F. LA RÉFORME D'EUROJUST

Eurojust a connu des changements réglementaires importants. La décision qui l'a créée en 2002 a été modifiée en 2008. Le traité de Lisbonne a introduit de nouvelles modifications sur le régime juridique d'Eurojust. En juillet 2013, la Commission européenne a présenté deux propositions de règlement, l'une transformant Eurojust en agence européenne, l'autre prévoyant la création d'un Parquet européen.

Selon la Commission, la création du Parquet européen permettrait de lutter plus efficacement contre la criminalité touchant au budget de l'Union et donc à économiser des millions d'euros en période d'assainissement budgétaire.

Les difficultés auxquelles Eurojust peut être confrontée viennent souvent moins de la décision institutive elle-même que de la façon dont les États membres la mettent en oeuvre.

L'article 85 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne a ouvert, on l'a vu, de nouvelles perspectives pour Eurojust. Il renforce son rôle de coordination et améliore la coopération opérationnelle avec Europol, l'OLAF et à travers les équipes communes d'enquête. En outre, Eurojust doit faire l'objet d'une évaluation par le Parlement européen à laquelle sont associés les parlements nationaux. Enfin, l'article 86 du traité précise que le parquet européen doit être constitué à partir d'Eurojust.

1. Création du Parquet européen

La Commission européenne a souhaité lancer parallèlement la réforme d'Eurojust et la création du Parquet européen en mettant l'accent sur le lien d'Eurojust avec ce nouveau parquet. Eurojust peut apporter un support au Parquet européen au niveau opérationnel, par les liens qu'elle a noués avec les États tiers, par son expertise concernant les équipes communes d'enquête, par son rôle dans la mise en oeuvre des mandats d'arrêt européens. Elle peut en outre appuyer le Parquet européen au plan administratif et dans l'échange d'informations.

Le texte de la Commission européenne prévoit que le Parquet européen serait dirigé par un procureur européen qui serait assisté par des adjoints et par des procureurs délégués dans les États membres.

Depuis 2010, une « task force » est en place à Eurojust sur la création du Parquet européen. Des séminaires ont été organisés avec les experts des États membres, les institutions européennes et des universitaires. Des contacts ont été noués avec les parlements nationaux et avec le rapporteur du texte sur Eurojust au Parlement européen, M. Axel Voos.

Au mois d'octobre 2013, les parlements nationaux ont, par le biais de leur avis motivé, adressé un « carton jaune » à la proposition relative au Parquet européen en estimant que celle-ci violait le principe de subsidiarité : 4 chambres des 11 parlements nationaux - représentant 19 voix sur 54, soit plus d'un tiers (alors même, on le sait, que s'agissant des textes relatifs à l'espace de liberté, de sécurité et de justice, le seuil est d'un quart des voix) - se sont opposées à la création du Parquet européen. La Commission a néanmoins décidé de ne pas retirer ladite proposition. Étant donné que l'article 86 du TFUE, qui sert de base juridique au règlement portant création du Parquet européen, prévoit une procédure législative spéciale, dans le cadre de laquelle le consentement du Parlement européen n'intervient qu'au terme des négociations au sein du Conseil, le Parlement a décidé de rédiger un rapport intérimaire contenant des propositions de modification de la proposition initiale.

Ces travaux ont débouché sur une résolution du Parlement européen en date du 12 mars 2014.

Compte tenu de l'opposition résolue de certains États comme le Royaume-Uni, l'Irlande, le Danemark ou la Suède, l'idée de créer le Parquet européen par voie d'une coopération renforcée est aujourd'hui sérieusement envisagée au sein du Conseil.

On se rappelle que dès janvier 2013 (l'idée de création d'un Parquet européen ne relevait encore que de « communications » de la Commission), le Sénat adoptait une première résolution européenne prônant un Parquet européen éventuellement dans le cadre d'une coopération renforcée, l'extension des compétences d'Eurojust, une structure collégiale dans laquelle le collège désignerait en son sein un président, le cas échéant avec une rotation par pays, et s'appuyant sur des délégués nationaux dans chaque État membre.

Dans sa seconde résolution européenne du 28 octobre 2013 portant avis motivé au titre du contrôle de la subsidiarité, le Sénat a jugé que la formule retenue par la Commission était trop intégrée et ne parviendrait vraisemblablement pas à s'imposer dans la pratique ; elle constituait, à ses yeux, un choix trop centralisateur et directif .

