C. LE TRANSPORT FLUVIAL, UN SYSTÈME COMPLEXE DONT LES ACTEURS DOIVENT ÊTRE CONFORTÉS ET ENTRER EN SYNERGIE

Le transport fluvial est un secteur systémique dont les éléments pour être individualisables doivent s'organiser en vue de synergies positives qui requièrent, outre des coordinations trop lacunaires aujourd'hui, que chaque intervenant réunisse les conditions de son efficacité propre.

La batellerie sous pavillon national est un acteur majeur de ce système qui mérite d'être mieux soutenu. Les grands ports maritimes sont lancés dans une compétition dont il faut leur donner les moyens et qui doit être confortée par une continuité fluviale de haut niveau.

Vos rapporteurs se félicitent que VNF ait pu constituer avec les intervenants une interprofession du transport fluvial susceptible de resserrer les liens et le dialogue entre les parties prenantes.

De même, certaines interventions sont utiles pour moderniser la flotte mais d'autres évolutions sont moins favorables tandis que l'Europe de la cale fluviale reste à faire.

1. Une cale française sous tensions

La profession batelière a connu une évolution considérable au cours des dernières décennies.

Une réduction massive de la flotte est intervenue qui n'a pas détruit les capacités de production, mais s'est accompagnée d'une rationalisation de celle-ci. Pour autant, les entreprises de la batellerie restent pour nombre d'entre elles des entreprises artisanales, qui sont confrontées à des difficultés et devront sans doute affronter de nouveaux défis dans un contexte de relance du fluvial.

Celle-ci appelle un accompagnement des professionnels du transport qui, pour être déjà partiellement mis en oeuvre, devra être élargi à des problématiques difficiles.

a) Une profession composite

La batellerie est composée principalement de deux populations : les artisans (et les « petites flottes ») d'un côté, les armateurs fluviaux de l'autre. On peut ajouter que certaines grandes entreprises réalisent du transport pour comptes propres généralement pour des trajets de courte distance ou répétitifs dans des domaines comme les matériaux de construction, les céréales ou l'énergie.

Ce mode de transport n'est, semble-t-il, pas précisément connu. Au début des années 2000, on évaluait son poids à 10 % du transport fluvial.

Les artisans bateliers rassemblent principalement des petites entreprises (jusqu'à 6 salariés) dotées d'automoteurs de petit gabarit (typiquement de péniches Freycinet) pouvant théoriquement naviguer sur l'ensemble du réseau, ce qui représente un atout intra-mode mais pas nécessairement reproduit dans le contexte des concurrences entre modes.

Les compagnies d'armateurs fluviaux disposent d'une flotte plus diversifiée où prédominent les bateaux, barges et unités spécialisées appelées à naviguer sur le réseau à grand gabarit. Elles maîtrisent l'ensemble de la chaîne logistique mais, compte tenu de la dimension de leur flotte et des caractéristiques d'un réseau fluvial demeurant segmenté, elles opèrent généralement au sein d'un bassin donné.

Ceci a pour effet de limiter leur pouvoir de marché, de restreindre leur accès à certains segments de la demande de transport et d'accroître leur sensibilité aux dynamiques des bassins où elles opèrent et dont elles sont captives (même si la diversification de leur offre permet une forme de lissage).

b) Un tissu d'entreprises qui s'est contracté mais a réalisé des gains de productivité

Les effectifs de la batellerie ont été divisés par plus de 2 entre 1980 en 2001 passant, toutes catégories confondues, de 7 629 à 3 323 employés (selon les statistiques du ministère de l'équipement).

Selon les données transmises à vos rapporteurs, cette tendance s'est interrompue à partir de 2003 et les effectifs ont été portés à 3 795 en 2010 dans un mouvement où le nombre des travailleurs indépendants a continué sa décroissance, mais sur un rythme ralenti, tandis que celui des salariés progressait assez nettement.

Les données manquent pour établir ce que cette inversion doit respectivement au fret et au transport de passagers.

Il est remarquable que celui-ci représente pour la profession un effectif de salariés supérieur à celui issu du transport de marchandises (1 936 emplois contre 1 163). En revanche, le fret engendre un chiffre d'affaires plus élevé que le transport de passagers (451 millions d'euros contre 322,6 millions d'euros), ce qui ne signifie pas qu'il soit plus rentable.

En toute hypothèse, le transport fluvial de marchandises ne ressort pas comme à fort contenu en emplois mais plutôt comme un secteur capitalistique 1 ( * ) .

