B. LA SLOVAQUIE AU CoeUR DE L'EUROPE

La Slovaquie, par sa position géographique et par son implication dans la construction européenne, se trouve au coeur de l'Europe. Elle entend à la fois accroître son influence en Europe centrale et orientale et appartenir à la partie la plus intégrée de l'Union européenne.

1. Un rôle grandissant en Europe centrale et orientale

La Slovaquie ambitionne de s'affirmer en Europe centrale et orientale . De fait, elle accorde une grande importance aux relations avec son voisinage immédiat, en particulier au sein du groupe de Viegrad , dit aussi V4, où elle retrouve la Hongrie, la Pologne et la République tchèque.

Ce groupe informel est apparu en février 1991, donc avant la partition de la Tchécoslovaquie, à une époque où ces États d'Europe centrale tout juste libérés du joug soviétique ne jouaient quasiment aucun rôle en Europe. Il avait pour vocation initiale de rapprocher ses membres en vue de leur intégration européenne à venir.

Aujourd'hui encore, le groupe de Viegrad, que la Slovaquie a présidé entre juillet 2010 et juillet 2011, constitue un format souple de coopération qui permet à ses membres de coordonner leurs positions sur des sujets communs essentiels, européens en particulier. Le V4 dispose également d'un fonds, institué en 2001 et doté chaque année de 6 millions d'euros, permettant de financer des échanges, des bourses, des résidences d'artistes ou encore des projets d'infrastructures transfrontaliers.

Pour autant, les relations bilatérales qu'entretient la Slovaquie avec chacun des trois autres membres du groupe de Viegrad sont de niveau inégal :

- le pays a partagé une longue histoire avec la République tchèque, qui continue d'être un partenaire privilégié. Ainsi la première visite officielle d'un chef de gouvernement slovaque a-t-elle traditionnellement lieu à Prague ;

- avec la Pologne, les relations sont bonnes et régulières, centrées sur la coopération transfrontalière et les questions énergétiques ;

- avec la Hongrie , en revanche, les relations sont complexes , quoiqu'en voie d'apaisement .

Des relations slovaquo-hongroises traditionnellement passionnelles

Les relations entre la Slovaquie et la Hongrie sont complexes et souvent difficiles . Elles sont en effet marquées par des événements historiques éventuellement douloureux, voire dramatiques : conditions de la création de la Tchécoslovaquie au lendemain de la Première Guerre mondiale (traité de Trianon), décrets Bene 16 ( * ) , invasion du territoire slovaque en 1968 par les forces du Pacte de Varsovie, dont des troupes hongroises, etc.

Le tracé des frontières successives au XX e siècle s'est traduit par la présence d'une importante minorité magyarophone en Slovaquie, environ 550 000 personnes, concentrée dans le sud du pays. Cette minorité est organisée, y compris sur le plan politique. Néanmoins, le parti proche du Premier ministre hongrois, Viktor Orban, est en perte de vitesse par rapport à l'autre parti, ouvert au rapprochement avec les Slovaques. Les revendications, voire l'irrédentisme de la minorité hongroise sont à l'origine de la non-reconnaissance de l'indépendance du Kosovo par Bratislava .

Les relations slovaquo-magyares ont récemment évolué .

Elles se sont franchement détériorées lors du premier mandat de Robert Fico à la tête du gouvernement slovaque, de 2006 à 2010, alors qu'il était allié avec le parti nationaliste SNS, parfois provocateur envers la Hongrie. En 2010, les deux pays adoptèrent des lois relatives à la citoyenneté qui ont envenimé ces relations : après que la Hongrie eut adopté une loi simplifiant l'accès à sa citoyenneté pour les minorités hongroises à l'étranger, le gouvernement slovaque a prévu la déchéance de la citoyenneté slovaque pour tout Slovaque acquérant une citoyenneté étrangère hors mariage et filiation. De fait, cette loi slovaque a manqué sa cible car elle n'a pas tant concerné les personnes ayant acquis la citoyenneté hongroise que celles qui en ont adopté une autre, en particulier tchèque, allemande et autrichienne.

Depuis le retour au pouvoir du SMER-SD, les relations entre les deux pays se sont apaisées . Les responsables slovaques, qui ont effectué plusieurs déplacements officiels en Hongrie, accordent la priorité aux échanges économiques et évitent de surenchérir en cas de provocations de groupes nationalistes hongrois.

