UN APAISEMENT CERTAIN DU CLIMAT LOCAL

II. UN APAISEMENT CERTAIN DU CLIMAT LOCAL À PORTER AU CRÉDIT DU TEXTE, MALGRÉ DES DIFFICULTÉS D'ÉVALUATION ET QUELQUES DIVERGENCES D'INTERPRÉTATION

A. DES TEXTES RÉGLEMENTAIRES EN CONFORMITÉ AVEC LA LETTRE DE LA LOI

1. La définition des capacités d'accueil de la commune de résidence

On peut conjecturer qu'une part importante des forfaits « loi Carle » est acquittée par des communes ne disposant pas d'école. Ces cas ne présentent pas de difficultés, mais devant le manque de données statistiques, sur lequel vos rapporteurs reviendront, on ne peut en rester là et il faut examiner plus avant les modalités d'appréciation des capacités d'accueil de la commune de résidence.

En effet, la définition exacte des capacités d'accueil conditionne partiellement l'obligation de financement et la portée concrète de la loi Carle sur le terrain, notamment en zone rurale. Plus une définition large est retenue, plus le nombre de communes sortant du champ d'application de la loi est important. Deux problèmes se posent : celui du périmètre géographique retenu et celui de la définition du nombre d'élèves par classe au sein du périmètre défini.

Le seul texte d'application prévu par la loi Carle est le décret déterminant les modalités de prise en compte des RPI. Le gouvernement a fait preuve de diligence et après avis du Conseil d'État, il a publié le décret n° 2010-1348 du 9 novembre 2010 qui rend pleinement applicable l'ensemble des dispositions de la loi.

La solution retenue dans le décret de 2010 précité vise à gommer l'asymétrie relevée précédemment dans la prise en compte de l'intercommunalité entre les cas de l'enseignement public et de l'enseignement privé. Le nouvel article D. 442-44-1 du code de l'éducation prévoit en effet que ne seront pris en compte dans l'appréciation des capacités d'accueil que les RPI organisés dans le cadre d'un EPCI à compétence scolaire dont la commune de résidence est membre. Est donc reprise dans le décret pour le privé, la solution retenue dans la loi pour le public.

La difficulté que rencontrait le pouvoir réglementaire résidait dans l'absence de statut juridique propre des RPI. Leur existence ne peut être rattachée à une disposition législative ou réglementaire que de façon très indirecte par référence aux dispositions de l'article L. 212-2 du code de l'éducation, qui prévoient que deux ou plusieurs communes peuvent se réunir pour l'établissement et l'entretien d'une école.

Comme l'a indiqué à vos rapporteurs, Frédéric Bonnot, sous-directeur en charge de l'enseignement privé au ministère de l'éducation nationale : « À la date du décret, les RPI concernaient environ 15 000 communes et 11 % des élèves. La moitié environ des RPI étaient adossés à un EPCI, mais l'autre moitié ne touchait qu'un peu plus de 3 % des élèves, ce qui paraissait un effectif trop faible pour rigidifier le statut juridique des RPI, qui ne repose aujourd'hui que sur une circulaire ministérielle de 2003. »

Les avis sont très partagés sur la question de savoir si ce décret respecte la volonté du législateur. Les associations de maires contestent le décret. Elles sont favorables à une prise en compte de tous les RPI et pas seulement de ceux qui sont adossés à un EPCI.

Les juristes auditionnés par vos rapporteurs ne s'accordent pas. Ainsi Bernard Toulemonde, inspecteur général honoraire de l'éducation nationale, considère que le pouvoir réglementaire a déformé le texte voté par le Sénat, en vidant de toute portée l'amendement sénatorial qui prévoyait la prise en compte des RPI pour tenir compte de la situation de nombreuses communes rurales. Antony Taillefait, professeur de droit public à l'université d'Angers, estime à l'inverse que le principe de parité doit l'emporter, par cohérence avec l'objet même de la loi Carle. C'est aussi la position du Conseil d'État dans son avis du 6 juillet 2010.

Interrogé sur ce point par vos rapporteurs, notre collègue Jean-Claude Carle auteur et rapporteur de la loi du 28 octobre 2009, a estimé que le décret de 2010 ne dénaturait pas le texte et était conforme au principe de parité.

