Audition de M. Gérard Grignon, Président de la délégation à l'outre-mer du Conseil économique, social et environnemental

M. Serge Larcher , président

Nous avons le plaisir d'accueillir M. Gérard Grignon, président de la délégation à l'outre-mer du Conseil économique, social et environnemental (CESE) et auteur d'un excellent rapport publié en octobre 2013 sur l'extension du plateau continental. Monsieur le président, vous êtes originaire de Saint-Pierre-et-Miquelon et, précisément, nous évoquions avec le Secrétaire général de la mer les perspectives d'extension du plateau continental de ce territoire et les risques de contestation par le Canada.

M. Gérard Grignon, président de la délégation à l'outre-mer du Conseil économique, social et environnemental

La Délégation à l'outre-mer du Sénat travaille actuellement sur le thème des zones économiques exclusives (ZEE), sujet majeur car, vous le savez, le chiffre d'affaires des activités maritimes s'élève à 1 500 milliards d'euros, ce qui en fait le deuxième secteur économique mondial après l'agroalimentaire. Or, la mer c'est l'outre-mer ! C'est en effet par ses territoires ultramarins que la France occupe le deuxième espace maritime au monde. On a pris l'habitude de reprocher à l'outre-mer d'être complètement dépendant de l'hexagone, alors qu'il peut apporter beaucoup, notamment grâce sa ZEE prolongée par les extensions de son plateau continental prévues par l'article 76 de la convention de Montego Bay.

Le rapport et l'avis du CESE traitent exclusivement de l'espace constitué par le sol et le sous-sol marin au-delà des 200 milles de la ZEE, et dont la colonne d'eau surjacente est située dans la Zone, espace maritime géré par l'Autorité internationale des fonds marins (AIFM) au bénéfice de la communauté internationale. Ce plateau continental étendu peut aller jusqu'à 350 milles des côtes.

Grâce aux territoires ultramarins, présents sur quatre océans, la France a la possibilité d'acquérir des droits souverains sur les ressources du sol et du sous-sol marins de près de deux millions de km 2 supplémentaires, soit quatre fois la superficie du territoire national, outre-mer compris, venant s'ajouter aux 11 millions de km 2 de la ZEE.

La convention de Montego Bay de 1982, qualifiée de véritable constitution des océans ratifiée par 165 États - dont l'Union européenne - dispose en effet en son article 76 que les pays côtiers peuvent étendre leur juridiction sur le plateau continental plus loin que les 200 milles lorsque le rebord externe de leur marge continentale s'étend au-delà. Les demandes d'extension sont étudiées par la commission des limites du plateau continental (CLPC), instance scientifique composée de 21 spécialistes de géophysique, d'hydrographie et de géologie, élus par les États parties à la convention. Il revient à l'État côtier d'apporter les preuves scientifiques justifiant des limites extérieures de son plateau continental étendu. La CLPC est opérationnelle depuis 2000 ; les dossiers qu'elle examine ne sont pas politiques mais uniquement scientifiques. Les pays côtiers disposaient de dix ans après la date de ratification de la convention de Montego Bay pour déposer leur demande d'extension.

L'Australie, qui possède la troisième superficie maritime au monde, a déjà déposé toutes ses demandes et obtenu de la CLPC des recommandations favorables à une augmentation de son plateau continental de 2 500 000 km². Les estimations du Service hydrographique et de la marine (SHOM) et de l'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (IFREMER) portent à 2 millions de km 2 supplémentaires les extensions possibles pour la France dans le cadre de l'article 76 de la convention dont 97 % grâce aux territoires ultramarins. L'extension du plateau continental de l'hexagone se limite en effet au golfe de Gascogne, soit 80 000 km² que nous avons obtenus lors du dépôt d'un dossier commun avec le Royaume-Uni, l'Espagne et l'Irlande, mais qui ne sont pas encore répartis.

Les enjeux de l'extension du plateau continental au-delà des 200 milles marins sont importants puisqu'ils portent sur :

- l'affirmation de la juridiction française sur l'espace du plateau continental et de ses droits souverains sur ses ressources naturelles ;

- la connaissance et la préservation de ses ressources et de l'environnement marin dans le cadre d'un développement durable ;

- la mise en valeur de l'espace du plateau continental étendu et des ressources qu'il renferme au bénéfice des collectivités ultramarines et des populations ;

- et sur le renforcement du rôle géostratégique de notre pays et de l'Union européenne dans le monde.

