D. UNE PROCÉDURE DONT LA LONGUEUR A ÉTÉ PRÉJUDICIABLE AU PROJET (2009/2011)

1. L'organisation du dialogue compétitif
a) Une longue procédure

Un premier avis d'appel public à la concurrence a été lancé le 31 mars 2009. Après qu'il a été modifié à deux reprises en raison de certaines dispositions pouvant être source de confusion, l'État a préféré publier un avis d'annulation et relancer la procédure par un nouvel avis envoyé le 29 avril 2009. Les entreprises intéressées devaient remettre leurs candidatures au plus tard le 9 juin 2009. Par une décision du 28 août 2009, le ministère de l'écologie a autorisé cinq candidats à soumissionner, à savoir la Sanef, Autostrade per l'Italia, France Telecom, Billoo et Vinci.

Compte tenu de la complexité du projet, l'État a décidé d'organiser, en préalable à la procédure de dialogue compétitif proprement dite, une phase d'échanges préliminaires avec les candidats, sur la base d'un dossier de consultation qui leur a été adressé le 28 août 2009 et complété le 28 septembre 2009. Le dossier unique a été transmis de manière identique à tous les candidats.

Les réunions d'échanges entre l'État et les candidats autorisés à soumissionner se sont déroulées du 12 octobre au 20 novembre 2009.

Au cours de cette première phase, chaque candidat a pu poser les questions qui lui semblaient nécessaires aux services de l'État, qui y ont répondu par écrit et ont adressé à chaque candidat les réponses à toutes les questions posées, après anonymisation de celles-ci.

À la suite de ces échanges, le dossier de demande de proposition initiale (DDPI) a été remis aux candidats le 4 décembre 2009. Le même dossier a été remis à chaque candidat.

Sur la base des propositions initiales remises le 7 janvier 2010, l'État a posé des questions aux candidats sur leurs documents, les 15 février, 25 février et 1 er mars 2010. Ces questions, spécifiques à chaque candidat car relatives à leur proposition, sont restées confidentielles et à destination du seul candidat concerné.

Au stade des propositions initiales, les candidats pouvaient proposer des modifications des documents relatifs au projet de contrat.

Après cette phase préparatoire a été mise en place la procédure proprement dite de dialogue compétitif.

Le recours à cette procédure est autorisé pour les contrats de partenariats « lorsque la personne publique est objectivement dans l'impossibilité de définir seule et à l'avance les moyens techniques pouvant répondre à ses besoins ou d'établir le montage financier ou juridique du projet » 25 ( * ) . Cette procédure s'inscrit alors dans un cadre précis 26 ( * ) : la personne publique doit rédiger un programme fonctionnel qui décrit ses besoins et objectifs et respecter le principe d'égalité de traitement entre les candidats.

Plusieurs avantages sont reconnus au dialogue compétitif : il permet de décloisonner le dialogue avec les cocontractants éventuels, autour d'un interlocuteur unique. En outre, le dialogue compétitif favorise l'émergence de solutions innovantes, à l'initiative des candidats et l'amélioration des propositions des candidats tout au long du dialogue. Cette dernière est facilitée par le fait que la personne publique raisonne, non pas en fonction des moyens ou des solutions qu'elle souhaiterait privilégier, mais en fonction de ses besoins. Enfin, la souplesse de la procédure est considérée comme un atout, puisqu'elle est dépourvue de contraintes en termes de durée et laisse une certaine latitude dans son organisation pour la personne privée. Cette donnée peut constituer un inconvénient lorsque le projet est considéré comme urgent à mettre en place.

En l'espèce, le dialogue compétitif s'est déroulé sur neuf séances, entre le 13 avril 2010 et le 26 mai 2010, en deux phases séparées par un temps d'échanges entre l'État et les sociétés intéressées par la fourniture du service de télépéage - les SHT potentielles - entre le 26 avril et le 10 mai 2010.

Selon les informations fournies à votre rapporteur, les candidats ont pu proposer des ajustements aux documents et ont pu poser des questions au cours de chaque réunion de dialogue. Lorsque l'État a jugé que les questions ou les sujets abordés étaient importants, il a adressé à tous les candidats des demandes de proposition ou d'argumentation (2 avril, 12 avril et 21 mai 2010). Certains sujets ont ainsi pu être abordés en deux temps dans le dialogue compétitif, notamment, par exemple, le commissionnement.

Dans le respect du secret des propositions et des offres, les éléments des offres de chaque candidat n'ont pas été transmis par l'État aux autres concurrents.

L'État a informé les candidats des propositions qu'il envisageait de suivre et des évolutions qu'il avait décidé d'apporter :

- les évolutions entre le dossier de consultation initial et le dossier de demande de proposition initiale ont été indiquées par marques de révision (projet de contrat, règlement de la consultation, programme fonctionnel) ;

- les thèmes des principales évolutions entre le dossier de demande d'offre finale et le dossier de demande de proposition initiale ont été annoncés lors du dialogue à travers les questions posées aux candidats. Le dossier de demande d'offre finale a quant à lui fait l'objet d'une présentation à tous les candidats réunis en même temps, le 12 juillet 2010.

Les candidats ont ensuite pu poser des questions sur le dossier de demande d'offre finale. L'État y a apporté ses réponses selon le principe initial d'anonymisation et de diffusion à tous de l'ensemble des réponses (6 août, 27 août et 10 septembre 2010).

Après la remise des offres finales, le 29 septembre 2010, l'État a posé à chaque candidat des questions spécifiques pour les inciter à préciser leur offre et non pour la compléter (donc, non diffusées aux autres candidats).

S'agissant, pour l'État, d'obtenir des réponses techniques à des exigences fonctionnelles, il n'a jamais fixé de spécifications détaillées imposant une solution précise. En ce qui concerne par exemple le contrôle automatique, l'État n'a pas imposé la forme ni la taille des dispositifs de contrôle déplaçables. Les candidats ont ainsi toujours pu répondre avec leurs propres solutions.

b) Une procédure qui a respecté le principe de l'égalité des candidats

Votre commission d'enquête a examiné en détail les conditions dans lesquelles la procédure de dialogue compétitif a été organisée.

L'ensemble des pièces - pièces du marché, modificatifs, réponses aux questions anonymisées des candidats - a bien été envoyé le même jour à tous les candidats participants au dialogue compétitif. Cependant, le groupement Vinci ayant retiré sa candidature fin septembre 2009, les courriers envoyés à partir du 28 septembre 2009 ne sont destinés qu'aux quatre candidats restant en lice que sont la Sanef, Autostrade per l'Italia, France Telecom et Billoo.

Chaque candidat a par ailleurs été convoqué au même nombre de réunions et selon les mêmes modalités. La procédure de dialogue compétitif a ainsi donné lieu à neuf réunions avec chaque candidat séparément d'octobre 2009 à mai 2010 et une réunion de présentation du dossier de l'offre finale avec les quatre candidats ensemble, le 12 juillet 2010. Les modalités d'organisation des auditions de chaque candidat étaient identiques. Les candidats ont toujours été auditionnés dans le même ordre. Les interlocuteurs de l'État étaient toujours les mêmes, tout le long de la procédure.

Les pièces du marché ont évolué au cours de la procédure. Le règlement de la consultation a fait l'objet de six modificatifs, concernant, à titre d'exemple, le montant de la prime accordée au démonstrateur, fixée à 250 000 euros au début du marché et relevée à 300 000 euros dans le règlement de la consultation n° 4, communiqué le 12 juillet 2010. Le projet de contrat de partenariat a également intégré des ajouts comme des dispositions relatives aux données personnelles et aux obligations d'échanges du titulaire avec la commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil) ou l'ajout des frais à la charge du titulaire relatifs à la formation et l'assistance des agents de l'État et des redevables dans le rectificatif n° 1 au contrat de partenariat daté du 22 juillet 2010. Ces éléments ont été fournis aux divers candidats au même moment.

L'égalité de traitement des candidats a été respectée.

2. Un projet dont la complexité et les enjeux ne sont pourtant pas intégralement maîtrisés, avec des incidences sur sa mise en oeuvre
a) Un périmètre et des rôles difficiles à définir y compris en cours de discussion du contrat de partenariat

Outre la volonté d'assurer une ressource financière chiffrée, les choix ont été guidés par des visées de politique industrielle ainsi que par la volonté de mettre en valeur le savoir-faire en matière de technologies innovantes. Des préoccupations, légitimes également, de création d'emplois non délocalisables et d'aménagement du territoire, comme de report modal, ont joué.

Le projet a été conçu comme la mise en oeuvre du principe « polleur-payeur », l'argent perçu par l'État servant à financer les infrastructures routières et d'autres infrastructures liées au report modal.

La réunion interministérielle du 4 mai 2010 démontre que le périmètre du réseau taxable local n'était pas encore défini, puisque les collectivités territoriales avaient proposé 12 000 kilomètres de voirie à cette date, alors que l'État ne voulait en retenir que 5 000 kilomètres.