La profession batelière est ainsi particulièrement tributaire du coût du capital engagé et très exposée, en raison des coûts fixes qu'elle doit amortir, aux évolutions de la demande.

Or, l'atomicité de la profession, qui se lit dans l'écrasante proportion des petites entreprises (dont 96 % au début des années 2000 étaient constituées d'unités moins de 5 salariés) n'est pas structurellement favorable à un allègement de ces vulnérabilités : elles manquent souvent de capital et de pouvoir de négociation financière ou commerciale.

Cette relative faiblesse positionnelle - que la loi sous revue a envisagé en demandant qu'un rapport sur les prix et marges dans le transport fluvial soit remis au Parlement - appelle en soi une forme d'accompagnement qui doit d'autant plus aller au-delà des dispositifs déjà prévus que l'essor souhaité du fluvial confrontera la flotte nationale à de nouveaux défis.

c) Une profession dont la défense doit être confortée

Lors de leur visite au Port autonome de Strasbourg, vos rapporteurs ont été frappés d'apprendre que la cale française était à peu près absente de l'écosystème géré par cette important port intérieur.

Pourtant, la flotte française a connu des évolutions la mettant mieux à même de participer à la concurrence internationale. La proportion des grandes unités (supérieures à 1000 t) a progressé passant de 43 à 61 % et la flotte s'est adaptée afin de permettre une massification du transport des charges qui est une des clefs de la compétitivité du mode.

Cette évolution a pu être favorisée par les aides apportées par VNF dans le cadre d'un plan d'aide à la modernisation et à l'innovation de la flotte fluviale plafonné à 12,5 millions d'euros pour la période 2013-2017 à quoi s'ajouterait une contribution annuelle de l'État de 0,8 million d'euros par an. Par ailleurs, un plan d'aide au report modal couvrant la même période est abondé par VNF dans la limite de 10 millions d'euros. Il permet en particulier de financer des études logistiques et des outils de manutention nécessaires aux fonctions de la batellerie.

Vos rapporteurs souhaitent que ces dispositifs soient effectivement disponibles et utilisés.

Tout en soulignant certains aspects préférentiels du régime fiscal des armateurs, en particulier l'exonération des plus-values de cession en cas de reprise de bateaux par une entreprise de transport fluvial de marchandises, ils regrettent que l'aide à la pince qui favorise les opérateurs de fret à l'occasion des mouvements transitant par une barge soit réduite voire supprimée. Elle représente une aide de 28 millions au total bénéficiant au combiné fluvial et ferroviaire et son niveau a déjà été divisé par deux.

Cette évolution défavorable affaiblit l'impact des soutiens apportés par ailleurs.

Enfin, il est remarquable que l'Europe de la cale fluviale reste à construire sur les plans fiscaux, sociaux et environnementaux. Une évaluation comparative devait être entreprise afin de s'assurer des bonnes pratiques en ce domaine, qui comme d'autres paraît susceptible d'abriter des distorsions de concurrence reposant notamment sur des pratiques fiscales et sociales agressives.

Il reste que pour la flotte française, l'essentiel est que l'infrastructure fluviale de préférence, qui reste l'infrastructure nationale, soit mise à niveau et que les modes concurrents ne bénéficient pas des latitudes qu'on leur laisse aujourd'hui de développer leurs avantages compétitifs sans assumer leurs désavantages comparatifs.

Sur le premier point, vos rapporteurs ont recueilli quelques témoignages d'insatisfaction liés aux résultats concrets des opérations de reconstruction de certains ouvrages et aux conditions d'exercice de la police de la navigation intérieure.

VNF a conservé un pouvoir de police de la navigation en lien avec ses responsabilités fonctionnelles. L'établissement est habilité à décider des mesures affectant la navigation fluviale, en particulier pour faire face à des incidents d'exploitation et autres situations de crise, mais aussi pour les besoins de la maintenance du réseau.

C'est notamment dans ce cadre que sont arrêtées des décisions dites de « chômage » consistant à interrompre ou réduire la navigation sur des segments du réseau, afin de procéder à des opérations de maintenance.

Les orientations de VNF visant à privilégier une maintenance privative plutôt que des opérations curatives conduisent l'établissement à publier des calendriers de chômages à l'avance.

