Rapport d'information n° 417 (2014-2015) de M. Albéric de MONTGOLFIER , fait au nom de la commission des finances, déposé le 16 avril 2015

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N° 417

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2014-2015

Enregistré à la Présidence du Sénat le 16 avril 2015

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des finances (1) sur le projet de programme de stabilité de la France 2015 - 2018 , transmis par le Gouvernement à la Commission européenne conformément à l'article 121 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne,

Par M. Albéric de MONTGOLFIER,

Sénateur
Rapporteur général.

(1) Cette commission est composée de : Mme Michèle André , présidente ; M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général ; Mme Marie-France Beaufils, MM. Yvon Collin, Vincent Delahaye, Mmes Fabienne Keller, Marie-Hélène Des Esgaulx, MM. André Gattolin, Charles Guené, Francis Delattre, Georges Patient , vice-présidents ; MM. Michel Berson, Philippe Dallier, Dominique de Legge, François Marc , secrétaires ; MM. Philippe Adnot, François Baroin, Éric Bocquet, Yannick Botrel, Jean-Claude Boulard, Michel Bouvard, Michel Canevet, Vincent Capo-Canellas, Thierry Carcenac, Jacques Chiron, Serge Dassault, Éric Doligé, Philippe Dominati, Vincent Eblé, Thierry Foucaud, Jacques Genest, Alain Houpert, Jean-François Husson, Pierre Jarlier, Roger Karoutchi, Bernard Lalande, Marc Laménie, Antoine Lefèvre, Gérard Longuet, Hervé Marseille, François Patriat, Daniel Raoul, Claude Raynal, Jean-Claude Requier, Maurice Vincent, Jean Pierre Vogel, Richard Yung .

COMMUNICATION DU RAPPORTEUR GÉNÉRAL

Réunie le 16 avril 2015, sous la présidence de Mme Michèle André, présidente, la commission a entendu une communication de M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général, sur le projet de programme de stabilité transmis par le Gouvernement à la Commission européenne conformément à l'article 121 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - Le Conseil des ministres a adopté, le 15 avril, le projet de programme de stabilité pour les années 2015 à 2017, qui établit, pour cette période, les hypothèses macroéconomiques retenues par le Gouvernement, de même que la trajectoire des finances publiques. Ce projet de programme de stabilité présente un intérêt particulier dans la mesure où il expose la « réponse » du gouvernement français à la recommandation du Conseil de l'Union européenne du 10 mars 2015, qui a reporté le délai de correction du déficit excessif de la France de 2015 à 2017.

Sans qu'il soit nécessaire de revenir sur la question de l'organisation d'un débat en séance, qui n'aura pas lieu, j'indique que, conformément à une tradition bien ancrée de la commission des finances du Sénat qui publie un avis circonstancié sur les projets de programme de stabilité depuis 2011, nous nous sommes attachés à procéder à un examen aussi approfondi que possible - eu égard aux délais impartis - du projet de programme de stabilité 2015-2018 avant sa transmission aux institutions européennes , qui doit intervenir avant la fin du mois d'avril.

Je commencerai par vous présenter le cadrage macroéconomique du projet de programme de stabilité. Le Gouvernement anticipe une accélération progressive de l'activité économique à compter de 2015 . Ainsi, le produit intérieur brut (PIB) progresserait de 1 % en 2015, 1,5 % en 2016-2017 et de 1,75 % en 2018. De même, l'inflation serait nulle en moyenne annuelle en 2015, avant de remonter à 1 % en 2016, 1,4 % en 2017 et 1,75 % en 2018.

Tableau n° 1 : Les principaux indicateurs du scénario macroéconomique
du projet de programme de stabilité 2015-2018

(évolution, en %)

2014

2015

2016

2017

2018

PIB (volume)

0,4

1,0

1,5

1,5

1,75

Déflateur de PIB

0,9

1,0

0,9

1,3

1,7

Indice des prix à la consommation

0,5

0,0

1,0

1,4

1,75

Masse salariale du secteur privé

1,4

1,3

2,7

3,1

3,6

Source : commission des finances du Sénat (d'après le projet de programme de stabilité 2015-2018)

De toute évidence, les hypothèses macroéconomiques dans le cadre du projet de programme de stabilité sont raisonnables . En effet, les prévisions de croissance du PIB et d'inflation sont proches, sinon identiques, aux prévisions du Consensus Forecasts ; elles sont également similaires aux anticipations de la Commission européenne et légèrement moins « optimistes » que celles du Fonds monétaire international (FMI) et de l'OCDE.

Tableau n° 2 : Prévisions d'évolution du PIB et des prix à la consommation pour la France
de la Commission européenne, du FMI, de l'OCDE et du Consensus Forecasts

(évolution en %)

2014

2015

2016

Commission européenne (1)

PIB

0,4

1,0

1,8

Prix à la consommation

0,6

0,0

1,0

FMI (2)

PIB

0,4

1,2

1,5

Prix à la consommation

0,6

0,1

0,8

OCDE (3)

PIB

0,4

1,1

1,7

Prix à la consommation

0,6

0,2

0,9

Consensus Forecasts (4)

PIB

1,0

1,5

Prix à la consommation

0,1

1,1

(1) Commission européenne, « European Economic Forecast. Winter 2015 », European Economy 1/2015 , février 2015.

(2) Fonds monétaire international, World Economic Outlook , avril 2015.

(3) OCDE, Études économiques de l'OCDE. France , mars 2015.

(4) Consensus Forecasts , mars 2015.

Source : commission des finances du Sénat (à partir des documents cités)

D'ailleurs, dans son avis du 13 avril 2015 1 ( * ) , le Haut Conseil des finances publiques a jugé que les hypothèses de croissance pour 2015, mais également pour 2016 à 2018 étaient « prudentes » , en particulier dans un contexte plus favorable créé par les fortes baisses du cours du pétrole et de l'euro, et ce en dépit de l'existence de risques financiers liés à la possible formation de « bulles » et à l'apparition de déséquilibres de bilan des institutions financières du fait de la faiblesse des taux d'intérêt.

S'agissant, plus spécifiquement, de l'exercice 2015, « la croissance changerait de rythme au premier semestre », selon le Gouvernement , la croissance attendue s'élevant à 0,3 % en moyenne au cours des deux premiers trimestres de l'année. Par suite, l'activité économique sortirait de la relative atonie qui a caractérisé 2014. À titre de rappel, la croissance trimestrielle a été quasi nulle tout au long l'année, en dépit d'un léger rebond constaté au troisième trimestre, essentiellement lié à un ressaut des stocks 2 ( * ) . Malgré cela, l'acquis de croissance s'élevait à 0,3 point environ au début de l'année 2015, contribuant à la crédibilité d'une prévision de croissance de 1 % 3 ( * ) .