Les débats parlementaires eux-mêmes ne permettent pas de trancher sur l'intention du législateur puisqu'en réalité, l'Assemblée nationale et le Sénat avaient adopté le même texte dans les mêmes termes mais avec des intentions divergentes. Les débats au Sénat laissent penser que l'esprit de l'amendement sur les RPI tendait à leur prise en compte globale au-delà des seuls EPCI, qui en tout état de cause devaient déjà se substituer automatiquement à la commune de résidence. En revanche, le rapporteur de l'Assemblée nationale, notre collègue Frédéric Reiss, avait clairement indiqué que la disposition adoptée au Sénat devait être restreinte par le pouvoir réglementaire aux seuls RPI adossés à un EPCI à compétence scolaire. L'absence de commission mixte paritaire, le texte ayant été adopté conforme à l'Assemblée nationale en première lecture, a empêché le débat de se poursuivre.

Après avoir déterminé le périmètre géographique de la zone de résidence, il reste à apprécier la capacité d'accueil effective dans les classes inscrites dans ce périmètre.

Faut-il se caler sur le seuil d'ouverture ou de fermeture des classes ? Certains inspecteurs d'académie - directeurs académiques des services de l'éducation nationale (IA-DASEN) n'ont pas défini de seuils fixes d'ouverture et de fermeture. Lorsqu'ils l'ont fait, les seuils varient entre 20 et 25 élèves avec de grandes variations par zones, pour tenir compte de la viabilité du tissu scolaire ou des contraintes géographiques spécifiques, notamment en zone de montagne. De façon générale, au-delà de l'application de la loi Carle, les associations d'élus souhaitent plus de clarté et de lisibilité dans la définition des seuils d'ouverture et de fermeture des classes.

Enfin, à titre exploratoire, en partant d'un arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux, Commune de la Vernelle , du 8 mars 2011 Antony Taillefait a soulevé une question supplémentaire : dans son contrôle de l'appréciation de la capacité d'accueil de la commune de résidence, le juge administratif doit-il tenir compte uniquement des écoles publiques ou également des écoles privées ? C'est potentiellement un sujet dans les communes qui ne disposent que d'une école privée.

Vos rapporteurs estiment qu'une construction prétorienne allant dans le sens d'une prise en compte des écoles privées ne respecterait pas l'article L. 442-5-1 du code de l'éducation qui précise expressément qu'il suffit de démontrer l'absence de capacité d'accueil dans une école publique de la commune de résidence pour déclencher l'obligation de financement. En tout état de cause, tenir compte des places vacantes dans des écoles privées de la commune de résidence se heurterait à des difficultés :

- d'ordre pratique : comment connaître la capacité d'accueil dans les écoles privées ?

- d'ordre général : cela n'aurait-il pas pour conséquence de restreindre le choix de l'école privée par les parents, en introduisant une forme inédite de « sectorisation » préférentielle dans la commune de résidence ?

2. Les modalités de calcul du montant de la contribution de la commune de résidence

Le calcul exact de la participation financière est un sujet complexe, largement laissé ouvert par la loi Carle, même conjuguée avec les autres dispositions du code de l'éducation. Les préfectures interrogent fréquemment la direction générale des collectivités locales (DGCL) du ministère de l'intérieur à ce propos. Le coût en termes de fonctionnaires mobilisés pour réaliser précisément le calcul dans les cas concrets qui se présentent n'est pas négligeable, quoiqu'il n'ait pas été précisément évalué par le ministère.

En outre, la jurisprudence n'est pas stabilisée, ce qui laisse subsister une marge d'insécurité juridique. Il n'est pas certain que des communes souhaitent contester un mandatement d'office portant sur de faibles sommes jusqu'en dernier ressort devant le Conseil d'État. De ce fait, les incertitudes risquent de persister, ce qui est en soi regrettable, même si elles demeurent marginales et ne menacent pas l'application de la loi, d'après le ministère de l'intérieur.

Tant que le Conseil d'État n'est pas saisi de contentieux liés aux forfaits dus au titre de la loi Carle, il faut extrapoler à partir de ses décisions sur le calcul du forfait de base pour les élèves résidents et de la contribution due au titre d'élèves non-résidents scolarisés dans une école publique. Les lignes directrices posées par la circulaire dédiée n° 2012-025 du 15 février 2012 reprennent et explicitent la jurisprudence la plus récente du Conseil d'État en la matière.

Particulièrement importantes sont les décisions concernant la prise en compte des dépenses facultatives engagées par la commune d'accueil au bénéfice de ses écoles publiques. Avant le vote de la loi Carle, le Conseil d'État s'est prononcé sur le dispositif analogue valable pour les élèves non-résidents dans l'enseignement public. Il a considéré que pour la répartition des charges entre la commune de résidence et de la commune d'accueil, il fallait partir des frais effectivement supportés par la commune d'accueil pour assurer le fonctionnement des écoles, mêmes si elles n'ont pas un caractère obligatoire, dès lors qu'elles ne résultent pas de décisions illégales (CE, 7 avril 2004, Commune de Port d'Envaux ).