La France a ratifié la convention de Montego Bay en 1996 ; elle avait donc jusqu'en 2006 pour déposer tous ses dossiers, cette échéance ayant été reportée à mai 2009 par la CLPC. Pour ce faire, notre pays a mis en place le programme dit d'extension raisonnée du plateau continental (EXTRAPLAC).

Quel est le bilan du programme dix ans après son lancement ? Cinq demandes (relatives au Golfe de Gascogne, à la Guyane, à la Nouvelle-Calédonie pour une partie seulement, aux Antilles, et à Kerguelen) ont été déposées et ont fait l'objet de recommandations de la CLPC. Quatre demandes (concernant l'Archipel de Crozet, La Réunion, les îles Saint-Paul et Amsterdam ainsi que Wallis-et-Futuna) sont en attente d'examen devant la commission, celle de Wallis-et-Futuna n'ayant été déposée qu'en décembre 2012. Les demandes portant sur Saint-Pierre-et-Miquelon et la Polynésie sont à déposer à la suite des informations préliminaires adressées à la CLPC en mai 2009. Une information préliminaire sur Clipperton a été déposée puis retirée deux jours après et le dossier de Terre Adélie fait l'objet de réserves de droits de dépôt pour l'avenir. Enfin, six dossiers n'ont pas été déposés : ils concernent Saint-Barthélemy, Saint-Martin, les îles Glorieuses, Juan de Nova, Bassas de India, Europa et Mayotte.

Au final, la souveraineté sur les ressources naturelles de 600 000 km² supplémentaires environ a été à ce jour obtenue. Les auditions que nous avons menées nous ont conduits à dresser un bilan mitigé d'EXTRAPLAC. Le CESE estime ainsi que le budget du programme était insuffisant pour atteindre les objectifs fixés par les Comités interministériels à la mer (CIMER) successifs, ces derniers ne s'étant pas réunis une seule fois entre 2003 et 2009, période de l'exécution du programme...

L'objectif initial était de déposer l'ensemble des dossiers avant le 13 mai 2009, de disposer d'une connaissance des ressources (hydrocarbures, sulfures hydrothermaux, encroûtements cobaltifères, terres rares etc.) du sol et du sous-sol marins du plateau continental étendu, de coordonner les actions des différents ministères concernés et de publier les limites extérieures du plateau continental étendu dans le cadre des recommandations de la CLPC. Or, aucune de ces limites n'a été publiée à ce jour. À quoi bon obtenir des droits souverains sur 600 000 km 2 supplémentaires ou sur 2 millions de km 2 demain si nous n'en faisons rien ?

Pour atteindre les objectifs fixés par les différents CIMER et permettre à la France de mettre en oeuvre une véritable politique maritime, le CESE préconise, d'une part, de finaliser le programme EXTRAPLAC et, d'autre part, d'adopter une attitude exemplaire de la France face à ce nouvel espace maritime.

La finalisation du programme EXTRAPLAC suppose :

- que son financement soit assuré. L'enveloppe globale d'une vingtaine de millions d'euros engagée par la France nous est apparue faible comparée aux 100 millions d'euros engagés par le Canada et aux 40 millions d'euros du Danemark ;

- de déposer auprès de la CLPC les demandes relatives à Saint-Pierre-et-Miquelon et à la Polynésie Française, cette dernière représentant la moitié de l'extension de plateau continental susceptible d'être demandée. Je ne reviendrai pas sur Clipperton où la souveraineté française et contestée par le Mexique, ni sur la contestation des îles Matthew et Hunter par le Vanuatu qui a conduit à déposer le dossier relatif à la Nouvelle-Calédonie en deux parties ;

- de publier, au fur et à mesure et dans les meilleurs délais, les limites sur la base de recommandations émises par la CLPC afin de les rendre opposables aux pays tiers. Cela permet par exemple de sécuriser les compagnies pétrolières au large de la Guyane, région pour laquelle nous avons obtenu une recommandation de la CLPC en 2009 et où rien n'a encore été publié... La publication des limites n'a pas été budgétée alors que pour la plupart des régions elle nécessite la conclusion ou la finalisation d'accords de délimitation avec les pays voisins ;

