B. LA CRÉATION D'UNE ÉCOTAXE NATIONALE

1. Un engagement pris à l'échelle nationale lors du Grenelle de l'environnement

Parallèlement à ces réflexions régionales en Alsace, au cours de l'été 2007, le Grenelle de l'environnement a conclu à la nécessité de légiférer pour instaurer une taxe kilométrique sur les poids lourds à l'échelle nationale .

C'est ainsi que le groupe I « Lutter contre les changements climatiques et maîtriser l'énergie » a émis la proposition suivante 9 ( * ) :

Proposition : Le groupe propose la mise en place d'une éco-redevance kilométrique sur les poids lourds et prend acte des réserves exprimées par le MEDEF et la CGPME. Le groupe propose que l'affectation des recettes de l'éco-redevance soit répartie entre l'agence de financement des infrastructures de transport de France (Afitf) et les collectivités territoriales (cf. le paragraphe sur le financement des infrastructures de transport) et que sa répercussion s'effectue sur le client et non sur la profession du transport routier.

Dans son ensemble, le groupe rappelle plus largement la nécessité d'une harmonisation européenne fiscale, sociale et tarifaire dans l'objectif de réduire les distorsions de concurrence entre les pavillons des États-membres et entre les modes de transport. Dans une première étape, la France devrait impulser la révision de la directive euro-vignette pour y inclure les coûts environnementaux externes et appuyer le relèvement des minima communautaires du TIPP.

Cette proposition a été adoptée lors des tables rondes de l'hôtel de Roquelaure les 24, 25 et 26 octobre 2007 et « la création d'une éco-redevance kilométrique pour les poids lourds sur le réseau routier non concédé » est devenue l'engagement n° 45 du Grenelle de l'environnement 10 ( * ) .

Engagement n° 45 : Création d'une éco-redevance kilométrique pour les poids lourds sur le réseau routier non concédé.

Objectif : mise en place effective en 2010. Modes de compensation via divers mécanismes et reprise en pied de facture. Affectation de cette ressource aux infrastructures ferroviaires (Afitf). Demande de révision de la directive Eurovignette en vue d'une meilleure intégration des coûts environnementaux. Le montant de la taxe, qui doit pouvoir être répercuté, serait fonction des émissions spécifiques du véhicule, de la charge utile maximale et du nombre de kilomètres parcourus.

Cet engagement a trouvé une expression législative dans le projet de loi de programmation « Grenelle I » déposé à l'Assemblée nationale le 11 juin 2008, et adopté l'année suivante, soit après la promulgation de la loi de finances pour 2009 qui en a arrêté les modalités pratiques (Cf. infra ).

Article 11 de la loi n° 2009-967 du 3 août 2009 de programmation relative
à la mise en oeuvre du Grenelle de l'environnement

VI. - (...).

Une écotaxe sera prélevée sur les poids lourds à compter de 2011 à raison du coût d'usage du réseau routier national métropolitain non concédé et des voies des collectivités territoriales susceptibles de subir un report de trafic. Cette écotaxe aura pour objet de financer les projets d'infrastructures de transport. À cet effet, le produit de cette taxation sera affecté chaque année à l'Agence de financement des infrastructures de transport de France pour la part du réseau routier national. L'État rétrocèdera aux collectivités territoriales le produit de la taxe correspondant aux sommes perçues pour l'usage du réseau routier dont elles sont propriétaires, déduction faite des coûts exposés y afférents. Cette redevance pourra être modulée à la hausse sur certains tronçons dans un souci de report de trafic équilibré sur des axes non congestionnés.

Cette taxe sera répercutée par les transporteurs sur les bénéficiaires de la circulation des marchandises. Par ailleurs, l'État étudiera des mesures à destination des transporteurs permettant d'accompagner la mise en oeuvre de la taxe et de prendre en compte son impact sur les entreprises. Par exception, des aménagements de la taxe, qu'ils soient tarifaires ou portant sur la définition du réseau taxable, seront prévus aux fins d'éviter un impact économique excessif sur les différentes régions au regard de leur éloignement des territoires de l'espace européen.

Le projet de loi de finances pour 2009 a précisé le mécanisme opérationnel de la TPLA (en supprimant notamment son caractère expérimental) et porté création de la taxe poids lourds nationale (TPLN), dont le projet de programmation « Grenelle I » ne faisait qu'esquisser les contours.

