II. VERS UN « STATUT GÉNÉRAL » DES AUTORITÉS INDÉPENDANTES ?

Regrettant déjà ce défaut de vision transversale de la catégorie des AAI, le rapport de l'Office parlementaire de 2006 formulait la recommandation suivante :

« Recommandation n° 9 : Adopter un cadre législatif définissant les caractéristiques communes des AAI au regard de leur indépendance, de leurs procédures de sanction et la publication d'un rapport annuel »

La détermination d'un tel cadre contraindra le législateur à s'interroger enfin sur la définition de l'AAI.

A. UNE QUESTION PERSISTANTE : QU'EST-CE QU'UNE AUTORITÉ ADMINISTRATIVE INDÉPENDANTE ?

Jusqu'à présent essentiellement doctrinal, le débat sur la définition et la fixation d'une liste des AAI doit nécessairement se déplacer sur le terrain législatif dans la mesure où, incidemment, la qualification d'AAI à commencer de produire des effets juridiques.

1. Le renouvellement de la question avec l'apparition de règles transversales

Comme le montrent les exemples récents de création d'AAI, le législateur continue en la matière de procéder au coup par coup, secteur par secteur, sans se préoccuper de l'inscription du nouvel organisme qu'il crée dans un ensemble plus vaste. Or, depuis quelques années, les renvois à la notion générique d'AAI ou d'API tendent à se multiplier .

Sans prétendre à l'exhaustivité, votre rapporteur s'est livré à un exercice de recensement de ces règles transversales. Ces dernières peuvent relever soit du domaine législatif, soit du domaine règlementaire et avoir des conséquences variables, certaines se révélant d'importance, d'autres plus anodines.

• Des règles de prévention des conflits d'intérêts

La loi organique n° 2013-906 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique a introduit dans le code électoral un article L.O. 145 édictant, d'une part, une incompatibilité entre le mandat de député et, par extension, de sénateur, et la présidence d'une AAI ou d'une API, et, d'autre part, une incompatibilité entre le mandat parlementaire et la fonction de membre des telles autorités, sauf désignation ès qualité.

La loi ordinaire accompagnant cette loi organique, la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique, a, quant à elle, créé pour tout membre de ces autorités l'obligation de souscrire une déclaration d'intérêts et une déclaration de situation patrimoniale .

Les règles de déontologie instaurées par la loi n° 93-122 du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques, ont été étendues aux agents des AAI, son article 87 prévoyant la consultation de la commission de déontologie avant tout « pantouflage ».

• Des règles relatives aux agents des autorités administratives et publiques indépendantes

Ces autorités jouissent parfois d'une grande liberté dans la gestion de leurs personnels, notamment pour le recrutement de leurs agents puisqu'elles comptent parmi les « institutions administratives spécialisées de l'État dotées, de par la loi, d'un statut particulier garantissant le libre exercice de leur mission » figurant sur une liste fixée par décret en Conseil d'État, auxquelles l'article 3 de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'État, accorde la faculté d'écarter la règle selon laquelle les emplois permanents à temps plein sont occupés par des fonctionnaires.

Pour leurs agents fonctionnaires en revanche, les principales règles du statut de la fonction publique trouvent à s'appliquer. Aussi des dispositions réglementaires précisent-elles les conditions de désignation des organismes de gestion du personnel : comité technique 35 ( * ) , commission administrative 36 ( * ) . L'article 18-1 du décret n° 82-447 du 28 mai 1982 relatif à l' exercice du droit syndical dans la fonction publique étend également aux AAI l'obligation d'établir un bilan social comprenant « des informations et des statistiques sur les moyens de toute nature effectivement accordés aux organisations syndicales au cours de l'année écoulée ».

Quant aux personnels susceptibles d'être employés par les AAI, des décrets autorisent l'affectation en position d'activité d'agents issus de certains corps 37 ( * ) ou exerçant certains emplois 38 ( * ) .

Les articles L. 111-1 et L. 131-3-2 du code de la propriété intellectuelle appliquent aux agents des AAI les règles relatives au droit à la jouissance d'une oeuvre pour son auteur et à la cession du droit d'exploitation d'une oeuvre à l'État.

