B. L'APPLICATION DE LA POLITIQUE AGRICOLE COMMUNE À LA MONTAGNE

Comme l'ensemble de l'agriculture française, l'agriculture de montagne dépend des orientations de la politique agricole commune (PAC). Historiquement, la PAC a été la première politique européenne à contenir des dispositions normatives visant expressément la montagne. Si l'agriculture de montagne a aussi bénéficié des aides de marché relevant du « premier pilier », c'est surtout le « second pilier », celui du développement rural, qui a permis sa modernisation en compensant ses handicaps.

1. Un principe ancien de compensation des handicaps

Afin de tenir compte des handicaps de l'agriculture de montagne, l'Union européenne a développé depuis 1975, au sein du second pilier une série de mesures visant à aider les agriculteurs des zones de montagne.

a) L'indemnité compensatoire de handicap naturel (ICHN)

Créée en 1972 sous le nom de « prime à la vache tondeuse », l'indemnité compensatoire de handicap naturel (ICHN) était à l'origine réservée aux zones de montagne, avant d'être étendue (piémont, zone défavorisée). Initialement versée en fonction du nombre d'unités de grand bétail (UGB), cette aide est devenue en 2001 une prime à l'hectare de surface fourragère. Elle concerne aujourd'hui 85.000 bénéficiaires avec une enveloppe totale de 550 millions d'euros.

L'ICHN constitue toujours la principale mesure de soutien à l'agriculture de montagne : Bien qu'elle ne soit plus réservée aux seuls agriculteurs de montagne, l'ICHN leur est, de fait, toujours très majoritairement destinée. Environ 80 % de l'enveloppe globale ICHN pour la France bénéficie aux zones de montagne et on estime ainsi qu'elle permet de compenser, en moyenne, environ 40 % de l'écart entre le revenu agricole des zones non défavorisées et celui des zones de montagne.

b) La prime herbagère agro-environnementale (PHAE)

Créé en 1993 sous le nom de « prime à l'herbe », la prime herbagère agro-environnementale (PHAE) consiste en un dispositif contractuel d'une durée de cinq ans, au cours de laquelle l'agriculteur s'engage à respecter un cahier des charges visant à s'assurer que les espaces herbagers sont entretenus et ne sont pas soumis à un chargement en bétail trop élevé. La PHAE concerne actuellement 54.000 bénéficiaires, avec une enveloppe de 240 millions d'euros.

Ce plafond de chargement et le fort degré de spécialisation impliqué par le cahier des charges aboutissent à cibler de facto la PHAE sur les zones de montagne : environ 60 % de son enveloppe globale pour la France bénéficie aux agriculteurs de montagne.

c) La revalorisation et la simplification des aides dans le cadre de la nouvelle PAC

L'ICHN et la PHAE ont été des outils importants de soutien de pratiques agricoles favorables à l'environnement, à la préservation de la biodiversité et à la protection des ressources en eau. Elles se justifiaient pleinement par le fait que les règles du marché n'intègrent pas les externalités positives de l'agriculture de montagne.

Néanmoins, le soutien à l'herbe sous sa forme actuelle (PHAE) a fait l'objet de critiques de la Commission européenne comme de la Cour des comptes européenne et ne pourra être conservé en la forme. En contrepartie, la déclinaison nationale de l'accord conclu sur la réforme de la PAC post-2013 prévoit d'importantes mesures permettant de préserver le revenu des agriculteurs de montagne, et notamment :

- une revalorisation de 15 % de l'indemnité compensatoire de handicap naturel sans changement des bénéficiaires ni des critères actuels d'attribution ;

- une simplification par l'intégration dans l'ICHN, à partir de 2015, d'un montant global un peu supérieur à celui de la PHAE supprimée.

Vos rapporteurs estiment souhaitable que, lors de la mise en oeuvre de la réforme de la PAC pour la période 2014-2020, le Gouvernement français cherche à accentuer, dans toute la mesure du possible, la logique de l'ICHN et de la PHAE, qui visent à favoriser une agriculture de montagne extensive et riche en emplois.

Proposition n° 18 : fonder les aides sur le nombre d'actifs dans l'exploitation, plutôt que sur celui d'hectares.

d) Les aides à l'installation et à la modernisation

Au sein du « deuxième pilier », d'autres aides sont également ciblées sur les massifs, grâce à des majorations de leur taux lorsque qu'elles sont versées en zones de montagne.

Ainsi, l'aide à l'installation des jeunes agriculteurs varie de 8 000 euros à 25 000 euros en plaine, mais de 16 500 euros à 35 900 euros en montagne.

