C. UN OUTIL À HAUT RISQUE POUR LA PUISSANCE PUBLIQUE

La formule du contrat de partenariat conduit d'une certaine manière à un renoncement par la personne publique à sa compétence de maîtrise d'ouvrage, au profit « d'une formule « clés en mains » rassurante, mais aussi infantilisante » 26 ( * ) . Le contrat de partenariat représenterait une forme de simplicité contractuelle par opposition à la complexité qui serait inhérente à la maitrise d'ouvrage publique.

Toutefois, elle présente plusieurs inconvénients pour les personnes publiques, l'État ou les collectivités territoriales dont les conséquences pour les générations futures peuvent s'avérer très néfastes, d'autant plus que les personnes publiques développent un « syndrome d'addiction ». Les personnes publiques ayant délégué de manière durable ces missions à un partenaire privé sans conserver l'ingénierie publique nécessaire sont dès lors tenues de s'en remettre à leur partenaire privé pour l'exercice de ces missions. Toute volonté de la personne publique de reprendre la maîtrise d'ouvrage pour des projets similaires présente un coût dissuasif pour elle.

1. Une bombe à retardement budgétaire souvent ignorée

La principale motivation de recours à un contrat de partenariat est en fait d'ordre budgétaire et financier . Il faut rappeler à cet égard que ceux-ci se sont développés dans un contexte macroéconomique budgétaire qui favorisait les montages à fort effet de levier financier et permettait de limiter très significativement le surcoût du financement public vis-à-vis du financement privé. Dès lors, l'intégration de tous les volets d'un projet, y compris celui du financement, dans un unique contrat global pouvait faire sens. Le contexte budgétaire et financier étant aujourd'hui différent, vos rapporteurs souhaitent s'arrêter sur les différents risques auxquels peuvent être confrontées les personnes publiques utilisant un contrat de partenariat.

L'analyse des évaluations préalables, les données souvent biaisées en faveur des contrats de partenariat et l'absence d'information relative à la soutenabilité budgétaire des engagements montrent que la personne publique, en particulier les collectivités territoriales, se contentent d'analyser les enjeux immédiats d'un projet passé en contrat de partenariat sans apprécier l'ensemble des risques sur toute la durée du contrat.

Les risques sont d'autant plus forts que le contrat de partenariat peut devenir, au fil du temps, un « carcan » contractuel même s'il est plus facile à faire évoluer qu'une délégation de service public, par exemple.

L'insuffisance de la prise en compte des enjeux financiers liés à un contrat de partenariat s'apparente à une « bombe à retardement » pour les générations futures. Philippe Seguin, alors premier Président de la Cour des Comptes, avait comparé, en 2009, les risques liés aux contrats de partenariat pour les personnes publiques à ceux du crédit revolving pour les particuliers. Prenant l'exemple du centre des archives diplomatiques du ministère des Affaires étrangères, la Cour des comptes constatait que l'autorisation d'occupation temporaire du domaine public se traduisait par 41 % de surcoût à la charge du contribuable, si bien qu'elle invitait les pouvoirs publics « à une réflexion approfondie sur l'intérêt réel de ces formules innovantes » 27 ( * ) . Et Philippe Seguin de conclure peu avant son décès : « De façon générale, on peut dire que l'État a fait preuve, dans toutes ces opérations, d'une myopie coûteuse ».

a) Un double risque de rigidification et d'éviction des budgets des personnes publiques

Si le contrat de partenariat permet une certaine visibilité et, de facto , une sanctuarisation de la dépense publique sur une longue période, il fait également peser un double risque de rigidification et d'éviction sur le budget des personnes publiques.

Comme l'a indiqué l'Inspection générale des Finances, le recours à un contrat de partenariat « contraint sur plusieurs décennies les budgets des administrations publiques en augmentant la part de leurs dépenses dites « rigides », c'est-à-dire inévitables, et en limitant leurs capacités de redéploiement ». Ainsi, un contrat de partenariat crée « un effet d'inertie qui intervient, par ailleurs, sur des budgets publics déjà marqués par la prédominance de dépenses peu flexibles ».

Pour les collectivités territoriales, la rigidification de la dépense issue des contrats de partenariat est accrue par la règle d'or qui les empêche de recourir à l'emprunt pour équilibrer leur dépense de fonctionnement (les contrats de partenariat étant financés sur le budget de fonctionnement
- paiement de la redevance - et non d'investissement). En d'autres termes, les budgets locaux sont sous la double contrainte de la règle d'or et des engagements passés, ce qui restreint les marges de manoeuvre de la collectivité dans ses dépenses de fonctionnement. Ainsi, estime l'Inspection générale des finances, le recours à un contrat de partenariat « représente un risque budgétaire considérable, faisant peser de nouvelles dépenses pour plusieurs décennies sur un budget déjà très contraint ».