• Des règles encadrant les actes des autorités administratives et publiques indépendantes

L'article L. 120-1 du code de l'environnement soumet à l'obligation générale de consultation du public les projets de décision des AAI et des API susceptibles d'avoir un impact sur l' environnement . Il convient de noter que cette disposition est issue d'un amendement du Gouvernement qui visait expressément les décisions de l'Autorité de sûreté nucléaire.

De même, le droit commun pour l' entrée en vigueur des actes publiés au format électronique s'applique aux décisions de ces autorités en vertu du décret n° 2004-617 du 29 juin 2004 relatif aux modalités et effets de la publication sous forme électronique de certains actes administratifs au Journal officiel de la République française. En conséquence, l'article R. 421-1 du code de justice administrative fixe le point de départ du délai de recours contre les décisions individuelles de ces autorités à compter de leur publication électronique au Journal officiel .

• Des règles relatives aux moyens des autorités administratives et publiques indépendantes

Le décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique précise les règles applicables à ces autorités : son article 75 par exemple donne au président d'une AAI la qualité d'ordonnateur secondaire.

L'article R. 318-7 du code de la route inclut les véhicules des AAI dans le périmètre du « parc automobile » à prendre en compte pour l'obligation de détenir une part de véhicule propre.

Une AAI peut recevoir dans les bâtiments qui lui sont affectés le dépôt d'oeuvres et objets d'art du Fonds national d'art contemporain (FNAC).

Deux autres règles peuvent également être mentionnées :

- l'article 16 de la loi n° 2011-525 du 17 mai 2011 de simplification et d'amélioration de la qualité du droit rend inapplicable la procédure de consultation ouverte substitutive, faisant obligation de respecter la procédure normale pour la consultation des AAI ;

- l'article L. 141-3-1 du code des juridictions financières ouvre la faculté à la Cour des comptes d'obtenir l'assistance des AAI dans ses enquêtes sans que le secret puisse lui être opposé.

Cet inventaire permet donc de constater que les références à la catégorie des AAI et des API sont non seulement de plus en plus nombreuses, mais touchent également de plus en plus de secteurs .

2. Des qualifications disparates

Or, il existe une incertitude sur les organismes effectivement concernés par ces règles transversales . En effet, si le législateur a pris la peine pour chacune de ces règles de préciser si elle s'applique aux AAI, aux API ou aux deux sous-catégories, il n'a pas fait preuve de la même rigueur concernant la qualification de chacun des organismes au moment de sa création.

Comme on l'a vu précédemment avec l'exemple du Médiateur du livre, il arrive que le législateur ne qualifie pas un organisme d'AAI alors même que telle semblait être son intention. Dans le même temps, il a fait preuve d'une grande imagination dans la qualification de certaines autorités : à côté des AAI et des API dotées de la personnalité morale, figurent ainsi deux « autorités indépendantes » - le Comité consultatif national d'éthique pour les sciences de la vie et de la santé (CCNE) et le Contrôleur général des lieux de privation de liberté -, une « commission qui exerce sa mission en toute indépendance », la Commission nationale consultative des droits de l'Homme (CNCDH), un « organisme indépendant », le Haut conseil des finances publiques, enfin une « autorité constitutionnelle indépendante » en la personne du Défenseur des droits.

Lorsqu'il les a créés, l'intention du législateur était-elle de soumettre chacun de ces organismes à des règles transversales qui, pour certaines, n'avaient pas encore été édictées ? Inversement, en décidant de soumettre de manière générale les AAI à ces nouvelles règles, avait-il à l'esprit chacune de ces autorités ? Les missions et prérogatives de chacune de ces instances justifient-elles effectivement de leur imposer des contraintes fortes comme l'obligation pour leurs membres de déposer des déclarations de patrimoine auprès de la HATVP ?

