D. UN EFFET D'ÉVICTION DES PME-TPE

Si le modèle du contrat de partenariat a des incidences pour les cocontractants - à la fois le pouvoir adjudicateur et son partenaire privé -, il a des implications particulièrement fortes à l'égard de tiers aux contrats, notamment les entreprises qui sont de facto évincées de la sélection.

Vos rapporteurs relèvent d'ailleurs un paradoxe : inspirés par une logique de transfert au secteur privé d'activités pour mettre fin au monopole public sur leur prise en charge, ces contrats aboutissent in fine à une situation oligopolistique dans le secteur concurrentiel , seule une poignée de grands groupes étant en capacité de répondre à la procédure de sélection.

MM. François Lichère et Frédéric Marty résument ainsi la situation : « En concentrant la demande publique au travers d'un contrat global de long terme, le [contrat de partenariat] conduit sinon à réduire l'accès des PME à la commande publique, du moins à les placer sous la dépendance des grandes entreprises ».

1. Des contrats de partenariat captés par un oligopole

En effet, la conclusion de contrats de partenariat n'est pas neutre pour le secteur concurrentiel. Sans expliquer à eux seuls les difficultés d'accès des petites et moyennes entreprises (PME), voire des très petites entreprises (TPE), à la commande publique, les contrats de partenariat peuvent néanmoins constituer un obstacle supplémentaire pour ces entreprises.

Vivement critiquée par les représentants des PME et TPE lors de leur audition, cette situation a été relativisée par d'autres personnes entendues par vos rapporteurs. Pourtant, un constat s'impose : le contrat de partenariat interdit davantage l'accès des PME et TPE à la commande publique, les reléguant dans une situation de sous-traitance sans leur assurer les garanties qui s'y attachent dans le cadre d'un marché public.

Lors de son audition, la confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment (CAPEB) a également insisté sur le blocage que ce type de contrat induisait pour les petites entreprises du bâtiment. Selon ses représentants, « le libre jeu de la concurrence est directement menacé puisque seules quelques grandes entreprises sont en mesure de s'organiser pour répondre à ces contrats », directement ou par la voie de leurs filiales qui « disposent de l'appui en moyens de la maison mère ».

Le syndicat national du second oeuvre (SNSO) a ainsi fait valoir que dans le cadre d'un contrat de partenariat, « l'opérateur privé doit apporter le financement nécessaire à la réalisation de l'ouvrage et à son entretien sur une période donnée ». Or « cette obligation à apporter les fonds est, par nature, quasiment inaccessible à une PME » en raison principalement de sa sous-capitalisation.

Cette problématique est inhérente à ce type de contrat. Dès l'examen de l'habilitation du Gouvernement à créer par ordonnance ces nouveaux contrats de partenariat, notre collègue Bernard Saugey, alors rapporteur du projet de loi, avait identifié cette difficulté.

Extrait du rapport n° 266 (2002-2003) de M. Bernard Saugey
sur le projet de loi habilitant le Gouvernement à simplifier le droit

Invitant votre commission des lois à adopter l'habilitation à introduire en droit français les contrats de partenariat, le rapporteur formulait alors des recommandations à destination du Gouvernement pour éviter une éviction des PME et des architectes de l'accès à la commande publique.

« Si la création de nouvelles formes de contrats permettant le développement du partenariat public-privé en France s'avère pleinement justifiée, votre rapporteur souhaite toutefois rappeler qu'il est indispensable de prévoir des solutions pour que les petits entrepreneurs et les architectes ne soient pas pénalisés.

« Une place devra être assurée pour les architectes dans ces contrats globaux, afin de préserver une certaine reconnaissance de leur fonction et maintenir la qualité architecturale des constructions.

« Concernant les petites et moyennes entreprises et notamment les artisans, il conviendra que le gouvernement mette en place des dispositifs évitant qu'ils puissent être écartés systématiquement de ces nouveaux contrats.

« Avec la remise en cause de l'allotissement, les petits entrepreneurs auront en effet grand peine à gagner ce type de contrats. En revanche, ils pourront toujours participer aux marchés obtenus par les grandes entreprises par le biais de la sous-traitance, avec toutes les difficultés que cela peut également comporter.

« Il est en particulier courant que les entreprises générales fassent travailler en sous-traitance les mêmes petites et moyennes entreprises, et notamment les artisans, les autres se trouvant de ce fait systématiquement exclues des marchés publics.