L'exposé des motifs du projet de loi expose le double objectif environnemental et budgétaire poursuivi : « Cette taxe a pour objectif de réduire les impacts environnementaux du transport de marchandises en imposant un signal prix au transport routier et d'accélérer le financement des infrastructures nécessaires à la mise en oeuvre de la politique de transport durable , dans une perspective multimodale. »

Ce dispositif a été adopté et constitue l'article 153 de la loi n° 2008-1425 du 27 décembre 2008 de finances pour 2009 11 ( * ) .

2. Les grandes caractéristiques de l'écotaxe et du contrat de partenariat
a) Le système français de l'écotaxe

L'écotaxe française 12 ( * ) poursuit trois objectifs :

- assurer la couverture des coûts d'usage du réseau routier, qui s'opère par le paiement de la taxe proprement dit ;

- réduire les impacts environnementaux du trafic routier de marchandises, en réduisant la demande de transport routier ;

- financer la politique de développement intermodal des transports et dégager de nouvelles ressources pour financer les infrastructures par le biais de l'Afitf à laquelle l'écotaxe est affectée.

L'assiette de la taxe est le nombre de kilomètres parcourus sur le réseau routier concerné par un poids lourd de plus de 3,5 tonnes à laquelle un taux moyen de 13 centimes d'euro par kilomètre est appliqué. Le recouvrement de la taxe doit s'effectuer sur un réseau de 15 000 kilomètres parcourus par 800 000 poids lourds dont 250 000 véhicules étrangers (estimations).

Le réseau taxable comprend 10 000 kilomètres de réseau national non concédé en métropole et, après avis des collectivités, 5 000 kilomètres de routes locales.

Le barème définissant le taux de la taxe obéit à plusieurs critères : le poids des véhicules, leur nombre d'essieux et leur caractère plus ou moins polluant défini par les normes EURO. Si le taux moyen s'établit à 13 centimes d'euro par kilomètre, ce chiffre varie de 6,8 à 19,6 centimes. Enfin les poids lourds circulant en Bretagne ainsi qu'en Aquitaine et Midi-Pyrénées bénéficient de réductions respectives de 50 % et 30 %, du fait du caractère périphérique de ces régions.

Le produit attendu de la taxe en année pleine est de 1,1 à 1,2 milliard d'euros. La répartition de la recette, en valeur absolue, n'est définie à ce jour que sur la base d'estimations. La taxe sera collectée par les douanes, qui en reverseront 150 à 160 millions d'euros aux collectivités locales pour la part prélevée sur le réseau routier leur appartenant. Après avoir versé à Écomouv' la redevance due (280 millions d'euros nonobstant les ajustements sur les parts variables et celles liées aux critères de performance, dont 50 millions d'euros qui reviendront à l'État au titre de la TVA, et une soixantaine de millions d'euros qui correspondent à la rémunération tant des sociétés habilités de télépéage (SHT) que d'Écomouv' pour le fonctionnement du service lui-même), l'Afitf devrait percevoir une recette nette annuelle (en année pleine) d'au moins 700 à 760 millions d'euros.

Le mécanisme de tarification et de recouvrement repose sur la géolocalisation , par satellite (GPS) ou par ondes courtes, du véhicule qui doit être équipé d'un équipement électronique embarqué permettant l'enregistrement automatique, à chaque franchissement d'un « point de tarification ». Ceux-ci sont disposés tous les 3 à 4 kilomètres en moyenne et répartis entre les intersections des trajets taxés et empruntés par les poids lourds.

Afin de vérifier que les camions sont effectivement équipés de ce boitier électronique, un système de contrôle également électronique est déployé tout le long du réseau taxable. Il est composé de 173 points de contrôle fixes (les « portiques »), de 130 points de contrôle déplaçables et de boîtiers de contrôle portables, utilisés par les forces de l'ordre et les douanes.

b) Les étapes du contrat de partenariat
(1) De 2007 à février 2009 : les choix concernant le cadre juridique de la mise en oeuvre de l'écotaxe.

Dès 2007, le Conseil d'État 13 ( * ) avait été interrogé sur la possibilité pour l'État de confier à un prestataire privé certaines missions relevant du pouvoir régalien comme le recouvrement d'une telle taxe. Le Conseil d'État n'avait pas émis d'objection constitutionnelle à cette délégation de compétence moyennant la mise en place d'un contrôle très strict de la part de l'État envers le prestataire privé et en excluant toute délégation pour les missions relatives à la qualification et à la répression des fraudes.