Cette jurisprudence a été précisée dans le cas du forfait de base dû aux écoles privées, de sorte que les dépenses de la commune exposées dans les classes élémentaires publiques qui se rapportent à des activités scolaires, même s'il ne s'agit pas de dépenses obligatoires, doivent être prises en compte pour le calcul de la participation de la commune aux dépenses de fonctionnement des classes privées sous contrat d'association (CE, 12 octobre 2011, Commune de Clermont-Ferrand c/ OGEC Fénelon ). Sont visées par exemple les dépenses relatives au transport des élèves lors des activités scolaires, à la médecine scolaire, à la rémunération d'intervenants lors des séances d'activités physiques et sportives et aux classes de découverte.

Il convient de remarquer que la nomenclature comptable utilisée par les communes n'est pas opposable aux établissements privés. Seul importe que les dépenses en cause soient véritablement des charges ordinaires ou des investissements. La seule inscription en section de fonctionnement ou d'investissement d'une dépense engagée par la commune d'accueil au profit de ses écoles publiques ne saurait justifier son intégration ou son exclusion respectivement dans le calcul de la contribution de la commune de résidence, conformément à la décision du Conseil d'État Fédération UNSA du 2 juin 2010. En particulier, dans le cas des dépenses informatiques, l'acquisition de matériels est une dépense d'investissement, tandis que la location et la maintenance sont des dépenses de fonctionnement, de même que les frais d'amortissement liées aux matériels et aux logiciels.

Même lorsqu'ont été arrêtées les dépenses obligatoires et facultatives à prendre en compte, des difficultés pratiques de calcul demeurent. Par exemple, l'AMF s'interroge sur un item dans la liste des dépenses obligatoires annexée à la circulaire de 2012 : comment calculer « la quote-part des services généraux de l'administration communale ou intercommunale nécessaire au fonctionnement des écoles publiques » ?

3. Des demandes d'éclaircissements réitérées par les associations d'élus

De même que les questions adressées par les préfets à la direction générale des collectivités locales sur le calcul du montant du forfait ou sur l'appréciation de la capacité d'accueil dans la commune de résidence, les demandes d'éclaircissements venant des maires portent en général sur l'interprétation à la fois de l'article L. 212-8 du code de l'éducation, qui règle la question des élèves non-résidents dans les écoles publiques, et du L. 442-5-1 du même code, qui en forme le pendant pour les écoles privées.

Ce n'est donc pas uniquement la loi Carle qui laisse subsister des zones d'ombre, mais l'ensemble des normes concernant les élèves non-résidents. On pourrait certes regretter que la loi Carle n'ait pas été prise comme occasion de clarifier et de fixer les pratiques sur le terrain, mais on ne peut lui imputer l'origine du problème.

Les demandes portent sur des questions d'ordre réglementaire qui ne trouvent pas de réponses dans la circulaire d'application de 2012 : le cas des classes d'inclusion scolaire (CLIS), le cas du déménagement en cours d'année, la prise en compte des fratries.

a) Les classes pour l'inclusion scolaire

Une réponse ministérielle a été donnée aux interrogations de l'AMF sur la prise en charge des élèves handicapés accueillis dans une classe pour l'inclusion scolaire (CLIS) hors de leur commune de résidence.

Lorsque la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées (CDAPH) précise dans sa décision le lieu de scolarisation de l'enfant, sa recommandation s'impose et la commune de résidence se voit dans l'obligation de financer la scolarisation.

b) Le déménagement en cours d'année

Pour le cas de l'enseignement public, le dernier alinéa de l'article L. 212-8 du code de l'éducation accorde à l'enfant le droit au maintien dans l'école de la commune d'accueil jusqu'à la fin du cycle d'études entamé . Cette disposition s'applique en cas de déménagement de la famille en cours d'année avec le maintien de l'inscription de l'enfant dans l'école d'origine. Il n'y a pas de disposition analogue inscrite dans l'article L. 442-5-1 du code de l'éducation pour l'enseignement privé. Par extrapolation et en respectant le principe de parité, on peut transposer aux écoles privées la solution valable pour les écoles publiques.

Toutefois, une difficulté de fond demeure sur la question de savoir si la nouvelle commune de résidence après le déménagement est tenue de contribuer financièrement à la prise en charge de l'enfant dans l'école de la commune d'origine où il demeure inscrit . Autrement dit, le déménagement en cours d'année avec maintien dans l'école d'origine crée-t-il un cas supplémentaire d'obligation de financement pour la nouvelle commune de résidence ? Il existe une divergence d'interprétation entre le ministère de l'intérieur et le ministère de l'éducation nationale des dispositions mêmes concernant l'enseignement public.