À ce propos, vos rapporteurs ont recueilli des témoignages suggérant que VNF pourrait recourir trop systématiquement à des « chômages de réservation » des segments de la voie d'eau se trouvant inutilement gelés pour des travaux de maintenance non réellement programmés. De même, des extensions des périodes de chômage seraient trop fréquentes et significatives d'une difficulté à conduire les travaux.

En bref, la police de la navigation intérieure serait exercée sans le discernement souhaitable.

Il est évident que la maintenance, voire la remise à niveau, des voies navigables, n'est généralement pas une opération simple, si bien que des aléas peuvent toujours se présenter.

Les témoignages recueillis par vos rapporteurs en appellent à une optimisation de la police de la navigation fluviale, laquelle n'est probablement pas une préoccupation étrangère à l'établissement mais que celui-ci pourrait sans doute mieux prendre en compte en améliorant sa concertation avec les usagers et en maîtrisant mieux sa programmation et la réalisation de ses travaux.

À cet égard, une actualisation en continu du schéma directeur de maintenance des voies navigables serait souhaitable.

2. Des synergies à développer

Dans les pays où le transport fluvial est une composante majeure il s'accompagne de l'existence de ports maritimes très puissants et de plateformes portuaires intérieures solides.

Le présent rapport ne peut accueillir un examen de la situation des ports français qui dépasse de beaucoup son objet.

Vos rapporteurs rappellent qu'un consensus existe pour regretter les défauts des liaisons entre les ports maritimes et les voies navigables, quand, dans tous les pays où le fret fluvial est développé, les premiers sont des pourvoyeurs ou des destinataires privilégiés des marchandises transportées par voie fluviale.

Dans son rapport sur le projet de loi relatif à VNF, le Sénat avait pu, par exemple, exposer les difficultés nées de l'absence de raccordement du port maritime du Havre coupé de son débouché fluvial naturel.

Vos rapporteurs souhaitent que les projets de raccordement du Port du Havre (la « chatière ») et de celui de Marseille soient soutenus.

Les solutions de continuité en ce domaine créent un environnement favorable aux autres modes de transport, en particulier le transport routier, en dépit du mécanisme compensateur mis en place, dit « aide à la pince » dont, au demeurant, la pérennité est remise en cause.

À cet égard, même si selon le rapport précité de l'IGF le dispositif pourrait être plus vivant, il faut se féliciter de la constitution sus forme d'un GIE d'une alliance HAROPA (Le Havre Rouen Paris) qui doit préfigurer une gestion plus intégrée des infrastructures de l'eau.

Il faut considérer avec attention en France les opportunités croisées entre ports maritimes et infrastructures fluviales dans un contexte où les grands ports de l'Europe du Nord dont la mondialisation et les échanges internationaux induits ont provoqué une nouvelle flambée sont confrontés à des phénomènes d'engorgement susceptibles d'en affecter le bon fonctionnement et la compétitivité et au-delà l'économie même de la logistique européenne.

Le littoral français doit saisir la chance d'offrir une alternative durable et compétitive et à ce titre la réalisation d'un continuum fluviomaritime doit être une priorité qui suppose certainement de dissiper les motifs d'un malthusianisme aux effets protectionnistes illusoires. Longtemps considéré comme une menace d'éviction le canal Seine Nord Europe dont vos rapporteurs souhaitent la réalisation doit devenir la chance des ports de l'ouest et du Nord français.

Quant aux ports intérieurs , leur situation est variée tant du point de vue de leur économie que de celui de leur statut. La plupart des ports français sont sous statut de concessions d'outillages publics mais il existe des ports autonomes dont le Port de Strasbourg dont vos rapporteurs ont pu mesurer le dynamisme.

Les ports sous concessions sont de dimensions très variées trois d'entre eux concentrant 44 % du trafic. Leurs résultats sont eux-mêmes variables.

Source : VNF.

Les voies navigables sont un débouché important du trafic généré par ces ports et leur profitent.

Mais, au-delà des questions que peuvent poser l'équilibre des concessions ou, à un moindre titre, les relations financières avec les ports autonomes (voir infra ), un certain sous-dimensionnement s'accompagnant d'un éparpillement des gestions peut nuire à leur compétitivité.

Vos rapporteurs souhaitent que la mission conjointe IGF-CGEDD en cours s'attachent pleinement à identifier les voies d'un développement des ports intérieurs cohérent avec l'ambition fluviale que doit suivre le pays.


* 1 Une « Freycinet » de 38 mètres équivaut à 14 camions.

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