SYNTHÈSE

Le projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte offre à beaucoup d'égards une parfaite occasion d'inaugurer la mission de simplification de la délégation aux collectivités territoriales.

Tout d'abord, il intéresse de très près les collectivités territoriales. Un rapport de la délégation sur le thème « mobiliser les sources d'énergie locale », publié en juin 2013 2 ( * ) , a mis en valeur leur rôle permanent dans le secteur de l'énergie et leur montée en puissance comme actrices d'une politique énergétique misant sur la proximité, sur le rôle des circuits courts et sur le développement des synergies entre les politiques publiques nationales et locales. Le projet de loi reconnaît ce rôle et entérine l'ancrage territorial de la politique énergétique. De fait, la problématique territoriale traverse l'ensemble de ses chapitres 3 ( * ) . On peut considérer qu'il s'inscrit globalement dans une logique compatible avec celle du rapport de la délégation, logique que résume cette phrase-programme extraite du rapport : « faire des collectivités territoriales les maîtres d'oeuvre de la construction du futur modèle énergétique français » ; même si, de l'avis de l'ADF par exemple, le modèle retenu demeure très centralisé. Quoiqu'il en soit, la mission de la délégation n'est pas d'apprécier la pertinence au fond du projet de loi mais de peser sa qualité normative, qui est un aspect essentiel, il est vrai, de la « durabilité » de la politique de transition énergétique.

De ce côté, il y a beaucoup à faire...

Le projet de loi, en effet, présente de très nombreux traits de la complexité. Il conjugue les déclarations d'objectifs dénuées de portée immédiatement identifiable avec un semis de petites dispositions modificatrices dont l'impact technique et financier est difficile à appréhender. Il surajoute, parfois à la marge, des obligations à d'autres obligations déjà existantes, ne bouleversant rien mais compliquant tout. Indifférent à l'analyse coûts-avantages des normes qu'il crée, il est aussi emblématique du comportement tendanciellement schizophrénique d'un État qui impose de nouvelles contraintes coûteuses tout en appelant à la baisse de la dépense locale et en diminuant ses propres concours. Un récent rapport de la délégation a mis en évidence la situation inextricable dans laquelle cette politique a plongé les finances locales 4 ( * ) .

Le projet de loi traduit ainsi la banalité de la complexité.

Il est, par ailleurs, parfaitement représentatif d'une autre cause majeure de la complexité, qui est l'uniformité centralisatrice de la norme étatique. Que signifient, par exemple, les obligations d'isolation imposées identiquement d'un bout à l'autre du territoire sans que la profonde diversité des climats soit apparemment prise en compte ? Le projet de loi est ainsi emblématique d'un manque trop fréquent d'appréciation correcte des limites de l'État normatif face à la liberté d'administration des collectivités décentralisées. La simplification rejoint alors la mission principale de la délégation aux collectivités territoriales, qui est de rappeler chaque fois que nécessaire la logique de la décentralisation. En l'occurrence, il appartient à l'État stratège de fixer la politique nationale de transition énergétique et de mettre celle-ci en oeuvre dans les territoires par l'incitation, par la convention, par la programmation ; il appartient en revanche aux collectivités, non pas d'exécuter mais de donner effet, à leur rythme, en fonction de leurs moyens et de leurs besoins, qui sont divers.

L'ensemble de ces constats montre à quel point le projet de loi appelle une réponse concrète aux dérives de la complexité normative. Et cette réponse sera aussi celle qu'il faut apporter aux attentes des élus locaux. Le questionnaire sur la simplification lancé par le Président Gérard Larcher à l'occasion du Congrès des maires 2014 a permis de bien identifier et de hiérarchiser ces attentes. Deux tiers des plus de 4 000 répondants ont désigné l'urbanisme, et un quart ont désigné l'environnement comme les secteurs prioritaires de la simplification des normes. Les élus attendent ainsi le Sénat sur le terrain de la simplification, ce terrain est en grande partie celui de l'environnement et celui du droit de la construction.

Dans ces conditions, comment la délégation a-t-elle calibré sa réponse ?

Elle a tout d'abord repéré six thématiques de simplification.

1. La première thématique regroupe les dispositions qui tendent à imposer aux collectivités des obligations irréalistes ou encadrant leur activité de façon disproportionnée au regard de l'équilibre souhaitable entre l'objectif recherché et les moyens techniques et financiers dont dispose la collectivité territoriale.

