CHAPITRE II - VNF, ACTEUR OU AGENT ?

La loi de 2012 s'est inscrite dans la continuité de l'histoire de l'organisation administrative de la gestion de la voie d'eau mais avec l'intention d'en amplifier les logiques.

En ce sens, elle a entendu consolider trois traits fondamentaux de l'organisation de Voies Navigables de France (VNF) : son autonomie, apparemment confirmée par le choix de conserver à VNF une personnalité morale propre, son unité, par l'extension des attributions de son directeur général en matière de ressources humaines mais aussi par l'ambition d'engendrer une « communauté des personnels de la voie d'eau » , sa responsabilité, en affichant VNF comme l'acteur majeur de la politique fluviale nationale.

À l'issue de leurs travaux, vos rapporteurs sont conduits à s'interroger sur la complète effectivité de ces intentions.

Dans son rapport sur VNF en 2009, l'inspection générale des finances (IGF) avait évoqué la fictivité de sa dimension industrielle et commerciale. Le choix de remplacer cette qualification par celle d'établissement à caractère administratif n'a pas éliminé l'impression d'irréalité que suscite la confrontation entre les conséquences théoriques d'une telle option et les observations auxquelles conduit la considération des faits d'expérience.

Ce n'est pas tant que VNF soit en réalité un « établissement singulier », ni industriel et commercial, ni tout à fait administratif, qui est l'essentiel, même si cette situation témoigne que le chemin vers l'unité de VNF reste à parcourir complètement. Ce qui compte principalement c'est que l'autonomie de VNF se révèle d'emblée si corsetée que sa nature d'établissement public, sans être entièrement dénuée d'effets, mais essentiellement juridiques, engendre finalement une certaine perplexité quant à sa réalité. On est conduit à estimer que, sous cet angle, VNF n'a pas quitté le domaine de la fiction en revêtant les habits d'un établissement public administratif. Le constat de l'absence d'une réelle autonomie s'impose en trop d'occasions. Il fait naître des interrogations qui ne sont pas que purement théoriques. En particulier, il conduit à s'inquiéter des prolongements donnés concrètement à la loi, mais aussi d'éventuelles dérives associées à la préoccupation de s'adapter à des contraintes qu'il faut ainsi recommander d'ajuster.

Quant à elle, la préoccupation d'assurer l'unité de VNF, qui ressort fragilisée de l'autonomie trop limitée de l'établissement se heurte à d'autres obstacles. La loi de 2012 n'avait pas vocation à les traiter, d'autant qu'ils n`avaient pas été mis au coeur des débats parlementaires par le projet de loi, mais elle les impliquait nécessairement. L'émergence d'une communauté des personnels de la voie d'eau souhaitée par la loi dépend ainsi de la résolution de nombreux problèmes aujourd'hui encore pendants.

Quant aux responsabilités de VNF comme acteur principal de la politique fluviale, force est de reconnaître qu'en plus des handicaps que l'établissement subis du fait des faiblesses qui affectent son autonomie et son unité, elles sont à relativiser. VNF est tributaire d'un héritage de morcellement des responsabilités de gestion des voies d'eau que la loi de 2012 n`a pas remis en cause. Dans ces conditions, l'absence d'un pilote de la politique fluviale subsiste comme un problème majeur. Il doit être surmonté.

I. UNE AUTONOMIE FICTIVE

Le maintien de VNF sous statut d'établissement public est supposé offrir à l'établissement son autonomie. Mais, celle-ci est si limitée que le choix même d'attribuer à VNF la qualité d'établissement public en est remis en cause dans ses justifications de principe, tandis que, foisonnante, la tutelle sous laquelle l'établissement est placée invite à certaines interrogations sr ses effets.

A. L'ATTRIBUTION DE LA QUALITÉ D'ÉTABLISSEMENT PUBLIC ADMINISTRATIF À VNF N'EST PAS CRITIQUABLE EN SON PRINCIPE

1. Un choix d'autonomie justifié

On évoque régulièrement l'existence d'une « crise de l'établissement public ». Pour autant, dans les faits, son succès est sans démenti. Le rythme des créations d'établissements publics s'est accéléré : entre 4 et 6 à la fin des années 90, 12 en 2005, 15 en 2006... Il existe environ 800 établissements publics nationaux dans des domaines divers mais marqués par des logiques d'action publique justifiant le recours à des entités spécifiques, détachées des services ordinaires d'administration générale.