Graphique n° 3 : Produit intérieur brut (PIB) et ses composantes

(en %)

Source : Insee (février 2015)

Dans le scénario macroéconomique gouvernemental, les deux principaux facteurs de rebond de l'activité économique en 2015 seraient la consommation des ménages et l'accroissement des exportations .

Selon le Gouvernement, la consommation des ménages progresserait de 1,5 % en 2015, après avoir crû de seulement 0,6 % en 2014. En effet, la consommation serait portée par une accélération du pouvoir d'achat , en raison d'une hausse des salaires réels liée à « une nouvelle surprise à la baisse sur l'inflation en 2015 ». Dans sa Note de conjoncture 4 ( * ) , publiée au mois de mars, l'Insee considère également que la « consommation des ménages accélèrerait nettement au premier semestre 2015 », en particulier du fait de la hausse du pouvoir d'achat liée à la désinflation. Toutefois, l'institut de statistique semble se montrer plus réservé que le Gouvernement quant à une diminution à court terme du taux d'épargne des ménages. À cet égard, il faut rappeler que dès la présentation du programme de stabilité d'avril 2012, le Gouvernement annonçait un recul du taux d'épargne des ménages ; toutefois, celui-ci est passé de 15,1 % en 2012 et 2013 à 15,8 % au troisième trimestre 2014.

Les exportations des entreprises françaises bénéficieraient, quant à elles, de plusieurs éléments favorables. Tout d'abord, celles-ci seraient soutenues par la dépréciation récente de l'euro . En effet, au cours du premier trimestre 2015, l'euro s'est de nouveau déprécié de près de 10 % face au dollar, notamment en raison de l'annonce du programme étendu d'achats d'actifs par la Banque centrale européenne (BCE) à la fin du mois de janvier.

Ensuite, les exportations françaises bénéficieraient de l'accélération de l'activité dans la zone euro , également favorisée par la politique monétaire accommodante de la BCE, le recul du taux de change et la faiblesse du prix du pétrole. Ainsi, le Consensus Forecasts prévoit une progression du PIB de la zone euro de 1,4 % en 2015. En outre, la croissance resterait dynamique aux États-Unis (+ 3,1 %), ainsi qu'au Royaume-Uni (+ 2,7 %). Au total, le Gouvernement prévoit une hausse de la demande étrangère adressée à la France de 4,5 % en 2015 .

Trois éléments viennent toutefois « ternir » le scénario économique de l'année 2015 . En premier lieu, l'Insee anticipe une légère augmentation du chômage au cours du premier semestre de cette année , atteignant 10,6 % à la mi-2015, contre 10,4 % à la fin de l'année 2014. La progression de l'emploi total serait essentiellement imputable aux contrats aidés.

En deuxième lieu, l'activité dans la construction devrait continuer de reculer au cours des deux premiers trimestres de l'année , de 0,7 % puis 0,6 % ; à cet égard, l'Insee considère que « la poursuite de la baisse des permis de construire de bâtiments non résidentiels ne laisse pas attendre de franche amélioration » 5 ( * ) . La situation actuelle du secteur du bâtiment et des travaux publics peut être attribuée à la faiblesse de l'investissement des entreprises, de même que des ménages, dans un contexte de chômage élevé et d'« attentisme » face à l'incertitude sur l'évolution des prix ; pour autant, elle n'est probablement pas sans lien avec la baisse des dotations de l'État aux collectivités territoriales .

Enfin, l'investissement des entreprises resterait atone en 2015 , le Gouvernement prévoyant une hausse de seulement 0,3 %. L'Insee juge que « beaucoup de conditions sont réunies pour que l'investissement des entreprises accélère », en raison notamment du redressement du taux de marge, grâce à la montée en charge du crédit pour la compétitivité et l'emploi (CICE), la mise en oeuvre du Pacte de responsabilité et de solidarité et l'amélioration des termes de l'échange du fait de la baisse du prix du pétrole. Malgré tout, comme je l'avais montré lors de l'examen du dernier collectif de fin d'année 6 ( * ) , le CICE et le Pacte de responsabilité ne permettront pas, d'ici 2017, de faire revenir le taux de marge des sociétés non financières à son niveau antérieur au déclenchement de la crise . Par ailleurs, les enquêtes de conjoncture, notamment dans les services et le bâtiment, indiquent que les chefs d'entreprises ont encore une propension limitée à investir . Ainsi, en dépit d'une amélioration au mois de mars, l'indicateur de climat des affaires demeure en deçà de sa moyenne de long terme. Ceci montre clairement que la confiance des chefs d'entreprise n'est pas encore au rendez-vous .

Graphique n° 4 : Évolution de l'indicateur de climat des affaires de l'Insee

Source : commission des finances du Sénat (données de l'Insee)

Afin de remédier à l'atonie annoncée de l'investissement, le Premier ministre, Manuel Valls, a annoncé, le 8 avril dernier, un ensemble de mesures pour relancer l'investissement des entreprises, l'investissement des ménages et l'investissement public .

S'agissant de l'investissement des entreprises, une majoration de 40 % de l'amortissement fiscal appliqué aux investissements industriels réalisés entre le 15 avril 2015 et le 15 avril 2016 a été annoncée . Aussi, les entreprises pourront déduire ces investissements à hauteur de 140 % de leurs montants de l'impôt sur les sociétés dû. Le coût de ce dispositif - qui a été introduit dans le projet de loi « Macron » - est estimé à 2,5 milliards d'euros sur cinq ans . Il est également prévu un plan de travaux autoroutiers de 3,2 milliards d'euros . Par ailleurs, la Banque publique d'investissement devrait accorder 2 milliards d'euros de prêts de plus qu'initialement prévu d'ici 2017 , financés grâce au « plan Juncker ». Enfin, des mesures devraient être prises pour orienter davantage l'épargne des ménages vers le financement des entreprises ; il s'agirait, en particulier, de favoriser la diffusion des contrats d'assurance-vie Euro-Croissance et du dispositif PEA-PME.