Le rôle et le positionnement des sociétés habilitées de télépéage ont été tardivement définis. Le compte-rendu de la réunion interministérielle du 4 mai 2010 range le rôle et le positionnement des SHT parmi les points d'incertitude à clarifier dans les semaines suivantes. Ces sociétés ont exprimé à plusieurs reprises leur souhait d'avoir davantage de réponses à leurs problématiques spécifiques, y compris la dévolution du contrat, grâce à un contact direct avec l'État.

b) Une complexité sans doute excessive et qui n'est pas allée en diminuant au cours du dialogue compétitif
(1) Le recours à une technologie innovante et des ambitions importantes

Deux options technologiques s'offraient à la France : la localisation par satellite, aussi appelée GNSS, et la technologie des micro-ondes de courte portée, dite DSRC.

Comme l'indique le premier avis de la Mappp du 12 février 2009, la localisation par satellite est une technologie à forte évolution qui nécessite un investissement relativement important en matériel embarqué dans les véhicules et plus faible en matériel fixe pour la collecte d'éléments d'assiette de la taxe. Le déploiement d'un tel réseau est donc simplifié. Cependant, la partie développement du GNSS ainsi que les remises à niveau périodiques ne sont pas négligeables.

La technologie des micro-ondes de courte portée, dite DSRC, est plus mûre et nécessite un investissement plus faible en matériel embarqué dans les véhicules (un badge suffit, comme pour le télépéage autoroutier actuel) mais plus important en matériel fixe. Par ailleurs, peu de coûts de développement et de remises à niveau sont attendus, si tant est que le réseau taxable ne fait pas l'objet d'évolutions majeures dans le temps.

L'évaluation préalable conduit à une nécessité d'investissements initiaux de 500 millions d'euros environ et à des frais d'exploitation et de maintenance de l'ordre de 80 millions d'euros par an pour la technique DSRC. Ces chiffres ont été comparés aux estimations produites pour l'option GNSS, qui étaient de l'ordre de 230 millions d'euros en investissement initial et de 120 millions d'euros annuels pour l'exploitation et la maintenance.

L'évolution tant du coût réel final (plus de 650 millions d'euros d'investissement) que des difficultés de mise en oeuvre et d'allongement du calendrier initial démontre la fragilité de cette évaluation initiale conduite avec de trop nombreuses incertitudes.

Le système finalement retenu repose principalement sur la technologie GNSS. Le réseau taxable a été divisé en près de 4 100 sections de tarification, auxquelles sont associés des points de tarification virtuels. Le franchissement d'un point de tarification, enregistré au moyen de l'équipement électronique embarqué installé à bord des véhicules, constitue le fait générateur de la taxe. La géolocalisation du véhicule se fait par satellite ou par ondes courtes, lorsque le repérage par satellite est inopérant, dans les tunnels par exemple.

Lors de sa première installation, les principales données relatives au redevable et au véhicule doivent être enregistrées dans l'équipement embarqué. Ensuite, pour chaque trajet, le conducteur du véhicule doit opérer une programmation sommaire, notamment pour indiquer le nombre d'essieux du convoi.

Il existe deux moyens de récupérer un équipement électronique embarqué. Les redevables non abonnés l'obtiennent en s'enregistrant directement auprès d'Écomouv', à qui ils versent une avance sur taxe. Les redevables abonnés concluent quant à eux un contrat avec une SHT, garante du montant de la taxe collecté vis-à-vis d'Écomouv'. Cet abonnement donne droit à un abattement de 10 % du montant de la taxe pour les redevables qui par ailleurs ne s'acquittent des sommes dues qu'après facturation par les SHT.

Afin de vérifier que les poids lourds sont effectivement équipés d'un équipement électronique embarqué, ainsi que les informations qui y sont enregistrées, un système de contrôle électronique est déployé tout le long du réseau taxable et sur quelques points du réseau non taxable. Il est composé :

- de 173 points de contrôle fixes, les portiques, qui peuvent à la fois déterminer les caractéristiques du véhicule et lire sa plaque ;

- 130 points de contrôle déplaçables (bornes) ;

- de contrôles automatiques manuels, à l'image des radars mobiles utilisés pour le contrôle de la vitesse. Les services de la douane, les forces de l'ordre et les contrôleurs des transports terrestres (CTT) disposeront ainsi de 400 outils manuels pour contrôler, à l'arrêt ou à faible vitesse, les équipements embarqués et de 200 lecteurs installés sur leurs véhicules et permettant de contrôler les véhicules en circulation.

Dans le système satellitaire qui a été retenu, les points de contrôle ne sont pas nécessaires à la collecte de la taxe en elle-même, mais au contrôle des redevables.

Le dispositif, on le voit, est très complexe.

Il faut souligner le poids des critères de performance retenus, tant dans le taux de détection des véhicules disposant d'un équipement embarqué que dans la restriction du taux d'erreur de détection (1 pour 1 million). Ces exigences, résultant en partie du désir des douanes de se couvrir contre d'éventuelles défaillances du dispositif, et notamment contre le risque de contentieux, étaient incompatibles avec un calendrier serré et des coûts maîtrisés. Leur poids financier n'a jamais été mesuré dans l'équilibre du projet, de même que les recettes réelles ainsi garanties par rapport à des mesures de contrôle moins exigeantes. De la même façon, votre rapporteur n'a pu observer la moindre évaluation de critères moins exigeants tant en termes de faisabilité qu'en termes de retour financier.

En mars 2012, une réunion interministérielle évoquait un besoin de 256 agents pour effectuer des contrôles de terrain.

Il est à noter que, au-delà de 99 % de taux de détection des véhicules disposant d'un équipement embarqué, le critère de performance retenu résultait, lors de la procédure de dévolution du contrat, de l'engagement de chaque candidat. L'exemple allemand n'a sans doute pas suffisamment servi sur ce point. Il a pourtant été indiqué à votre commission, lors de son déplacement à Berlin, que ce point était d'importance capitale. En effet, les efforts à faire, et le coût des mesures à prendre pour augmenter le taux de recouvrement au-delà de 99 % est sans rapport avec les recettes supplémentaires qui en découlent. L'utilité comme la crédibilité d'engagements des candidats au-delà de 99 % du taux de recouvrement de la taxe auraient dû faire l'objet d'examens plus attentifs.

L'homologation et les critères de performance exigés
de la part du prestataire Écomouv'

La procédure d'homologation a été définie par l'arrêté du 8 juin 2012 relatif à la certification des équipements techniques et à l'homologation des chaînes de collecte, de contrôle automatique et de contrôle manuel de la taxe alsacienne et de la taxe nationale sur les véhicules de transport de marchandises. Réalisée par des laboratoires indépendants, elle est destinée à garantir la fiabilité technique du dispositif, qui est l'une des conditions de son acceptabilité, et à renverser la charge de la preuve du côté du contribuable, puisqu'elle permet de considérer que les montants émis par le prestataire font foi jusqu'à preuve du contraire.

Cet arrêté autorise un taux maximum de détection à tort d ' un pour un million. Ce taux s'entend comme le rapport entre le nombre de fausses détections de franchissements de points de tarification et le nombre total de franchissements de points de tarification détectés par le dispositif de collecte. Cela signifie concrètement que, pour un million de points de tarification dont le franchissement est détecté par le système, il n'y en a pas plus d'un qui est erroné, c'est-à-dire qui n'a en réalité pas été franchi par le véhicule du redevable. Les franchissements « non détectés » n'entrent pas en ligne de compte pour l'homologation, car ils ne portent pas préjudice au redevable. La mesure de ce taux est réalisée sur un échantillon représentatif de la population des points de tarification. Un taux identique a été fixé pour la chaîne de contrôle automatique et de contrôle manuel.

Au-delà des prérequis imposés au titre de l'homologation, le contrat fixe des objectifs de performance qui renseignent sur le niveau d'exigence attendu par l'État vis-à-vis du prestataire Écomouv', ou bien auquel le prestataire s'est lui-même engagé

En ce qui concerne la collecte de la taxe, 99,75 % des franchissements de sections de tarification effectués par des véhicules assujettis munis d'un équipement embarqué opérationnel doivent effectivement aboutir à l'établissement de données d'assiette correctement relevées et liquidées. Des pénalités ou bonus sont prévus en cas de différence supérieure ou égale à 0,01 % par rapport à cet objectif.

Le taux de facturation erronée, défini comme le nombre de demandes de remboursement acceptées sur le nombre de factures ou de reçus envoyés aux redevables dans le trimestre, doit être inférieur à 0,001 %. Des pénalités ou bonus sont prévus en cas de différence supérieure ou égale à 0,0001 % (10 -6 ) par rapport à cet objectif.

