UN DISPOSITIF LÉGISLATIF TRÈS CIBLÉ MAIS COMPLEXE

I. UN DISPOSITIF LÉGISLATIF TRÈS CIBLÉ MAIS COMPLEXE, QUI VISAIT À RÉDUIRE L'INSÉCURITÉ JURIDIQUE POUR LES COMMUNES ET LES ÉTABLISSEMENTS PRIVÉS

A. UN CONTEXTE D'ADOPTION PROPICE AU CONFLIT ET AU CONTENTIEUX

1. Une prise en charge des élèves non-résidents dans les écoles privées par voie d'accord entre les communes jusqu'en 2004

L'article 4 de la loi n° 59-1557 du 31 décembre 1959, dite « loi Debré », dont est issu l'article L. 442-5 du code de l'éducation, a imposé l'obligation générale d'une prise en charge des dépenses de fonctionnement des classes sous contrat dans les mêmes conditions que celles des classes correspondantes de l'enseignement public.

Par la suite, la loi de décentralisation du 22 juillet 1983 1 ( * ) a introduit un dispositif, valable pour les écoles publiques, pour répartir entre communes la prise en charge des élèves non-résidents. Aucune disposition similaire explicite n'a été prévue pour l'école privée.

En effet, en 1983 comme aujourd'hui, sous le régime de la loi Debré, le contrat d'association ne lie que l'État et l'établissement privé, sans que la commune intervienne. L'article 27-2 de la loi Chevènement du 25 janvier 1985 2 ( * ) avait tenté de réintroduire le maire dans les relations entre l'enseignement privé et la puissance publique, en soumettant la conclusion du contrat d'association à l'accord de la commune siège de l'école primaire, ainsi qu'à l'avis consultatif des maires des communes où résident au moins 10 % des élèves des classes concernées.

Cependant, le Conseil constitutionnel a censuré cette disposition dans sa décision n° 84-185 DC, en considérant que « si le principe de libre administration des collectivités territoriales a valeur constitutionnelle, il ne saurait conduire à ce que les conditions essentielles d'application d'une loi organisant l'exercice d'une liberté publique dépendent de décisions des collectivités territoriales et, ainsi, puissent ne pas être les mêmes sur l'ensemble du territoire. » En d'autres termes, le législateur ne pouvait rompre l'égalité devant l'exercice de la liberté de l'enseignement, même en s'appuyant sur la libre administration reconnue aux communes.

Toutefois, le législateur avait prévu dans la loi de 1985 précitée le cas des élèves non-résidents inscrits dans une école privée via l'alinéa premier de l'article L. 442-9 du code de l'éducation, aujourd'hui abrogé. Cette disposition écartait une transposition intégrale du régime valable entre écoles publiques mais renvoyait le règlement de la répartition des dépenses de fonctionnement entraînées par la scolarisation d'élèves non-résidents dans une école privée sous contrat d'association à un accord entre les communes d'accueil et de résidence. C'étaient ces éventuels accords qui étaient chargés d'appliquer concrètement le principe de parité prévu très généralement par la loi Debré. Aucune procédure de règlement des différends n'était prévue en cas de désaccord entre les communes. La jurisprudence administrative en avait déduit que ne pesait sur la commune de résidence aucune obligation de financement des élèves inscrits dans une école privée d'une autre commune (Conseil d'État, assemblée, 25 octobre 1991, Syndicat national de l'enseignement chrétien CFTC ).

2. Un régime juridique instable, ambigu et contesté de 2004 à 2009
a) L'article 89 de la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et aux responsabilités locales

L'article 89 de la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et aux responsabilités locales, issu d'un amendement du sénateur Michel Charasse, a provoqué une rupture du régime conventionnel amiable antérieur en transposant les règles valables pour les élèves non-résidents inscrits dans une école publique au cas des classes élémentaires privées sous contrat d'association.

Il visait aussi à s'opposer à la jurisprudence administrative qui reconnaissait un caractère purement facultatif à la participation de la commune de résidence. En particulier, à défaut d'accord entre les communes intéressées sur la répartition des dépenses, il a confié au préfet le soin de fixer la contribution de chacune des communes, de résidence et d'accueil, après avis du conseil départemental de l'éducation nationale (CDEN).