L'organisation, à Bratislava, les 12 et 13 juin 2013, du XVIII e Sommet des chefs d'État et de gouvernement d'Europe centrale et orientale , a permis au pays d'affirmer sa place dans la région. Si ce sommet, qui a surtout porté sur des questions économiques, n'a pas donné lieu à l'adoption d'une déclaration politique, il a constitué la plus importante rencontre diplomatique organisée en Slovaquie depuis son indépendance, 20 chefs d'État et de gouvernement, ainsi que le président du Conseil européen, Herman Van Rompuy, y étant présents 17 ( * ) .

En lien avec sa position géographique en Europe, la Slovaquie soutient la politique d'élargissement de l'Union européenne , en particulier dans les Balkans occidentaux - Robert Fico a, par exemple, regretté que le statut de pays candidat à l'adhésion n'ait pas été accordé à l'Albanie en décembre dernier -, mais aussi à l'égard de la Turquie.

Elle est favorable au développement de la politique européenne de voisinage à l'est et soutient le Partenariat oriental, lancé en 2009, sans pour autant se désintéresser au sud.

Sur la crise ukrainienne , la Slovaquie a exprimé sa déception devant le refus de Kiev de signer l'accord d'association avec l'Union européenne, tout en se montrant critique envers la démarche, selon elle intransigeante, de Bruxelles dans ses négociations avec Kiev. Pour autant, les autorités slovaques considèrent que l'Union européenne doit continuer de « tendre la main » à l'Ukraine afin de ne pas l'isoler. Ainsi Peter Javorcik, le secrétaire d'État aux affaires européennes, a estimé devant vos rapporteurs qu'il convenait d'engager « un dialogue constructif » avec l'Ukraine, tout en reconnaissant que celui-ci n'aboutirait pas avant trois à cinq ans. Au-delà de sa position de principe sur l'élargissement, la Slovaquie a de toute façon intérêt à voir ses échanges commerciaux se multiplier avec son voisin ukrainien, ce qui ne pourrait être que bénéfique à l'essor économique de ses régions orientales.

Parallèlement, la Slovaquie entretient avec la Russie une relation empreinte de pragmatisme , aussi pour d'évidentes raisons historiques. Les intérêts russes sont en effet très présents dans le pays, en particulier dans le secteur de l'énergie : la Slovaquie, pays de transit pour le gaz russe vers de nombreux pays européens, est elle-même fortement dépendante du gaz et des hydrocarbures russes, ainsi que du combustible nucléaire pour ses centrales.

2. Un pays dans le « noyau dur » de l'Union européenne
a) Une politique aujourd'hui clairement pro-européenne

La Slovaquie compte parmi les États européens les plus favorables à l'intégration . Elle fêtera, le 1 er mai 2014, le dixième anniversaire de son adhésion à l'Union européenne, qu'elle a rejointe à l'issue d'un référendum ayant accordé plus de 92 % au « oui ». Elle appartient également à l'espace Schengen depuis décembre 2007 et, seul membre du groupe de Viegrad dans ce cas jusqu'à présent, à la zone euro depuis le 1 er janvier 2009. Elle a vécu ces étapes successives comme un signe de son appartenance à l' « élite » de l'Union européenne, dont elle exercera la présidence tournante, pour la première fois, au second semestre 2016.

L'attribution, en 2013, du statut de capitale européenne de la culture à Koice, la principale ville de l'est du pays, qu'elle a partagé avec Marseille, a également contribué à accroître la visibilité de la Slovaquie en Europe 18 ( * ) .

Dans ce contexte favorable, la Slovaquie se veut un État membre « modèle » au sein de l'Union européenne et entend participer pleinement au débat sur l'avenir de l'Europe.

Il est vrai que la situation politique intérieure entre 2010 et 2012, et ses conséquences sur la politique européenne du pays, n'avaient pas manqué d'inquiéter dans les capitales européennes. La coalition de quatre partis de droite alors au pouvoir était divisée sur l'aide à apporter aux pays de la zone euro confrontés à la crise des dettes souveraines. La Slovaquie a été le dernier membre de l'eurozone, en octobre 2011, à accepter l'élargissement du Fonds européen de stabilité financière (FESF), entraînant la chute du gouvernement Radicova . Cet épisode a indéniablement laissé des traces et conduit à s'interroger sur les convictions européennes des dirigeants slovaques.

Aussi Robert Fico est-il très attaché à apparaître comme un chef de gouvernement crédible en Europe . Il peut d'ailleurs, à juste titre, se prévaloir d'avoir largement contribué, lors de son premier mandat, entre 2006 et 2010, à l'entrée de son pays dans l'espace Schengen et à l'adoption de la monnaie unique. Les observateurs considèrent aujourd'hui la politique pro-européenne du gouvernement Fico comme claire et lisible .