Jusqu'en 2005, l'aide aux bâtiments d'élevage était réservée à la modernisation des exploitations en zone de montagne. Les éleveurs de montagne en ont perdu l'exclusivité lorsque cette aide a été étendue à tout le territoire national, mais continuent d'être relativement avantagés par des taux de subvention et des plafonds d'aide majorés.

Toutefois, vos rapporteurs relèvent que ces plafonds, qui viennent limiter les montants effectivement versés pour un même projet, restent souvent bien trop bas pour permettre une compensation suffisante des surcoûts inévitables d'un bâtiment d'élevage capable de supporter la rudesse du climat montagnard. Ces plafonds apparaissent aujourd'hui contreproductifs, en décourageant, en pratique, la réalisation de projets de modernisation pourtant nécessaires.

Proposition n° 19 : relever, voire supprimer, les plafonds des aides pour la modernisation des bâtiments d'élevage en montagne.

2. Une valorisation de la qualité par la labellisation
a) L'importance des labels de qualité pour l'agriculture de montagne

L'agriculture de montagne, au-delà des « handicaps » qui justifient les régimes d'aides spécifiques prévus pour les compenser partiellement, dispose aussi d'un sérieux avantage comparatif : la qualité exceptionnelle de ses produits, fabriqués selon des techniques extensives et souvent encore quasi-artisanales. Cette qualité est largement reconnue par les nombreux labels de qualité qui permettent de les valoriser au mieux sur le marché. Ainsi, plus des deux-tiers de la production d'AOC fromagères françaises sont d'origine montagnarde, et environ 40 % de la collecte en zones de montagne sont transformés en fromages AOC.

Toutefois, cet avantage comparatif naturel est amoindri par le fait que l' « argument montagne » n'est pas toujours utilisé à bon escient. Tantôt, la mise en place d'une AOC ou d'une IGP se heurte à la difficulté de mobiliser collectivement et de mettre d'accord entre eux les producteurs qui pourraient la porter. Tantôt, à l'inverse, des images de montagne séduisantes se trouvent affichées sur des produits qui n'auraient guère de raisons convaincantes d'y prétendre.

b) Le projet de label montagne de la Commission européenne

La Commission européenne a présenté en 2011 un « paquet qualité applicable aux produits agricoles » visant à améliorer les productions et à offrir une garantie de qualité qui soit à la fois une sécurité et une reconnaissance. Initialement, cet ensemble de textes ne comportait pas de proposition pour labelliser les produits issus de l'agriculture de montagne. À la demande des députés européens, la Commission a donc présenté en 2013 une proposition complémentaire de nouveau label européen « produit de montagne ».

Cette initiative, pourtant a priori favorable à l'agriculture de montagne, suscite des inquiétudes. Tout d'abord, les critères proposés par la Commission permettraient dans certains États membres, à des produits élaborés dans les grandes villes situées sur les piémonts des montagnes de bénéficier du nouveau label. La difficulté vient du fait que chaque État membre a une marge d'appréciation pour définir sa propre notion de zone de montagne, et que certains en ont une conception extensive.

Inversement, la nouvelle législation communautaire serait plus stricte que certaines législations nationales pour les critères relatifs à l'alimentation des animaux, en exigeant qu'au moins 60 % des aliments pour bovins et ovins, et 50 % des aliments pour porcins et volailles proviennent de zones de montagne. Ces règles seraient très gênantes pour la France, dont la législation relative à l'appellation « produit de montagne » autorise, par exemple, un taux de 0 % pour l'alimentation des porcs de montagne, qui peut ainsi intégralement provenir de régions hors zone de montagne.

c) Une remise en cause éventuelle par les effets du changement climatique

Une menace plus insidieuse pèse sur les labels de qualité, liée au changement climatique. Comme l'indique très judicieusement le rapport de 2007 de l'ANEM, précité, sur l'impact du défi climatique pour la montagne : « la hausse globale des températures, de même que la modification du rythme des saisons ont nécessairement un effet sensible sur les productions végétales, qui ont-elles-mêmes une incidence sur les productions animales. (...) Tant la viande que les produits laitiers risquent de voir leurs qualités gustatives se modifier. La diminution de la prise de poids durant la période d'estive, associée aux phénomènes de sécheresse, implique une nécessaire compensation nutritive. Or, ce même stress hydrique diminue la capacité de production fourragère et tend à orienter les éleveurs vers une fourniture extérieure ».

Très concrètement, « ces évolutions menacent les conditions de valorisation des produits, car elles interfèrent avec la notion même de terroir. En effet, l'évolution inéluctable du produit pose le respect du cahier des charges associé aux labels d'origine, et particulièrement aux AOC ».