Par ailleurs, le phénomène de rigidification de la dépense publique est d'autant plus dommageable sur le long terme qu'il conduit à concentrer d'éventuels resserrements budgétaires sur les programmes d'investissements futurs ou sur les budgets d'entretien et maintenance des équipements publics ayant fait l'objet d'une acquisition selon les procédures traditionnelles et d'une exploitation d'un service en régie.

Le corollaire de la rigidification de la dépense publique est l'effet d'éviction sur les autres dépenses de fonctionnement . En effet, pour dégager les ressources suffisantes pour le paiement des loyers de leurs contrats de partenariat, les personnes publiques sont souvent contraintes de redéployer des moyens, voire le plus souvent de réduire leurs dépenses de fonctionnement ou d'investissement consacrées à d'autres projets. L'exemple du budget de la direction de l'administration pénitentiaire est à cet égard particulièrement éclairant.

L'effet d'éviction des dépenses extérieures au contrat de partenariat :
l'exemple du budget de l'administration pénitentiaire

La Cour des comptes en 2011 28 ( * ) a constaté que « La Cour avait déjà noté dans son rapport public thématique de 2010 la forte rigidité du budget de la direction de l'administration pénitentiaire, conduisant à flécher certaines dotations votées en loi de finances sans réelle possibilité d'ajustement en cours de gestion (gestion déléguée ; santé des détenus ; placement sous surveillance électronique ; loyers budgétaires ; contrats de partenariat ; subvention versée à l'ENAP).

La part des dépenses incompressibles n'a cessé de croître ces dernières années : elle représente désormais 50 % du budget (soit 511 millions d'euros), contre à peine 34 % il y a trois ans (290 millions d'euros). Cette augmentation est due à l'importance prise par les crédits destinés à la gestion déléguée ainsi que pour les loyers versés pour les PPP. L'application de la mise en réserve vient aggraver les tensions. »

Ainsi, toujours selon la Cour des comptes, « au cours des années récentes, la montée en charge des dépenses relatives à la gestion déléguée et aux PPP, désormais supérieures aux dépenses de gestion publique, a entraîné une vive progression des dépenses de fonctionnemen t » conduisant ainsi à un réel risque d'effet d'éviction sur les autres dépenses de fonctionnement de l'administration pénitentiaire.

b) La croyance d'une possibilité d'investissement supérieure à ses capacités d'endettement

Le contrat de partenariat est souvent conçu comme un instrument de facilité par l'État mais aussi par les collectivités territoriales, qui leur permet d'investir au-delà de leurs possibilités budgétaires et financières en raison de la possibilité de bénéficier d'un paiement différé .

Or, ainsi que l'a rappelé la Cour des comptes, les investissements réalisés par la personne privée dans le cadre d'un contrat de partenariat « correspondent en réalité à un endettement public et devront faire l'objet de remboursements par la puissance publique. » S'agissant des contrats de partenariat du plan Hôpital 2007, elle a constaté que « les responsables des hôpitaux ont été sensibles au fait que le recours au partenariat public-privé préservait leurs capacités d'investissements ou leur permettait de continuer à investir alors même qu'ils avaient épuisé leurs capacités d'emprunts . » 29 ( * )

Le constat est similaire dans le cadre du plan Campus. Le rapport de la mission nationale d'évaluation de l'opération Campus 30 ( * ) a mis en évidence la commodité que constitue un paiement différé d'opérations simultanées pour assurer leur financement.

Dans son rapport de 2012, le conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) estime que le coût de l'infrastructure et de son exploitation étant réparti sur l'ensemble de la durée du contrat, cet étalement de la dépense budgétaire aboutit à minimiser la perception de la dépense publique, ce qui pousserait à « déresponsabiliser » les décideurs publics, même si le CGEDD note que le fait de rendre la dépense publique plus aisément supportable ne saurait constituer en soi un inconvénient : payer un investissement selon un rythme parallèle à celui du service qu'il apporte à la collectivité est satisfaisant du point de vue de la théorie économique.

c) La difficulté d'évaluer le coût réel d'un contrat de partenariat

Il est difficile d'apprécier le coût final d'un contrat de partenariat . En effet, les coûts finaux des opérations en contrats de partenariat font l'objet d'estimations. Les modèles utilisés sont complexes et les formules de calcul prenant en compte un certain nombre d'éléments et d'événements variables dans le temps rendent incertain le montant final des opérations à horizon de 20 ou 30 ans. Des estimations réalisées sur plusieurs projets montrent un quasi-doublement des charges à payer sur le long terme par rapport au montant de l'investissement équivalent qui serait réalisé en MOP , étant entendu que le périmètre de ce qui est financé n'est plus le même et que les comparaisons restent difficiles.