- de conforter les moyens budgétaires et humains de la CLPC - sujet évoqué lors du CIMER de 2013. Notre délégation estime inconcevable qu'un pays doive attendre quinze ou vingt ans avant de voir son dossier examiné, comme ce sera le cas des dernières demandes déposées par la France. N'avoir pas été en mesure de déposer nos dossiers avant mai 2009 a fait prendre à la France un retard considérable pour les dossiers qui ont fait l'objet de demandes préliminaires. Par exemple, si le dossier de Saint-Pierre-et-Miquelon était déposé, il ne serait pas étudié avant 2030 compte tenu du rythme de travail de la CLPC. Quant au dossier polynésien, je doute qu'il soit déposé en 2014 comme cela était prévu car aucune étude n'est faite pour prolonger celles menées aux Marquises ; il ne le sera peut-être qu'en 2015. Or, le Canada qui vient de déposer son dossier est déjà en soixante-dixième position sur la liste des demandes adressées à la commission et cette dernière n'examine actuellement - me semble-t-il - que les dossiers du dix-huitième au vingt-et-unième pays demandeurs... Le dossier canadien ne sera donc pas traité avant 2026.

Au-delà de la finalisation du programme EXTRAPLAC, le CESE a formulé des préconisations relatives à la politique maritime de la France qui intéressent aussi la gestion de la zone économique exclusive.

Nous recommandons d'engager un programme national, pluridisciplinaire et ambitieux portant sur la connaissance, l'identification et la quantification des ressources du sol et du sous-sol du plateau continental étendu. En effet presque rien n'a été fait sauf aux Marquises très récemment, à Wallis-et-Futuna et dans le cadre du programme EXTRAPLAC auquel, du fait du manque de moyens, se sont associés des organismes comme TECHNIP ou l'Institut français du pétrole et des énergies nouvelles. Il n'y a pas eu de programme national d'identification des ressources du plateau continental étendu ni, a fortiori , de la zone économique exclusive.

Enfin, nous recommandons également de mettre en place, en lien avec le « programme mer », un programme de recherche scientifique marine avec pour objectif la connaissance des écosystèmes et des milieux marins car, en touchant au milieu marin, en particulier en eaux profondes, on risque d'occasionner des perturbations considérables. Il faut concilier connaissance des ressources et connaissance des écosystèmes et des habitats marins. Ces programmes ambitieux coûtent de l'argent et nous considérons que l'Union européenne et le secteur privé doivent y être associés.

Si la connaissance de la vie en milieu marin est un préalable incontournable aux activités d'exploration et d'exploitation des ressources, le devoir de notre pays est aussi d'être exemplaire dans l'encadrement juridique de ces dernières. C'est d'autant plus indispensable que notre code minier - dont la réforme est un véritable serpent de mer - est désuet ; il doit être adapté à la situation spécifique des espaces maritimes. Je rappelle qu'en 1993, mesdames et messieurs les parlementaires avez voté la fin de la fiscalité sur l'exploitation des hydrocarbures offshore . On a purement et simplement supprimé la ligne du code minier établissant cette fiscalité. Aussi, en qualité de député de Saint-Pierre-et-Miquelon, collectivité qui a la maîtrise de sa fiscalité, j'ai, lors de l'examen de la loi de finances pour 1997, fait adopter un amendement instituant une redevance sur les exploitations d'hydrocarbures au large des côtes dont le taux et l'assiette étaient fixés par le conseil général (par le conseil territorial aujourd'hui). Cette disposition est le seul cas d'espèce dans la République française, sous réserve de l'amendement voté à l'initiative de votre collègue M. Georges Patient, sénateur de la Guyane, prévoyant une redevance d'un maximum de 12 % sur la production d'hydrocarbures offshore . Mais quel en sera exactement le taux ? Qu'entend-on par production ? Cet amendement est-il toujours valable dans le cadre de la réforme du code minier proposé par M. Thierry Tuot ?

Ayant eu des entretiens avec différents responsables locaux, nous avons aussi constaté que, la plupart du temps, les élus des territoires ultramarins ont été tenus à l'écart du programme EXTRAPLAC. À Wallis-et-Futuna, ils n'avaient même pas été prévenus de la venue du bateau de l'IFREMER pourtant chargé de recherches d'une importance toute particulière. Lorsqu'ils ont voulu en savoir plus et visiter ce bateau, les services de l'État leur auraient même fait quelques difficultés. Nous recommandons donc que les exécutifs des différentes collectivités ultramarines soient étroitement et constamment impliqués dans les décisions et opérations qui touchent à la politique de la mer et que les acteurs de la société civile y soient associés.

