B. UN CONTRÔLE PARLEMENTAIRE CONFORTÉ ET RENFORCÉ

Les AAI étant par nature indépendante du Gouvernement, il appartient au Parlement d'apprécier leur action. Ce contrôle est logique dans la mesure où ces AAI exercent, pour certaines, des prérogatives auparavant exercées par le Gouvernement qui est, pour sa part, soumis au contrôle du Parlement en application de l'article 24 de la Constitution.

La rédaction de l'article 24 de la Constitution issue de la révision du 23 juillet 2008 assigne d'ailleurs au Parlement pour mission le contrôle du Gouvernement mais également l' évaluation des politiques publiques . Les AAI étant organiquement distinctes du Gouvernement, leur contrôle relève indéniablement de la seconde branche des missions du contrôle parlementaire.

Comme l'exposait votre rapporteur en 2006, « la légitimité des AAI procède d'une délégation de pouvoir consentie par les institutions », ce qui ne peut suffire à leur assurer une légitimité démocratique. Au demeurant, aucun représentant d'AAI rencontré par votre rapporteur au cours de ses auditions n'a manifesté d'hostilité de principe devant ce contrôle. Au contraire, la présidente de la HADOPI a résumé un sentiment général : « le contrôle parlementaire est le corollaire indispensable de l'indépendance et de la légitimité de notre institution ».

Dans son rapport de 2006, votre rapporteur recommandait un renforcement du contrôle parlementaire des autorités indépendantes par une reddition de comptes plus fréquente des AAI devant les assemblées parlementaires. Il invitait ainsi, de manière générale, à « réaliser régulièrement, au sein des commissions compétentes, l'évaluation des AAI existantes afin d'envisager, le cas échéant, leur réorganisation » (recommandation n° 6). Cette recommandation s'adresse, à titre principal, aux commissions permanentes qui, en vertu de l'article 22 de notre Règlement, « assurent l'information du Sénat et mettent en oeuvre, dans leur domaine de compétence, (...) l'évaluation des politiques publiques et le suivi de l'application des lois ».

Comme le soulignait votre rapporteur en 2006, deux procédures se prêtent en particulier au contrôle des AAI : la présentation d'un rapport annuel au Parlement et le contrôle budgétaire.

1. Le suivi de l'activité des AAI

Comme en 2006, votre rapporteur considère toujours le rapport annuel d'activité des AAI comme l'outil privilégié de leur contrôle sous réserve que :

- ces rapports soient systématiquement déposés devant le Parlement (recommandation n° 27) ;

- que leur contenu comporte des rubriques obligatoires : bilan de l'utilisation par l'autorité des crédits par l'AAI et de la mise en oeuvre de ses prérogatives, règles de déontologie dont elle s'est dotée, présentation des règles et de la doctrine qu'elle suit dans l'exercice de ses missions (recommandation n° 28) ;

- que leur présentation soit systématique devant les commissions permanentes compétentes de chaque assemblée (recommandation n° 29).

À ce jour, aucune disposition générale n'impose le dépôt auprès des deux assemblées parlementaires d'un rapport annuel pour chaque AAI ou API. Cependant, depuis 2006, une telle obligation a été prévue ponctuellement pour certaines AAI, parallèlement à une transmission de ce rapport au Gouvernement ou au Président de la République 24 ( * ) . Pour d'autres AAI comme la CCSDN, la transmission d'un rapport auprès du Parlement ne relève encore que de l'usage.

En tout état de cause, le contenu de ces rapports ne fait actuellement l'objet d'aucune harmonisation rendue obligatoire par la loi. Dans l'esprit de votre rapporteur, ce rapport devrait également être l'occasion pour les AAI de formuler des recommandations ou des propositions d'évolution législative ou règlementaire, leur permettant ainsi de se saisir d'une difficulté que leur activité a mise en lumière.

Les organes parlementaires ont parallèlement développé le nombre d'auditions des représentants des AAI. Ces auditions sont menées aussi bien dans le cadre de l'activité législative que des missions de contrôle du Parlement, qu'elles soient organisées par un rapporteur ou devant une commission, une délégation ou un office.

À titre d'exemple, depuis 2008, 117 auditions de représentants d'AAI ont été organisées au sein de votre commission des lois.