Pour ce qui est de l'investissement des ménages, afin de stimuler les dépenses dans le domaine du logement, il est prévu de prolonger le crédit d'impôt transition énergétique (CITE) d'une année et d' accroître le budget de l'Agence nationale de l'habitat (ANAH) de 70 millions d'euros en 2015 . À titre de rappel, le « coût » du CITE est estimé à 1 320 millions d'euros pour 2016 ; la prolongation du dispositif aurait donc pour effet une hausse des dépenses fiscales d'un montant proche, voire supérieur, au cours de l'exercice 2017.

Enfin, concernant l'investissement public, il a été annoncé que la Caisse des dépôts et consignations mettrait des prêts à taux zéro à disposition des collectivités territoriales pour qu'elles bénéficient d'une avance sur les sommes que l'État leur verse au titre du Fonds de compensation de la TVA .

Au total, les nouvelles mesures en faveur de l'investissement annoncées par le Premier ministre représenteraient un coût budgétaire de près de 3,9 milliards d'euros sur la période 2015-2019 .

Tableau n° 5 : Coût budgétaire des nouvelles mesures en faveur de l'investissement

(en millions d'euros)

2015

2016

2017

2018

2019

Total

Avantage fiscal exceptionnel sur les investissements (1)

380

530

530

530

530

2 500

Prolongation du CITE (2)

-

-

1 320

-

-

1 320

Augmentation des crédits de l'ANAH

70

-

-

-

-

70

TOTAL*

450

530

1 850

530

530

3 890

* Dans l'estimation du coût budgétaire total du plan en faveur de l'investissement, il n'est pas tenu compte des incidences des éventuelles mesures fiscales susceptibles d'être adoptées afin d'encourager la diffusion des contrats d'assurance-vie Euro-Croissance et du dispositif PEA-PME.

(1) Le coût de l'avantage fiscal sur les investissements étant estimé à 380 millions d'euros en 2015, son incidence budgétaire est supposée constante sur la période 2016-2019 pour atteindre un coût total de 2,5 milliards d'euros.

(2) Le coût budgétaire de la prolongation du crédit d'impôt pour la transition énergétique (CITE) est estimé à 1 320 millions d'euros en 2017, soit un montant identique à l'évaluation de la dépense fiscale associée au titre de l'exercice 2016 figurant dans le tome II de l'annexe « Voies et moyens » au projet de loi de finances pour 2015.

Source : commission des finances du Sénat

Plusieurs remarques doivent être formulées concernant ce plan en faveur de l'investissement. Tout d'abord, celui-ci intervient tardivement . À cet égard, je rappellerai que le Sénat avait adopté, lors de l'examen du collectif de la fin de l'année 2014, un amendement porté conjointement par le groupe UDI-UC et le groupe socialiste, avec le soutien de la commission des finances, proposant un mécanisme d'amortissement dégressif réservé aux investissements industriels des PME ; toutefois, cette initiative avait fait l'objet d'un avis défavorable du Gouvernement et avait été supprimée par l'Assemblée nationale. Si le dispositif proposé par le Sénat avait été adopté, nous aurions gagné quelques mois. Ensuite, il y a lieu de s'interroger sur l'efficacité d'un ensemble de mesures aussi hétéroclites.

Enfin, la question du financement de ces mesures reste entière. Alors que leur coût budgétaire total peut être estimé, à ce jour, à 3,9 milliards d'euros , le ministre des finances, Michel Sapin, a seulement précisé, par voie de presse, que la perte de recettes de 380 millions d'euros occasionnée en 2015 par la majoration de l'amortissement sur les investissements industriels serait compensée par un surcroît d'économies 7 ( * ) .

Pour les années 2016 à 2019, l'incertitude quant au financement de ces mesures est préoccupante. Elles sont, en effet, susceptibles de « peser » sur une trajectoire des finances publiques qui doit impérativement respecter la recommandation formulée par le Conseil de l'Union européenne dans le cadre de la procédure de déficit excessif .

Le 10 mars dernier, le Conseil de l'Union européenne a adopté une recommandation reportant le délai de correction du déficit excessif de la France de 2015 à 2017 . Conformément au droit de l'Union européenne, un tel report peut être accordé, d'une part, si l'État membre concerné a engagé une action suivie d'effets afin de corriger son déficit excessif et, d'autre part, si des évènements négatifs et inattendus ayant des conséquences défavorables majeures pour les finances publiques se produisent après l'adoption de la première recommandation. À cet égard, s'agissant de la France :

- premièrement, il a été considéré que « les éléments de preuve disponibles ne permett[aient] pas de conclure à l'absence d'action suivie d'effets » ;

- deuxièmement, si les prévisions macroéconomiques pour 2013 publiées par la Commission européenne en mai 2013 se sont révélées inférieures au réalisé, tel n'est pas le cas pour ce qui est de l'exercice 2014. En effet, la Commission prévoyait une croissance de 1,1 % et une inflation de 1,7 % en 2014 ; cependant, les données publiées en février 2015 font apparaître, pour 2014, une progression du PIB de 0,4 % et une inflation de 0,6 %.

Si les deux conditions prévues par le droit de l'Union européenne pour l'octroi d'un report du délai de correction du déficit excessif paraissent plus ou moins respectées, il semble que la France a, avant tout, bénéficié des principes figurant dans la communication de la Commission du 13 janvier 2015 , intitulée « Utiliser au mieux la flexibilité offerte par les règles existantes du pacte de stabilité et de croissance » 8 ( * ) ; la recommandation du Conseil du 10 mars relève, à ce titre, que « les informations fournies et les engagements pris par les autorités françaises en ce qui concerne les réformes structurelles vont dans la bonne direction au regard des exigences formulées dans [cette communication] et mettent la France en mesure d'une prolongation de plus d'un an du délai pour la correction du déficit excessif ». Il en résulte que la Commission européenne portera, dans le cadre de la procédure de déficit excessif, un regard particulièrement attentif au programme national de réforme et, surtout, à la bonne mise en oeuvre des projets de réformes structurelles qui y figurent.

Tableau n° 6 : Comparaison entre les prévisions macroéconomiques de la Commission européenne et le réalisé

(évolution en %)

Prévisions de mai 2013 (1)

Prévisions de février 2015 (2)

2013

2014

2013

2014

PIB

- 0,1

1,1

0,3

0,4

Prix à la consommation

1,2

1,7

1,0

0,6

(1) Commission européenne, « European Economic Forecast. Spring 2013 », European Economy 2/2013 , mai 2013.