De la même façon, il conviendra de prendre les dispositions permettant à nos territoires ultramarins d'accéder à des ressources nouvelles et à la création des activités économiques susceptibles de compenser leurs handicaps structurels. En tant que de besoin, des dispositions législatives et réglementaires relatives aux compétences des collectivités ultramarines devront être adaptées en ce sens et effectivement appliquées.

Les travaux que vous menez sont complémentaires des nôtres. Il faut que tout cela débouche sur une sensibilisation réelle des grands élus et des responsables nationaux quant à la nécessité de mener une politique digne du pays qui dispose du deuxième espace maritime du monde.

Considérant la nécessité d'une approche écosystémique, concertée et collaborative des questions maritimes, leur forte dimension interministérielle et l'éclatement des crédits budgétaires qui leur sont consacrés, nous préconisons que la politique de la mer soit pilotée par un haut-commissaire ayant rang de ministre placé sous l'autorité directe du Premier ministre et s'appuyant sur une administration étoffée dirigée par le secrétaire général à la mer.

Voici résumé l'essentiel du rapport du CESE dont vous avez tous été destinataires.

M. Serge Larcher , président

Merci pour cette présentation. Vous établissez un lien entre la suppression en 1993 de la ligne consacrée à la fiscalité de l'exploitation de pétrole offshore et le rapport de M. Thierry Tuot sur la réforme du code minier. Or, ce type de dispositions ne relèvent-elles pas de la loi de finances plutôt que du code minier ?

M. Gérard Grignon

Mon amendement de 1997 relatif à Saint-Pierre-et-Miquelon a été adopté en loi de finances et s'est traduit par une modification du code minier. De même, pour 1993, reprenez les débats parlementaires : c'est bien lors de l'examen de la loi de finances que la ligne du code minier sur la fiscalité des exploitations d'hydrocarbures a été supprimée par un amendement déposé à l'Assemblée nationale par M. Philippe Auberger, rapporteur général du budget.

M. Jean-Étienne Antoinette , co-rapporteur

Le rapport sur la réforme du code minier préconise une répartition de la fiscalité à raison de 70 % pour les collectivités et 30 % pour l'État.

Quant au rapport du CESE, il propose des transferts de compétences. Or, la loi d'orientation pour l'outre-mer avait déjà prévu - par exemple pour la Guyane - que les permis soient délivrés par le conseil régional, mais les décrets d'application n'ont pas été pris. Par quels moyens législatifs ou réglementaires pensez-vous que des avancées pourront être faites sur ces sujets ?

M. Gérard Grignon

Cette question sort un peu de notre travail. Il faut distinguer les territoires comme la Nouvelle-Calédonie qui est à même de délivrer les permis et qui élabore son propre code minier - il en est un peu de même en Polynésie - et les collectivités pour lesquelles la compétence de délivrance des permis a été transférée sans que les décrets soient pris. C'est par exemple le cas de Saint-Pierre-et-Miquelon. Mais au-delà de la compétence juridique, il faut disposer de la capacité effective d'attribuer les permis, ce qui nécessite de disposer des personnels administratifs et juridiques adaptés en nombre et en compétences. À Saint-Pierre-et-Miquelon, une société pétrolière a demandé un permis il y a quatre ou cinq ans et aucune décision n'a encore pu être prise. Il n'est tout de même pas normal que l'on paralyse la vie économique d'un pays parce qu'un décret n'est pas pris ou faute de concertation entre l'État et la collectivité ! Le dossier est entre les mains des ministères de l'industrie et de l'écologie. Certes on a pu dire qu'il n'y avait pas de pétrole à Saint-Pierre-et-Miquelon, mais on sait aujourd'hui qu'il y en a. Comme en Guyane toutefois, il ne suffit pas d'un seul forage pour le localiser.

M. Richard Tuheiava , co-rapporteur

Nous savons que le CESE a la possibilité d'émettre des avis relativement libres. Vos travaux nous confirment que, bien que la France dispose de la seconde superficie maritime mondiale, sa politique maritime n'est - pour reprendre les termes de votre rapport - « pas suffisamment ambitieuse ». C'est paradoxal...

M. Gérard Grignon

Absolument.