Répartition des auditions de représentants d'autorités indépendantes
menées par la commission des lois et ses rapporteurs (2008-2013)

Année

2008

2009

2010

2011

2012

2013

Nombre d'auditions

11

10

29

20

16

31

Autorités indépendantes

Nombre d'auditions depuis 2008

Autorité de contrôle prudentiel (ACP)

1

Autorité de la concurrence

8

Autorité des marchés financiers (AMF)

5

Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP)

1

Commission d'accès aux documents administratifs (CADA)

2

Comité consultatif national d'éthique (CCNE)

1

Commission consultative du secret de la Défense nationale (CCSDN)

3

Contrôleur général des lieux de privation de libertés

16

Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP)

6

Commission nationale consultative des droits de l'Homme (CNCDH)

11

Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité (CNCIS)

4

Commission nationale de déontologie de la Sécurité (CNDS)

4

Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL)

20

Commission de la sécurité des consommateurs (CSC)

2

Commission pour la transparence financière de la vie politique (CTFVP)

4

Conseil supérieur de l'audiovisuel

1

Défenseur des droits

10

Défenseur des enfants

5

Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (HALDE)

7

Haut Conseil du commissariat aux comptes

1

Médiateur de la République

5

L'accroissement du nombre des AAI depuis 2006 et l'existence d'AAI de faible taille rend d'autant plus nécessaire pour la représentation nationale de recevoir un rapport annuel de la part de chacune d'entre elles afin de porter un jugement sur leur action. L'harmonisation de leur contenu faciliterait ce contrôle, rendant plus aisé les éventuelles comparaisons et mettant en lumière les différences d'approche des AAI. Votre rapporteur ne peut donc que renouveler ses recommandations de 2006.

L'audition systématique d'un nombre particulièrement élevé d'AAI pourrait néanmoins solliciter fortement certaines commissions parlementaires. En sens inverse, ne prévoir cette audition que pour certaines AAI risquerait d'écarter les AAI de faible taille qui sont d'ores et déjà les moins entendues par les commissions parlementaires. Pour résoudre cette contradiction, pourrait être reprise la proposition que votre rapporteur esquissait en 2006 visant à organiser cette audition annuelle en alternance à l'Assemblée nationale et au Sénat.

2. Un contrôle de l'adéquation entre les moyens et les missions

Si le montant des budgets des AAI par rapport à celui de l'État relativise fortement l'intérêt de leur contrôle budgétaire en termes purement financiers, « la discussion des projets de loi de finances et des projets de loi de règlement devrait constituer l'autre temps fort du contrôle démocratique de l'activité des AAI » comme le rappelait votre rapporteur en 2006.

De surcroît, l'enjeu financier est inégal d'une autorité à une autre. D'une part, le montant du budget peut, aux extrémités du spectre des AAI, varier du simple au centuple. D'autre part, la nature des ressources destinées à ces autorités diffèrent entre AAI et API. En effet, du fait de leur personnalité morale, les API peuvent bénéficier de taxes spécialement affectées et non simplement de crédits budgétaires, même si, comme il a été précédemment relevé, le montant de ces ressources fiscales est réduit par rapport au financement en provenance du budget de l'État.

Le contrôle budgétaire reste néanmoins un rendez-vous annuel pour le Parlement afin de s'assurer de l'adéquation entre les missions confiées à une AAI ou une API et les moyens budgétaires et humains qui sont mis à sa disposition pour les assurer. Ce contrôle budgétaire est le corollaire de l'activité législative du Parlement : un constat sur le niveau des crédits accordés à une autorité doit pouvoir se traduire par une adaptation - à la hausse ou à la baisse - du périmètre des missions confiées à l'autorité.

Déjà en 2006, votre rapporteur le constatait : « l'absence d'évaluation de l'impact budgétaire des extensions de compétence des AAI peut se révéler, à terme, préjudiciable à leur fonctionnement et à leur indépendance ». Cette observation milite, une fois de plus, pour n'envisager la création ou l'extension de compétence d'une autorité indépendante qu'après une sérieuse étude d'impact.