Le taux de notification erronée, qui mesure le nombre de notifications de manquements ayant fait l'objet d'une contestation à juste titre sur le nombre total de notifications a quant à lui été fixé à 0,0005 % (5x10 -6 ), avec des pénalités ou bonus en cas de différence supérieure ou égale à 0,0001 % (10 -6 ) par rapport à cet objectif.

Des objectifs très ambitieux en termes de qualité de service ont également été fixés au prestataire. En ce qui concerne le centre d'appel par exemple, le contrat stipule que le temps d'attente observé entre la fin de la composition du numéro de téléphone et la mise en relation avec un correspondant disponible ne devra pas excéder 180 secondes, dans au moins 80 % des cas, sauf à déclencher l'application de pénalités. Là encore, l'État a certainement voulu obtenir des garanties supplémentaires de la part d'un prestataire privé chargé de recouvrer une taxe douanière. L'ampleur de ces exigences explique néanmoins la complexité technologique du dispositif à mettre en place et auquel s'était engagé Écomouv' dans le contrat signé. Jusqu'où les retards, erreurs, modifications nécessaires de logiciels étaient-ils prévisibles, quels doutes pouvait-on avoir quant à la maîtrise par le consortium de la technologie nécessaire, il y a là des questions auxquelles on ne peut apporter de réponse tranchée.

(2) Les contraintes européennes

Ce choix technologique a été justifié au moins partiellement par le droit européen. La directive « Interopérabilité » 27 ( * ) dispose en effet que tous les nouveaux systèmes de télépéage mis en service à partir du 1 er janvier 2007 utilisent la technologie satellitaire ou celle des micro-ondes de courte portée.

À la différence d'autres pays européens tels que l'Allemagne où les autoroutes sont gratuites, la France disposait déjà d'un large réseau autoroutier concédé. Cette situation explique l'hétérogénéité du réseau soumis à l'écotaxe et ses nombreux points d'entrée et de sortie, qui ont justifié dans une large part le choix effectué par tous les candidats ayant participé à l'appel d'offres de proposer la mise en place d'une technologie satellitaire.

La directive « Interopérabilité » met aussi en place un service européen de télépéage (SET), « défini par un corps de règles contractuelles autorisant tous les opérateurs et/ou émetteurs de moyens de paiement à fournir le service, un ensemble de normes et d'exigences techniques ainsi qu'un contrat d'abonnement unique entre les clients et les opérateurs et/ou les émetteurs de moyens de paiement proposant le service. Ce contrat donne accès au service sur l'ensemble du réseau et peut être souscrit auprès d'un opérateur de n'importe quelle partie du réseau et/ou auprès de l'émetteur de moyens de paiement. » La décision de la Commission du 6 octobre 2009 relative à la définition du service européen de télépéage et à ses aspects techniques en détermine le contenu. Le service européen de télépéage est composé de percepteurs de droits de péage et de prestataires du SET, qui fournissent aux véhicules les équipements et services nécessaires pour accéder à toutes les infrastructures à péage de l'Union européenne et assurent le versement aux percepteurs de droits de péage des redevances dues pour l'utilisation de leur réseau. Ces prestataires sont en concurrence : chaque transporteur est libre de passer un contrat avec le fournisseur de son choix.

La France a été le premier pays à avoir adopté le cadre réglementaire prévu par la directive européenne. Le décret n° 2011-813 du 5 juillet 2011 détermine les conditions d'enregistrement en France des sociétés prestataires du service européen de télépéage. Le décret n° 2012-645 du 3 mai 2012 crée une commission de conciliation du télépéage. La répartition des rôles entre Écomouv' et les SHT est en conformité avec ce que prévoit la directive « Interopérabilité », comme le relève l'avis de la Commission du 16 octobre 2013 conformément à l'article 7 nonies , paragraphe 2 de la directive 1999/62/CE, sur l'introduction d'un nouveau système de péage en France (point 31). À contrario , la Commission a dû demander aux trois pays ayant mis en place un nouveau système de télépéage après le 1er janvier 2007 que sont la Slovaquie, la Pologne et la Hongrie, de se mettre en conformité avec la même directive « Interopérabilité ».

En outre, l'annexe 21 du contrat signé entre l'État français et Écomouv' stipule que les équipements embarqués doivent être interopérables techniquement sur l'ensemble du SET et sur les réseaux TIS-PL (autoroutes françaises), Telepass (autoroutes italiennes), Go Maut (Autriche), VIA-T (Espagne).

La solution technologique retenue par la France est le premier exemple de pleine interopérabilité entre les technologies satellitaires et micro-ondes. Une telle interopérabilité existe déjà entre l'Allemagne et l'Autriche, mais elle est unidirectionnelle : si les équipements embarqués allemands fonctionnent en Autriche, la réciproque n'est pas vérifiée.

L'interopérabilité contractuelle, qui permet une couverture effective des systèmes de péage électronique concernés et une facturation unique des péages correspondants, n'est en revanche exigée aux termes du contrat passé avec Écomouv' que pour deux réseaux : le réseau TIS-PL en vigueur sur les autoroutes françaises et le réseau Telepass déployé en Italie. D'après la DGITM, ces choix n'ont pas été imposés par l'État mais résultent des offres proposées par les SHT, ou imposées par Écomouv' aux SHT.

Les contraintes européennes d'interopérabilité ont joué un rôle évident dans la mise en oeuvre de ce projet. Elles ont ainsi exclu une simple copie du modèle allemand, même si on aurait pu s'en inspirer un peu plus.

Ces contraintes n'expliquent cependant pas tous les choix faits. La mise en oeuvre de l'écotaxe amènera inéluctablement à un report de trafic des axes taxés vers les autoroutes. Écomouv' interrogé a répondu qu'il n'avait pas de commentaires à faire sur ce point.

Autostrade exploite le système Télépass et d'autres dispositifs automatiques de taxation, notamment en Autriche, mais aussi des autoroutes, en Italie puisque c'est son coeur de métier, en Pologne et en Espagne.

3. Le référé précontractuel à l'encontre du contrat de partenariat

L'un des candidats évincés au contrat de partenariat - la Sanef - a introduit un référé précontractuel devant le tribunal administratif de Cergy-Pontoise, lequel a annulé la procédure de passation du contrat par une ordonnance du 8 mars 2011, au motif que :

- l'évolution de la candidature de la société retenue aurait contrarié les principes de transparence et d'intangibilité des candidatures : la Sanef a estimé que le pouvoir adjudicateur a retenu Écomouv' alors que cette dernière était un groupement irrégulièrement constitué en cours de négociation puisque son offre est devenue, en cours de procédure, celle d'un groupement, en violation du principe d'intangibilité des candidatures ;

- l'impartialité des conseils de l'État n'aurait pas été suffisamment établie : la société Rapp Trans AG ayant été sélectionnée par l'État en tant que conseiller technique alors que cette dernière avait développé des liens commerciaux étroits par le passé avec Autostrade dans le cadre de projets de recherche et développement de la Commission européenne et que la filiale anglaise de la société Rapp Trans AG avait simultanément travaillé pour Autostrade en 2010 ;

- certains des critères auraient été trop imprécis. Plus précisément, les conditions d'exécution ont été jugées, par la Sanef, comme étant imprécises et discriminatoires. Par ailleurs, l'État aurait engagé puis conduit la procédure de mise en concurrence du contrat de partenariat sans fournir de précisions sur les modalités devant s'appliquer au commissionnement dans le cadre de ce contrat, ce qui aurait conduit à une grave discrimination entre les candidats. Enfin, les critères d'évaluation des offres auraient été définis avec une excessive imprécision ; la procédure de passation du contrat aurait été menée en violation des principes de la commande publique en tant que les critères d'appréciation des offres n'auraient pas été portés à la connaissance des candidats de manière suffisamment précise ; le critère de « crédibilité » établi par le règlement de la consultation aurait été insuffisant pour expliquer les incohérences de la notation des offres ; enfin, les critères de sélection auraient été imprécis et auraient manqué de transparence.