Cependant, cet article ne reprenait pas explicitement la définition des dépenses obligatoires et se contentait de poser une obligation générale de financement par la commune de résidence de la scolarisation des élèves inscrits dans une école élémentaire privée d'une autre commune.

b) Des ambiguïtés laissant ouvertes des interprétations maximalistes de l'« amendement Charasse »

Dans une interprétation maximaliste, l'article 89 de la loi de 2004 précitée pouvait signifier que le forfait communal était dû par les communes de résidence pour tous les élèves scolarisés dans une école privée sous contrat d'association située dans une autre commune.

Aucune restriction, ni à l'absence de capacités d'accueil dans des écoles publiques de la commune de résidence, ni à la démonstration apportée par les parents d'une contrainte familiale n'était requise, contrairement à ce qu'imposait l'article L. 212-8 du code de l'éducation dans le cas des élèves non-résidents dans les écoles publiques.

La difficulté de cette interprétation maximaliste, rendue possible par la lettre du texte de l'article 89 de la loi du 13 août 2004, résidait dans ce qu'elle était plus favorable à la scolarisation des élèves non-résidents dans des écoles privées que dans des écoles publiques. Or, cette disparité, injustifiée sur le fond, était contraire à la lettre de la loi Debré et au principe de parité de financement inscrite au pénultième alinéa de l'article L. 442-5 du code de l'éducation. Des divergences d'interprétation sur le sens, la portée et la cohérence du régime juridique du financement des élèves non-résidents dans les écoles privées sont donc apparues très rapidement après l'adoption de la loi de 2004 précitée, qui ne prévoyait pas de décret d'application en cette matière et paraissait donc directement applicable.

L'intention du législateur n'était pas en 2004 suffisamment claire, pour que l'on puisse trancher en faveur de l'interprétation maximaliste de l'« amendement Charasse » en appliquant le principe lex posterior derogat priori . Cependant, il n'était pas non plus nécessairement justifié de choisir la solution conciliatrice, subordonnant l'application de l' « amendement Charasse » au respect du principe de parité de financement entre l'enseignement public et l'enseignement privé, car celui-ci revêt un caractère seulement législatif et non constitutionnel. Cette possible contradiction et cette ambiguïté certaine des dispositions législatives ont noué un dilemme sérieux pour l'administration, pour les communes et pour les établissements privés.

c) Des mesures d'application tentant de rétablir la parité de financement comme base de compromis et débouchant sur une initiative parlementaire

Quelques mois après le vote de la loi sur les libertés et les responsabilités locales, le législateur a été amené à rétablir l'équilibre entre les élèves non-résidents scolarisés dans le public et dans le privé, en agissant non pas sur le champ d'extension des dispositifs mais sur le montant de la participation financière de la commune de résidence. L'article 89 de la loi du 23 avril 2005 pour l'avenir de l'école a ainsi imposé un plafond de prise en charge par la commune de résidence : le montant de la contribution ne peut dépasser celui qu'il aurait été si l'enfant avait été scolarisé dans une école publique de la commune d'accueil.

Toutefois, n'étaient toujours pas restreints expressément les cas où la participation financière de la commune de résidence revêtait un caractère obligatoire.

L'Association des maires de France (AMF) s'était fortement opposée, comme l'Association des maires ruraux de France (AMRF), à la participation systématique de la commune d'accueil déduite de l'article 89 de la loi du 13 août 2004 précitée. Un accord a été trouvé en 2006 entre l'AMF, le ministère de l'intérieur, le ministère de l'éducation nationale et le secrétariat général de l'enseignement catholique (SGEC). Un relevé de conclusions du 16 mai 2006 a été diffusé aux préfets : il proposait comme solution de compromis de transposer au cas des élèves non-résidents dans une école privée l'intégralité des conditions posées dans le cas des écoles publiques.