(2) Commission européenne, « European Economic Forecast. Winter 2015 », European Economy 1/2015 , fév. 2015.

Source : commission des finances du Sénat (à partir des documents cités)

La recommandation du Conseil de l'Union européenne du 10 mars 2015 accompagne le report du délai de correction du déficit d'objectifs de déficit effectif et d'amélioration du solde structurel pour les années 2015 à 2017 . Ainsi, selon la recommandation, le déficit effectif devrait être de 4 % en 2015, de 3,4 % en 2016 et de 2,8 % en 2017. L'amélioration annuelle sous-jacente du solde structurel serait, quant à elle, de 0,5 % du PIB en 2015, de 0,8 % du PIB en 2016 et de 0,9 % du PIB en 2017.

Tableau n° 7 : La recommandation du Conseil de l'Union européenne
du 10 mars 2015

(en % du PIB)

2015

2016

2017

Objectifs de solde public effectif

4,0

3,4

2,8

Objectifs d'amélioration du solde structurel

0,5

0,8

0,9

Source : commission des finances du Sénat (d'après la recommandation du Conseil de l'Union européenne du 10 mars 2015 visant à ce qu'il soit mis fin à la situation de déficit public excessif en France)

La recommandation du Conseil de l'Union européenne juge que le gouvernement français doit « adopter et exécuter rapidement les mesures supplémentaires nécessaires pour atteindre les objectifs budgétaires en 2015, 2016 et 2017 ». Ces mesures représenteraient 0,2 % du PIB en 2015, 1,2 % du PIB en 2016 et 1,3 % du PIB en 2017 , soit un montant d'un peu plus de 60 milliards d'euros, qui viendrait s'ajouter aux 25 milliards d'euros d'économies effectivement « identifiées » par la Commission européenne pour les années 2015 à 2017. Par conséquent, l'effort budgétaire total à réaliser par la France s'élèverait, selon les institutions européennes, à 85 milliards d'euros environ au cours de la période 2015-2017 .

Avant d'exposer la trajectoire des finances publiques présentée par le Gouvernement dans le projet de programme de stabilité, il convient de revenir brièvement sur les comptes provisoires des administrations publiques publiés par l'Insee le 26 mars dernier 9 ( * ) . Ainsi, le déficit public s'établirait en 2014 à 84,8 milliards d'euros, soit à 4 % du PIB, en recul de 0,1 point par rapport à 2013. Le déficit serait donc moins élevé de 0,4 point de PIB à ce que le Gouvernement anticipait à la fin de l'année dernière . La dette publique de notre pays s'élèverait, quant à elle, à 95 % du PIB en 2014, soit 2,7 points de PIB de plus qu'en 2013. Des données plus précises sur le déficit et le niveau d'endettement par sous-secteur des administrations publiques seront rendues publiques par l'Insee au mois de mai prochain.

Le projet de programme de stabilité 2015-2018 propose une trajectoire des finances publiques dont la « philosophie » est exposée dès les premières pages du document ; celle-ci peut être résumée de la manière suivante : dans la mesure où le déficit public pour 2014 est inférieur à ce qui était prévu lors de l'adoption de la recommandation du Conseil de l'Union européenne et que le contexte économique se révèle plus favorable, il est possible de respecter les cibles de solde effectif arrêtées tout en consentant des efforts budgétaires plus modérés que ceux demandés par la Commission européenne . De cette manière, le Gouvernement souhaite procéder à une réduction du déficit compatible avec une reprise de la croissance économique.

Ainsi, le programme de stabilité prévoit une réduction du déficit public de 4 % du PIB en 2014 à 1,9 % en 2018 ; le déficit reviendrait donc en deçà de 3 % du PIB en 2017 et s'élèverait alors à 2,7 % du PIB. Par suite, le déficit effectif serait réduit de 2,1 points de PIB entre 2014 et 2018, soit une variation très inférieure à cella ce que prévoyait la dernière loi de programmation des finances publiques pour la même période (2,7 points de PIB).

Le déficit structurel, quant à lui, passerait de 2 % du PIB en 2014 à 0,1 % du PIB à 2018 , correspondant à un ajustement structurel de 0,5 point de PIB par an entre 2015 et 2018. Cet ajustement serait supérieur à celui figurant dans la loi de programmation des finances publiques qui prévoyait un ajustement structurel de 1,6 point de PIB sur la période 2015-2018.

Tableau n° 8 : La trajectoire pluriannuelle des finances publiques

(en % du PIB)

2014

2015

2016

2017

2018

2019

Solde public

PStab. 2014-2017

- 3,8

- 3,0

- 2,2

- 1,3

LPFP 2014-2019

- 4,4

- 4,1

- 3,6

- 2,7

- 1,7

- 0,7

PStab. 2015-2018

- 4,0

- 3,8

- 3,3

- 2,7

- 1,9

Solde structurel

PStab. 2014-2017

- 2,1

- 1,2

- 0,8

- ¼

LPFP 2014-2019

- 2,4

- 2,1

- 1,8

- 1,3

- 0,8

- 0,2

PStab. 2015-2018

- 2,0

- 1,6

- 1,1

- 0,6

- 0,1

Dette publique

PStab. 2014-2017

95,6

95,6

94,2

91,9

LPFP 2014-2019

95,2

97,1

97,7

97,0

95,1

92,4

PStab. 2015-2018

95,0

96,3

97,0

96,9

95,5

Source : commission des finances du Sénat (à partir des documents cités)

Ces dernières données pourraient laisser penser que la consolidation des finances publiques prévue serait supérieure dans ce programme de stabilité en comparaison à la dernière loi de programmation ; pour autant, ceci ne relève en rien de l'évidence. En effet, les éléments relatifs au solde structurel et à l'ajustement structurel sont difficilement comparables dès lors que le Gouvernement a fait le choix de modifier les hypothèses de produit intérieur brut (PIB) potentiel et de croissance potentielle . Or, le PIB potentiel constitue une variable essentielle dans le calcul du solde structurel et de l'ajustement structurel ; pour plus de détails, je vous renvoie à mon rapport sur le projet sur la loi de programmation des finances publiques pour les années 2014 à 2019 de l'automne dernier 10 ( * ) .

Cette modification des hypothèses de PIB potentiel a été critiquée par le Haut Conseil des finances publiques qui y voit un « problème de principe ». En effet, il convient de rappeler qu'en application de l'article 23 de la loi organique du 17 décembre 2012 relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques, le Haut Conseil examine, dans le cadre du mécanisme de correction, le respect des objectifs de solde structurel « en retenant la trajectoire de produit intérieur brut potentiel figurant dans le rapport annexé » à la loi de programmation.