L'État s'est pourvu en cassation devant le Conseil d'État lequel, statuant au contentieux, par un arrêt du 24 juin 2011, a cassé le jugement et écarté l'ensemble des motifs invoqués, en jugeant que :

- la société Écomouv' n'avait pas succédé au groupement déclaré attributaire mais constituait la société de projet en application même de l'article 3.2.4. du règlement de consultation complémentaire n° 4 intitulé « Signature du contrat par l'État avec la société de projet dédiée et notification du contrat » dont le candidat retenu avait proposé la création dans son offre. Par ailleurs, le Conseil d'État a jugé que la société attributaire s'était ainsi conformée aux dispositions de l'article 1.1 de l'annexe 4 au règlement de la consultation en précisant « la forme juridique de la société de projet, la composition de l'actionnariat [...] et les éventuels liens capitalistiques entre les actionnaires » ;

- les documents de la consultation énonçaient précisément les attentes de l'État et les obligations des candidats en matière de respect des délais de mise en oeuvre et d'objectifs de performance : le Conseil d'État a estimé que les sociétés requérantes n'établissent ni n'allèguent que le projet de décret de commissionnement était contraire aux dispositions législatives prévoyant que le futur prestataire serait titulaire d'une commission délivrée par l'administration des douanes et droits indirects dans les conditions fixées par décret en Conseil d'État et seul responsable de la collecte de la taxe vis-à-vis de l'administration des douanes et droits indirects. En outre, il a jugé que les sociétés requérantes, dont l'offre a correctement pris en compte les contraintes liées au commissionnement, n'ont pas démontré en quoi ce manquement les aurait lésées ou aurait été susceptible de les léser en avantageant la société Autostrade per l'Italia ;

- le critère du coût global de l'offre, pour lequel il n'avait pas été établi qu'il ait pu favoriser l'offre retenue, était énoncé de façon suffisamment précise. Pour le Conseil d'État, il résulte de l'instruction que les différentes composantes de ce coût, notamment les différentes redevances devant être versées par l'État au titulaire du contrat et les données économiques fondant les simulations financières, étaient précisément énoncées et définies par les annexes 4 et 5 au règlement de la consultation. Par conséquent, en tout état de cause, il ne résulte pas de l'instruction que la définition de ce critère a conduit à avantager l'offre de la société attributaire par rapport à celle des sociétés requérantes ;

- le ministre avait pu, sans porter atteinte au principe d'égalité des candidats, exiger un second démonstrateur en cours de procédure après modification du règlement. Les caractéristiques de ce nouveau démonstrateur, distinct de celui initialement exigé des candidats, ont été indiquées aux candidats à l'annexe 3 du règlement de la consultation complémentaire n° 4. Le Conseil d'État a jugé qu'il ne résultait pas de l'instruction que cette demande, adressée de manière identique à tous les candidats, était dépourvue d'utilité et conduisait à abaisser le niveau des exigences techniques attendues de ces derniers en la matière ;

- le système de notation n'avait pas favorisé le candidat retenu. Le Conseil d'État a précisé que, s'agissant du critère de délai, l'annexe 2 au règlement de la consultation intitulée « Cadre du mémoire technique à remettre par le candidat au stade de la proposition initiale » indiquait précisément, dans sa cinquième partie, les différentes étapes que devait respecter et présenter le candidat, de la conception à la réalisation puis à la mise à disposition du dispositif. Il appartenait ainsi au candidat, dans ce cadre précisément détaillé, d'indiquer les délais qu'il se proposait de respecter et les moyens auxquels il envisageait de recourir pour ce faire. Plus globalement, les documents de la consultation énonçaient précisément les attentes de l'État et les obligations des candidats en matière de délai de mise en oeuvre du dispositif et d'objectifs de performance et que, par conséquent, les sociétés requérantes n'étaient pas fondées à soutenir que les critères de crédibilité des délais et des objectifs de performance ont été définis avec une marge excessive d'imprécision ;

- le recours à l'assistance technique de sociétés filiales d'un groupe ayant collaboré ponctuellement avec le candidat retenu ne saurait, à lui seul, caractériser un manquement à l'impartialité de la part de ses conseils extérieurs dans le cadre du dialogue compétitif, vu les diligences accomplies par l'État dans la procédure et alors qu'il ne résulte pas de l'instruction que l'égalité entre les candidats avait été rompue par un défaut d'impartialité des sociétés de conseil technique.

Il convient de rappeler que cette décision du Conseil d'État ne doit pas être considérée comme une validation du recours, par l'État, à un contrat de partenariat pour la collecte et le recouvrement de l'écotaxe. En effet, il s'agit d'une décision prise dans le cadre d'un référé précontractuel, dont la portée est limitée, puisqu'elle ne s'intéresse qu'aux éventuels manquements aux obligations de publicité et de mise en concurrence dans le cadre d'une procédure de passation d'un marché public . Dès lors que ces obligations sont respectées, il n'appartient pas au Conseil d'État de revenir sur les mérites comparés des offres tels qu'ils ont été appréciés, puisque tel n'est pas l'objet d'une décision de cette nature.

Le Conseil d'État n'a donc pas eu à se prononcer sur les délais impartis par le contrat, manifestement trop contraints, ni sur les critères de performance, sans doute excessifs (99,75 %...) et donc intenables.

Votre commission d'enquête, sans apprécier la légitimité du recours contre la procédure de dévolution du contrat de partenariat, constate que celui-ci a eu des conséquences en termes de délai de mise en oeuvre de l'écotaxe : en effet, la signature du contrat a été retardée d'environ cinq mois supplémentaires, amenant à une signature le 20 octobre 2011 au lieu de l'été 2011.

4. Au final, un dispositif dont le coût est très supérieur à l'évaluation préalable
a) Une sous-estimation initiale importante

Lors des premières études réalisées par le ministère des transports en septembre 2003, le coût d'investissement pour la réalisation d'une écotaxe poids lourds était estimé à 200 millions d'euros pour des recettes annuelles d'environ 500 millions d'euros.

En décembre 2008, conformément au droit applicable aux contrats de partenariat, les services du ministère de l'écologie ont rédigé une évaluation préalable transmise à la Mappp.

Pour la solution satellitaire (GNSS) in fine retenue, le coût de déploiement et de mise en service du dispositif de collecte, pour le prestataire privé, était estimé à 231 millions d'euros dans le cadre d'un contrat de partenariat public-privé (PPP). Le coût de la solution reposant sur la technologie des ondes courtes (DSRC) : 514 millions d'euros, apparaissait comme dissuasif. Les coûts annuels d'exploitation, d'entretien et de maintenance pour la solution satellitaire étaient estimés à environ 120 millions d'euros . Une évaluation des mêmes réalisations en maîtrise d'ouvrage publique aboutissait à des chiffres très proches : 229 millions d'euros pour la solution satellitaire, 509 millions d'euros pour la solution ondes courtes.

Au cours de la procédure d'appel d'offres, l'État a pu constater que le montant des différentes offres proposées était bien supérieur à celui estimé par l'évaluation actualisée faite au début de la procédure. D'après les documents transmis par la DGITM, l'évaluation actualisée faite en avril 2010 estimait le coût d'investissement à environ 393 millions d'euros. Or, l'offre reçue d'Autostrade per l'Italia portait sur un investissement de 653,5 millions d'euros, soit un écart de 260 millions d'euros, représentant une augmentation de plus de 66 %.

Une réunion interministérielle de mai 2010 a d'ailleurs acté cet état de fait. Daniel Bursaux, directeur général des infrastructures, des transports et de la mer, a indiqué à la commission d'enquête que les premiers chiffres résultant des propositions initiales des candidats « nous ont surpris » 28 ( * ) .

Lors de son audition du 4 février 2014, Olivier Quoy, adjoint au chef de la mission de la tarification, a expliqué les raisons de cette sous-évaluation.

Il convient tout d'abord, selon lui, de corriger des effets de périmètre, liés à la prise en compte des coûts de portage financiers ou encore aux dates de calcul.

Trois raisons principales sont avancées pour justifier la sous-estimation initiale :

- le réseau taxable s'est finalement révélé plus étendu que prévu entraînant un redimensionnement du dispositif de contrôle ;

- le coût de l'équipement électronique des portiques « a été assez significativement sous-évalué » ;

- enfin, le réseau de distribution des équipements embarqués dont le chiffrage était particulièrement difficile.

Interrogés sur les écarts très importants constatés par rapport aux évaluations initiales, les services de la DGITM ont indiqué que « l'architecture relative aux équipements embarqués, à leur financement et à leur prise en charge n'était pas exactement la même. À la page 38 [de l'évaluation préalable] , une petite note sur le système de perception indique bien que le coût des équipements embarqués pour les abonnés, évalué à l'époque à 96 millions d'euros, doit être ajouté et pris en compte dans l'investissement total. Deuxièmement, le chiffrage des investissements proprement dits ne comprend pas les coûts de portage financier, qui sont inclus dans les 650 millions d'euros évoqués. On compare donc 327 millions d'euros d'un côté, et 600 millions d'euros de l'autre, si l'on retranche les 50 millions d'euros de frais financiers. L'écart se réduit, même s'il reste significatif. Cet écart s'explique par plusieurs éléments.

Premièrement, le dimensionnement du système de contrôle automatique a évolué. Le réseau taxable que nous avons pris comme hypothèse n'est pas aussi étendu que le réseau retenu. Nous sommes partis avec environ 200 points de contrôle automatique fixes, dont seulement 120 environ sur des routes à chaussée séparée. La description technique des contrôles automatiques déplaçables était relativement floue, ce qui explique la variété des éléments proposés par les industriels. Une cinquantaine seulement de dispositifs déplaçables était envisagée. Une partie de l'écart s'explique donc par des différences en termes de volumétrie du dispositif.