Cette solution de compromis pouvait paraître fragile. Même s'ils étaient peu nombreux, les recours de plein contentieux initiés par des organismes de gestion de l'enseignement catholique (OGEC) pour obtenir le paiement d'un forfait maximal au titre des élèves non-résidents n'en tenaient pas toujours compte. Certains tribunaux administratifs saisis au contentieux ont pu estimer que l'obligation de financement était générale et excluait les cas stricts d'obligation de financement par la commune de résidence délimités pour les élèves non-résidents des écoles publiques. La jurisprudence administrative n'était pas stabilisée mais des décisions ponctuelles pointaient le risque d'une prise en charge plus favorable, en extension si ce n'est en montant, des élèves non-résidents inscrits dans une école privée plutôt que dans une école publique.

En exemple de cette tendance maximaliste, on peut citer un arrêt du tribunal administratif de Montpellier du 21 décembre 2006, Préfet des Pyrénées-orientales , qui a confirmé que l'obligation de financement pesant sur la commune de résidence pour des élèves scolarisées dans une école élémentaire privée d'une autre commune demeurait contraignante, même en cas de places vacantes dans l'école publique de la commune de résidence.

Un arrêt du tribunal administratif de Dijon de 28 février 2008, Préfète de Saône-et-Loire c/Commune de Sémur-en-Brionnais a également confirmé l'asymétrie entre les élèves non-résidents scolarisés dans le public et le privé sous contrat d'association. Cet arrêt reprenait la jurisprudence constitutionnelle en matière de libre choix de l'école, mais il tendait aussi à adopter une lecture maximaliste de l'article 89 de la loi du 13 août 2004. En l'absence de disposition législative, il ne saurait en particulier être exigé des parents d'élèves d'obtenir au préalable une autorisation du maire de la commune de résidence. Autrement dit, la commune de résidence ne pouvait s'appuyer sur l'absence d'autorisation préalable à l'inscription pour refuser de régler les frais de fonctionnement qui lui étaient présentés par la commune d'accueil. En outre, la participation financière des communes de résidence à la scolarisation d'un enfant dans une école privée sous contrat d'association d'une autre commune était une obligation générale, sans que le législateur ait prévu de cas d'exonération.

Ces solutions prétoriennes ne coïncidaient pas avec l'interprétation conciliante que les ministres de l'éducation nationale et de l'intérieur privilégiaient dans les circulaires adressées à leurs services et dans les réponses aux questions des parlementaires.

Sans se prononcer sur le fond, le Conseil d'État avait annulé pour incompétence des signataires une première circulaire interministérielle d'application n° 2005-106 du 2 décembre 2005 (CE 4 juin 2007, Ligue de l'enseignement et Commune de Clermont-Ferrand ). Une nouvelle circulaire (n° 2007-142 du 27 août 2007) a repris le même contenu, moyennant une modification de la liste des dépenses à prendre en compte pour le calcul de la contribution financière. Ont été retirées de la liste les dépenses extrascolaires, de contrôle technique des bâtiments et celles relatives aux agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles (ATSEM).

Saisi d'un nouveau recours en annulation, le Conseil d'État a finalement validé tardivement la circulaire et l'interprétation favorable à l'application du principe de parité de financement entre le public et le privé, sans privilégier un mode d'enseignement sur un autre (CE 2 juin 2010, Fédération de l'éducation UNSA ). Cette décision n'est cependant intervenue qu'après l'adoption de la proposition de loi déposée par notre collègue Jean-Claude Carle et votée en première lecture le 10 décembre 2008 au Sénat.

Les maires demeuraient donc, jusqu'à fin 2009, dans une certaine incertitude juridique sur la nature et la portée de leurs obligations. En l'espèce, en opérant une remontée du dispositif au sein de la hiérarchie des normes, la loi n° 2009-1312 du 28 octobre 2009 visait essentiellement à consolider le compromis atteint en 2006 et à accroître la sécurité juridique pour toutes les parties. Elle a consacré a posteriori la jurisprudence du Conseil d'État.


* 1 Loi n° 83-663 du 22 juillet 1983 complétant la loi du 7 janvier 1983 relative à la répartition des compétences entre les communes, les départements, les régions et l'État.

* 2 Loi n° 85-97 du 25 janvier 1985 modifiant et complétant la loi n° 83-663 du 22 juillet 1983 et portant dispositions diverses relatives aux rapports entre l'État et les collectivités territoriales.

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