C'est ainsi que l'obligation, prévue à l'article 5, de réaliser des travaux d'isolation ou d'études à l'occasion de travaux de ravalement en façade, de réfection de la toiture, d'aménagement de nouvelles pièces ou de travaux de rénovation importants appelle au minimum des correctifs afin d'impliquer les conseils généraux, chefs de file en matière de transition énergétique, dans l'élaboration du décret d'application prévu. Il s'agit de rendre concrètement possible la différenciation territoriale de la réglementation en fonction de la diversité des climats.

Au même article, au vu du coût probable des travaux rendus obligatoires, il semble indispensable d'introduire une disposition écartant le caractère d'obligation quand le coût des travaux d'isolation excède manifestement les capacités contributives de la collectivité territoriale ou d'un groupement de collectivités propriétaire.

Autre exemple, le renforcement, prévu à l'article 9, de l'obligation d'achat de 20% de véhicules propres au sein d'un parc de plus de 20 véhicules sera insupportable pour de nombreuses collectivités si l'on ne réintroduit pas l'atténuation mentionnée dans le droit positif en vigueur, en prévoyant que l'obligation d'achat s'applique sous réserve des contraintes liées aux nécessités du service.

2. La deuxième thématique regroupe les dispositions qui tendent à imposer aux collectivités des obligations supplémentaires dans une formulation insuffisamment normative ou insuffisamment précise susceptible de donner lieu à des contentieux ou à une réglementation d'application disproportionnée. C'est ce que le Conseil d'État a appelé le « droit gazeux ».

La disposition de l'article 19 sur la promotion du tri à la source des déchets organiques et de la tarification incitative appartient à ce groupe de normes. En ce qui la concerne, il est proposé de supprimer les délais et les objectifs chiffrés fixés par le projet de loi, qui sont intenables au vu de l'impréparation des filières de traitement des déchets triés.

3. La troisième thématique regroupe les dispositions qui tendent à créer ou à compléter des procédures disproportionnées au regard de l'équilibre approprié entre l'objectif recherché et les moyens techniques et financiers dont la collectivité territoriale dispose.

Dans cet ordre d'idées, on peut citer l'article 56 bis , qui crée une obligation d'insérer dans le projet d'aménagement et de développement durables du plan local d'urbanisme des orientations générales des réseaux d'énergie. La délégation souhaitait proposer de ne pas appliquer cette obligation aux PLU existants. Cette proposition a été satisfaite par le texte adopté par les deux commissions saisies au fond. Le nombre des amendements que les rapporteurs de votre délégation comptaient déposer et qui sont satisfaits par le texte des commissions s'élève d'ailleurs à huit, ce qui tend à démontrer l'existence d'une grande convergence de vues entre les différentes instances sénatoriales qui ont travaillé sur ce texte.

4. La quatrième thématique regroupe les dispositions qui tendent à créer une compétence locale obligatoire dont les conditions de mise en oeuvre ne sont pas réunies au regard des moyens techniques, juridiques ou financiers dont la collectivité dispose.

Il est possible de citer à cet égard les dispositions de l'article 19 quater qui attribuent au maire de nouveaux pouvoirs à l'égard des véhicules abandonnés stockés sur la voie publique ou sur le domaine public, avec obligation de recours à un expert automobile. La délégation inclinait à supprimer ces dispositions complexes et peu applicables, mais à la réflexion, vos rapporteurs ont estimé souhaitable de transformer l'obligation en simple faculté afin que les maires que ce texte pourrait intéresser l'aient à leur disposition.

5. La cinquième thématique regroupe les dispositions qui tendent à diminuer les délais prévus initialement pour la mise en oeuvre de dispositions complexes ou coûteuses, ou introduisant des éléments hétérogènes dans des dispositifs orientés vers d'autres objectifs.

Dans ce groupe de normes, on peut citer à titre d'illustration les dispositions de l'article 21 bis prévoyant l'insertion d'objectifs de performance en matière de réduction du gaspillage alimentaire dans le plan de prévention et de gestion des déchets non dangereux ; ou encore, à l'article 22 septies A, la modulation de la dotation de solidarité rurale en fonction de l'éclairage nocturne du domaine public des communes. La délégation a souhaité la suppression de ces neutrons législatifs. La commission du Développement durable l'a précédée dans son analyse en supprimant ces dispositions.