M. Richard Tuheiava , co-rapporteur

De plus, la situation est assez disparate en termes de gouvernance de l'outre-mer puisque l'on opère un traitement au cas par cas. Pour certains territoires, il y a même un relâchement du lien ; par les compétences transférées, on demande par exemple à la Nouvelle-Calédonie ou à la Polynésie de mener leurs propres politiques maritimes locales.

Quel regard portez-vous sur la gouvernance actuelle des ZEE ? Au-delà des préconisations de l'avis, avez-vous un sentiment plus tranché sur la question ?

M. Gérard Grignon

Oui, nous avons un regard un peu plus tranché. Comme vous le savez, le CESE est la troisième assemblée constitutionnelle française rendant des avis sur saisine du Gouvernement et, désormais, du Parlement. Nous ne sommes toutefois pas si libres car autour de la table, toutes les tendances de la société française sont représentées : entreprises, associations ou syndicats, du Mouvement des entreprises de France (MEDEF) à la CGT. Et puis, les membres du CESE sont très présents. Ce rapport a été voté à l'unanimité, ce qui assez rare. Il y avait 180 conseillers, les 180 l'ont voté et, avant d'arriver en séance plénière, il a été adopté en délégation de l'outre-mer par des membres appartenant à des familles de pensées très différentes. Si ce rapport et l'avis ont fait consensus, ils sont néanmoins objectifs. Le but n'est pas de faire plaisir ; nous faisons un constat de la politique française.

Nous ne sommes pas beaucoup aidés dans notre tâche mais cela dépend aussi du rapporteur et de ceux qui l'entourent. Par exemple, lorsque le Canada a déposé le 6 décembre 2013, exactement comme écrit dans notre rapport adopté en délégation au mois d'avril, une demande d'extension chevauchant totalement le plateau continental étendu que la France doit revendiquer, j'ai écrit au ministre de l'outre-mer pour l'interroger sur l'attitude du gouvernement français. Il m'a rappelé les engagements du Président de la République à déposer le dossier français, pris devant les deux parlementaires de l'archipel à l'Élysée et par un communiqué. Puis, c'est M. Jean-Marc Ayrault qui m'a répondu en me disant que le dossier serait déposé. On les tenaille ; c'est une question de suivi. De même, j'ai interrogé le ministre des outre-mer sur le degré d'avancement du dossier polynésien dont le dépôt était prévu pour début 2014. Cela supposait d'étudier huit zones intéressantes et, à notre connaissance, l'IFREMER n'a pas encore eu l'instruction pour finaliser le dossier de telle façon qu'il soit déposé dans les délais. Nous suivons aussi au plus près ce qui se passe pour Clipperton. C'est notre travail...

Le rapport Lauvergeon sur l'innovation intitulé « Un principe et sept ambitions » préconise d'investir dans la connaissance des ressources du sol et du sous-sol marins car, outre du pétrole et du gaz, on y trouve des sulfures hydrothermaux ou des terres rares. Or, il n'y a pas de développement industriel possible à long terme sans sécurisation de nos approvisionnements en terres rares, matières qui entrent notamment dans la composition des smartphones, des écrans plats ou des circuits intégrés. Dans des secteurs comme la chimie, la pharmacie, l'automobile ou l'aéronautique, les emplois liés à l'utilisation de ces ressources étaient au nombre de 700 000 en 2010 et représentaient 23 % de la valeur ajoutée industrielle française. En 2030, ce chiffre devrait être de 33 % de la valeur industrielle française. Les amas cobaltifères de Polynésie et les sulfures hydrothermaux autour de Clipperton - identifiés grâce aux études faites de l'îlot dans la zone internationale - sont des réservoirs de terres rares. On le sait, mais que fait-on ? Un autre rapport du commissariat général à la stratégie et à la prospective indique qu'en 2010 la Chine a réduit ses exportations de terres rares de 50 % et qu'en 2012, elle a représenté 80 % de leur production mondiale. Notre rôle est de tenailler le gouvernement jusqu'à obtenir une véritable politique maritime. Nous avons tout pour cela mais nous ne prenons pas les bonnes décisions. On se contente de faire des annonces. C'est vrai du CIMER de 2013 qui répète imparfaitement ce qui avait déjà été annoncé par le CIMER 2009, reprenant lui-même le CIMER 2003. Ce n'est pas le tout d'avoir des atouts, ce n'est pas le tout de faire des annonces politiques ; il faut mettre des moyens en face ! Nous tentons d'attirer l'attention là-dessus. Nous le faisons modestement mais c'est la pierre que nous tentons d'apporter.