Deuxièmement, les coûts unitaires retenus comportent, d'une part, une composante génie civil, normée, dont l'évaluation ne pose pas de difficultés et pour laquelle aucun écart n'a été constaté et, d'autre part, une composante relative à l'équipement électronique des portiques, qui a été assez significativement sous-évaluée à l'époque, à partir de retours d'expériences divers.

Enfin, le réseau de distribution des équipements embarqués et le service mis en place pour les fournir aux non abonnés expliquent aussi cet écart. Il concerne dans l'évaluation préalable environ 200 points de distribution, dont la configuration de service n'a pas nécessairement été chiffrée en détail en l'absence de retours d'expérience suffisants, dans la mesure où des solutions différentes pouvaient être proposées. Il s'agit d'une estimation à grande masse qui s'est effectivement révélée sous-évaluée. C'est le poste qui a été le plus significatif dans les propositions initiales, mais que nous avons réussi à réduire. »

En fait, entre l'évaluation préalable et la rédaction des propositions initiales de janvier 2010, à part le nombre de points de tarifications, ramené de 3 300 à 2 500, les exigences de l'État ont été augmentées dans quasiment tous les domaines : augmentation des points de distribution des équipements embarqués de 220 à 300, passage de 200 à 300 portiques, demande de 1 500 dispositifs de contrôle manuel, passage de la production annuelle de nouveaux équipements embarqués de 13 900 à 20 000, exigence de 300 personnes pour la mission de contrôle-sanction du système central au lieu de 110. En parallèle, l'estimation du nombre de véhicules devant être équipés est passée de 800 000 à 850 000, et celle du taux de transaction abonnés de 85 % à 80 %.

Cette révision à la hausse conduisait à un projet évalué à 800 millions d'euros. L'État a donc revu à la baisse ses exigences sur le système de contrôle, ramenant par exemple le nombre de portiques de 300 à 173. Cet ajustement a permis une économie de 160 millions d'euros.

Une troisième évaluation a donc été entreprise à l'issue du dialogue compétitif, tenant compte des ajustements des exigences de l'État et des propositions des candidats. Elle s'est avérée, à 640 millions d'euros, très proche de l'offre finale remise par Autostrade per l'Italia qui a remporté le marché. La différence majeure tient au coût du système central, plus élevé que prévu (135 millions d'euros au lieu de 38 millions d'euros) en raison du choix fait par Écomouv' de réaliser des investissements très importants pour gagner ensuite en coûts d'exploitation.

b) Un contrat exceptionnel pour le prestataire
(1) Le montant global

La commission d'enquête a aussi été amenée à s'interroger sur le coût du contrat signé par l'État. Par là, il convient d'examiner les exigences de la personne publique vis-à-vis du prestataire privé et les moyens nécessaires que celui-ci doit mettre en oeuvre pour les atteindre.

Plus que la question de la rémunération en valeur absolue versée chaque trimestre à Écomouv', c'est l'équilibre général du contrat qu'il faut analyser pour déterminer si l'État paye cette prestation à son « juste prix ».

Il faut également rappeler que la mise à disposition, qui n'est pas encore intervenue à la date de rédaction du présent rapport, conditionne l'entrée en phase d'exploitation du dispositif et donc le versement des loyers.

Par décision de son conseil d'administration en date du 7 septembre 2011, l'Afitf s'est engagée à verser au maximum 3 410 millions d'euros pour couvrir les coûts de conception, de déploiement et d'exploitation du dispositif d'écotaxe. Cette somme correspond à un plafond qui ne peut pas être dépassé.

En pratique cependant, la direction du budget calcule que la somme des loyers ressort à 3 246 millions d'euros, soit, pour une durée d'exploitation de 11,5 années, environ 282 millions d'euros par an. Encore faut-il indiquer que ce montant comprend la TVA, laquelle est in fine reversée au budget de l'État (soit environ 40 millions d'euros par an).

Il faut également souligner que les loyers facturés par Écomouv' peuvent faire l'objet de modulations.

Tout d'abord, ils comprennent une part variable en fonction de l'intensité du trafic qui conditionne, par exemple, le volume des télécommunications entre les poids lourds et le système central d'Écomouv'. Ensuite, la rémunération du prestataire est soumise à des objectifs de performance sanctionnés par un système de bonus ou de malus. Enfin, le contrat prévoit des pénalités lorsque les engagements contractuels ne sont pas tenus par Écomouv' (par exemple un retard dans le délai de livraison).

Au total, la mission de la tarification a estimé devant la commission d'enquête que les loyers devraient atteindre environ 52 millions d'euros par trimestre (hors taxes), soit 250 millions d'euros par an TVA incluse (cf. communiqué de presse de l'Afitf du 7 septembre 2011 et les auditions de M. Antoine Seillan, chef du bureau des transports à la direction du budget (29 janvier 2014) et des représentants de la mission de la tarification (4 février 2014).

(2) La rentabilité est importante, aux termes du contrat, pour le prestataire

La société Écomouv' est financée pour 20 % par des fonds propres amenés par les actionnaires et pour 80 % par de la dette bancaire. Parmi les trois offres présentées, c'était le seul consortium à engager autant de fonds propres. Le niveau élevé des fonds propres résulterait d'une demande du pool des prêteurs bancaires qui souhaitait renforcer la solidité financière d'Écomouv', ce qui a permis de diminuer le coût de la dette. En effet, ce sont les financements les plus risqués puisqu'ils couvrent les premières pertes. C'est pourquoi, ce sont aussi les plus rémunérés.

Le taux de retour sur investissement ou taux de rentabilité interne (TRI) qui mesure la rémunération des fonds propres est ainsi d'environ 15,5 % alors qu'il est plutôt de 10 % à 12 % dans les autres PPP.

Interrogé par la commission d'enquête, François Bergère, directeur de la Mappp a estimé que « cela renvoie à des niveaux de fonds propres et de rémunération de fonds propres, qui sont représentatifs des risques pris par le partenaire privé, plus élevés. Pour apprécier si c'est trop élevé ou pas, il faut se reporter à la compétition qui a eu lieu. Il y a eu un vrai dialogue compétitif avec cinq candidats, dont quatre groupements rassemblant les grands noms de l'industrie et de la technologie française et européenne. Un de ces candidats, le groupe Vinci, s'est d'ailleurs retiré, jugeant l'exercice trop difficile. Le dialogue compétitif a effectivement fonctionné de manière concurrentielle. Le taux de 15 % est élevé, mais il est à mettre en regard de la structure financière retenue. Il faudrait pouvoir comparer avec les autres candidats. Enfin, ce critère du coût global est important, mais doit être relativisé puisque c'est un projet qui rapporte plus qu'il ne coûte ».

(3) Malgré son montant, l'offre retenue était cependant la moins coûteuse pour l'État

À aucun moment, il n'a été envisagé de déclarer l'appel d'offres infructueux puisque trois candidats ont remis une offre finale. En revanche, l'État a veillé à maximiser la recette nette d'écotaxe. La phase de dialogue compétitif a ainsi permis de diminuer les coûts - après la prise de conscience par les services des erreurs d'évaluation ex ante - notamment en réduisant la densité du dispositif de contrôle.

Lors de son audition du 5 février 2014, M. Antoine Caput, vice-président de la société Écomouv' SAS, a indiqué que « le cahier des charges initial prévoyait 300 portiques de contrôle, le cahier des charges final, 173. À contrario , le nombre de contrôle automatiques déplaçables a été augmenté. Les exigences de performance ont été allégées ».

Lors de plusieurs auditions, les interlocuteurs de la commission d'enquête ont indiqué que l'offre retenue - parmi les trois étudiées par la commission consultative - était la moins onéreuse pour les finances publiques.

Le document de comparaison des offres remis à la commission d'enquête confirme cette donnée puisque, sur le critère du coût, le candidat retenu avait obtenu la note 5 sur 5 tandis que celle du candidat arrivé en deuxième place était de 4,1 sur 5. La commission consultative qui a émis un avis sur le classement des offres a, en outre, indiqué n'avoir pas de « commentaire particulier » à formuler sur la méthodologie retenue pour analyser le coût global de chacune des offres.

Dans le classement final des offres, le critère du coût était pondéré à hauteur de 25 % et la qualité technique à hauteur de 30 %. Lors de son audition du 21 janvier 2014, M. François Bergère, directeur de la Mappp, a rappelé qu'une « pondération de 25 % pour le coût global de l'offre est inférieure à ce que l'on rencontre généralement dans nos PPP, où les pondérations du coût global de l'offre sont autour de 50 %. Au-delà de 60 % ou 70 %, nous sommes réticents car cela revient à une procédure d'appel d'offres par enchère, ce qui n'est pas l'esprit du PPP qui doit jouer sur tous les paramètres et où la qualité importe au moins autant que le coût. La faiblesse du taux de 25 % s'explique parce que le projet rapporte plus qu'il ne coûte ».