6. La sixième thématique regroupe les dispositions ayant pour effet de brouiller la compréhension des compétences des collectivités et l'articulation des schémas et documents de planification au moyen desquels elles organisent l'exercice de ces compétences.

Il est possible d'illustrer cette tendance en citant l'article 22 bis A, qui prévoit l'élaboration d'un schéma régional de biomasse par le préfet de région et le président du conseil régional, dans les 18 mois à compter de la promulgation de la loi. Un schéma de plus ! Là encore, la commission du Développement durable a précédé l'analyse de la délégation en supprimant cet article.

Les rapporteurs de votre délégation comptaient déposer au total 24 amendements de simplification. Compte tenu des huit amendements satisfaits, ils en ont déposé 16.

Ces 16 amendements sont pour certains en retrait par rapport aux orientations exigeantes par lesquelles, le 28 janvier, la délégation a voulu manifester la nécessité de réagir vigoureusement contre les facilités de l'inflation normative. Elle s'est ainsi pleinement inscrite dans son rôle d'analyse et d'alerte.

Cependant, il y a un chemin à accomplir entre l'exposé des principes en délégation et leur mise en oeuvre en séance publique. Par ailleurs, dans la mesure où la délégation, ne possède pas le pouvoir d'élaborer des amendements, c'est à ses rapporteurs qu'il appartient de tirer la conclusion pratique de sa réflexion. Auditionnés le 4 février 2015 par la commission du Développement durable et par la commission des Affaires économiques réunies, ils ont été en mesure de recueillir des éléments d'information complémentaires. En rédigeant leurs propositions d'amendement à l'issue de cette audition, ils ont visé le pragmatisme, spécialement en ce qui concerne les dispositions imposant de nouvelles obligations aux collectivités territoriales et celles dont le coût sera probablement excessif par rapport aux avantages que l'on en attend.

I. LES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES ET LA POLITIQUE ÉNERGÉTIQUE ET ENVIRONNEMENTALE DE LA NATION : UNE IMPLICATION ANCIENNE, LÉGITIME ET NÉCESSAIRE

Contribuant à plus de 10% des émissions nationales de gaz à effet de serre et pouvant agir sur la moitié de celles-ci 5 ( * ) , les collectivités territoriales sont des acteurs incontournables de la transition énergétique.

Leur implication dans la politique énergétique et environnementale de la Nation est ancienne, légitime et nécessaire.

Si leur action dans ce domaine est aujourd'hui solidement établie, sa portée peut cependant être atténuée par le caractère instable et inintelligible du cadre et des instruments juridiques qui leur sont imposés.

A. CONTRIBUANT À LA POLITIQUE ÉNERGÉTIQUE DE LA FRANCE DEPUIS LE XIXE SIÈCLE, LES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES SE SONT AFFIRMÉES COMME DES ACTEURS DU DEVELOPPEMENT DURABLE À COMPTER DES ANNÉES 1990

1. Une implication dans la politique énergétique dès le XIXe siècle

C'est au XIX e siècle qu'émerge le rôle des collectivités territoriales dans la distribution et la production de l'énergie.

Dès cette époque en effet, les collectivités territoriales contribuent au développement des réseaux de distribution d'électricité et de gaz, par le biais de concessions ou de régies notamment. La loi du 15 juin 1906, modifiée par la loi de finances du 16 avril 1930, reconnaît ainsi les communes, les syndicats intercommunaux et les départements comme les propriétaires et les autorités concédantes des réseaux de distribution d'énergie, aux côtés de l'État.

Ce rôle central ne sera pas remis en cause par la nationalisation des marchés de l'énergie après-guerre. La loi du 8 avril 1946 maintiendra en effet les droits de propriété et le pouvoir concédant des collectivités territoriales. Elle préservera également la possibilité pour ces dernières de détenir des sociétés de distribution d'énergie (les actuelles entreprises locales de distribution) et de produire de l'énergie dans trois cas (dans le cadre de réseaux de chaleur, dans un but d'autoconsommation ou à partir de l'énergie hydraulique si la puissance des appareils n'excède pas 8 000 kilovoltampères).