La crise économique a, comme ailleurs en Europe, fait apparaître un certain euroscepticisme . Dans le cas de la Slovaquie, il s'agit plutôt d'un retour à davantage de réalisme. Les représentants des think tanks que vos rapporteurs ont rencontrés ont expliqué que la crise avait fait entrer de plain-pied la politique européenne dans le débat public national. Alors que le pays était initialement « euro-optimiste », voire « euro-enthousiaste », la crise a modifié la perception qu'avait jusque-là la population slovaque de l'impact de l'Europe sur son pays . La contribution slovaque au plan d'aide à la Grèce a conduit à un débat, jusqu'alors inédit, sur la perte de souveraineté du pays, contraint d'assister un État considéré comme plus prospère. Les Slovaques ont alors pris conscience de l'influence de la législation communautaire dans leur vie quotidienne et des conséquences de la solidarité européenne, qui pouvait profiter à d'autres qu'eux. Le sentiment pro-européen de la population a ainsi diminué, passant de 65 % en 2009 à moins de 50 % depuis la fin 2012. La crise a indéniablement brisé le consensus politique sur l'appartenance de la Slovaquie à l'Union européenne et à l'Union économique et monétaire. Celle-ci, d'abord unanimement perçue comme un facteur de stabilité, en particulier eu égard à la situation très difficile que connaissaient alors les États voisins hors zone euro, la Hongrie par exemple, a fini par apparaître comme une contrainte avec la poursuite de la crise et les plans de sauvetage successifs des États au bord de la faillite.

Pour autant, l'opinion publique slovaque reste l'une des plus pro-européennes. Fait notable, la population a davantage confiance dans les institutions européennes que dans les institutions nationales, judiciaires en particulier. L'Eurobaromètre accompagnant le rapport de la Commission européenne sur la lutte contre la corruption indique ainsi que les Slovaques jugent leurs institutions plus corrompues que les institutions européennes. Par ailleurs, selon un sondage de janvier 2014 sur la perception de l'euro par la population slovaque, 59 % des personnes interrogées voient la monnaie unique de manière positive, soit légèrement plus qu'en novembre 2013 (56 %), mais sensiblement moins qu'en 2011 (70 %), alors que 37 % souhaiteraient le retour à la couronne. Les entrepreneurs partagent ce sentiment sur ce bilan globalement positif, estimant que la monnaie unique a contraint les gouvernements successifs à une politique fiscale plus cohérente et à plus de constance dans la conduite des réformes. Ils sont également très attachés à la suppression des coûts de transaction et des risques liés aux taux de change dans une économie dont près de 50 % des exportations sont destinées à la zone euro.

En outre, les partis politiques eurosceptiques, en particulier le SaS, qui avait provoqué la chute du gouvernement Radicova et la fin de la coalition de droite en novembre 2011, ne se prononcent pas pour la sortie de la Slovaquie de l'Union européenne, mais contre l'approfondissement de l'intégration. Ils sont également favorables à une plus grande application du principe de subsidiarité et à un recentrage de l'Union sur le marché intérieur.

b) D'évidents bénéfices européens

La Slovaquie a beaucoup gagné à avoir rejoint l'Union européenne et l'Union économique et monétaire. Ce constat est largement partagé dans le pays, tant par les autorités qu'au sein de la population.

Son appartenance à la zone euro a attiré de nombreux investisseurs, en particulier d'Europe occidentale. Elle a considérablement accéléré son développement économique et contribué à une augmentation du niveau de vie de la population slovaque, même si les inégalités se sont creusées.

La Slovaquie bénéficie également de la solidarité européenne , les fonds européens représentant 75 % de l'investissement public dans le pays. Celui-ci a été doté de 11,63 milliards d'euros au titre des fonds de cohésion (surtout la politique de cohésion et la politique agricole commune) sur la période 2007-2013 et fait partie des bénéficiaires nets. Cette dotation sera en hausse au titre du cadre financier pluriannuel 2014-2020 , soit un solde positif de 13 milliards d'euros (+ 1,5 milliard). La position française sur ce cadre financier au cours des négociations, en particulier sur la réforme de la PAC, était de facto très favorable aux intérêts slovaques.

Le pays est cependant confronté à de sérieuses difficultés d'absorption de ces crédits . À la fin août 2013, le taux de consommation des fonds européens s'établissait à 44,6 %, celui-ci étant certes en hausse mais demeurant insuffisant, en particulier pour la science et la recherche, l'éducation, l'environnement et surtout les transports. Cette situation se traduit par une réduction des crédits alloués, 3 millions d'euros en 2012 et une somme estimée entre 300 et 600 millions d'euros en 2013. Elle s'explique par des lourdeurs administratives, un manque de compétences dans le montage des projets et la corruption, ainsi que par la politique budgétaire conduite qui se traduit par des coupes dans les dépenses et des reports de projets. Le gouvernement plaide à Bruxelles pour une plus grande flexibilité dans l'utilisation des fonds européens, mais le risque pour lui d'être privé d'une partie de ces fonds est d'autant plus grand que la moitié de l'enveloppe totale, soit 6 milliards d'euros, devrait être consommée en deux ans, ce qui paraît difficilement réalisable. Cette situation met surtout en évidence la nécessité d'une meilleure coordination dans l'usage de ces fonds.

