la réhabilitation de l'immobilier de loisirs, dans l'hypothèse où le propriétaire du meublé ne peut ou ne souhaite pas engager des travaux lui-même, et se voit soumis, malgré l'inoccupation de son bien, à la taxe d'habitation et à la taxe foncière.

Proposition n° 45 : recourir à la procédure du bail à réhabilitation pour convaincre les propriétaires privés de rénover leurs biens dégradés.

i) La modulation de la fiscalité locale en fonction du taux d'occupation

Afin de lutter contre le phénomène des « lits froids », de nombreuses propositions ont été faites pour instaurer une taxe visant à « inciter les propriétaires à mettre en location » , et qui se substituerait à la taxe de séjour.

Vos rapporteurs préfèrent l'option d'une modulation, dont la mise en oeuvre serait laissée à l'appréciation de la commune, de la taxe foncière en fonction du taux d'occupation du logement sur la durée de la saison. Le propriétaire devrait apporter la preuve de l'occupation effective de son bien pour bénéficier du taux le plus favorable, le logement étant à défaut présumé vide d'occupants.

Proposition n° 46 : ouvrir aux communes la possibilité de moduler la taxe foncière en fonction du taux d'occupation, sur la saison, de chaque logement touristique.

j) La réorientation des incitations fiscales vers la réhabilitation

Avec la disparition des dispositifs de défiscalisation des articles 199 decies E, decies EA, decies F et decies G du code général des impôts (dispositifs dit « Demessine »), seul subsiste le dispositif de l'article 199 sexvicies (dispositif dit « location meublée non professionnelle - LMNP » ou « Censi-Bouvard »), qui continue à s'appliquer à l'acquisition de logements neufs.

En vertu de ce dispositif, les contribuables domiciliés en France qui acquièrent, entre le 1er janvier 2009 et le 31 décembre 2016, un logement neuf, un logement en l'état futur d'achèvement ou un logement achevé depuis au moins quinze ans ayant fait l'objet d'une réhabilitation ou qui fait l'objet de travaux en vue de sa réhabilitation, qu'ils destinent à la location meublée non professionnelle, peuvent bénéficier d'une réduction d'impôt.

Le dispositif de l'article 199 sexvicies CGI, s'il a eu un effet accélérateur indéniable au profit de lits « chauds », au moins pendant la période d'exploitation minimale, présente un certain nombre de risques :

- une incitation à la construction de programmes neufs sans lien avec la demande de logements ;

- les aléas du bail commercial : de nombreux propriétaires de résidences de tourisme sont confrontés à la difficulté de faire honorer par le gestionnaire les engagements souscrits au titre du contrat de bail commercial. Dans la plupart des cas, le gestionnaire menace de faire faillite si le propriétaire n'accepte pas une révision des loyers à la baisse. Or, en cas de faillite, le bail sera rompu et le propriétaire ne pourra honorer son engagement de mise en marché pendant neuf ans, perdra le bénéfice de la défiscalisation et sera dans l'obligation de reverser intégralement au Trésor Public la TVA déduite ;

- le risque d'une confiscation par le promoteur et/ou le professionnel de l'immobilier du gain de l'avantage fiscal par une majoration du prix de vente de l'immeuble et/ou l'exigence de commissions importantes ;

- le développement de la construction de petites surfaces, aux prix accessibles afin de solvabiliser les investisseurs, au contraire des attentes actuelles de la clientèle.

Pour ces raisons, vos rapporteurs estiment que le dispositif de l'article 199 sexvicies CGI n'est plus pertinent. Ils suggèrent de le supprimer, pour le remplacer par un dispositif centré exclusivement sur la réhabilitation.

Proposition n° 47 : supprimer les incitations fiscales à l'investissement locatif dans l'immobilier de loisir neuf, et instaurer un dispositif fiscal incitant à la réhabilitation du parc locatif existant, sous la condition d'une obligation de mise en location d'une durée au moins égale à quinze ans.


* 4 Sur les questions de l'immobilier de montagne et des dynamiques d'aménagement, vos rapporteurs renvoient notamment aux travaux de l'Unité de recherche « Développement des Territoires Montagnards » de l'Irstea Grenoble. L'analyse de la situation en Savoie s'inspire en particulier de Gabriel Fablet, Irstea Grenoble / UR DTM, « La croissance immobilière des stations de sports d'hiver en Tarentaise : entre vulnérabilités conjoncturelles et dérèglements structurels » (article soumis pour publication).

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