(4) En tout état de cause, le caractère hors normes du projet limite toute possibilité de comparaison réelle

En matière de coûts, la comparaison internationale présente d'évidentes limites. Lors de plusieurs auditions, tant les représentants d'Écomouv', de l'administration que des experts extérieurs ont insisté sur le fait que le système français est interopérable contrairement au système allemand. De même, la solution satellitaire a été retenue en France et en Allemagne, mais pas en Autriche où le système dit « à ondes courtes » a été privilégié. Il faut aussi rappeler que la consistance des réseaux soumis à la taxe varie sensiblement (quasiment exclusivement autoroutier en Allemagne). Les différents États ont également mis en oeuvre des politiques de contrôle différentes. L'ensemble de ces éléments se répercute sur le coût final de la taxe.

Le recours à un ratio coût de perception par véhicule au kilomètre permet néanmoins de lisser ces différences. Lors de son audition du 29 janvier 2014, M. Antoine Seillan, chef du bureau des transports à la direction du budget a indiqué que « le système français devrait se situer dans la fourchette basse si l'on observe le coût rapporté au trafic, c'est-à-dire si l'on raisonne en centimes d'euros par véhicule au kilomètre. On arrive, en Europe, à des fourchettes de 2 à 3 centimes ; la France se situerait à 2,3 centimes ».

En tout état de cause, faute de méthodologie précise de construction de ces ratios, il reste difficile de s'y référer de manière irréfutable. En particulier, les coûts à la charge de la personne publique en dehors du contrat ne sont pas comptabilisés. Or, ils dépendent de la répartition des responsabilités entre prestataire privé et personne publique. Par exemple, la collecte de l'écotaxe française nécessite l'intervention de plusieurs centaines d'agents des douanes. De même, en Allemagne, l'organisme fédéral BAG est en charge du contrôle sur le réseau soumis à l'écotaxe.

Le coût de mise en oeuvre de l'écotaxe n'est donc pas entièrement compris dans le coût du contrat de partenariat. L'État a également dû investir directement des sommes importantes : dépenses d'immobilier pour les services de la douane à Metz, formation des personnels par exemple.

Dans sa réponse écrite aux interrogations formulées par votre commission, M. Christian Eckert, secrétaire d'État au budget, donne les chiffres suivants :

« Vous avez souhaité que vous soit communiqué un état récapitulatif des dépenses budgétaires engagées par l'État pour la préparation de la taxe poids lourds, notamment liées au déploiement d'une équipe douanière à Metz.

« Une évaluation budgétaire a effectivement été réalisée. Elle porte sur l'ensemble des postes (immobilier, fonctionnement, personnel, informatique, mobilier) et des services de la DGDDI en charge de la collecte et du contrôle de l'écotaxe pour les années 2012 à 2014. Les montants en autorisations d'engagement et en crédits de paiements en sont les suivants :

2012

2013

2014

AE

CP

AE

CP

AE

CP

6 407 889 €

1 400 061 €

28 135 227 €

28 969 865

30 145 751 €

30 980 389

« L'essentiel de ce coût est représenté par la masse salariale. Cette dépense ne saurait être assimilée à une perte sèche pour l'État, car les équipes douanières affectées au recouvrement de l'écotaxe ont été mobilisées, très rapidement après l'annonce de la suspension de la taxe, sur d'autres missions de la DGDDI qui les occupent pleinement. »

Il ressort des auditions de la commission d'enquête que ce PPP étant générateur d'une recette, la recherche des économies n'a pas été une priorité. Ainsi, François Bergère, directeur de la Mappp s'est exprimé en ces termes : « ce critère du coût global est important, mais doit être relativisé puisque c'est un projet qui rapporte plus qu'il ne coûte ».

c) Le risque industriel et financier
(1) Le risque industriel

L'évaluation préalable rédigée en décembre 2008 ainsi qu'une notice de présentation du projet, datée du 31 mars 2009, rappellent la répartition des responsabilités entre l'État et le prestataire privé en matière : de collecte de la taxe ; de contrôle-sanction ; et d'information, de formation et d'assistance.

Les tableaux de ces deux documents sont reproduits ci-dessous pour chacune de ces trois catégories.

Collecte de la taxe auprès des redevables abonnés -
Répartition des responsabilités

Responsabilités du prestataire

Responsabilités de l'État

• Financement, conception, réalisation, maintenance, entretien et exploitation du dispositif de collecte des taxes

• Définition du réseau routier taxé et son découpage en sections

• Mise à disposition des équipements embarqués homologués auprès des redevables, via les sociétés habilitées de télépéage (pour les abonnés) ou directement (pour les non abonnés)

• Fixation du taux kilométrique et des paramètres qui sont pris en compte pour la modulation de ce taux

• Collecte des éléments d'assiettes des taxes, liquidation, facturation et recouvrement de la taxe auprès des sociétés habilitées de télépéage

• Rémunération et contrôle du prestataire pour l'exercice de ses missions contractuelles

• Reversement de la totalité du montant des taxes recouvrées à l'État dans le délai imparti et garantie de paiement pour la taxe non recouvrée

Communication à l'État des informations nécessaires à l'exercice de son contrôle (identité des redevables, données d'assiette des taxes...)

Répartition des tâches entre le prestataire et les sociétés habilitées de télépéage

Principales responsabilités du prestataire

Principales responsabilités des sociétés habilitées de télépéage

• Mise en service et exploitation du dispositif de collecte des taxes

• Passation de contrats d'abonnements avec les redevables qui en font la demande

• Mise à la disposition des sociétés habilitées de télépéage d'équipements embarqués homologués, quand celles-ci ne disposent pas de leur propre équipement embarqué homologué

• Saisie et enregistrement des données de ces redevables, y compris vérification et mise à jour des données

• Collecte des éléments d'assiette des redevables abonnés, calcul de leur taxe et facturation de la taxe aux sociétés habilitées de télépéage avec lesquelles les abonnés ont contracté

• Distribution des équipements embarqués et leur montage, le cas échéant, dans des ateliers spécialisés

• Rémunération des sociétés habilitées de télépéage

• Facturation de la taxe aux abonnés, encaissement et recouvrement des sommes dues

• Communication à l'État des informations nécessaires à l'exercice de son contrôle (identité des redevables, données d'assiette de la taxe...)

• Reversement de la taxe facturée et garantie de paiement pour les transactions valides

• Toutes adaptations du dispositif pour assurer l'interopérabilité du système de collecte des taxes avec le système européen de télépéage

• Communication au prestataire des informations relatives à l'identité des redevables

Collecte de la taxe auprès des redevables non abonnés -
Répartition des responsabilités

Principales responsabilités du prestataire

Principales responsabilités de l'État

• Financement, conception, réalisation, maintenance, entretien et exploitation du dispositif de collecte des taxes des non abonnés, y compris le réseau de distribution

• Définition du réseau routier taxé et son découpage en sections de tarification avec localisation fonctionnelle des points de tarification

• Personnalisation et mise à disposition des équipements embarqués

• Fixation du taux kilométrique et des paramètres qui sont pris en compte pour la modulation du taux kilométrique

• Information du redevable sur son compte et notamment son solde du pré-paiement (avant qu'il soit en infraction)

• Validation des dispositions concernant le réseau de distribution

• Collecte des éléments d'assiette des taxes, liquidation, facturation et recouvrement amiable des taxes auprès des redevables non abonnés (débit de l'acompte)

• Rémunération et contrôle du prestataire pour l'exercice de ses missions contractuelles

• Reversement à l'État de la totalité du montant des taxes recouvrées dans le délai imparti et garantie de paiement à l'État pour la taxe non recouvrée

• Communication à l'État des informations nécessaires à l'exercice de son contrôle (identité des redevables, données d'assiette des taxes...)