Sur la base de cet argumentaire, le recours à un prestataire extérieur pour la mise en oeuvre de l'écotaxe poids lourds a été explicitement autorisé par l'article 153 de la loi de finances pour 2009 précité, sur la base duquel l'État a décidé de déléguer l'essentiel des missions de recouvrement de l'écotaxe à un prestataire privé, par le biais d'un contrat de partenariat public-privé . Le recours à ce type de contrat nécessitant une évaluation préalable soumise à l'avis de la Mappp, cette évaluation a fait l'objet d'un rapport transmis en décembre 2008 à la Mappp, qui a rendu son avis le 12 février 2009.

(2) De février 2009 au 20 octobre 2011 : la procédure de dévolution du contrat.

La procédure de choix du prestataire a donné lieu à la création d'une commission consultative mise en place en mars 2009. Ses missions consistaient à donner un avis d'une part sur la sélection et le choix des candidats à la dévolution du contrat que devait conclure le ministre chargé des transports et d'autre part sur toute question relative au déroulement de la procédure et sur les dossiers présentés. Le Conseil d'État a toutefois disjoint l'article soumettant le contrat lui-même à l'avis de la commission, dès lors que celle-ci n'avait qu'un rôle consultatif. Selon M. Roland Peylet, conseiller d'État, président de cette commission 14 ( * ) , la création par décret de cette commission « pour mener la procédure préalable à la conclusion de tout contrat confiant à un prestataire extérieur tout ou partie des missions laissait donc la porte ouverte, avec l'expression « tout contrat ». Mais la présence du président de la Mappp met un peu la puce à l'oreille. Nous avons pensé, car nous avons des contacts avec les commissaires du Gouvernement avant l'examen des projets de décret en Conseil d'État, que la décision était déjà prise. Simplement, mon interprétation - je ne peux dire si elle est bonne ou pas - est que le Gouvernement ne souhaitait pas soumettre, à l'avis du Conseil d'État, le choix de la nature du contrat ».

L'appel d'offres a ensuite été publié début mai 2009. Cinq dossiers ont été reçus. Une offre a été abandonnée. Le dialogue compétitif s'est clôturé le 12 juillet 2010 et les offres finales ont été remises fin septembre 2010, une offre étant refusée car incomplète. Le 13 décembre 2010, la commission consultative a approuvé le classement proposé par la mission de tarification de la direction générale des infrastructures, des transports, et de la mer (DGITM).

Le 14 janvier 2011 , la ministre de l'écologie a retenu, conformément à l'avis de la commission consultative, l'offre de l'entreprise Autostrade per l'Italia. D'abord annulée par le tribunal administratif de Cergy-Pontoise à la suite du recours déposé par un candidat évincé, la procédure d'appel d'offres a finalement été validée par le Conseil d'État le 24 juin 2011 .

La société Écomouv', créée en février 2011 par l'entreprise Autostrade per l'Italia , a ouvert son capital après la signature du contrat de partenariat. Autostrade per l'Italia possède 70 % du capital, le reste étant détenu par Thales, pour 11 %, SNCF, pour 10 %, SFR, pour 6 % et Steria, pour 3 %.

Le contrat de partenariat a été signé et notifié à Écomouv' le 20 octobre 2011 . Sa durée est de 159 mois, soit 13 ans et 3 mois, dont 21 mois de déploiement et 11,5 années d'exploitation. Au terme du contrat, l'ensemble du dispositif est remis à l'État.

(3) Du 20 octobre 2011 à juillet 2013 : démarrage de la mise en oeuvre du contrat.

Cette période a été celle de l'installation d'Écomouv' à Metz, des travaux nécessaires à la mise en route de son activité, du recrutement et de la formation du personnel nécessaire, des tests et ajustements indispensables au bon fonctionnement du dispositif comme de l'intégration des SHT à cette mise en oeuvre (signature notamment des contrats avec Écomouv'). De nombreuses réunions dites « revues de projet », rassemblant les représentants de l'État (équipe projet et conseils extérieurs techniques) et d'Écomouv' se sont tenues, à un rythme trimestriel tout d'abord puis mensuel.


* 9 Cf. rapport de synthèse du groupe I, pages 56 et suivantes, http://www.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/Changement_climatiqueSynthese_Rapport.pdf.

* 10 http://www.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/238engagements_numerotes_hors_dechets.pdf.

* 11 Cf. Annexe.

* 12 Sur la description du dispositif de l'écotaxe, on se reportera à l'avis n° 334 (2012-2013) rendu par Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, rapporteur au nom de la commission des finances, sur le projet de loi portant diverses dispositions en matière d'infrastructures et de services de transports.

* 13 Conseil d'État, Section des finances - avis n° 381.058 - 11 décembre 2007.

* 14 Audition du 5 février 2014.

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