V. CONTRIBUTION DU GROUPE ÉCOLOGISTE

A titre liminaire, le commissaire écologiste aux finances tient à exprimer son regret que le Gouvernement se soit affranchi de l'obligation de soumettre au débat et au vote du Parlement le projet de programme de stabilité pour 2015 à 2018. Il déplore également que le texte n'ait été transmis à la commission des finances que quelques heures avant l'audition des ministres compétents, alors même que le Haut Conseil des finances publiques en a disposé une semaine auparavant, en même temps que le presse bénéficiait de l'annonce de ses grandes orientations. Les conditions de la consultation du Sénat, sur ce programme budgétaire qui engage la France, ne sont donc pas satisfaisantes. Au-delà de ces remarques de procédure, le projet de programme de stabilité pour 2015 à 2018 inspire au commissaire écologiste aux finances les commentaires suivants.

Il convient tout d'abord de souligner la prudence des estimations de croissance qui sous-tendent ce projet. Alors que la dernière loi de programmation des finances publiques, adoptée en décembre dernier, prévoyait une croissance de 1% en 2015, puis 1,7% en 2016 et enfin 1,9% en 2017, le programme de stabilité conserve la prévision pour 2015, malgré l'amélioration de la conjoncture, et table désormais sur 1,5% pour les années 2016 et 2017. Ces prévisions, inférieures à celles du FMI et de l'OCDE, sont jugées « prudentes » par le Haut Conseil des finances publiques. Ce choix de la précaution, qui tranche singulièrement avec la coutume propre à l'exercice de programmation budgétaire, mérite d'être salué.

Au-delà de cette prudence novatrice, plusieurs éléments de ce programme et de son contexte pourraient justifier, de prime abord, un regain d'optimisme. Tout d'abord, la nouvelle politique monétaire de la BCE permet d'apporter dans une conjoncture particulièrement dégradée un répit bienvenu. S'il n'est pas garanti que les liquidités mises en circulation par les rachats de dettes profitent à l'économie réelle, l'initiative de la BCE a au moins déjà eu deux effets positifs : une dépréciation de l'euro par rapport au dollar, qui relance la demande extra-européenne, et la baisse des taux d'intérêt auxquels sont financées les dettes souveraines, rendant ainsi une marge budgétaire aux Etats, dont la France. A cela s'ajoute l'effondrement inattendu du prix du pétrole, qui aurait rendu en un an 10 milliards d'euros aux ménages et autant aux entreprises, d'après le président du Haut Conseil auditionné par notre commission.

De plus, à travers les annonces du Premier Ministre en date du 8 avril dernier, le Gouvernement témoigne d'une préoccupation nouvelle pour l'investissement là où, jusqu'à présent, l'investissement public était sacrifié à l'objectif de réduction du déficit, et l'investissement privé à la volonté de ne pas contraindre l'utilisation des marges rendues aux entreprises par le pacte de responsabilité. Alors que l'étau de la conjoncture se desserre légèrement, ce changement de vision amorcé par le Gouvernement pourrait donc augurer d'un avenir moins morose.

Il ne faut toutefois pas perdre de vue que cette probable éclaircie repose essentiellement sur des facteurs exogènes. En effet, même si le Premier Ministre avait à plusieurs reprises décrié l'euro fort, les décisions de la BCE ne sont pas directement soumises au pouvoir politique. De plus, même si la BCE s'est engagée à pérenniser son action, on ne peut exclure que surviennent des risques de déséquilibres financiers qui la contraindraient à modérer sa politique monétaire. Quant à la baisse du prix du pétrole, elle résulte d'une stratégie de dupes inattendue entre les pays producteurs. Cela rend difficile la prévision du prix à court terme mais la déplétion de la ressource, combinée aux coûts croissants d'extraction, rend inéluctable un rattrapage des prix, potentiellement brutal, et une hausse supplémentaire à moyen et long terme. Le socle sur lequel repose ce programme de stabilité est donc exogène et fragile. C'est pourquoi il appelle des réformes structurelles, pour assurer à la France une prospérité durable, intégrant la diminution tendancielle de la croissance.

Si l'expression « réformes structurelles » revêt la plupart du temps une connotation libérale, il faut ici l'entendre au sens premier. Les écologistes prônent un changement de paradigme qui nécessitent de modifier profondément la structure du système socio-économique : autant de mesures qui font malheureusement défaut au programme de stabilité, au programme national de réformes et à l'agenda du Gouvernement.

Au plan européen, il apparaît vain de tenter d'établir une coordination budgétaire, dont ce programme de stabilité est un des vecteurs, s'il n'est pas mis en place de coordination fiscale. La compétition fiscale entre Etats, des rescrits fiscaux luxembourgeois au crédit d'impôt recherche français, cause de considérables manques à gagner pour les finances publiques de l'Union européenne. Si on veut les assainir, il est donc urgent de relancer avec volontarisme un processus de convergence fiscale. De même, en matière financière, les questions de la régulation bancaire, de la taxe sur les transactions financière et désormais de la finance parallèle, appellent des politiques européennes fortes, à propos desquelles la France n'apparaît pas, loin s'en faut, en première ligne.

Sur le plan énergétique, le gain tiré aujourd'hui de la baisse inattendue du prix du pétrole est l'occasion de rappeler le coût exorbitant de la facture énergétique de la France, qui s'élevait à 66 milliards d'euros en 2013. Plus de trois points de PIB ! S'engager dans une politique massive d'énergies renouvelables permettrait de développer d'importantes filières industrielles d'avenir, de préserver le climat, d'économiser le coût des importations d'énergies fossiles et de restaurer l'indépendance géopolitique de la France. Le récent rapport de l'Ademe, décrivant un scénario « 100% renouvelables », vient sérieusement accréditer cette ambition ancienne des écologistes.

Sur le plan de l'investissement, les mesures annoncées par le Premier Ministre signent l'échec du pacte de responsabilité. En effet, s'il est aujourd'hui besoin de cibler des mesures sur l'investissement, c'est bien que les 41 milliards d'allègements d'impôts et de cotisations consentis aux entreprises n'y pourvoient pas et qu'il aurait fallu, comme l'avait réclamé notamment les écologistes, conditionner ces allègements, par exemple à de l'investissement. Quoi qu'il en soit, cette évolution est positive. Il reste que la mesure d'amortissement proposée pour les entreprises est indifférenciée : elle subventionnera autant une industrie polluante qu'une industrie durable. Quant à l'idée qu'il faille robotiser tout l'appareil industriel, faute de réflexion audacieuse sur l'accroissement de la productivité et le partage du temps de travail, ce n'est sans doute pas ce qui permettra de relancer durablement l'emploi.

Enfin, ce document budgétaire acte à nouveau une diminution des dépenses publiques, sans que les conséquences sur le service public ou les interventions de l'Etat soient clairement documentées. Cette vision exclusivement comptable de la dépense publique ne rend pas fidèlement compte du choix politique qui est opéré lorsque l'on décide de réduire les dépenses.

En conclusion, le commissaire écologiste aux finances considère que si ce programme de stabilité marque une très légère inflexion politique, dans une conjoncture qui semble s'annoncer favorable, les réformes structurelles nécessaires à la transition écologique ne sont toujours pas amorcées.

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