M. Joël Guerriau , co-rapporteur

Quels moyens humains et financiers faudrait-il déployer pour mettre en oeuvre la politique ambitieuse que vous appelez de vos voeux ? Parmi vos quatre ordres de préconisations, vous n'évoquez pas les moyens de sécurisation de l'espace maritime nouveau alors qu'il semble qu'ils sont déjà insuffisants à l'intérieur des 200 milles marins.

M. Gérard Grignon

La présence de l'État en mer est bien entendu fondamentale. Il a été décidé dernièrement de faire construire par les chantiers Piriou deux ou trois bateaux offrant la possibilité d'y accrocher éventuellement de petits canons pour suppléer les bâtiments actuellement utilisés pour la surveillance de notre espace maritime. Le vieillissement des bateaux actuels est source d'inquiétudes exprimées récemment par l'amiral Rogel. Pendant que nous faisons l'annonce de ces deux bateaux, qui n'est qu'une reprise de la loi de programmation militaire 2009-2014 - non exécutée sans doute faute de moyens - le Canada a signé le 19 octobre 2011 un contrat de 25 milliards de dollars avec un chantier à Halifax pour la construction de 21 navires de combat représentant 11 500 emplois directs et indirects sur trente ans. Voilà ce qu'est une politique maritime ! S'agissant de la présence de l'État en mer, vous trouverez nombre de déclarations allant de l'ancien secrétaire général de la mer au discours du Havre de M. Nicolas Sarkozy etc. Ma seule réponse, c'est qu'il faut mettre les moyens. Où les trouver ? C'est une autre paire de manches au vu des difficultés actuelles. Mais au moins peut-on programmer les choses et commencer à les réaliser.

L'exemple du Canada n'est pas le seul. La présence en mer du Canada résulte d'une véritable décision tandis que nous, nous ne faisons que rattraper, très modestement, la loi de programmation militaire avec la commande de trois bateaux, petits, dont le chef d'état-major de la marine dit qu'ils seront nettement insuffisants et qu'ils ne seront pas opérationnels avant la période 2016-2024. Pardonnez-moi, je suis un peu critique mais je pense qu'il faut l'être. Nous sommes aussi là pour ça.

M. Serge Larcher , président

Le manque d'intérêt de l'État pour la régularisation de toutes les extensions ne vient-il pas de l'absence de maîtrise de l'exploitation des ressources en eaux profondes ?

M. Gérard Grignon

Il y a bien sûr le poids des environnementalistes mais la France dispose d'organismes comme l'IFREMER ou Technip, société de fabrication de construction d'engins spécialisés dans l'exploration et l'exploitation des grands fonds marins qui est reconnue mondialement pour sa compétence et sa technicité. Nous avons les moyens techniques et scientifiques. Reste à disposer des moyens politiques, mais c'est une autre affaire.

M. Serge Larcher , président

Je ne parlais même pas de problèmes d'argent mais simplement du fait que l'humanité ne maîtrise pas les technologies nécessaires à l'exploitation du minerai en eau très profonde. D'après les personnes que nous avions entendues, les difficultés existent même pour l'extraction de pétrole une fois passées certaines profondeurs.

M. Gérard Grignon

Connaissance des ressources et connaissance des écosystèmes et du milieu marin vont de pair. Le fait de disposer du deuxième espace maritime au monde et de pouvoir étendre sa souveraineté sur 2 millions de km² supplémentaires confère des devoirs à notre pays. C'est la raison pour laquelle j'en appelle à la volonté politique et à la mobilisation de moyens considérables, exigeant au minimum l'engagement de l'Union européenne et du secteur privé. L'État ne peut pas tout faire seul, surtout dans le contexte actuel.

M. Serge Larcher , président

Certes mais aucun pays, pas même les États-Unis, n'est parvenu à opérer en eau très profonde, ne serait-ce que pour des problèmes physiques de pression. D'où la nécessité de continuer les recherches et de cartographier les fonds marins pour savoir où se trouvent les ressources et en quelles quantités.