Cette disposition, adoptée par le Sénat à l'initiative de Jean-Pierre Caffet visait à ce que les hypothèses de PIB potentiel soient communes au Gouvernement, au Haut Conseil, mais également au Parlement, qui ratifie la trajectoire, et ce tout au long de la période de programmation. Par conséquent, en modifiant les hypothèses de croissance potentielle, le Gouvernement « gêne » considérablement le contrôle qui peut être exercé sur le respect de la trajectoire des finances publiques . Par ailleurs, cela signifie que plusieurs trajectoires de solde structurel ont vocation à coexister : celle de la loi de programmation et celle du programme de stabilité.

Le relèvement des hypothèses de croissance potentielle de 0,2 point pour les années 2016 à 2018 interroge d'autant plus que cette modification permet d'accroître mécaniquement l'ajustement structurel affiché. Dans le projet de programme de stabilité, l'ajustement structurel pour la période 2015-2018 atteint 2 points de PIB ; cependant, avec les hypothèses de croissance potentielle de la dernière loi de programmation, il ne serait que de 1,6 point de PIB environ - cet écart de 0,4 point de PIB correspond à un moindre ajustement d'une dizaine de milliards d'euros environ.

Tableau n° 9 : Les hypothèses de croissance potentielle

(en % du PIB)

2014

2015

2016

2017

2018

2019

Croissance potentielle

LPFP 2012-2017

1,5

1,5

1,6

1,6

PStab. 2014-2017

1,5

1,5

1,6

1,6

LPFP 2014-2019

1,0

1,1

1,3

1,3

1,2

1,1

PStab. 2015-2018

1,0

1,1

1,5

1,5

1,4

Source : commission des finances du Sénat (à partir des documents cités)

La révision de ces hypothèses permet donc au Gouvernement de présenter un ajustement structurel de 0,5 point de PIB par an au titre de la période 2016-2018 , soit le niveau minimal requis par le Pacte de stabilité et de croissance pour les États soumis à la procédure de déficit excessif.

Cela ne permet aucunement d'atteindre les cibles d'ajustement structurel arrêtées par le Conseil de l'Union européenne dans sa recommandation du 10 mars dernier.

En tout état de cause, après avoir présenté le solde structurel comme le « pilier » de notre politique budgétaire, alors que la conjoncture s'améliore, le Gouvernement se focalise aujourd'hui opportunément sur le solde effectif .

Tableau n° 10 : Variation du solde structurel des administrations publiques

(en points de PIB)

2014

2015

2016

2017

2018

Ajustement structurel, dont :

0,4

0,5

0,5

0,5

0,5

Effort structurel

0,7

0,8

0,6

0,3

0,3

Mesures nouvelles en prélèvements obligatoires

0,2

0,0

0,0

- 0,3

- 0,1

Effort en dépenses

0,6

0,8

0,6

0,6

0,4

Composante non discrétionnaire

- 0,2

- 0,2

- 0,1

0,0

0,1

Clef en crédit d'impôt

- 0,1

- 0,1

0,0

0,1

0,1

Source : commission des finances (à partir du projet de programme de stabilité pour les années 2015 à 2018)

Le Gouvernement justifie la révision de ses hypothèses de croissance potentielle dans une note de bas de page du projet de programme de stabilité par les effets du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) et du Pacte de responsabilité et de solidarité . Toutefois, ces différentes mesures étaient déjà connues lors de l'élaboration et du vote de la dernière loi de programmation.

Tableau n° 11 : Consensus de la croissance potentielle
de la commission des finances du Sénat (octobre 2014)

Prévisionnistes

2015

2016

2017

2018

2019

Moyenne

2015-2019

Axa AM

0,8 %

1,0 %

1,25 %

1,5 %

1,5 %

1,2 %

COE-Rexecode

1,2 %

1,2 %

Euler Hermes

1,5 %

1,5 %

Exane

1,1 %

1,1 %

1,1 %

1,1 %

1,1 %

1,1 %

Groupama AM

1,2 %

1,2 %

1,2 %

1,2 %

1,2 %

1,2 %

Natixis

0,8 %

0,9 %

0,9 %

0,9 %

0,9 %

0,9 %

Oddo Securities

1,0 %

1,0 %

Oxford Economics

0,9 %

1,1 %

1,2 %

1,2 %

1,3 %

1,1 %

PAIR Conseil

0,9 % (1)

1,0 % (1)

1,1 % (1)

1,2 % (1)

1,3 % (1)

1,1 % (1)

1,2 % (2)

1,3 % (2)

1,5 % (2)

1,6 % (2)

1,7 % (2)

1,5 % (2)

MOYENNE

1,1 %

1,1 %

1,2 %

1,2 %

1,3 %

1,2 %

Minimum

0,8 %

0,9 %

0,9 %

0,9 %

0,9 %

0,9 %

Maximum

1,5 %

1,5 %

1,5 %

1,6 %

1,7 %

1,5 %

(1) Scénario 1 de PAIR Conseil, dit « trajectoire fil de l'eau », soit à politique économique inchangée en zone euro.

(2) Scénario 2 de PAIR Conseil, dit « scénario policy mix européen adapté », retenant l'hypothèse du déploiement d'un policy mix en zone euro « plus adapté » en termes de politique monétaire, de politique budgétaire et fiscale ainsi que d'investissement public.

Source : commission des finances du Sénat (à partir des données transmises par les instituts cités)

En outre, les hypothèses gouvernementales s'inscrivent indiscutablement dans le haut de la « fourchette » des estimations retenues par les économistes , comme le montre le consensus de la croissance potentielle de la commission des finances d'octobre 2014 11 ( * ) .

La trajectoire des finances publiques retenue par le Gouvernement continue de reposer sur le programme de 50 milliards d'euros d'économies pour la période 2015-2017 qui avait été avancé au cours de l'année 2014 . En effet, à partir de 2015, la consolidation des finances publiques doit reposer, selon le Gouvernement, exclusivement sur des efforts en dépenses. Toutefois, nous pouvons nous étonner que ce quantum d'économies demeure invariable en dépit de l'annonce de mesures fiscales nouvelles
- dont le « suramortissement » des investissements industriels - ou encore de demandes d'économies additionnelles par les institutions européennes
.

