B. LE PARADOXE D'UNE LOI APPLIQUÉE EN PEU D'OCCASIONS, MAIS GLOBALEMENT EFFICACE ET PACIFICATRICE

1. Un constat consensuel d'apaisement

Quelle que soit la position de fond que chacun peut défendre sur le principe même de la parité de financement entre l'école publique et l'école privée, il est indéniable que la sécurité juridique des relations entre les communes et les écoles privées a été renforcée grâce à l'adoption de la loi Carle.

Les associations de maires, comme les ministères de l'intérieur et de l'éducation nationale, les parents d'élèves de l'enseignement libre (UNAPEL), le secrétariat général de l'enseignement catholique (SGEC) et les inspections générales de l'éducation nationale (IGEN) et de l'administration de l'éducation nationale et de la recherche (IGAENR) constatent que sur le terrain les relations sont apaisées et que les tensions antérieures à l'adoption de la loi se sont largement dissipées.

Le nombre de contentieux est extrêmement faible. L'action positive des préfets et des sous-préfets, qui ont réalisé un travail important de médiation en amont, doit être saluée à cet égard. La possibilité de recourir à la procédure de mandatement d'office a été très efficace. Par exemple, dans le Cantal, quatre communes seulement accueillent des élèves non-résidents d'après la préfecture. Les deux cas de communes de résidence réticentes ont été réglés après une lettre de mise en demeure du préfet avant même l'envoi d'un mandatement d'office.

D'après la DGCL, reste pendant un cas d'appel sur un jugement du tribunal administratif de Nantes déboutant la requête d'une commune réfractaire de Vendée en annulation de l'arrêté préfectoral lui imposant une participation financière. Le contentieux porte sur une faible somme, environ 3 500 euros. Le SGEC est également informé d'un différend dans les Pyrénées-Orientales.

Vos rapporteurs se félicitent de cet épuisement du contentieux, même s'il convient de l'interpréter prudemment.

D'une part, même si le financement des élèves non-résidents dans les écoles privées avait beaucoup inquiété les maires entre 2004 et 2009, le nombre de contentieux portés devant le juge administratif demeurait faible et les appels sur les jugements de première instance étaient encore plus rares.

D'autre part, il convient de relever le peu d'empressement manifesté par les établissements privés pour exiger le paiement du forfait « loi Carle ». Pour l'enseignement privé lui-même, le forfait de base prévu à l'article L. 442-5 du code de l'éducation pour les élèves résidents constitue un enjeu autrement plus important à la fois en termes de nombre et de montant des forfaits recouvrés. Les enjeux financiers de la loi Carle sont trop limités pour que les OGEC engagent le processus d'identification des élèves concernés et déclenchent une opération de recouvrement ou a fortiori un contentieux. La préfecture du Nord confirme que la part du forfait communal relevant de la loi de 2009 n'est pas la priorité de l'Union départementale des organismes de gestion de l'enseignement catholique (UDOGEC).

Aucune consigne d'aller chercher le forfait « loi Carle » n'a été adressé aux chefs d'établissement par le SGEC. La question des élèves non-résidents est globalement annexe. Elle ne touche qu'une poignée d'élèves par école, même si dans certains cas exceptionnels, en raison d'un contexte local singulier, cela peut avoir des incidences non négligeables sur telle ou telle école privée. En général, les chefs d'établissement privé n'ont aucune motivation d'aller porter une réclamation auprès de la commune de résidence. C'est ce qui explique que les réclamations soient peu nombreuses.

Néanmoins, même si les établissements privés n'entreprennent pas toujours de réclamer le forfait spécifique de la loi Carle, ils pratiquent parfois une politique d'optimisation de leur recrutement en privilégiant les élèves résidents, c'est-à-dire les élèves systématiquement pris en charge par la commune où ils sont établis. Ceci a été confirmé en audition par notre collègue députée Annie Genevard, en sa qualité de maire de Morteau, bourg-centre qui accueille nombre d'élèves des communes avoisinantes.