M. Gérard Grignon

J'attire votre attention sur l'expérience actuellement menée par Technip avec Nautilus. De même, je vous signale que la Chine a regroupé, à une centaine de kilomètres de Pékin, tous les moyens humains, techniques et scientifiques oeuvrant dans le domaine de l'exploration et de l'exploitation des ressources en eau profonde. Ils ont mis au point un sous-marin qui est pratiquement descendu au même niveau que le Nautilus. Ils avancent vite... Si nous ne nous en préoccupons pas, c'est la Chine, le Japon, la Corée, les États-Unis ou le Canada qui prendront la tête du mouvement car l'exploration des océans en eau profonde a commencé. Ne perdons pas de vue que 84 % des terres rares et 90 % des hydrocarbures sont situés sur le sol et dans le sous-sol marins.

M. Serge Larcher , président

Bien sûr, tout a un prix et lorsque l'homme aura épuisé les ressources qu'il s'est contenté de ramasser à fleur de sol, il faudra aller les chercher plus loin. Nous avons beaucoup regardé vers l'espace, ce qui nous a détournés de la conquête des océans. Aujourd'hui on se rend compte que c'est là que réside notre avenir. C'est la raison pour laquelle notre délégation a souhaité travailler sur ces questions qui mettent en lumière les atouts considérables dont dispose la Nation grâce à l'outre-mer. Le manque d'empressement à agir tient probablement aux limites financières et aux défis technologiques auxquels nous sommes encore confrontés. Mais en tous cas, une chose est sûre : il faut mener dès aujourd'hui les recherches destinées à trouver les procédés qui nous permettront d'exploiter les richesses que renferment le plancher et le sous-sol des océans.

M. Gérard Grignon

Oui, cela participe d'une politique maritime.

M. Charles Revet

Pour quelles raisons doit-on attendre 2030 pour obtenir les autorisations d'extension du plateau continental ? Quel type de commission décide ? Comment est-elle composée ?

J'avais participé à une conférence internationale pour le droit de la mer dans les années 80 où j'avais découvert l'existence des nodules polymétalliques. J'avais gardé en mémoire que l'on n'avait pas le droit de les exploiter. Est-ce toujours le cas ?

M. Gérard Grignon

L'exploitation des nodules est juridiquement possible bien que des questions techniques demeurent. Ils sont situés à une profondeur de 4 000 mètres, mais des autorisations d'exploiter peuvent être délivrées. Il s'agit en général de régions situées au-delà du plateau continental étendu, dans la Zone, administrée par l'AIFM. C'est donc cette dernière qui délivre les permis. À cette fin, elle a déjà rédigé une réglementation, une forme de code minier traitant de l'exploration et l'exploitation des nodules polymétalliques et des sulfures hydrothermaux, et elle a pratiquement terminé la réglementation relative aux amas cobaltifères. L'AIFM incite fortement les pays côtiers membres de la convention de Montego Bay à s'inspirer de son code minier lorsqu'ils rédigent ou modifient les leurs. Sur ce point, j'estime qu'un code minier national doit tenir compte de la situation spécifique du plateau continental étendu. Le plateau continental étendu - c'est-à-dire le sol et le sous-sol marin - est situé en haute mer (hors de la ZEE nationale) soumise au principe de la liberté de navigation ou de la pêche. Or, si vous accordez des permis d'exploration et d'exploitation sur le plateau continental étendu vous prenez le risques d'occasionner des nuisances dans les eaux internationales. Le code minier qui s'appliquera au plateau continental étendu doit prendre en compte ce paramètre ; il ne devrait pas se contenter de reproduite les règles applicables dans la ZEE.

Quant aux dossiers d'extension du plateau continental, ils sont examinés par la Commission des limites du plateau continental (CLPC), instance dépendant de l'ONU qui se réunit deux fois par an. Lorsque la CLPC a été créée, on pensait qu'une trentaine de pays allaient demander l'extension de leur plateau continental. Or, comme je vous l'ai dit : le Canada est en soixante-dixième position sur la liste d'attente et j'estime que des demandes pourraient être adressées par une centaine d'États environ. Compte tenu du rythme de réunion et du nombre de membres de la CLPC, ils ne peuvent pas aller plus vite. Les dossiers reçus sont des dossiers scientifiques très détaillés pesant parfois plusieurs centaines de kilos, notamment des relevés sismiques ou bathymétriques, etc. Il faut analyser toutes les données. Il est difficile d'aller plus vite avec les moyens actuels.

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