Quoi qu'il en soit, afin de respecter ce programme d'économies de 50 milliards d'euros d'économies, dans un contexte de faible inflation qui a réduit le rendement attendu de certaines mesures comme le « gel » du point d'indice, le Gouvernement annoncé des mesures supplémentaires d'un montant de 4 milliards d'euros en 2015 et de 5 milliards d'euros en 2016 . S'agissant de l'exercice 2014, ces mesures intègrent 1,2 milliard d'euros d'économies sur les dépenses de l'État et de ses opérateurs, 1 milliard d'euros d'économies sur les dépenses de santé et de protection sociale, notamment sur les dépenses entrant dans le champ de l'ONDAM, 0,4 milliard d'euros de recettes supplémentaires provenant du service de traitement des déclarations rectificatives (STDR) pour les contribuables ayant détenu des avoirs à l'étranger, 0,2 milliard d'euros liés à la hausse des dividendes reçus par l'État - notamment de la Banque de France - et 1,2 milliard d'euros de moindres dépenses sur la charge de la dette résultant de la révision à la baisse des taux d'intérêt. À n'en pas douter, ces différentes mesures donnent une réelle impression de « déjà-vu » .

Au total, les dépenses des administrations publiques croîtraient de 1,3 % en volume en 2015, puis de 0,1 % en 2016, de 0,2 % en 2017 et de 0,4 % en 2018 . Ainsi, la croissance des dépenses publiques en volume serait en moyenne de 0,5 % par an au cours de la période 2015-2018.

Tableau n° 12 : Évolution des dépenses publiques

(en points de PIB)

2014

2015

2016

2017

Inflation

0,5

0,0

1,0

1,4

En valeur, hors crédits d'impôt

0,9

0,9

1,1

1,7

En valeur, y compris crédits d'impôt

1,6

1,3

1,1

1,7

En volume, hors crédits d'impôt

0,5

0,9

0,1

0,3

En volume, y compris crédits d'impôt

1,1

1,3

0,1

0,2

Source : commission des finances du Sénat (à partir des données transmises par le Gouvernement)

En dépit de sa « constance », le programme d'économies de 50 milliards d'euros demeure peu documenté, ce qui a, d'ailleurs, été souligné par la Cour des comptes . Celui-ci n'a pas pleinement convaincu les services de la Commission européenne qui n'identifient « que » 25 milliards d'euros ; de même, dans son avis sur la loi de programmation des finances publiques pour les années 2014 à 2019 12 ( * ) , le Haut Conseil des finances publiques estimait que le respect de la trajectoire n'était pas « acquis » et qu'il supposait d'« infléchir fortement et sur toute la période de programmation la croissance de la dépense publique ».

Par conséquent, compte tenu du fait que la croissance des dépenses publiques en volume a été de 2 % en moyenne entre 2000 et 2013 et de ce que le Gouvernement a rarement tenu ses objectifs en la matière, il convient de mettre en évidence la sensibilité de cette trajectoire au respect de l'effort en dépenses programmé - d'autant que les objectifs affichés par le Gouvernement en la matière paraissent particulièrement ambitieux ; à cet effet, des projections ont été réalisées à partir de deux scénarii :

- un premier scénario dans lequel la croissance des dépenses en volume serait de 1,1 % au cours de la période 2016-2018 , ce qui correspond au taux d'évolution de la dépense en 2014 ;

- un second scénario dans lequel la croissance des dépenses en volume serait de 0,7 % entre 2016 et 2018 , soit une progression intermédiaire entre le taux d'évolution constaté en 2014 et la prévision du Gouvernement.

Ces projections montrent que le non-respect de l'objectif d'évolution annuelle de la dépense publique en volume fixé dans le programme de stabilité aurait pour conséquence de dégrader fortement la trajectoire des soldes structurel et effectif et de la dette publique .

Une progression de la dépense publique de 1,1 % par an en volume entre 2016 et 2018 conduirait ainsi à un déficit structurel d'environ 1,4 % du PIB en 2018 , contre une « cible » de 0,1 % du PIB. Le déficit effectif ne passerait pas en-dessous de 3 % au cours de la période de programmation . Enfin, la dette publique augmenterait jusqu'en 2017 pour atteindre 98,5 % du PIB .

Si la progression de la dépense publique en volume était de 0,7 % par an au cours de la période 2016-2018, le solde structurel serait de 0,8 % du PIB en 2018 . Pour ce qui est du déficit effectif, celui-ci ne reviendrait en deçà du seuil de 3 % du PIB qu'à l'horizon 2018 . La dette publique, elle, serait supérieure de près de 1,5 points de PIB en 2018 par rapport à la prévision.

Ces résultats montrent bien que le Gouvernement n'a pas droit à l'erreur et devra donner plus de substance à son programme d'économies , en engageant les réformes structurelles nécessaires à un ralentissement pérenne de la dépense publique, s'il souhaite tenir ses engagements.

Tableau n° 13 : Sensibilité de la trajectoire des finances publiques à l'évolution des dépenses des administrations publiques

(en % du PIB)

2014

2015

2016

2017

2018

Hypothèses macroéconomiques

Croissance (en %)

0,4

1,0

1,5

1,5

1,75

Trajectoire présentée par le Gouvernement dans le cadre du Programme de stabilité 2015-2018

Évol. de la dépense en vol.

1,1

1,3

0,1

0,2

0,4

Solde effectif

- 4,0

- 3,8

- 3,3

- 2,7

- 1,9

Solde structurel

- 2,0

- 1,6

- 1,1

- 0,6

- 0,1

Ajustement structurel

0,4

0,5

0,5

0,5

0,5

Dette publique

95,0

96,3

97,0

96,9

95,5

Trajectoire en cas de croissance en volume de la dépense de 1,1 % entre 2016 et 2018

Évol. de la dépense en vol.

1,1

1,3

1,1

1,1

1,1

Solde effectif

- 4,0

- 3,8

- 3,8

- 3,8

- 3,3

Solde structurel

- 2,0

- 1,6

- 1,6

- 1,6

- 1,4

Ajustement structurel

0,4

0,5

0,0

0,1

0,1

Dette publique*

95,0

96,3

97,6

98,5

98,4

Trajectoire en cas de croissance en volume de la dépense de 0,7 % entre 2016 et 2018

Évol. de la dépense en vol.