La dimension opérationnelle des activités de VNF et la volonté de clarifier ses responsabilités auraient pu s'accommoder d'autres formules. Comme c'est le cas dans le domaine du transport aérien, où la direction générale de l'aviation civile (DGAC), demeure un service administratif traditionnel, gestionnaire de certaines infrastructures, VNF aurait pu être intégré à l'administration générale qui, au demeurant, lui fournissait la quasi-totalité de ses agents.

Pour autant, cette évolution, qui aurait contrasté avec une tendance consistant à individualiser la gestion administrative des biens publics spécifiques, aurait été peu favorable à la volonté d'assurer, en même temps qu'une forme d'autonomie-responsabilité, une association des différentes parties intéressées aux infrastructures fluviales, des personnels aux usagers en passant par ces partenaires essentiels de l'État que sont les collectivités territoriales.

La composition du conseil d'administration de VNF, ainsi que les différentes structures de gouvernance de l'établissement, traduisent au moins en partie ces considérations.

Par ailleurs, vos rapporteurs tendent à donner un certain prix à l'existence d'une structure identifiable comme centre de défense et de promotion du fluvial dans une galaxie administrative où bien que fort d'enjeux fondamentaux, mais peu tangibles, le fluvial n'est pas nécessairement à égalité avec les autres modes de transport. À cet égard, ils ont pu constater qu'en dépit de certaines insatisfactions, voire de certaines inquiétudes, les différentes composantes du secteur jugent favorablement l'existence même d'un organisme apte à cristalliser les problématiques auxquelles ils se trouvent confrontées.

2. Un habit administratif convenant mieux à VNF que le costume industriel et commercial

Un grand nombre d'établissements à caractère industriel et commercial ont été transformés ces dernières années en sociétés commerciales. Cette évolution n'aurait pas convenu à VNF.

Son caractère administratif l'emporte sans discussion sur sa dimension industrielle et commerciale, et, cette identité administrative devant être renforcée par les dispositions de la loi de 2012 avec notamment le transfert des effectifs ministériels vers VNF, il était logique de métamorphoser VNF en le faisant passer du statut d'établissement public industriel et commercial (EPIC) à celui d'établissement public administratif (EPA).

La part des ressources commerciales de l'établissement était minime, la quasi-totalité des moyens financiers mobilisés étant de source publique.

L'objet de VNF, sans être absolument dénué de considérations industrielles ou commerciales, était essentiellement de gérer des infrastructures avec une optique d'aménageur et de développement à des fins très marginalement commerciales.

La mission de VNF réside plutôt dans la production de biens publics qui ne sont pas spontanément produits par le marché.

En bref, même si les établissements publics sont si adaptable que des formules singulières se retrouvent dans leur population, le maintien de VNF sous le drapeau des EPIC aurait abouti dans ces conditions à conforter une solution quelque peu monstrueuse.

Il reste que le changement de statut de VNF n'a pas été accompagné de tous les effets qu'on attend généralement du passage d'un organisme au régime des EPA si bien que VNF est en réalité qualifié d'établissement à double-visage par le Conseil d'État.

En particulier, alors que dans les EPA, les statuts de la fonction publique sont appelés à s'appliquer au personnel, en vertu de l'article 3 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983, tandis qu'il est de règle que dans les EPIC, le droit privé soit la référence (excepté pour le directeur et le comptable, s'il a qualité de comptable public), tant pour les relations individuelles que collectives, la loi sous revue a entendu préserver cette dernière solution pour les effectifs propres de VNF, c'est-à-dire ceux qu'il employait en droit.

La qualification d'EPA est ainsi d'emblée nuancée ressortant comme logique au vu des activités principales de VNF, mais socialement ambigüe : apte à rassurer les effectifs des services ministériels, mais écartée pour conserver leur identité aux effectifs propres de VNF. Cette ambiguïté apparaît en cela comme le reflet du maintien de ressources humaines composites (voir infra ).

En dépit de son caractère hybride, la transformation de VNF renforce certaines contraintes. En particulier, la passation des marchés devra respecter le code des marchés publics, évolution qui n'est toutefois pas complètement décisive puisqu'aussi bien l'ordonnance n° 2005-649 du 6 juin 2005 relative aux marchés publics par certaines personnes publiques ou privées non soumises au code des marchés publics encadrait la liberté contractuelle de VNF.

Par ailleurs, le changement de statut de VNF devrait avoir des effets quelque peu contraignants sur les conditions de gestion de sa trésorerie l'État alors que pour les EPIC nulle disposition n'encadre leurs placements à court terme.

En tant que correspondant du Trésor VNF devrait déposer ses fonds au Trésor. Mais, l'établissement bénéficie de certaines souplesses et peut placer ses fonds en valeurs d'État ou garanties par lui.

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