Votre rapporteur constate que depuis 2006, le Parlement s'est doté de nouveaux instruments pour le contrôle budgétaire des autorités existantes , ces instruments ayant été, pour l'essentiel, introduits à la suite d'initiatives parlementaires.

a) Un regroupement des crédits budgétaires

En 2006, votre rapporteur s'était intéressé à la place des autorités indépendantes dans la nouvelle architecture budgétaire résultant de la loi organique n° 2001-691 du 1 er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF). Si le projet de regrouper les crédits budgétaires des AAI au sein d'un même programme avait été esquissé, l'architecture budgétaire a finalement conduit à ce que « les AAI demeurent réparties au sein de plusieurs missions, sans critère précis ».

Depuis 2006, la lisibilité budgétaire s'est renforcée . Ainsi, sous l'impulsion du Sénat, plusieurs AAI en charge de la protection des libertés ont été regroupées au sein d'un seul programme budgétaire : le programme Protection des droits et libertés au sein de la mission Direction de l'action du gouvernement rattachée au Premier ministre. Regroupant avant la création du Défenseur des droits onze AAI, ce programme, qui rassemble désormais le budget de neuf AAI, fait, depuis sa création, l'objet d'un avis budgétaire au nom de votre commission des lois. Est ainsi pleinement satisfaite la recommandation de votre rapporteur qui souhaitait « rassembler les AAI au sein d'une mission budgétaire « Régulation et protection des libertés » [...] » (recommandation n° 19).

Le responsable de ce programme demeure le secrétaire général du Gouvernement, ce qui, au regard de l'autonomie budgétaire des autorités concernées, peut soulever une objection de principe. Le constat formulé en 2006 selon lequel la LOLF n'a pas été conçue pour les AAI reste pertinent. Ce constat doit cependant être nuancé par l'absence de volonté manifeste de la part des AAI d'assumer le rôle de responsable de programme, ce qui impliquerait pour elles de se doter de moyens humains supplémentaires au détriment parfois de leurs missions essentielles.

En outre, notre collègue Virginie Klès le soulignait dans son avis budgétaire de 2012 : « la logique budgétaire portée par la LOLF s'adapte dans les faits aux autorités indépendantes pour ne pas contrevenir à leur indépendance » 25 ( * ) . Elle s'appuyait alors sur « le soin que les services du Premier ministre déploient pour, dans le cadre budgétaire imposé par la LOLF, assurer effectivement cette indépendance » et sur sa traduction dans la charte budgétaire signée le 20 avril 2009 entre les autorités indépendantes et le secrétariat général du Gouvernement afin de favoriser le dialogue de gestion avec les services du Premier ministre.

La genèse du programme budgétaire Protection des droits et libertés

Lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2006, Mme Jacqueline Gourault, rapporteur pour avis, au nom de votre commission, des crédits de la mission Direction de l'action du Gouvernement avait estimé nécessaire de protéger les crédits des autorités administratives indépendantes, en créant, au sein de cette mission, un programme spécifique regroupant les sept autorités administratives indépendantes (AAI) du programme Coordination du travail gouvernemental .

L'amendement présenté en ce sens avait été adopté à l'unanimité par notre assemblée, après un avis favorable de la commission des finances, mais contre l'avis du Gouvernement. M. Christian Jacob, ministre de la fonction publique, avait en effet indiqué que l'initiative de Mme Jacqueline Gourault n'était pas conforme à l'article 7 de la LOLF en vertu duquel un programme « concourt à une politique publique définie », la défense des droits et libertés ne pouvant être regardée comme une politique publique.

L'Assemblée nationale s'est rangée à cet argument et l'amendement n'a finalement pas été retenu par la commission mixte paritaire.

Fort des recommandations du rapport de l'Office parlementaire, le Sénat a de nouveau adopté, lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2007, toujours contre l'avis du Gouvernement, deux amendements identiques (l'un de votre commission des lois, l'autre de la commission des finances) tendant à identifier les crédits des AAI dans un programme spécifique de la mission Direction de l'action du Gouvernement . L'amendement a, une nouvelle fois, été rejeté en commission mixte paritaire.

Lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2008, à l'initiative des seuls rapporteurs spéciaux de la mission Direction de l'action du Gouvernement , MM. François Marc et Michel Moreigne le Sénat a, pour la troisième fois, adopté ce même amendement.

Si la commission mixte paritaire n'a, une nouvelle fois, pas confirmé l'adoption de l'amendement, elle a décidé la création d'un groupe de travail pour réexaminer la question.