1,1

1,3

0,7

0,7

0,7

Solde effectif

- 4,0

- 3,8

- 3,6

- 3,3

- 2,7

Solde structurel

- 2,0

- 1,6

- 1,4

- 1,1

- 0,8

Ajustement structurel

0,4

0,5

0,2

0,3

0,3

Dette publique*

95,0

96,3

97,3

97,8

97,2

* Il est supposé que seule la variation de la dette imputable au déficit est sensible aux évolutions du PIB (les éléments exogènes, soit ceux non pris en compte dans le calcul du déficit mais comptabilisés dans la dette publique, conformément aux règles européennes - dettes contractées par le FESF, apports au capital du MES, etc. -, sont déterminés en retenant les hypothèses du projet de programme de stabilité pour les années 2015 à 2018).

Source : commission des finances du Sénat (à partir des hypothèses du projet de programme de stabilité pour les années 2015 à 2018 appliquées aux données établies par l'Insee en mars 2015)

En dépit de la « prudence » des hypothèses de croissance retenues par le Gouvernement dans le projet de programme de stabilité, il paraît utile de mesurer la sensibilité de la trajectoire de solde effectif et de la dette publique à la conjoncture économique.

C'est la raison pour laquelle il est proposé de retenir deux scénarii conventionnels , qui ne constituent aucunement des prévisions alternatives, dans lesquels la croissance du PIB sur la période 2015-2018 est supposée être supérieure de ½ point à la prévision du Gouvernement dans un cas et inférieure de ½ point dans l'autre .

Sur l'ensemble de la période de programmation, il apparaît que la trajectoire d'ajustement structurel proposée par le Gouvernement ne permettrait pas, en cas de croissance inférieure de ½ point aux prévisions, de faire revenir le déficit effectif en deçà de 3 % du PIB en 2017 . Le déficit effectif ne passerait, en effet, le seuil de 3 % du PIB qu'en 2018 pour atteindre 3,0 % du PIB, contre un objectif de 1,9 % du PIB à cette échéance. En outre, le taux d'endettement ne se réduirait pas avant 2018 , tout en approchant 100 % du PIB.

Tableau n° 14 : Sensibilité du solde effectif et de la dette à la conjoncture

(en % du PIB)

2014

2015

2016

2017

2018

Scénario du Gouvernement

Croissance (en %)

0,4

1,0

1,5

1,5

1,75

Solde effectif

- 4,0

- 3,8

- 3,3

- 2,7

- 1,9

Dette publique

95,0

96,3

97,0

96,9

95,5

Scénario du Gouvernement + ½ point de croissance

Croissance (en %)

0,4

1,5

2,0

2,0

2,25

Solde effectif

- 4,0

- 3,6

- 2,8

- 2,0

- 0,9

Dette publique*

95,0

95,6

95,4

94,1

91,4

Scénario du Gouvernement - ½ point de croissance

Croissance (en %)

0,4

0,5

1,0

1,0

1,25

Solde effectif

- 4,0

- 4,0

- 3,8

- 3,5

- 3,0

Dette publique*

95,0

97,0

98,6

99,7

99,7

* Il est supposé que seule la variation de la dette imputable au déficit est sensible aux évolutions du PIB (les éléments exogènes, soit ceux non pris en compte dans le calcul du déficit mais comptabilisés dans la dette publique, conformément aux règles européennes - dettes contractées par le FESF, apports au capital du MES, etc. -, sont déterminés en retenant les hypothèses du projet de programme de stabilité pour les années 2015 à 2018).

Source : commission des finances du Sénat (à partir des hypothèses du projet de programme de stabilité pour les années 2015 à 2018 appliquées aux données établies par l'Insee en mars 2015)

Il convient de souligner qu' il est absolument nécessaire que la France parvienne à respecter les engagements pris dans le cadre de ce programme de stabilité dans la mesure où elle figure parmi les « mauvais élèves », en matière budgétaire, de la zone euro et de l'Union européenne . Au regard des données publiées par la Commission européenne en février dernier, il apparaît que notre pays, avec un déficit de 4 % du PIB en 2014, affiche le solde public effectif le plus dégradé avec l'Espagne (- 5,6 % du PIB), la Slovénie (- 5,4 % du PIB) et le Portugal (- 4,6 % du PIB).

S'agissant de la dette publique, la France, avec un taux d'endettement de 95 % du PIB, figure parmi les huit pays de l'Union européenne à afficher un niveau de dette supérieur à 90 % du PIB , avec l'Espagne (98,3 % du PIB), la Belgique (106,4 % du PIB), Chypre (107,5 % du PIB), l'Irlande (110,8 % du PIB), le Portugal (128,9 %), l'Italie (131,9 % du PIB) et la Grèce (176,3 % du PIB).

En conclusion, si tous les pays européens ont vu, durant la crise, leurs finances publiques se dégrader, la France figure parmi ceux dont la situation budgétaire s'est le moins améliorée . Au cours des dernières années, notre pays a affiché une progression des dépenses publiques significativement supérieure à nos partenaires européens.

Il ne fait aucun doute que les hypothèses macroéconomiques retenues par le Gouvernement sont plus prudentes que par le passé. Toutefois, le changement des « méthodes », en particulier à travers la révision des hypothèses de croissance potentielle, est, lui, critiquable . Aussi est-il probable que la Commission européenne, dans quelques mois, sera amenée à demander à la France de mieux documenter ses efforts budgétaires - celle-ci n'ayant « identifié » que 25 milliards d'euros d'économies dans le programme de 50 milliards d'euros d'économies annoncé par le Gouvernement -, mais également d'adopter des mesures additionnelles et d'engager de véritables réformes structurelles .

M. Michel Bouvard . - On comprend bien la préoccupation du Gouvernement de ne pas « casser » la croissance par des mesures d'ajustement trop brutales. Ceci étant, on ne m'ôtera pas l'idée que l'on ajourne à nouveau les réformes structurelles. Il y a deux effets d'aubaine
- dont personne ne peut dire s'ils seront durables : premièrement, la baisse des prix du pétrole et, deuxièmement, les conditions favorables dans lesquelles nous nous endettons. Je note que les pays qui ont le même taux d'endettement que la France empruntent à un taux d'intérêt beaucoup plus élevé. S'il n'y a pas d'inversion de notre taux d'endettement, la qualité de notre signature va se dégrader et, fatalement, le taux d'intérêt auquel la France emprunte augmentera fortement. Le vrai danger est là.