2. Réforme administrative d'Eurojust

La précédente décision relative à Eurojust devait faire l'objet d'une transposition dans les États membres. Ça ne sera pas le cas du nouveau règlement qui sera d'application directe. Ce texte tend en particulier à diminuer la charge administrative qui pèse sur les membres nationaux.

Actuellement, chaque bureau national est dirigé par un membre national. Le nouveau règlement exigera la nomination d'adjoints et d'assistants. Cette innovation aura un impact pour les petits États membres en raison de son coût financier. Elle est discutable dans le cas d'États qui traitent peu d'affaires. En outre, la proposition de règlement ne maintient pas la disposition qui prévoit que le membre national ne peut être révoqué avant la fin de son mandat.

Le collège d'Eurojust discute à la fois d'affaires concrètes avec une dimension opérationnelle et de lignes directrices à appliquer dans les différents domaines de la compétence de l'Unité de coopération. Il s'intéresse aussi à la promotion d'Eurojust dans les États membres et auprès des praticiens de la justice.

En tant que Conseil d'administration, le collège décide du règlement de procédure et des méthodes de travail. Il adopte différents documents, notamment un plan stratégique pluriannuel et un programme annuel de travail.

La proposition de nouveau règlement prévoit de distinguer les missions opérationnelles des missions administratives du collège. Le collège serait composé des membres nationaux pour ce qui concerne les aspects opérationnels. Il intègrerait des représentants de la Commission européenne avec un droit de vote pour les questions administratives. Un Conseil exécutif, comme à Europol, serait mis en place. Il serait composé du président, des vice-présidents, d'un membre du collège et d'un représentant de la Commission européenne. La création de cette instance changerait sensiblement le mode de fonctionnement d'Eurojust. Le Conseil exécutif serait en effet appelé à se prononcer sur des questions ayant un impact sur les activités opérationnelles dépendant du collège. Certains, à Eurojust, considèrent que la structure actuelle est mieux adaptée et que le rôle qui serait confié au Conseil exécutif est disproportionné.

Afin d'être plus efficace, Eurojust a mis en place des méthodes de travail mieux adaptées en réduisant à dix le nombre de réunions administratives du collège. L'objectif est de tenir au maximum six réunions administratives par an. Il y a un risque à avoir deux niveaux de gestion : d'un côté, un Conseil exécutif avec un représentant de la Commission qui ne pourra pas être présent à plein temps, et de l'autre côté, le collège d'Eurojust. Il est difficile de dissocier le travail opérationnel des questions administratives.

La Commission entend appliquer à Eurojust son approche commune pour les agences européennes. Il n'y aurait pas de Conseil d'administration extérieur à Eurojust mais, en contrepartie, deux représentants de la Commission siègeraient au sein du collège.

Les responsables d'Eurojust jugent en tout cas indispensable de prévenir toute immixtion extérieure dans le travail des magistrats.

En ce qui concerne les tâches, les compétences et les pouvoirs d'Eurojust, l'article 3 de la décision en vigueur et l'article 2 de la proposition de règlement sont assez similaires. Toutefois, celle-ci apporte une innovation importante en permettant à Eurojust de d'agir de sa propre initiative. Cette innovation sera très utile pour Eurojust qui se montre très proactive sur les dossiers, comme l'a montré l'affaire de la viande de cheval.

Il doit y avoir un lien nécessaire entre les compétences d'Eurojust et celles d'Europol. L'annexe I de la proposition de règlement établit une liste des crimes pour lesquels Eurojust est compétente. Il est indispensable que cette liste soit alignée sur celle qui est prévue dans la proposition de règlement relatif à Europol.

L'article 3 § 1 de la proposition de règlement exclut du champ de compétences d'Eurojust les infractions pour lesquelles le Parquet européen est compétent. Cela peut poser une difficulté dans la mesure où le Parquet européen ne devrait pas concerner tous les États membres. Or, ceux d'entre eux qui se tiendront hors de la coopération renforcée devront pouvoir continuer à saisir Eurojust. Pour ce motif, les compétences actuelles de l'Unité de coopération devraient être préservées. En outre, on ne trouve pas dans la proposition de règlement de dispositions correspondant à l'article 4.2 de la décision en vigueur qui permet à Eurojust d'agir pour « d'autres types de crime ». Or, cette disposition est très utile pour les praticiens.

La différence entre l'action d'Eurojust en tant que collège et celle qu'elle mène à travers les membres nationaux serait maintenue (article 5 de la proposition de règlement). La proposition de règlement prévoit en outre qu'Eurojust devra fournir un soutien financier technique et opérationnel aux enquêtes et opérations transfrontières des États membres, y compris pour les équipes communes d'enquêtes.

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