« Malgré un fort ancrage local qui pourrait jouer à leur avantage dans le domaine de la maintenance, les petites et moyennes entreprises craignent d'être exclues du champ ouvert par ces contrats en matière de commande publique. »

2. Des PME non sélectionnées en raison du caractère global du contrat

Au cours des auditions effectuées par vos rapporteurs, plusieurs objections ont été apportées à ces critiques et au constat selon lequel le contrat de partenariat favoriserait par nature les grands groupes que sont Vinci, Eiffage et Bouygues.

D'une part, les difficultés d'accès à la commande publique pour les PME-TPE s'expliqueraient par l'importance des projets qui font l'objet d'un contrat de partenariat, ce dont vos rapporteurs conviennent. À cet égard, quel que soit le montage juridique retenu, un projet d'ampleur comme la construction du site de Balard ou du Palais de Justice de Paris n'est pas en soi accessible à une PME. De même, comme le relevaient lors de leur audition les représentants de conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD), la construction d'une ligne à grande vitesse, réalisée via un contrat de partenariat ou en maîtrise d'ouvrage publique, ne s'adresse pas, à titre principal, aux PME.

D'autre part, les PME pourraient soumettre une candidature par la voie d'un groupement qui réunirait l'ensemble des entreprises nécessaires pour répondre à la procédure de sélection. En s'unissant, elles pourraient se porter candidates aux côtés des grands groupes avec la chance d'être retenues.

Cependant, cette possibilité ne résout pas l'ensemble des difficultés structurelles des PME, notamment parce que le groupement candidat ne dispose pas, le plus souvent, de l'ingénierie suffisante et qu'il éprouve des difficultés pour s'associer à un partenaire financier. Les PME et TPE ont un accès très difficile aux contrats de partenariat, même de taille réduite .

En effet, les contrats de partenariat ajoutent en eux-mêmes un frein supplémentaire en raison de leur caractère global. La CAPEB le résume ainsi : « ce n'est pas parce qu'un contrat de partenariat serait de petite taille, qu'une TPE ou une PME deviendrait plus facilement titulaire d'un contrat de partenariat ». La conclusion de contrats de partenariat suppose une ingénierie juridique, financière, technique et commerciale qui n'est pas aisément à la portée des PME, et ce, quel que soit le montant du contrat de partenariat.

Vos rapporteurs sont attachés à l'accès des PME et TPE à la commande publique, ce que les contrats de partenariat freinent, y compris sur les projets modestes qui pourraient être réalisés selon une autre formule contractuelle plus accessible pour elles. À leurs yeux, le contrat de partenariat n'a pas été conçu pour la construction, l'exploitation et la maintenance d'un équipement modeste (piscine, gymnase, école, etc.). Aussi leur a-t-il paru nécessaire de réserver les contrats de partenariat à des projets d'une taille critique suffisante.

3. Des PME réduites aux fonctions de « sous-traitance »

Une fois le contrat de partenariat attribué à un grand groupe, les PME et TPE ne peuvent participer à son exécution que comme sous-traitant du partenaire privé. À la différence d'un marché public qui leur serait attribué directement, elles ne sont pas liées contractuellement avec la personne publique mais avec le partenaire privé.

Quelques exemples de part « sous-traitée » aux PME

Dans la contribution qu'il a transmise à vos rapporteurs, le groupe Vinci fait valoir qu'il s'attache à laisser une part d'exécution aux PME locales. Le groupe Vinci prend pour exemple le contrat de partenariat pour l'automatisation de trente-et-un barrages de l'Aisne et de la Meuse pour lequel il a confié à des PME :

- 16 % de la construction auxquels il faut ajouter 10 % confiés par le constructeur aux PME ;

- 12,5 % de l'exploitation et la maintenance ;

- 50 % des travaux de gros entretien.

De son côté, le groupe Bouygues construction s'est engagé à confier à des PME une part d'exécution du contrat de partenariat ont toujours été respectés, ne donnant lieu à aucune pénalité. Il cite ainsi l'opération relative aux « collèges du Loiret » conclue en avril 2013 pour laquelle la part « sous-traitée » s'élève à 53 % lors de la phase de conception et de construction alors que le contrat de partenariat n'en prévoyait que 48 %. À titre d'exemple, toujours, le groupe Bouygues construction cite, parmi les projets de bâtiments remportés par leurs filiales françaises depuis fin 2011, la part qu'elles s'étaient engagées à réserver aux PME durant la phase de conception et de construction, à savoir notamment :

- 25 % du coût des investissements pour l'université de Bourgogne en mai 2013 ;

- 30 % du coût des investissements initiaux pour la cité municipale de Bordeaux en décembre 2011 ;

- 40 % du coût d'investissement pour les lycées de Lorraine en novembre 2011 ;

- 25 % du coût d'investissement pour la construction du tribunal de grande instance de Paris en février 2012.