À cette réserve près, force est de constater que la loi Carle, alors même qu'elle n'a pas été appliquée de façon intensive et n'a déclenché que peu de paiements, a tout à fait apaisé la situation en stimulant le dialogue local et la conclusion d'accords. La loi a été pacificatrice. Lorsque quelques tensions sont apparues, la mobilisation des préfets et des sous-préfets a permis leur aplanissement. Les congrès départementaux et nationaux des maires n'abordent plus la question.

Il n'est pas rare que par souci de simplicité, les maires décident de financer tous les élèves non-résidents, sans examiner la situation de chacun d'entre eux pour savoir s'il relève ou non d'un des cas énumérés par la loi Carle. La prise en charge équivalente de tous les élèves non-résidents, et pas seulement des élèves concernés par les cas de financement obligatoire de la loi Carle, est parfaitement légale. Vos rapporteurs rappellent en effet que l'alinéa 6 de l'article L. 442-5-1 du code de l'éducation laisse la faculté aux communes de résidence, lorsque la contribution n'est pas obligatoire, de participer aux frais de fonctionnement de l'établissement privé de la commune d'accueil, dès lors que cette participation n'excède pas le montant de la contribution obligatoire.

2. L'absence de données statistiques sur les élèves concernés et sur les flux financiers

Vos rapporteurs doivent confesser un regret dans l'exercice de la tâche qui leur a été confiée, celui de n'avoir pu disposer que de très peu de données statistiques, ce qui rendait malaisée l'appréciation exacte de la portée du problème et de l'efficacité de la solution.

Les inspections générales confirment la difficulté d'obtenir des données consolidées sur les élèves relevant du dispositif de la loi Carle. Leur propre travail de contrôle s'est donc concentré sur une analyse qualitative fondée sur des visites de terrain dans quinze départements dans sept académies représentant une diversité de situations. À côté de l'enseignement catholique, elles se sont aussi penchées sur la situation des écoles juives et des écoles en langues régionales, quoique leurs effectifs soient considérablement plus faibles que ceux de l'enseignement catholique.

Globalement, l'enseignement privé accueille environ un tiers d'élèves non-résidents avec d'importantes variations selon les territoires. Parmi les élèves non-résidents, il est très ardu de déterminer le nombre d'élèves effectivement concernés par la loi Carle. Personne au niveau des communes ou des préfectures ne procède à ce recensement, et encore moins les instances nationales de l'enseignement privé et les directions centrales des ministères. S'y oppose clairement l'obstacle du défaut d'information sur les motifs d'inscription dans les écoles privées. Il faudrait procéder à une enquête auprès des familles pour savoir si elles rentrent dans un des cas de figure. Les maires des petites communes rurales n'émettent pas d'avis et ne sont pas informés d'une décision d'inscription. Leurs moyens d'identifier les élèves concernés auprès des autres maires sont aussi limités.

Même s'il n'existe aucune statistique précise qui renseigne sur le nombre d'élèves entrant dans le champ du dispositif, vos rapporteurs ont pu s'appuyer sur les estimations de la direction des affaires financières du ministère de l'éducation nationale. Il en résulte que peu d'élèves sont concernés par la loi Carle et que les flux financiers générés sont d'autant plus difficiles à repérer qu'ils sont d'ampleur marginale.

Un tiers des élèves scolarisés en primaire dans les établissements de l'enseignement catholique seraient des non-résidents, ce qui représente environ 300 000 élèves. Il faut soustraire les classes maternelles qui ne sont pas concernées par la loi Carle et ne tenir compte que des 200 000 élèves non-résidents scolarisés dans des classes élémentaires. Ensuite, il faut encore soustraire de ce total tous les élèves non-résidents qui ne rentrent pas dans un des cas de dépenses obligatoires prévus par la loi de 2009. Le ministère de l'éducation nationale estime au final que 30 000 élèves seulement rentrent dans le champ de la loi Carle.