Ces questions méritent d'autant plus d'être posées que jusqu'à présent, la liste des AAI à laquelle on se réfère usuellement n'a pas été dressée par le législateur mais par la doctrine, s'appuyant en partie sur la jurisprudence. Ainsi, à côté de ces organismes dont le législateur a souhaité souligner spécifiquement l'indépendance, figurent :

- une instance qualifiée d'AAI par le Conseil constitutionnel : l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP) 39 ( * ) ,

- une instance qualifiée d'AAI par le Conseil d'État : la Commission de régulation de l'énergie (CRE) 40 ( * ) ,

- les autres instances n'étant qualifiées d'AAI que par l'étude du Conseil d'État de 2001 qui fait autorité en la matière 41 ( * ) ou les débats parlementaires. On pourra ainsi citer par exemple les trois Médiateurs du cinéma, de l'énergie et du livre, le Bureau central de tarification, la Commission centrale permanente compétente en matière de bénéfices agricoles ou encore la Commission paritaire des publications et agences de presse.

La très grande hétérogénéité des AAI au sens où l'entend la doctrine rend incertaine l'application de ces règles transversales à certaines instances. Ce constat appelle donc un effort de définition par le législateur lui-même .

Votre rapporteur reste toutefois sceptique sur l'opportunité d'une définition légale de l'AAI dans la mesure où l'intérêt de cette catégorie réside précisément en l'adaptabilité des AAI à leurs missions. À défaut de définition, il revient cependant au législateur d'indiquer les critères qui caractérisent une AAI. Une piste serait de limiter ces autorités à celles qui détiennent des pouvoirs de régulation ou de sanction.

Il pourrait également être envisagé de dresser dans la loi une liste des AAI à l'instar de celle qui figure dans la loi organique n° 2010-837 du 23 juillet 2010 relative à l'application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution. Cet exercice, qui supposerait par la suite une actualisation de la liste au gré des évolutions législatives, ne permettrait pas de faire l'économie d'une révision générale des qualifications expresses des autorités.

Votre rapporteur insiste en effet sur la nécessité de qualifier expressément dans la loi un organe d'AAI lorsque le législateur entend lui rendre applicable les règles transversales . Cette obligation de qualification expresse contraindra le législateur à harmoniser les formules figurant dans la loi, ainsi qu'à réexaminer, au cas par cas, la pertinence d'une telle qualification. Dès lors qu'une telle démarche aura été effectuée, le secrétariat général du Gouvernement pourra actualiser la liste des AAI figurant sur le site Internet Légifrance .


* 35 Décret n° 2011-184 du 15 février 2011 relatif aux comités techniques dans les administrations et les établissements publics de l'État (comité technique de proximité ou spécial pour les AAI non dotées de la personnalité morale) ; décret n° 2012-225 du 16 février 2012 relatif au conseil supérieur de la fonction publique de l'État (prise en compte des résultats des élections aux CT des AAI pour la composition du CSFPE).

* 36 Décret n° 86-83 du 17 janvier 1986 relatif aux dispositions générales applicables aux agents non titulaires de l'État pris pour l'application de l'article 7 de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'État (possibilité de créer une commission consultative paritaire pour les AAI n'ayant pas la personnalité morale).

* 37 Décret n° 2009-1106 du 10 septembre 2009 portant statut particulier du corps des ingénieurs des ponts, des eaux et des forêts ; décret n° 2007-616 du 27 avril 2007 portant statut particulier du corps des ingénieurs des mines ; décret n° 2012-1098 du 28 septembre 2012 portant statut particulier du corps interministériel des assistants de service social des administrations de l'État.

* 38 Décret n° 2012-32 du 9 janvier 2012 relatif aux emplois de chef de service et de sous-directeur des administrations de l'État (possibilité d'avoir des sous-directeurs et des chefs de services dans les AAI).

* 39 Cf. la décision n° 96-378 DC du 23 juillet 1996 qualifiant comme telle l'Autorité de régulation des télécommunications (ART), devenue depuis l'ARCEP.

* 40 Conseil d'État, 3 mai 2011, SA Voltalis , n° 331858.

* 41 Cf . Conseil d'État, rapport public 2001, Les autorités administratives indépendantes.

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