Comprenant Mme Jacqueline Gourault, M. Patrice Gélard, MM. François Marc et Michel Moreigne, ainsi que M. Jean-Pierre Brard, rapporteur spécial de la mission Direction de l'action du Gouvernement de la commission des finances de l'Assemblée nationale, ce groupe s'est réuni le mercredi 9 avril 2008 et a décidé d'adresser un courrier au Premier ministre demandant la modification de la nomenclature budgétaire pour le projet de loi de finances pour 2009 afin d'instituer un programme spécifique Protection des droits et libertés . Le Gouvernement y a répondu favorablement.

Source : avis budgétaire de M. Jean-Claude Peyronnet 26 ( * )

À l'inverse, l'éclatement des crédits budgétaires au sein de plusieurs programmes budgétaires perdure pour certaines AAI. Lors de son audition par votre rapporteur, le président de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) a indiqué que le budget de l'ASN relevait de cinq programmes différents 27 ( * ) répartis au sein de quatre missions budgétaires. Cette situation est préjudiciable non seulement à l'AAI dans sa gestion budgétaire mais également au Parlement pour contrôler la réalité des moyens qui sont octroyés à l'ASN.

b) L'approfondissement de la logique de performance

Depuis 2006, le Parlement s'est attaché à développer des instruments budgétaires de contrôle des AAI et des API. Comme le relevaient nos collègues députés René Dosière et Christian Vanneste dans leur rapport d'information d'octobre 2010, les API constituent un « angle mort du point de vue de l'information du Parlement ».

En effet, les API ne sont ni incluses dans le champ des opérateurs de l'État, qui font l'objet d'une annexe générale au projet de loi de finances - un « jaune » budgétaire -, ni évoquées, même de manière indirecte, dans les projets annuels de performances lorsque leurs ressources ne sont pas budgétaires, mais fiscales ou issues de recettes de nature quasi-commerciale.

Le Parlement a donc étendu aux API des règles qui ne leur étaient pas applicables.

D'une part, il a institué par l'article 106 de la loi de finances pour 2012 un nouveau document budgétaire imposant une présentation budgétaire aux API semblable à celle applicable aux crédits budgétaires des AAI qui sont compris dans le budget de l'État 28 ( * ) .

D'autre part, il a été proposé, par voie parlementaire au sein du projet de loi de finances rectificative pour 2011, d'instaurer le principe selon lequel la loi de finances fixe un plafond d'emplois pour ces autorités au même titre que pour l'État. Le Conseil constitutionnel a cependant censuré cette disposition en rappelant que « seule une loi organique peut fixer le contenu des lois de finances ». En revanche, il a ouvert la voie à ce que le législateur, sans fixer la règle par avance pour tous les exercices budgétaires, détermine chaque année ce plafond d'emploi, ce qu'il fait depuis l'adoption de la loi de finances pour 2012 29 ( * ) , instaurant ainsi un principe « coutumier ».

Notre collègue Nicole Bricq, alors rapporteure générale du budget pour le Sénat, prédisait en 2011 que « l'amélioration de l'information permettra au Parlement d'examiner régulièrement la situation financière, les emplois et les performances des autorités concernées, sur le fondement de quoi il lui sera loisible d'adapter leurs moyens ».

3. Un droit de regard croissant sur les nominations
a) Les nominations d'origine parlementaire

Le suivi parlementaire s'est, depuis l'origine, effectué à travers les membres nommés à l'initiative du Parlement voire les parlementaires qui siégeaient eux-mêmes au sein d'une autorité . À cet égard, comme l'indiquait à votre rapporteur lors de son audition, M. Xavier-Thierry Girardot, secrétaire général adjoint du Gouvernement, un équilibre doit être trouvé dans le nombre de parlementaires siégeant au sein des AAI afin de ne pas créer une confusion des pouvoirs entre le Parlement et l'autorité en question.

À l'exception des autorités qui ne comptent pas de collège - comme le Contrôleur général des lieux de privation de liberté ou le Médiateur de l'énergie -, les AAI comportent traditionnellement des membres nommés par des organes parlementaires. S'inspirant des désignations au sein du Conseil constitutionnel, plusieurs autorités, notamment de « première génération », comportent des membres nommés, en nombre identique, par le Président de la République, le Président du Sénat et le Président de l'Assemblée nationale.

Il convient cependant de clairement distinguer l'hypothèse d'une nomination effectuée par des organes parlementaires de la nomination, au sein de ces autorités, de parlementaires eux-mêmes .