Le ministère de l'intérieur, dans son guide sur la répartition intercommunale des charges de fonctionnement des écoles publiques daté de 1998 considère qu'aucune obligation ne pèse sur la nouvelle commune de résidence, même si un accord entre les communes peut être recherché.

En revanche, le ministère de l'éducation nationale, en réponse à une question écrite de notre collègue Jean-Pierre Sueur (QE n° 05421, JO Sénat du 21 mars 2013), a précisé que le maintien de l'inscription initiale dans la commune d'origine, avant le déménagement, entraîne l'obligation pour la nouvelle commune de résidence après le déménagement de financer la continuité du parcours scolaire.

L'interprétation de l'éducation nationale est plus extensive que celle du ministère de l'intérieur puisqu'elle n'examine pas si après le déménagement, les relations entre les communes de résidence et d'accueil rentrent dans un des cas de financement obligatoire prévus par le code de l'éducation. En d'autres termes, dans l'interprétation de l'éducation nationale, la nouvelle commune de résidence se substitue à l'ancienne commune de résidence dans l'ensemble de ses obligations après le déménagement.

La jurisprudence administrative n'est pas stabilisée mais dans les quelques cas où des tribunaux se sont prononcés, ils ont plutôt retenu l'interprétation du ministère de l'intérieur. Dans des arrêts significatifs Commune de La-Neuville-Saint-Pierre du 16 janvier 2002 et Commune de Goincourt du 22 janvier 2002, la Cour administrative d'appel de Douai a considéré que :

- l'obligation de financement à la charge la commune de résidence ne porte que sur les seules années au titre desquelles les cas dérogatoires sont justifiés ;

- le droit au maintien dans l'école d'origine n'entraîne pas de lui-même une obligation de prise en charge financière par la nouvelle commune de résidence.

De fait, l'imprécision résiduelle des textes réglementaires permet les deux lectures et, en attendant une décision claire du Conseil d'État, cette ambiguïté demeure une source d'insécurité juridique pour le public comme pour le privé, tant dans l'application de l'article L. 212-8 précité que dans celle de la loi Carle.

Comme l'a rappelé notre collègue David Assouline, président de la commission chargée de l'application des lois, les effets d'un déménagement en cours d'année devraient faire l'objet d'une seule appréciation commune des ministères de l'intérieur et de l'éducation nationale, dans le respect de la jurisprudence administrative, quitte à produire un texte réglementaire de clarification.

c) Le critère de la fratrie

Pour l'enseignement public, l'article R. 212-21 du code de l'éducation dispose que la commune de résidence est tenue de participer financièrement à la scolarisation maternelle ou élémentaire dans une autre commune du frère ou de la soeur d'un enfant inscrit la même année scolaire dans une école publique de ladite commune d'accueil, dans le cas où la scolarisation de l'enfant de référence dans la commune d'accueil est elle-même justifiée par une des dérogations classiques (activité professionnelle des parents, état de santé de l'enfant, capacité d'accueil insuffisante dans la commune de résidence).

Il est important de noter que l'inscription simultanée de deux frères ou soeurs n'emporte pas l'application de cette mesure, qui n'est valable qu'en cas d'inscription échelonné. Elle vaut pour un regroupement de fratrie mais pas pour une inscription groupée de fratrie .

Il n'existe pas de dispositions analogues pour l'enseignement privé et c'est par extrapolation à partir de la solution trouvée dans l'enseignement public, en recourant au principe de parité, qu'il faut interpréter les termes de la loi Carle en matière de prise en compte des fratries. La seule condition restrictive est la limitation aux seules classes élémentaires , sans tenir compte des inscriptions en classes maternelles. Une réponse orale aurait été donnée par la DGCL à l'AMF en ce sens en 2010. Dans le silence des textes, le juge administratif pourrait toutefois dégager une solution prétorienne distincte. Une clarification des textes d'application pour préciser l'utilisation du critère de la fratrie pour le financement des élèves non-résidents inscrits dans des écoles privées pourrait se révéler utile.

Le contrôle d'application du critère de regroupement de la fratrie paraît matériellement très difficile . Comme le note la préfecture d'Eure-et-Loir, sondée par la DGCL, il faudrait que chaque établissement privé concerné fasse la preuve au cas par cas que les aînés en général auraient pu bénéficier d'une dérogation à l'époque de leur inscription. En particulier, pour apprécier les capacités d'accueil au moment de l'inscription de l'aîné, il lui faudrait vérifier les statuts en vigueur à l'époque par les éventuels EPCI, ce qui s'apparente à une enquête quasi-impossible.

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