Lors de leur audition par vos rapporteurs, le SNSO et la CAPEB ont, à l'unisson, dénoncé les inconvénients qui résultaient de cette situation pour les PME et les TPE. Le partenaire privé choisit librement les entreprises auxquelles il fait appel. La situation entre ce dernier et les entreprises qu'il sollicite paraissent déséquilibrée à ces organisations provoquant, selon les termes du SNSO, une véritable « prédation commerciale ». Et la CAPEB de préciser que « les petites entreprises du bâtiment n'ont pas de pouvoir de négociation et doivent alors accepter d'exécuter le marché dans des conditions « à prendre ou à laisser » ».

La relation entre le partenaire privé et la personne publique n'est pas, contrairement aux marchés publics, placée dans le cadre du code des marchés publics, jugé « protecteur » par la CAPEB lors de son audition.

À cet égard, les dispositions introduites en 2004 en faveur d'une participation des PME à l'exécution des contrats de partenariat apparaissent minimalistes, voire purement symboliques. Si des règles plus favorables peuvent être introduites sous l'impulsion de pouvoirs adjudicateurs plus volontaristes, leur absence de systématisation rend insuffisante l'attention portée aux PME lors de la conclusion de ces contrats de partenariat.

4. Une minoration de la prise en compte de la spécificité des métiers

Les contrats de partenariat aboutissent à une minoration de la prise en compte de la spécificité des métiers.

Le fait de recourir au contrat de partenariat a pour conséquence que le choix porte sur des agrégats. Chaque agrégat comprend : le financement du projet, sa conception architecturale, sa construction, tous corps d'États confondus (ce qui peut représenter vingt ou trente entreprises), son exploitation, sa maintenance, son entretien - et donc un ensemble d'entreprises vouées à ces trois dernières fonctions.

Les représentants des grands groupes, titulaires de la plupart des contrats de partenariat, et les adeptes de cette formule font valoir l'intérêt d'une telle intégration des différentes fonctions. C'est un aspect des choses qui doit être pris en compte.

Il a ainsi été fait observer à vos rapporteurs que s'agissant des constructions universitaires, alors que celles-ci sont, au départ, de qualité, leur maintenance et leur entretien laissent à désirer au motif que les décideurs universitaires choisiront d'investir dans des équipements nécessaires pour la recherche plutôt que dans la maintenance ou l'entretien des bâtiments. Avec le contrat de partenariat - font-ils observer - l'exploitation, la maintenance et l'entretien sont prévus au départ. Ces missions figurent dès l'origine dans le contrat et l'engagement selon lequel elles seront effectivement assumées est pris pour le long terme.

Au regard de cet avantage, il faut prendre aussi en compte les lourds inconvénients qu'entraîne cette procédure par rapport à la spécificité des métiers - et aux choix qualitatifs susceptibles d'être effectués.

Dans un marché public classique, il y a mise en concurrence pour chaque fonction, pour chaque métier. Chaque mise en concurrence vise à permettre le choix de la candidature optimale pour chaque fonction ou chaque métier. La procédure est lourde, longue, mais garantit une série de choix qualitatifs en même temps qu'elle garantit l'égal accès de toutes les entreprises à la commande publique.

Toutes les entreprises participantes sont souverainement choisies par le grand groupe candidat au contrat de partenariat. Rien ne garantit que chacune soit la meilleure pour la fonction considérée.

Comme le grand groupe définit les prix et les prestations, les entreprises se trouvent dans une situation de dépendance très contraignante.

Et au total rien ne garantit que chaque agrégat proposé pour la mise en concurrence en vue d'être titulaire du contrat de partenariat représente une combinaison optimale de trente, quarante ou cinquante entreprises - de la banque qui financera aux entreprises qui assureront l'entretien.

Il est, au contraire, évident que de tels agrégats ont peu de chance de correspondre aux configurations optimales.

C'est l'un des principaux inconvénients et l'une des plus grandes limites - avec les lourdes conséquences financières induites - des contrats de partenariats et des partenariats public-privé.

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