En effet, la personne désignée par le président d'une assemblée parlementaire ou par une assemblée parlementaire elle-même peut ne pas être parlementaire. Tel est le cas des nominations par le Président du Sénat ou de l'Assemblée nationale, à l'instar de l'Autorité de régulation de l'activité ferroviaire (ARAF), l'Autorité de régulation des jeux en ligne (ARJEL) ou de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR). Si la nomination est conditionnée à la désignation d'une « personnalité qualifiée » 30 ( * ) , un parlementaire ne peut être nommé que s'il dispose d'une compétence particulière dans le secteur concerné, ce qui réduit fortement une telle hypothèse, les parlementaires n'ayant pas vocation à siéger comme « expert ».

Le législateur peut même interdire la nomination par un organe parlementaire d'un membre du Parlement . Il en est ainsi de la personnalité qualifiée désignée par chaque président d'assemblée au sein du collège de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique qui ne peut exercer un mandat parlementaire ou avoir, dans les trois dernières années, exercé ce mandat 31 ( * ) .

À l'inverse, certaines autorités comportent des parlementaires ex officio , même s'ils peuvent être formellement nommés par un organe non parlementaire. À titre d'exemple, la CNCDH compte un député et un sénateur qui sont désignés par un arrêté du Premier ministre. Il est même des parlementaires qui intègrent ou président des AAI, indépendamment de toute initiative parlementaire et sans que la loi n'oblige à la désignation d'un parlementaire. Notre collègue Axel Türk a ainsi présidé de 2004 à 2011 la CNIL, en étant élu par le collège de la commission. De même, notre collègue, alors député, Jean-Claude Lenoir a exercé les fonctions de Médiateur de l'énergie durant quelques mois lors de la création de l'autorité avant d'être remplacé par un ancien député, M. Denis Merville, de 2007 à 2013 puis un autre ancien député, Jean Gaubert, l'actuel titulaire de ces fonctions jusqu'en 2019.

Cette situation est désormais impossible pour les parlementaires puisque l'article L.O. 145 du code électoral, dans sa rédaction issue de la loi organique n° 2013-906 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique, prévoit une incompatibilité entre le mandat parlementaire et « la fonction de président d'une autorité administrative indépendante ou d'une autorité publique indépendante ». S'agissant du Défenseur des droits, l'incompatibilité de ses fonctions avec le mandat parlementaire est même prévu par l'alinéa 3 de l'article 71-1 de la Constitution.

Enfin, certaines autorités, comme la CNIL, cumulent les deux modalités de désignation :

- deux personnalités qualifiées, désignées respectivement par le président du Sénat et le président de l'Assemblée nationale ;

- deux députés et deux sénateurs désignés par leur assemblée respective.

Depuis 2006, la diversité de ces modalités de désignation n'a pas profondément été modifiée, la création d'AAI ou d'API aboutissant à recourir indifféremment à l'une d'entre elles ou à les combiner. Dans ces conditions, tout effort de généralisation d'une formule au détriment d'une autre pourrait remettre en cause des équilibres patiemment recherchés au sein des différentes autorités , ce qui n'apparaît pas comme une priorité.

b) Le contrôle parlementaire des nominations
(1) Les nominations du Président de la République

La révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 a instauré une innovation importante à l'article 13 de la Constitution en subordonnant certaines nominations du chef de l'État à l'absence d'opposition parlementaire. Ce mécanisme, qui dépasse le cas des AAI, concerne toutefois quinze d'entre elles en vertu de la loi organique n° 2010-837 du 23 juillet 2010. Il convient d'y ajouter le Défenseur des droits par renvoi direct de l'article 71-1 de la Constitution.