Les conclusions du rapport de la mission nationale d'évaluation de l'opération Campus sont explicites. Les charges qu'auront à supporter les universités ne diminueront pas alors même que les projets menés auraient dû ou devraient conduire à optimiser l'exploitation des surfaces utilisables et à limiter les coûts de locaux devenus plus performants au plan énergétique.

En outre, sur le plan théorique, lors de la signature d'un contrat de partenariat, la personne publique bénéficie d'un prix ferme et ne court pas de risque quant à la soutenabilité budgétaire des loyers. Toutefois, lors de l'établissement des évaluations préalables, le coût final du financement n'est que supposé . Les risques d'évolutions défavorables des marchés financiers sont d'autant plus probables que la situation de ces marchés est instable. Cette instabilité incite souvent les candidats à un contrat de partenariat à prévoir des offres avec un financement partiellement connu, incluant des clauses de taux variable en fonction des conditions de marché. En d'autres termes, même lorsque la personne publique sélectionne un candidat à l'issue d'un dialogue compétitif, elle n'est pas en mesure de connaître les conditions exactes du financement et donc, in fine , la charge budgétaire réelle liée au contrat de partenariat. Par ailleurs, le prestataire privé ne bénéficie pas des mêmes conditions d'emprunt sur les marchés que la personne publique ; dès lors, celui-là aura tendance à répercuter sur celle-ci ce désavantage structurel, ce qui participe au coût élevé supporté par le maître d'ouvrage.

Ce constat est renforcé par le fait que la crise financière a conduit à une diminution de la rentabilité des banques qui sont incitées à augmenter leurs marges. De surcroît, le renforcement de la règlementation prudentielle, prévue par le comité de Bâle, restreint également la capacité de financement des établissements de crédits. Dès lors, le financement bancaire traditionnel des projets faisant l'objet d'un contrat de partenariat peut se trouver lourdement menacé, selon l'Inspection générale des Finances, par « des exigences de garanties démesurées de la part des établissements bancaires, qui font peser des risques importants sur les acheteurs publics . »

Enfin, les contrats de partenariat se caractérisent par un manque de transparence, source de coûts souvent ignorés par les personnes publiques . En effet, en raison de sa structure même, le contrat de partenariat ne favorise pas la transparence entre les deux partenaires : la personne publique ne connaît pas forcément tous les frais d'intermédiation ou d'ingénierie qui lui sont ensuite imputés.

2. Un outil souvent mal adapté aux projets

Une mauvaise définition initiale des besoins de la personne publique peut aboutir à la signature d'un contrat de partenariat source de risques juridiques et financiers importants face auxquels elle n'est pas toujours préparée. Surtout, un tel contrat peut conduire à une potentielle inadéquation avec les besoins escomptés et nuire à la qualité du service public .

Les auditions menées par vos rapporteurs ont mis en exergue que le recours à un contrat de partenariat n'était pas le plus adapté pour certains projets : en particulier, certains équipements construits par la voie des contrats de partenariat se sont avérés surdimensionnés par rapport à l'échelle locale et aux besoins de la personne publique. Le contrat de partenariat a souvent été choisi par les collectivités territoriales pour des projets non adaptés, en méconnaissance du fait qu'en vertu de la loi, ce type de contrat devait rester l'exception.

Le rapport de la mission nationale d'évaluation du plan Campus a estimé que le recours au contrat de partenariat a été posé comme une condition préalable à la réalisation des opérations immobilières financées à ce titre. Cette injonction a été mal reçue par de nombreux acteurs, en raison notamment de l'inadaptation du recours systématique à certaines opérations pour lesquelles un marché en maîtrise d'ouvrage publique s'avérait plus adaptée.

Une explication à ce surdimensionnement peut résider dans la plasticité des critères de recours à un contrat de partenariat . En effet, le recours à un contrat de partenariat pour des raisons de complexité peut inciter la personne publique à accroître artificiellement le champ du contrat et le niveau d'exigences du projet afin de répondre à ce critère. L'Inspection générale des Finances a relevé que « certains projets comme ceux d'éclairage public, a priori basiques, étaient artificiellement rendus plus complexes par ajouts de prestations connexes » . L'urgence, quant à elle, était souvent motivée par la volonté de réaliser un projet avant une échéance électorale. L'Inspection générale des Finances a ainsi mis en évidence un lien certain entre le recours à un contrat de partenariat et le cycle électoral municipal.