Dans les années 2000, la libéralisation des marchés de l'énergie sera tout aussi favorable aux collectivités territoriales. Leurs responsabilités seront d'ailleurs reconnues dans deux domaines dès la loi du 10 février 2000 : la production d'énergies renouvelables 6 ( * ) et la maîtrise de l'énergie 7 ( * ) .

C'est donc fortes de cet ancrage historique que les collectivités territoriales participent aujourd'hui à la politique énergétique nationale, dont elle maîtrise localement différents leviers : le pilotage (en fixant des objectifs dans les schémas régionaux du climat, de l'air et de l'énergie ou les projets climat-énergie territoriaux), la distribution et la production (en tant qu'autorités organisatrices du réseau d'électricité et de gaz, gestionnaires de réseaux de chaleur ou productrices d'énergies renouvelables), et la consommation (en maîtrisant leurs dépenses énergétiques et en incitant les consommateurs à faire de même).

2. Une implication en faveur du développement durable depuis les années 1990

À compter des années 1990, la prise de conscience de la gravité des enjeux climatiques et environnementaux conduit à la reconnaissance du rôle des collectivités territoriales en faveur du développement durable. Ainsi sont-elles qualifiées « d'acteurs essentiels de l'environnement et du développement durable » par la loi du 3 août 2009 dite « Grenelle I ».

Les collectivités territoriales ont aujourd'hui très largement intégré des objectifs environnementaux, tant dans leur action que de leur gestion.

En premier lieu, les collectivités territoriales promeuvent le développement durable dans l'exercice de la plupart de leurs compétences : l' aménagement (en maîtrisant et en orientant le développement urbain), l' urbanisme (en veillant à la qualité et à la performance du bâti), le logement (en agissant contre la précarité énergétique), les transports (en favorisant les transports individuels et collectifs peu polluants) ou les déchets (en assurant leur collecte, leur tri et leur valorisation).

C'est sans doute dans le domaine de l'urbanisme que le législateur a affirmé avec le plus de solennité le rôle des collectivités territoriales en matière énergétique et environnementale. Aussi a-t-il inscrit à l'article L.110 du code de l'urbanisme que l'action des collectivités territoriales « contribue à la lutte contre le changement climatique et à l'adaptation à ce changement ».

En second lieu, les collectivités territoriales favorisent également le développement durable dans le cadre de leur gestion financière et patrimoniale. Un usage volontariste de la commande publique les pousse à insérer des clauses environnementales dans leurs contrats de biens et de services. Une gestion avisée de leur patrimoine les conduit à maîtriser la consommation énergétique de leurs bâtiments et de leurs équipements.

Sur ce point, l'on pourra rappeler que les collectivités territoriales ont été incitées à rénover leur parc immobilier, et que certaines d'entre elles ont été assujetties à l'obligation de réaliser un bilan de leurs émissions de gaz à effet de serre et d'élaborer un rapport annuel sur leur situation en matière de développement durable par la loi du 12 juillet 2010 dite « Grenelle II ».


* 2 « Collectivités territoriales : mobiliser les sources d'énergies locales », rapport d'information n° 623 (2012-2013) du 4 juin 2013, par M. Claude Belot.

* 3 Voir l'annexe du présent rapport d'information.

* 4 « L'évolution des finances locales à l'horizon 2017 », rapport d'information n° 95 (2014-2015) du 12 novembre 2014, par MM. Philippe Dallier, Charles Guené et Jacques Mézard.

* 5 ADEME, « Qu'est-ce qu'un plan climat territorial ? », 2014, page 13.

* 6 L'article 11 de la loi crée l'article L.2224-32 du code général des collectivités territoriales, qui étend les capacités de production des communes à toute nouvelle installation utilisant l'hydroélectricité d'une puissance maximale de 8000 kilovoltampères, utilisant les autres énergies renouvelables, de valorisation énergétique des déchets, et de cogénération ou de récupération d'énergie provenant d'installations visant l'alimentation d'un réseau de chaleur. L'article 88 de la loi du 12 juillet 2010 dite « Grenelle II » ouvrira aux départements et aux régions la possibilité de mettre en oeuvre des installations de production utilisant des énergies renouvelables.

* 7 L'article 17 de la loi crée l'article L.2224-34 du code général des collectivités territoriales, qui permet aux collectivités territoriales de conduire des actions tendant à maîtriser la demande d'électricité des consommateurs.

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