L'ensemble des représentants de la société civile et des think tanks slovaques rencontrés par vos rapporteurs ont souligné la persistance du sentiment pro-européen dans l'opinion publique, tout en estimant que les autorités devraient communiquer bien davantage sur les bénéfices tirés par la Slovaquie et ses habitants de l'appartenance à l'Union européenne et à la zone euro. En mai 2013, le gouvernement avait initié une convention nationale sur l'Union européenne ayant notamment pour objectif de la rapprocher des citoyens. De même, en vue des prochaines élections européennes, le ministère des affaires étrangères et européennes, conjointement avec la Commission européenne et le Parlement européen, a organisé une série d'événements à visée pédagogique sur l'Union européenne.

c) Des positions européennes proches de celles de la France

Sur de nombreux dossiers européens, le gouvernement slovaque défend des positions proches de celles de la France.

C'est le cas des mesures en faveur de la croissance et de l'emploi , que le Président François Hollande a portées dès son élection au printemps 2012. Le président de la commission des affaires européennes du Conseil national, ¼ubo Blaha, a d'ailleurs appuyé les initiatives françaises en faveur de la relance de l'intégration européenne et du développement de sa dimension sociale. La Slovaquie souffrant d'un important chômage des jeunes, parmi les plus élevés en Europe (34 %), elle a également soutenu les dispositifs favorables à l'emploi des jeunes, dont la « garantie jeunesse » .

Le gouvernement slovaque est également partisan d'une meilleure coordination des politiques macroéconomiques , réalisée dans le cadre du semestre européen, pourvu que l'exercice ne prenne pas un tour excessivement bureaucratique et ne soit pas exclusivement consacré à des mesures d'austérité. Il avait d'ailleurs soutenu le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) au sein de l'Union économique et monétaire. Il défend la mise en place rapide de l' union bancaire et le principe d'un budget de la zone euro et se montre favorable à la réforme du système de ressources propres . Il a pris position pour le principe de l'introduction d'une taxe sur les transactions financières et participe à cette coopération renforcée, tout en éprouvant quelques inquiétudes sur les effets négatifs de sa mise en oeuvre, en particulier sur la liquidité de son système bancaire. Il est aussi pour la suppression des mécanismes de correction , dont le fameux « rabais britannique ».

En revanche, le gouvernement slovaque est plus prudent sur l'harmonisation fiscale et sociale , recherchée notamment par Paris et Berlin, en raison de l'avantage comparatif que constitue le faible coût du travail, qui pourrait nuire à la compétitivité du pays. Cette question rejoint le débat plus large en Slovaquie des conséquences des transferts de compétences sur la compétitivité. S'il a accueilli de façon positive la communication de la Commission européenne sur la dimension sociale de l'UEM, il ne souhaite pas que les indicateurs sociaux retenus introduisent des obligations supplémentaires. Pour les mêmes raisons, il est réservé quant à la fixation d'objectifs ambitieux, au seul niveau européen, en matière de lutte contre le réchauffement climatique .

La position slovaque sur la défense européenne pourrait même évoluer en direction de notre pays . En effet, le gouvernement, en dépit du tropisme traditionnellement atlantiste de la Slovaquie, donne des signes de rapprochement avec la France sur la politique de sécurité et de défense commune (PSDC). Un dialogue est ainsi noué sur les questions de défense et de sécurité, sur la modernisation et l'organisation des forces ainsi que sur l'engagement en Afrique (Mali, République centrafricaine). La Slovaquie a apporté son soutien politique à la mission EUFOR RCA et a mis un officier à disposition du centre de commandement de Larissa. Les discussions sont toutefois toujours en cours sur la forme que pourrait prendre son éventuelle contribution au fonctionnement de cette mission. Les autorités slovaques privilégieraient de toute façon le format du groupe de Viegrad.


* 16 Certains de ces décrets contiennent des mesures relatives à l'expropriation et à l'expulsion de Hongrois de Slovaquie après la Seconde Guerre mondiale.

* 17 Dont les présidents serbe et kosovar, alors que la Slovaquie continue de ne pas reconnaître le Kosovo.

* 18 Sur Koice 2013, voir le III du présent rapport.

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