En outre, à partir de données rassemblées et retraitées par la Cour des comptes et d'informations transmises par le SGEC, le ministère de l'éducation nationale estime le forfait communal moyen à 550 euros par élève. On aboutit ainsi à une estimation financière maximale des flux qui pourraient être générés par l'application de la loi de 2009 à 16,5 millions d'euros.

En tout état de cause, les sommes sont trop faibles et trop éparpillées sur des milliers de communes, pour que la direction générale des finances publiques entreprenne de mettre en place un système d'extraction spécifique des données financières relatives à l'application de la loi Carle. Rappelons que les coûts des systèmes d'information dans l'éducation nationale sont déjà colossaux. Il faut veiller à ce que le suivi de la loi Carle et un légitime besoin d'informations ne coûtent finalement pas davantage que la loi Carle elle-même.

Enfin, pour répondre à des inquiétudes exprimées notamment par le Comité national d'action laïque (CNAL), vos rapporteurs se sont penchés sur l'évolution de la répartition de la population scolaire entre l'enseignement public et l'enseignement privé.

Aucun flux d'élèves vers le privé n'a été déclenché par la loi Carle. Au contraire, depuis 2007, l'enseignement catholique enregistre des pertes d'élèves dans le premier degré qui, par endroit, affaiblissent son réseau. Cette perte d'élèves du privé peut s'expliquer par la crise économique qui réduit les capacités de contribution financière des parents, par des arbitrages familiaux en faveur du second degré, par une attractivité renouvelée des écoles publiques et par le verrou de l'investissement immobilier qui contraint le privé.

À l'échelon national, le premier degré élémentaire public a connu une croissance de 0,78 % de ses effectifs contre une baisse de 0,34 % dans le privé sous contrat. En termes de nombre de classes, le ministère indique une quasi-stabilité (- 0,14 %) dans l'élémentaire public contre une baisse nette dans l'élémentaire privé sous contrat (- 2 %). Il faut donc écarter toute idée d'une déstructuration du réseau national des écoles publiques sous l'effet de la loi Carle.

Les mêmes tendances sont confirmées en se limitant à l'étude de 45 départements ruraux. Ces départements ont été choisis par le ministère de l'éducation nationale sur la base du critère suivant : au moins 20 % des classes du département doivent être situées dans une commune éligible à la dotation de solidarité rurale (DSR). Les effectifs d'élèves scolarisés dans le public dans ces départements ruraux sont stables avec une très légère croissance entre 2009 et 2013, alors que ceux scolarisés dans le privé sous contrat ont enregistré une baisse de 1,8 %. En zone rurale, comme sur l'ensemble du territoire national, la fermeture des classes est également plus importante dans le privé que dans le public.

Dans sept départements de cette liste seulement, l'évolution de la scolarisation dans le privé est plus favorable que dans le public. Il s'agit de l'Aude, de la Creuse, de la Dordogne, du Gers, de la Haute-Saône, de la Moselle et de l'Yonne. Toutefois, même dans ces départements, on ne peut pas parler de transvasement du public vers le privé car les flux dans le privé sont extrêmement faibles. Les évolutions de la scolarisation dans le public ne sont pas corrélées avec l'évolution dans le privé et ne sont pas dues à l'application de la loi Carle.

L'exemple de la Creuse illustre bien ce point : les effectifs dans les écoles privées croissent de 1,7 % alors qu'ils baissent de 4,7 % dans le public. En réalité, il n'y a eu qu'un gain de 2 élèves dans le privé pour une perte de 475 élèves dans le public. En valeur absolue, les effectifs totaux scolarisés dans des établissements privés de ce département sont tellement faibles qu'ils ne peuvent absorber les évolutions du public, si bien que les variations s'apparentent à une illusion d'optique vite dissipée.

Au vu de l'évolution constatée des flux d'élèves depuis 2009, vos rapporteurs estiment que la loi Carle n'a entraîné aucun bouleversement des équilibres entre le public et le privé.

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