Nominations du Président de la République au sein des AAI soumises au contrôle des commissions permanentes du Parlement

Autorité concernée

Emploi ou fonction concerné

Agence d'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur

Président du conseil

Autorité de la concurrence

Président

Autorité de contrôle des nuisances sonores aéroportuaires

Président

Autorité des marchés financiers

Président

Autorité de régulation des activités ferroviaires

Président

Autorité de régulation des communications électroniques et des postes

Président

Autorité de sûreté nucléaire

Président

Comité consultatif national d'éthique pour les sciences de la vie et de la santé

Président

Commission de régulation de l'énergie

Président du collège

Commission de la sécurité des consommateurs

Président

Commission nationale du débat public

Président

Conseil supérieur de l'audiovisuel

Président

Contrôleur général des lieux de privation de liberté

Contrôleur général

Défenseur des droits

Défenseur

Haute Autorité pour la transparence de la vie publique

Président

Haute Autorité de santé

Président du collège

Selon la procédure actuelle, le nom du candidat pressenti pour exercer des fonctions au sein de l'AAI est rendu public avant que ce candidat soit, après un délai minimal de huit jours, entendu par la commission permanente compétente de chaque assemblée parlementaire. Au terme de cette audition publique, les membres des deux commissions permanentes peuvent s'opposer à cette nomination à la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés, les voix des membres des deux commissions s'additionnant.

En application de l'article 13 de la Constitution, ne peuvent être soumises à cette procédure que les nominations qui répondent à deux conditions :

- la nomination doit résulter d'un décret du Président de la République, ce qui exclut notamment du champ de la procédure les présidents d'AAI élus par le collège, comme le président de la CNIL ou le président de la HADOPI ;

- l'emploi ou une fonction présente une « importance pour la garantie des droits et libertés ou la vie économique et sociale de la Nation ».

Cette dernière condition fait l'objet d'un contrôle réduit à l'erreur manifeste d'appréciation de la part du Conseil constitutionnel qui est obligatoirement saisi puisque la liste des emplois visés est fixée par la loi organique. Si ce contrôle a pu, un temps, paraître formel, il s'est cependant traduit en une occasion par une censure, le juge constitutionnel estimant que la présidence de l'Institut national de l'audiovisuel (INA) ne présentant pas une importance suffisance en matière de garantie des droits et des libertés ou pour la vie économique et sociale de la Nation pour figurer parmi cette liste 32 ( * ) .

La soumission à cette procédure de nouvelles nominations au sein des AAI pourrait être envisagée. Le Sénat a d'ailleurs adopté, le 9 octobre 2013, une proposition de loi organique de nos collègues François Marc et Michèle André visant à soumettre la nomination du président de l'ARJEL à cette procédure. Lors de la nomination de M. Charles Coppolani en février 2014 à la présidence de l'ARJEL, ce projet de loi n'avait pas été adopté par l'Assemblée nationale 33 ( * ) ; cependant, comme la indiqué le nouveau président de l'ARJEL lors de son audition par votre rapporteur, il a été convenu avec la commission des finances de notre assemblée qu'il serait entendu aussitôt après sa nomination, ce qui fut fait le 25 février 2014, soit le lendemain de la parution du décret qui le nommait.

Cette solution pragmatique offre une alternative intéressante à la solution consistant à compléter la liste fixée par la loi organique du 23 juillet 2010 pour l'application de l'article 13 de la Constitution. Elle pourrait notamment être étendue aux nominations qui, ne relevant pas d'un décret du Président de la République, ne peuvent pas être soumises à la procédure de l'article 13 de la Constitution.

(2) Les nominations parlementaires

Depuis 2006, les nominations auxquelles procèdent les assemblées parlementaires sont soumises à une exigence de pluralisme. Cette exigence n'a été introduite que pour la désignation des députés et sénateurs siégeant ès qualité au sein de la CNIL, par l'article 54 de la loi n° 2011-525 du 17 mai 2011 de simplification et d'amélioration de la qualité du droit. Cette disposition doit permettre d'assurer la représentation de l'opposition au sein du collège de la CNIL. Cette règle pourrait être utilement étendue à d'autres AAI qui comportent en leur sein plusieurs parlementaires comme membres ex officio .

Le contrôle parlementaire sur les nominations au sein des AAI s'est également développé sur les nominations auxquelles procèdent les présidents des assemblées parlementaires. En effet, la loi n° 2013-906 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique a prévu la désignation d'une personnalité qualifiée par chaque président d'assemblée au sein du collège de la HATVP, sous réserve de l'avis conforme exprimé à la majorité des trois cinquièmes par la commission des lois de l'assemblée concernée.