Afin de prévenir cette difficulté, l'ANEM propose donc d'envisager l'adaptation des divers régimes de labellisation, en veillant à ne pas amenuiser leur crédibilité et leur efficacité.

3. Des résultats tangibles

L'ensemble formé, d'un côté, par les régimes d'aides spécifiques destinés à compenser les handicaps et, de l'autre côté, par les labels de qualité destinés à valoriser les points forts de l'agriculture de montagne, a produit des résultats tangibles.

a) En termes de revenus agricoles

Les revenus des exploitations agricoles de montagne se sont régulièrement améliorés, mais demeurent inférieurs d'environ 30 % à la moyenne nationale. Cet écart semble, a priori, marquer l'échec de l'objectif fixé par la loi Montagne d'assurer aux agriculteurs en zones de montagne des revenus d'un niveau « comparable à celui des autres régions ».

Toutefois, les exploitations agricoles de montagne sont en moyenne plus petites et plus souvent de type herbager que dans les autres régions : ces deux facteurs expliquent à eux seuls le maintien d'un écart de revenus par rapports aux exploitations des régions de plaine, plus vastes et spécialisées dans des cultures plus lucratives.

b) En termes de maintien de la population agricole

Globalement, le nombre d'exploitations agricoles professionnelles s'érode moins vite en zones de montagne qu'ailleurs : il a diminué de 25 % seulement entre les deux derniers recensements agricoles, contre 31 % en moyenne nationale.

Le taux de remplacement des agriculteurs partant à la retraite par des jeunes agriculteurs est meilleur en montagne pour deux raisons : d'une part, la taille des exploitations à reprendre est plus faible, ce qui rend les reprises moins onéreuses ; d'autre part, les soutiens publics sont conséquents ou majorés en zone de montagne, ce qui favorise la prise de risque que constitue une reprise ou une création d'entreprise.

Les aides à l'installation sont un facteur déterminant pour le maintien d'exploitations agricoles, en particulier en zones défavorisées telles que la montagne. Les projets « hors cadre familial » (personnes qui s'installent sur une exploitation agricole autre que celle d'un parent) se caractérisent par une durée plus longue et la possibilité de cumul avec d'autres activités. En effet, les « hors cadres familiaux » sont plus longs à voler de leurs propres ailes pour finir par s'installer complètement par rapport aux agriculteurs reprenant l'exploitation de leurs parents. Malgré tout, les conditions plus favorables qui leur sont réservées ne sont pas toujours suffisantes pour permettre le succès de leur projet d'installation.

Proposition n° 20 : renforcer le caractère progressif des contrats d'installation pour les « hors cadres familiaux », c'est-à-dire les personnes souhaitant s'installer comme agriculteurs qui ne s'inscrivent pas dans une tradition familiale.

Les dispositions relatives à la montagne
dans le projet de loi d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt
(en cours de discussion)

Le texte initial a été enrichi à l'Assemblée nationale par plusieurs dispositions en faveur de de l'agriculture de montagne concernant notamment les secteurs de l'élevage et de la forêt :

- Affirmation de l'importance stratégique des secteurs de l'élevage et du pastoralisme dans la conduite de la politique d'aménagement rural, prévue par l'article L. 111?2 du code rural et de la pêche maritime ;

- Reconnaissance d'une politique spécifique à l'agriculture de montagne, en application du « droit à la prise en compte des différences » posé dès l'article 8 de la loi « Montagne » du 9 janvier de 1985 ;

- Maintien d'un nombre d'exploitants agricoles sur l'ensemble des territoires en adéquation avec les enjeux d'accessibilité et d'entretien qu'ils représentent ;

- Représentation de la montagne au sein du conseil supérieur d'orientation et de coordination de l'économie agricole et alimentaire et consultation pour avis des comités de massif lors de l'élaboration des plans régionaux d'agriculture durable ;

- Adaptation de surface minimale d'assujettissement (SMA) aux particularités de la montagne ;

- Sécurisation de la possibilité de solliciter les fédérations de chasse pour contribuer au retrait des prédateurs, à l'initiative du préfet ;

- Présentation d'ici le 31 décembre 2014, d'un rapport du gouvernement au parlement sur le développement des formations bi-qualifiantes dans l'enseignement agricole ;

- Reconnaissance du rôle de la forêt dans la prévention des risques et la fixation des sols en montagne, justifiant une politique publique spécifique.

En outre, en commission au Sénat, a été introduite une meilleure prise en compte des spécificités des zones de montagne pour la constitution des Groupements d'intérêt économique et environnemental forestiers (GIEEF).

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