Contrôle automatique - Répartition des responsabilités

Principales responsabilités du prestataire

Principales responsabilités de l'État

• Assurer toutes les procédures nécessaires aux implantations sur sites (par ex. permis de construire)

• Localisation fonctionnelle des stations fixes de contrôle automatique et stratégie d'utilisation des stations déplaçables

• Financement, conception, réalisation, exploitation et maintenance des stations fixes et déplaçables

• Décision d'appliquer une amende, fixation du montant, notification et recouvrement

• Détection (automatique) des manquements, vérification, identification et constatation

• Recouvrement forcé en cas de non-paiement de la taxe éludée après notification du prestataire

• Transmission des éléments de preuves d'infractions à l'État

• Information du prestataire quant aux situations régularisées par les redevables (pour la mise à jour des listes de manquements)

• Notification de la taxe éludée, recouvrement, relance et reversement à l'État des sommes collectées

• Rémunération et contrôle du prestataire pour l'exercice de ses missions contractuelles

• Fourniture, maintenance et renouvellement des dispositifs et des connexions au système central

• Notification de la taxe non recouvrée à l'État

Services de formation, d'information et d'assistance -
Répartition des responsabilités

Responsabilités du prestataire

Tâches des SHT sous la responsabilité du prestataire

Responsabilités de l'État

• Responsabilité éditoriale de la communication officielle auprès des redevables non abonnés

• Responsabilité éditoriale de la communication officielle auprès de leurs abonnés

• Définition de l'information officielle destinée aux redevables (notamment, définition du réseau taxable, des taux de tarification, du principe de fixation des amendes et des conditions de leur règlement, des conséquences du déclenchement du recouvrement forcé)

• Services d'information multilingue et relais de la communication officielle auprès des redevables non abonnés (site Internet et imprimés, calculateur)

• Services d'information multilingue et relais de la communication officielle auprès des redevables abonnés (site Internet et imprimés)

• Rémunération et contrôle du prestataire pour l'exercice de ses missions contractuelles

• Services d'assistance multilingue aux redevables non abonnés (site Internet avec accès personnel sécurisé pour les non abonnés ayant un compte actif, et centre d'appel ayant accès à une partie de la base de données)

• Services d'assistance multilingue aux redevables abonnés (site Internet avec accès personnel sécurisé pour les abonnés, et centre d'appel)

• Services de formation et d'assistance aux agents de l'État pour assurer leur compréhension des systèmes et sous-systèmes

• Mise à la disposition des agents de l'État, de toutes les informations dont ils ont besoin pour accomplir leurs tâches relatives à la TPL

La lecture de ces documents montre que les responsabilités transférées à Écomouv' sont nombreuses et parfois complexes. En contrepartie, la colonne de droite (« responsabilités de l'État ») mentionne systématiquement « rémunération et contrôle du prestataire pour l'ensemble de ses missions contractuelles ».

Pour Écomouv', le risque est d'abord industriel, lié notamment au risque d'obsolescence de la technologie utilisée. Par ailleurs, Écomouv' doit veiller à limiter ses dépenses de maintenance. C'est pourquoi, face à ce type de risque, le prestataire privé demande une rémunération importante qui lui permette d'y faire face.

Pour l'État, en revanche, le principal risque est d'ordre sociétal, comme on a pu le constater avec la révolte des bonnets rouges.

(2) Le risque financier

Il convient de s'interroger sur l'adéquation de la rémunération du prestataire par rapport aux risques qu'il prend et qui lui sont transférés par la puissance publique.

À cet égard, il faut tout d'abord relever que, dans ce projet, le niveau de sécurité était considéré comme élevé tant par les banques que par Écomouv', à tel point que la garantie de l'État sur l'emprunt bancaire, proposée dans le cadre du plan de relance de 2009, n'a finalement pas été demandée par Écomouv'. Cette affirmation est également étayée par l'attitude des banques comme par leurs correspondances vers l'État depuis l'annonce de la suspension de la mise en oeuvre de l'écotaxe. Il convient enfin de remarquer qu'elles n'ont exercé qu'un contrôle très modeste des étapes techniques de la mise en oeuvre du dispositif, ayant confié ce contrôle à un prestataire dont les rapports de vérification - au vu des éléments fournis à votre rapporteur - sont très succincts. Ainsi, l'analyse du rapport de VSR, crucial pour le prononcé de la mise à disposition du dispositif auprès de l'État, ne ferait l'objet que d'un bref échange de mails de moins d'une page entre ce prestataire et les organismes financiers impliqués.

Le risque financier assumé par Écomouv' est celui du versement de la recette d'écotaxe facturée et non pas de celle effectivement recouvrée. Encore faut-il souligner que ce risque est lui-même reporté sur les SHT qui gèrent l'essentiel des redevables, dits « redevables abonnés ». De même, les redevables « non abonnés », gérés en direct par Écomouv', doivent remplir un compte prépayé avant d'emprunter le réseau taxable. Dans ces conditions, le risque financier apparaît minime.

En fait, le principal véritable risque pris par Écomouv' (hormis le risque industriel sur lequel il s'est engagé) est celui pourtant considéré comme quasi-inexistant par le prestataire comme par les banques, à savoir la remise en cause par l'État de l'écotaxe et du contrat.

Le contrat prévoit néanmoins la gestion de ce risque 29 ( * ) .

Au total, les risques financiers sont pris par les acteurs du dispositif autres qu'Écomouv', sauf celui de la fraude active. La construction du dispositif est telle que ce risque financier est minime quant aux sommes éventuellement en jeu. D'ailleurs, c'est l'État qui paie cette minimisation du risque de fraude par les exigences exprimées dans les critères de performance.

C'est donc bien l'État qui paie en grande partie la réduction du risque financier pris par Écomouv' tandis que les autres partenaires supportent l'essentiel des autres risques.

Au total, le dispositif retenu pour percevoir l'écotaxe, résultant d'une volonté politique exprimée très tôt de recourir à un partenariat public-privé, mis en oeuvre par l'administration, apparaît donc comme complexe tant au plan juridique qu'au plan technique. Ce système était pourtant apparu de nature à engendrer une activité économique significative et suscitant l'intérêt de plusieurs régions.

5. Un dispositif porteur d'espoir dans une région sinistrée
a) Un dispositif qui s'inscrit dans le cadre du contrat de redynamisation

Le territoire de Metz Métropole a été particulièrement touché par les conséquences, lourdes dans ce territoire, de la crise économique, phénomène aggravé par les restructurations entreprises par le ministère de la défense. La signature, en juillet 2010, du contrat de redynamisation concernant plus particulièrement le devenir de la base aérienne 128 (BA 128) a donc été accueillie localement avec une vive satisfaction.

Au-delà des emplois publics promis par le biais de délocalisations, dans un contexte peu porteur cependant puisque les effets de la RGPP battaient alors leur plein, il était indispensable que l'État accompagne et aide à l'implantation d'entreprises privées créatrices d'emplois et de richesses.

Ainsi, la création et l'installation à Metz du service de la taxe poids lourds de la douane, accompagnées du recrutement ou de la mutation de 120 fonctionnaires supplémentaires dans l'immédiat, a été rapidement décidée et annoncée. Les travaux nécessaires ont été tout aussi rapidement entrepris.

L'État a obtenu une confirmation du choix d'Écomouv' pour Metz Métropole et le site de la BA 128 lors de la réunion de revue de projet du 25 janvier 2012 (la réunion du comité exécutif d'Écomouv', décideur officiel, ayant lieu le lendemain).

Des dossiers de demande d'aides publiques avaient bien évidemment été adressés aux autorités respectives, et les réponses faites ont très probablement pesé dans la décision d'Écomouv', au-delà d'autres considérations tenant à la localisation du centre des douanes affecté à ce dossier. L'implication des politiques, locaux et nationaux, est à saluer sur ce point, la création d'un certain nombre d'emplois de haut niveau technique étant très attendue par toutes les personnes en situation de précarité du fait des fermetures intervenues dans cette région.

Ainsi, le montant prévisionnel des embauches d'Écomouv' s'élevait à 200 emplois 30 ( * ) , avec une montée en charge progressive en fonction du calendrier prévisionnel de la mise en place de l'écotaxe, et sans doute une période (initialement prévue entre l'automne 2013 et le début de l'année 2014) d'emploi en CDD pour plusieurs dizaines d'autres personnes (fin des opérations d'enregistrement avant que le dispositif entre en « vitesse de croisière »). Dans ce cadre, outre une demande de rescrits fiscal et social (dont votre rapporteur, à ce jour, ne sait pas s'ils ont finalement été accordés ou pas, les services fiscaux précisant à Écomouv', à la fin du mois de mars 2012, qu'il leur manquait toujours des éléments pour instruire définitivement ce dossier) qui a été présentée, Écomouv' a obtenu une subvention de 31 600 euros dans le cadre du dispositif FRED (400 euros par CDI créé, à partir du 3 juin 2013, pour un total de 79 personnes, et en compensation des travaux d'autonomisation des bâtiments de la BA 128 exécutés par Écomouv'). Un élément qui a sans doute été déterminant pour Écomouv' en matière d'aide à l'installation était une convention d'aide au recrutement signée avec Pôle Emploi (proposée aussi par Reims). En effet, le profil des salariés qu'Écomouv' souhaitait recruter était particulier (nécessité d'être au moins trilingues, et formés à des missions nombreuses et variées allant de l'enregistrement des redevables au traitement de demandes en restitution, et enfin obtenir un agrément délivré par les douanes). Le dispositif mis en place par Pôle Emploi pour remplir cette mission a été chiffré par l'agence, le 31 janvier 2013, à 722 268 euros, hors rémunération des candidats et frais, répartis entre la Région Lorraine, l'AGEFOS-PME et l'État. L'aide ainsi apportée à Écomouv' a non seulement été financière, mais aussi logistique et opérationnelle dans un contexte tendu pour la société Écomouv', qui faisait face à son installation physique dans les locaux de la BA 128 et aux premières mises au point du dispositif.