Cette procédure qui s'inspire de celle issue de l'article 13 de la Constitution en diffère tant sur le principe que sur les modalités. Sur le principe, cette procédure introduit un contrôle interne aux assemblées, ce qui conduit le Conseil constitutionnel à en admettre la constitutionnalité dans la mesure où cette disposition est relative au fonctionnement des assemblées 34 ( * ) . S'agissant des modalités, la loi fixe comme seul principe - inversé par rapport à celui de l'article 13 de la Constitution -, celui d'une majorité « positive » des trois cinquièmes pour approuver la nomination et non pour s'y opposer. La publicité et les modalités de vote relèvent des règlements de chaque assemblée.

Huit ans après le précédent rapport, le bilan que l'on peut dresser de la situation des AAI est donc en demi-teinte au regard des recommandations formulées alors, dont certaines doivent être réitérées. Certes, le contrôle parlementaire de ces autorités s'est nettement amélioré, ce qui était indispensable dès lors qu'elles sont indépendantes de l'exécutif, échappant donc au contrôle traditionnel de l'action du Gouvernement par le Parlement. En revanche, on ne peut que regretter la poursuite d'un développement anarchique de cette catégorie juridique, en l'absence de toute vision d'ensemble.


* 24 Cf. l'annexe n° 2

* 25 Cf . Projet de loi de finances pour 2013 : Protection des droits et libertés , avis de Mme Virginie Klès, fait au nom de la commission des lois (n° 154, 2012-2013) précédemment cité.

* 26 Cf . Projet de loi de finances pour 2009 : Protection des droits et libertés , avis de M. Jean-Claude Peyronnet, fait au nom de la commission des lois (n° 104, 2008-2009) (disponible à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/rap/a08-104-8/a08-104-8.html).

* 27 Sont concernés, de manière inégale, les programmes budgétaires n° 181, 217, 333, 218 et 190.

* 28 « Art. 106. - À compter du 1 er janvier 2012, le Gouvernement présente, en annexe générale au projet de loi de finances de l'année, un rapport sur les autorités publiques indépendantes dotées de la personnalité morale et sur les autorités administratives indépendantes dont les effectifs ne sont pas inclus dans un plafond d'autorisation des emplois rémunérés par l'État. Cette annexe générale récapitule, par autorité et pour le dernier exercice connu, l'exercice budgétaire en cours d'exécution et l'exercice suivant :

« 1° Le montant constaté ou prévu de leurs dépenses ;

« 2° Le montant constaté ou prévu des produits des impositions de toute nature, des subventions budgétaires et des autres ressources dont elles bénéficient ;

« 3° Les emplois rémunérés par ces autorités.

« Ce rapport comporte également, pour chacune de ces autorités, une présentation stratégique avec la définition d'objectifs et d'indicateurs de performance, une présentation des actions et une présentation des dépenses et des emplois avec une justification au premier euro. Il expose, par catégorie, présentée par corps ou par métier, ou par type de contrat, la répartition prévisionnelle des emplois rémunérés par l'autorité et la justification des variations par rapport à la situation existante. Il rappelle, de la même façon, les emplois utilisés par l'autorité et dont le coût est supporté par un autre organisme.

« À compter du 1 er janvier 2013, ce rapport comporte également une analyse des écarts entre les données prévues et constatées pour les crédits, les ressources et les emplois, ainsi que pour les objectifs, les résultats attendus et obtenus, les indicateurs et les coûts associés.

« Cette annexe générale est déposée sur le bureau des assemblées parlementaires et distribuée au moins cinq jours francs avant l'examen du projet de loi de finances de l'année qui autorise la perception des impôts, produits et revenus affectés aux organismes divers habilités à les percevoir. »

* 29 Le Conseil a précisé qu'« indépendamment de l'obligation découlant de la loi organique qui lui impose de fixer les plafonds d'autorisation des emplois rémunérés par l'État, il est loisible au législateur de prévoir, dans chaque loi de finances, des dispositifs permettant de contenir l'évolution des dépenses des organismes relevant de l'État ».

* 30 Certains textes constitutifs distinguent les « personnalités qualifiées » des éventuelles nominations de parlementaires es-qualité pour lesquelles des compétences spécifiques ne sont pas exigées.

* 31 4° et 5° du II de l'article 19 de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique.

* 32 Conseil constitutionnel, 14 novembre 2013, n° 2013-677 DC.

* 33 Adopté par la commission des lois de l'Assemblée nationale le 13 novembre 2013, ce texte n'a jamais été débattu en séance publique.

* 34 Conseil constitutionnel, 13 décembre 2012, n° 2012-658 DC.

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