3. Les problèmes posés par la fréquente insuffisance des compétences appropriées au sein de la personne publique

Les collectivités territoriales, en particulier les plus modestes d'entre elles, ne disposent pas des ressources internes suffisantes pour négocier avec des grands groupes disposant de l'appui de plusieurs conseils . C'est pourquoi le recours à un contrat de partenariat est souvent source de risques juridiques et financiers particulièrement élevés pour les personnes publiques ne disposant pas des mêmes armes que le partenaire privé.

Dans le cadre des partenariats public-privé du plan Hôpital 2007, la Cour des comptes a estimé que la direction de l'hospitalisation et de l'organisation des soins était « restée en retrait de ce dossier au profit de structures ad hoc » qui, elles-mêmes, ont vu leur rôle limité à la publication de recommandations et de documents de référence. Par ailleurs, la Cour des comptes a déploré l'absence de campagne de formation préalable à l'exception de journées de formation.

La mission conduite par M. Peylet a identifié deux points névralgiques dont dépendent la célérité et le bon déroulement des opérations : le pilotage et l'ingénierie de projet. Or elle a constaté que les moyens des pôles de recherche et d'enseignement supérieur (PRES) s'avèrent souvent insuffisants, notamment lors du passage de la conception à la réalisation, ces structures n'ayant pas vocation à suivre ce type d'opération.

Vos rapporteurs ont également constaté que la Mappp n'étant saisie que d'une minorité de projets, sa saisine par les collectivités territoriales n'étant que facultative, elle ne permet pas de minimiser les risques de contentieux pour les collectivités locales.

De même, le contrôle de légalité effectué par les préfectures n'est pas assuré de façon satisfaisante, alors même que ces contrats relèvent pourtant des actes prioritaires de la stratégie nationale en matière de contrôle de légalité. Le contrôle budgétaire se limite souvent à un simple contrôle de la régularité et du respect des règles d'enregistrement budgétaires et comptables. Il ne porte nullement sur la soutenabilité budgétaire du recours à un contrat de partenariat, question pourtant centrale dans un contexte de raréfaction de la ressource budgétaire. Enfin, l'Inspection générale des Finances a regretté l'absence de sollicitation, par les collectivités territoriales, des directions départementales et régionales des finances publiques, malgré le rôle de conseil de ces dernières.

4. Un risque contentieux proportionnel à la taille du projet

Comme pour tous les contrats publics, les recours contentieux éventuels sont nombreux et peuvent viser aussi bien le contrat que les actes détachables (notamment les délibérations de la collectivité ou le permis de construire). Le risque pour le titulaire du contrat est particulièrement élevé, qu'il s'agisse de l'annulation du contrat avant qu'il ait reçu la moindre rémunération, mais aussi des retards accumulés du fait du contentieux (risque de pénalités, de retard dans sa rémunération) voire du retrait du financeur qui ne s'engage totalement qu'une fois purgés tous les recours. Le risque est également sérieux pour la personne publique qui peut se trouver contrainte, en cas d'annulation, de devoir indemniser lourdement l'entreprise sans avoir le bénéfice de la réalisation de l'ouvrage.

Il paraît difficile de légiférer spécifiquement pour doter ce type de contrat d'un régime contentieux différent de celui des autres contrats de droit public. Il reste à s'en remettre à l'interprétation par le juge des règles de procédure. De ce point de vue, la jurisprudence récente du Conseil d'État 31 ( * ) , tirant les conclusions de celle de ces dernières années 32 ( * ) , semble vouloir restreindre sérieusement les recours des tiers contre les actes détachables et poser des conditions contraignantes quant à l'intérêt à agir pour leur accès au recours de plein contentieux. Mais cette jurisprudence ne constitue pas une protection suffisante contre les aléas du contentieux.


* 26 « Contrats de partenariat : un outil dérogatoire à haut risque » de MM. Yvon Goutal et Vincent Touchard, La Gazette des communes, 19 novembre 2012.

* 27 Rapport public annuel de la Cour des comptes, février 2008.

* 28 Communication à la commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire de l'Assemblée nationale sur les partenariats public-privé pénitentiaires, octobre 2011.

* 29 Rapport public annuel 2014, « Les partenariats public-privé du plan Hôpital 2007 : une procédure mal assurée », Cour des comptes, février 2014.

* 30 Rapport de la mission nationale d'évaluation de l'opération Campus (juillet - octobre 2012), présidée par M. Roland Peylet, conseiller d'État et remis à la Ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche.

* 31 Conseil d'État, 4 avril 2014, Département du Tarn-et-Garonne, n° 358994.

* 32 Conseil d'État, 16 juillet 2007, Société Tropic travaux signalisation, n° 291545 ; Conseil d'État, 28 décembre 2009, Commune de Béziers n° 304802 ; Conseil d'État, 21 mars 2011, Commune de Béziers n° 304806.

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