Votre commission d'enquête relève que l'ensemble de ces aides à l'installation respecte le droit commun applicable en la matière. Elles ne paraissent pas excessives au regard du nombre d'emplois effectivement créés par Écomouv' en région Lorraine.

b) Les premières difficultés
(1) Un processus de recrutement très long pour des candidats nombreux

Dès le mois de mai 2012, Écomouv' annonçait, en réunion de revue de projet, avoir entamé le processus de recrutement avec Pôle Emploi, pour 200 personnes à ce moment-là. Pôle Emploi affirme pour sa part avoir reçu près de 5 000 candidatures, pour lesquelles une quarantaine de réunions d'information (présentation de l'entreprise, des postes, des conditions de travail et du process de recrutement) ont été organisées. 102 sessions de « méthode de recrutement par simulation » et 582 évaluations de niveau de maîtrise des langues ont été nécessaires.

Au tout début du mois de juillet 2012, Pôle Emploi annonce avoir évalué 130 candidats, dont la moitié a réussi les tests (réunion de revue de projet du 2 juillet 2013). Lors de la réunion de revue de projet du 30 juillet 2013, Écomouv' annonce cependant « rencontrer des difficultés pour le recrutement du personnel du centre de Metz. L'identification des ressources possédant les niveaux de compétences linguistiques et métiers requis est plus complexe que prévu. Sur l'objectif de 100 personnes recrutées, 57 personnes sont aujourd'hui éligibles à l'embauche, ce qui représente 10 % des personnes vues pour les premières étapes de recrutement. Écomouv' demande à l'État de lui indiquer les règles de pré-agrément pour le personnel du centre de Metz (...). Les formations du personnel vont par ailleurs débuter afin qu'il soit opérationnel en janvier. L'objectif est ensuite d'avoir 100 personnes recrutées et formées début avril [2013] ». L'État, de son côté, à cette même réunion, « rappelle à Écomouv' qu'ils doivent discuter des formations que l'État devra assumer pour le personnel du centre de Metz ».

Cependant, Pôle Emploi fait état des premiers reports de recrutement, qui ont concerné un groupe de 14 personnes. Celles-ci, ayant démarré une formation le 2 novembre 2012, devaient l'achever le 11 février 2013 et être embauchées dans la quinzaine qui suivait. Écomouv' n'ayant pas pu assurer l'immersion sur site comme prévu au cours de la dernière partie de la formation, et ne pouvant donc embaucher ce groupe comme convenu, le contenu de la formation a dû être modifié, et Pôle Emploi a dû financer un nouveau dispositif de quatre semaines pour éviter à ces candidats des situations douloureuses, voire ingérables, et pallier les modifications de calendrier d'Écomouv'. Un autre groupe de 97 candidats, qui devait entamer une formation le 7 janvier 2013 et être embauché de façon échelonnée entre avril et mai 2013, était dans l'attente d'un nouveau calendrier le 31 janvier 2013, de même que deux autres groupes de 60 et 90 candidats, plus en amont dans le processus de recrutement, qui n'avaient plus aucune visibilité quant à leurs perspectives d'embauche.

Ce type de situation a été confirmé par des témoignages recueillis lors de l'enquête menée par votre commission, tant pour ce qui concerne les calendriers, très mouvants, que les conditions de rémunérations. Les personnes entendues sur ce sujet ont exprimé à la fois une souffrance et une incompréhension face à ce qui était ressenti comme une absence de respect comme de reconnaissance de leur investissement pour retrouver un emploi, dans des conditions parfois de grande précarité. Leur déception était à la hauteur des espoirs suscités par les perspectives de retrouver emploi, stabilité et dignité.

Pôle Emploi rencontre de grandes difficultés pour gérer ces reports successifs, respecter les cahiers des charges d'Écomouv' mais aussi des financeurs, et organiser des formations dans ce contexte instable. Pôle Emploi souligne aussi les conséquences négatives pour les candidats de cette situation. Pour certains, engagés dans le processus de recrutement depuis un an, Pôle Emploi note un « épuisement », le « désespoir », les difficultés financières liées tant à l'organisation nécessaire pour participer au recrutement (garde d'enfant...) qu'aux problèmes de fins de droits (chômage, congé parental...). Face à ce constat, le 31 janvier 2013, Pôle Emploi fait une nouvelle proposition à Écomouv', en recalant à la fois les dates et le nombre de recrutements à réaliser sur l'année 2013. Mais il est alors précisé qu'il est primordial de pouvoir respecter ce nouveau calendrier.

(2) L'évolution en 2013

On ne retrouve plus trace dans les comptes rendus des réunions de revue de projet des recrutements en cours ou effectués, et, au vu des témoignages recueillis par votre commission, on peut supposer qu'ils se sont échelonnés sur un calendrier retardé par rapport aux engagements initiaux mais peu ou prou conforme aux derniers recalages de début 2013 entre Pôle Emploi et Écomouv'.

En effet, les réunions de revue de projet font état très régulièrement des retards accumulés par Écomouv', mais constatent néanmoins (revue de projet du 27 février 2013) que « le point positif est que l'État ne doute pas de la capacité d'Écomouv' à livrer une version opérationnelle du dispositif, le point négatif est que l'échéance du 20 juillet 2013 n'est pas crédible « techniquement » parlant et que de fait le calendrier actuel doit être revu ».

D'après Écomouv', au 13 décembre 2013, le centre d'exploitation de Metz compte 161 collaborateurs dont 110 téléconseillers et responsables d'équipe, 6 salariés en charge de la correspondance aux redevables, 32 personnes travaillant au centre de traitement des anomalies, 6 sur le plan d'engagement et 7 au support et à l'encadrement du centre d'exploitation.

Pour l'URSSAF, les derniers chiffres qui ont été communiqués à votre rapporteur font état de 126 salariés au 20 juillet 2013, 182 au 1 er octobre 2013 et 153 au 1 er janvier 2014 : compte tenu des dates légèrement différentes de ces déclarations, elles sont cohérentes et on peut estimer qu'aujourd'hui environ 160 personnes sont directement concernées par l'avenir de la société Écomouv' à Metz.

c) La situation aujourd'hui

La situation d'Écomouv' ne doit pas conduire à oublier les 120 fonctionnaires des douanes, travaillant à Metz dans le cadre de la mise en place de l'écotaxe. D'après les informations obtenues par votre commission ces personnes sont en charge de missions en rapport avec leurs qualifications et compétences jusqu'à aujourd'hui, mais il est important de conserver leur présence en mémoire pour les décisions à venir.

Pour en avoir reçu leurs représentants, votre commission a aussi été très sensibilisée à la situation des personnes qui se sont elles-mêmes désignées comme « les oubliés de l'écotaxe » 31 ( * ) . En effet, ces 45 personnes, après être rentrées dans un processus de recrutement qui a été, comme décrit supra , long et difficile, qui a nécessité un fort investissement de leur part et des sacrifices, se retrouvent, sans que ce soit de leur fait, dans une impasse et dans un épuisement à la fois physique, moral et matériel que les pouvoirs publics doivent prendre en considération. La décision de suspension a pour elles des retombées qui pourraient se révéler rapidement catastrophiques.

Malgré tous les efforts de la région comme de Pôle Emploi pour leur venir en aide, il reste que la mise en oeuvre de mesures dérogatoires du fait de cette situation exceptionnelle est sans doute nécessaire pour leur permettre, quoi qu'il advienne du dispositif de l'écotaxe, de bénéficier de droits qu'elles ont à ce jour épuisés et de mesures de soutien.

Lors des réunions de revue de projet des 7 novembre et 13 décembre 2013, la situation des personnes employées par Écomouv' a été évoquée et des pistes ou solutions permettant de limiter les effets néfastes pour elles dans l'attente des décisions ont été avancées. Mais, en effet, rien n'a été dit concernant les personnes qui auraient dû être embauchées dans les semaines écoulées : votre commission souhaite vivement attirer l'attention du Gouvernement sur ce point précis.


* 25 Article 5 de l'ordonnance n° 2004-559 du 17 juin 2004 sur les contrats de partenariat.

* 26 Article 7 de l'ordonnance précitée.

* 27 Directive n° 2004/52/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 concernant l'interopérabilité des systèmes de télépéage routier dans la Communauté, dans sa version issue du règlement n° 219/2009 du Parlement européen et du Conseil du 11 mars 2009.

* 28 Audition du 11 février 2014.

* 29 Cf. infra.

* 30 Source : lettre du 11 janvier 2012 envoyée par Écomouv' au préfet de Lorraine et au président de Metz Métropole.

* 31 Cf. courrier en annexe.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page