II. UNE ABSENCE DE VISIBILITÉ DE LA PROGRAMMATION CONVENTIONNELLE, NUISIBLE AU TRAVAIL PARLEMENTAIRE

A. UNE PROGRAMMATION DES TEXTES DEVANT LE PARLEMENT MAL ANTICIPÉE

Si d'un point de vue procédural, le texte soumis au vote du Parlement est bien le projet de loi tendant à autoriser la ratification et non les stipulations de l'accord lui-même, on ne peut imaginer un examen qui serait réduit à approuver ou rejeter l'article unique d'autorisation 67 ( * ) , sans comprendre les enjeux de l'accord en question. Le fait de ne pas opérer la ratification n'est pas synonyme d'enregistrement .

Rappelons qu'aux termes de l'article 55 de la Constitution, les engagements internationaux « régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois » 68 ( * ) . Ces accords ont donc un impact sur les citoyens.

Force est, néanmoins, de constater que cet examen tend à s'inscrire dans un cadre informationnel lacunaire.

1. Un cadre informationnel lacunaire, en amont de l'examen parlementaire

Tout d'abord, il convient de relever que les facteurs de programmation d'un texte au Parlement peuvent varier en fonction du déplacement du Président de la République, du Premier ministre ou d'un ministre ou de tout autre événement politique.

A titre d'illustration, un projet de loi autorisant l'approbation d'une convention sur le transfèrement 69 ( * ) avec la République dominicaine a été examiné dans l'urgence, au Sénat qui l'a adopté le 22 février 2010, après un vote de l'Assemblée nationale le 9 février 2010, pour des raisons liées à l'arrestation de ressortissants français dans ce pays 70 ( * ) .

On peut également citer l'examen du projet de loi autorisant la ratification du traité conclu entre la France et la Fédération de Russie relatif à la coopération dans le domaine de l'adoption 71 ( * ) , dans un contexte de menace de suspension d'adoption d'enfants russes par des Français, à la suite du vote du de la loi du « mariage pour tous » 72 ( * ) en mai 2013. Le texte adopté le 31 octobre 2013, par l'Assemblée nationale, a été voté le 3 décembre 2013 au Sénat.

Même s'il est possible de comprendre le caractère politique ou d'urgence « non maîtrisables », il n'est pas convenable qu'on impose un examen en urgence au Parlement de textes dont rien ne justifiait un retard d'inscription à l'ordre du jour de chacune des deux chambres. Votre rapporteur s'interroge sur le caractère prévisible de certains textes devant être examinés.

Le Parlement ne dispose aujourd'hui d'aucune visibilité quant à la programmation des projets de loi visant à autoriser une ratification ou une approbation. Pour autant, les accords visés font l'objet de négociations 73 ( * ) programmées qui s'inscrivent dans le cadre d'une politique conventionnelle que l'on peut imaginer tout autant « programmée ».

En effet, selon la circulaire de 1997 précitée, le ministre des affaires étrangères dispose d'un « agenda prévisionnel indicatif » 74 ( * ) . Elle précise que « - pour la phase de négociation, il comporte autant que possible une estimation du calendrier des rencontres, de la durée de la négociation et de la date envisagée pour la signature de l'accord. Il convient de tenir compte, dans le calcul de cette durée, des délais nécessaires aux consultations interministérielles et à l'examen des questions politiques, techniques et juridiques que soulève la négociation. [...] ;

- pour la phase ultérieure, il convient de déterminer le plus tôt possible si l'accord devrait faire ou non l'objet d'une autorisation parlementaire de ratification ou d'approbation, en application de l'article 53 de la Constitution. » 75 ( * )

Sans adhérer complètement au constat sévère de certains, selon lesquels « l'improvisation préside à la soumission des engagements internationaux au parlement » 76 ( * ) , il est légitime de souhaiter plus de transparence, d'anticipation et d'objectivité afin de mieux respecter le Parlement.

Cette absence de visibilité pèse sur le rythme d'examen et ne crée pas un environnement propice à l'optimalisation du travail parlementaire. Elle ne permet ni de résorber le stock, ni de procéder à l'étude des textes dans les meilleures conditions . Loin de valoriser le travail parlementaire, elle tend à le brimer et l'assécher dans une urgence souvent illégitime.

Or, il est des domaines où l'information pourrait être partagée plus en amont qu'elle ne l'est en raison de son caractère prévisible.

A titre d'illustration, dans le cadre du contrôle de l'application des lois conduit par votre commission, il avait été relevé qu' un projet de loi autorisant la ratification de la convention conclue le 11 janvier 2002 , avec les Pays-Bas en matière de coopération douanière 77 ( * ) , n'avait été déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale que le 7 juillet 2010 , alors que le nouveau dispositif juridique devait prendre effet le 10 octobre 2010 au plus tard. Il a été adopté par le Sénat le 30 septembre 2010 et publié au Journal Officiel du 13 octobre 2010.

2. En aval, une absence de retour sur l'application

Votre rapporteur déplore que le rôle du Parlement, en matière d'accords, s'achève aux portes de leur ratification ou approbation. Il appelle de ses voeux un plus grand suivi de leur mise en oeuvre, dans le cadre des divers instruments à sa disposition.


* 67 Cf . Annexe.

* 68 Sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l'autre partie.

* 69 Projet de loi autorisant l'approbation de la convention sur le transfèrement des personnes condamnées entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République dominicaine.

* 70 L'étude d'impact du projet de loi a souligné qu'« On dénombre actuellement 19 ressortissants français détenus en République dominicaine et 40 Dominicains détenus en France. Sur ces 19 détenus français, 9 sont des femmes (soit quasiment 50 %, alors que ce taux n'est que de 10% dans le reste du monde). Par ailleurs, trois autres de nos ressortissants, poursuivis pour trafic de drogue, ont bénéficié d'une libération sous caution, en attendant leur jugement, et se trouvent toujours en République dominicaine. [...]. Le nombre croissant de ressortissants français se rendant en République dominicaine (350 000 touristes par an) a conduit la France à proposer à la République dominicaine d'adhérer à la convention de transfèrement du Conseil de l'Europe du 21 mars 1983, adhésion à l'égard de laquelle les autorités dominicaines se sont toutefois montrées réticentes. »

* 71 Projet de loi autorisant la ratification du traité entre la République française et la Fédération de Russie relatif à la coopération dans le domaine de l'adoption.

* 72 Loi n° 2013-404 du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe.

* 73 L'opportunité de conclure un engagement international relève des compétences du ministre des affaires étrangères. En effet, il est le seul à disposer d'une connaissance précise de l'ensemble des relations internationales. En conséquence, lorsqu'un ministre autre que le ministre des affaires étrangères constate la nécessité de signer un nouvel instrument ou d'amender un accord existant, il doit en informer le ministre des affaires étrangères. En cas de divergences de vues sur l'opportunité d'ouvrir une négociation, l'arbitrage revient au Premier ministre.

* 74 Cet agenda est établi éventuellement conjointement avec le ministre en charge de la négociation.

* 75 Circulaire du 30 mai 1997 relative à l'élaboration et à la conclusion des accords internationaux.

* 76 In Droit Parlementaire de Pierre Avril et Jean Gicquel 4 e édition Montchrestien Domat Droit Public.

* 77 Le projet de loi autorisant la ratification de la convention entre la République française et le Royaume des Pays-Bas, relative à l'assistance mutuelle et à la coopération entre leurs administrations douanières. Il avait pour objet d'appliquer correctement la législation douanière, de prévenir, de rechercher, de constater et de réprimer les infractions douanières dans la région des Caraïbes, et notamment sur l'île de Saint-Martin.

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