J'ai une question ponctuelle sur les prêts à taux zéro aux collectivités territoriales qui investissent, au titre du fonds de compensation de la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA), et sur la compensation de ces prêts bonifiés à la Caisse des dépôts et consignations (CDC). Cette mesure permettra aux collectivités territoriales d'améliorer leur structure d'endettement, mais je doute qu'elle produise quelque effet que ce soit. En revanche, pour m'être battu pendant cinq ans pour effacer tous les prêts bonifiés octroyés par la CDC, j'espère que la bonification de ces nouveaux prêts sera bien supportée par l'État et non par la Caisse des dépôts et consignations elle-même. Nous devons savoir qui paye la bonification.

M. François Marc . - Je remercie le rapporteur général de cette présentation fouillée. Lors de l'examen de la loi de programmation des finances publiques pour les années 2014 à 2019, vous aviez considéré que les hypothèses de croissance du Gouvernement étaient surestimées et à ce titre, vous aviez supprimé la trajectoire proposée au motif que les prévisions n'étaient pas tenables. Quel que soit l'avis du Haut Conseil des finances publiques, le travail gouvernemental est sérieux et tient compte de multiples contraintes.

Après avoir entendu, hier, le ministre des finances et des comptes publics, Michel Sapin, et le secrétaire d'État chargé du budget, Christian Eckert, j'émets un avis tout à fait favorable au programme de stabilité que le Gouvernement va transmettre à Bruxelles. Il ne faudrait pas se trouver dans le cas de figure dans lequel la croissance serait moins importante que prévu. C'est pourquoi il ne faut pas stopper la croissance frémissante dans son élan car les conséquences directes seraient moins d'emplois et les conséquences indirectes seront un accroissement du poids de la dette et une amélioration beaucoup plus lente du solde effectif. Par conséquent, je pense que le Gouvernement envoie à Bruxelles la meilleure copie imaginable dans le contexte actuel, pour qui veut encourager la reprise de la croissance.

Mme Fabienne Keller . - Je remercie le rapporteur général pour son analyse de la sensibilité des soldes publics et de la dette à la conjoncture, ainsi qu'à l'évolution des dépenses publiques. Ma première réflexion concerne l'amélioration de la situation économique : celle-ci bénéficie largement de la baisse des prix du pétrole et la dépréciation de l'euro. Mais je souhaite rappeler que toutes les économies européennes, voire mondiales dans le cas des prix du pétrole, bénéficient de ces facteurs favorables. Cela signifie que notre positionnement concurrentiel ne s'améliore pas.

Hier, le ministre a évoqué les économies des collectivités territoriales : il semblerait qu'il s'agisse d'économies attendues en raison, notamment, de la baisse du prix du pétrole. S'achemine-t-on vers un ONDAM des collectivités locales ?

Mme Michèle André , présidente . - Il existe !

M. Michel Bouvard . - Il a été voté !

Mme Fabienne Keller . - Mais va-t-il se resserrer ? D'où vient ce chiffre de 1,2 milliard d'euros ? A-t-on commencé la négociation sur le projet de loi de finances pour 2016 ?

M. Michel Bouvard . - L'objectif national de la dépense locale (ODEDEL) devrait être gagé par une réduction des normes s'appliquant aux collectivités territoriales !

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - C'est ce que nous avions proposé lors de l'examen du projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2014 à 2019 !

M. Claude Raynal . - Je note votre tonalité toujours très pessimiste. S'il est vrai que nous vivons une période complexe - et il faudrait que nous reconnaissions tous que nous sommes dans une situation exceptionnelle depuis 2009 -, nous devrions considérer positivement les bonnes surprises que sont les chocs exogènes actuels qui nous sont plutôt favorables !

Grâce aux faibles taux d'intérêt, tout ce qui est pris n'est plus à prendre : ce sont des économies directes et permanentes. Maintenant, il faut savoir comment gérer la dette française et comment anticiper pour utiliser au mieux les marges de manoeuvre.

Essayons de ne pas toujours être pessimistes ! D'ailleurs, monsieur le rapporteur général, votre conclusion était beaucoup plus nuancée que l'ensemble de votre propos. Vous avez dit qu'il y avait de bonnes choses de faites, vous avez également souligné qu'il existait des fragilités. Je crois qu'on peut partager ce double constat.

On sait, sur certains points, qu'on ne peut plus faire de prospective de trop long terme ; sur les mêmes chiffres, mais dans un contexte différent, le Haut Conseil des finances publiques qualifie, à cinq mois d'écart, la vision du Gouvernement d'optimiste puis de prudente. Nous devons, nous aussi, être attentifs à cela : je m'étonne, par exemple, de voir un tableau présenté par le rapporteur général sur des prévisions d'économistes qui datent d'octobre 2014 !

Aujourd'hui, même si le Haut Conseil des finances publiques émet un certain nombre de réserves sur le projet présenté par le Gouvernement, je crois qu'il faut un peu se détendre : les perspectives sont meilleures, le Gouvernement « fait le job » et ceux qui nous parlent de réformes structurelles n'en ont jamais fait par le passé.

Je vous encourage donc, mes chers collègues, à avoir un discours un peu positif vis-à-vis de ceux qui nous lisent ou nous écoutent, de manière à peser, nous aussi, sur la croissance et la confiance.

M. Francis Delattre . - Je suis d'accord avec François Marc : le contexte est difficile. Selon l'Insee, il y aura 100 000 chômeurs de plus cette année, il faut réformer les régimes AGIRC-ARRCO, les caisses de chômage car tout cela a un coût, qui se traduira par une hausse des cotisations sociales.

Alors on nous rétorque : le CICE ! Nous avons toujours pensé que le CICE était un dispositif assez compliqué : il l'est tellement que même quand on la demande au ministre, on a un mal fou à connaître la somme versée aux entreprises à ce titre.

On économise 0,2 milliard d'euros sur les dividendes des entreprises, mais l'État a augmenté sa participation capitalistique chez Renault de 1,2 milliard d'euros. C'est une bonne chose, c'est le capitalisme à la chinoise. Il faudrait même aller plus loin et créer un fonds de pension national, capable d'intervenir intelligemment. Mais cette somme de 1,2 milliard d'euros figure-t-elle quelque part ? Il faut que nous nous intéressions à ces sujets au lieu d'en rester à des concepts. Je crois que les décisions prises par le ministre de l'économie à ce titre sont très importantes. Nicolas Sarkozy le disait : il nous faut des champions nationaux.

Je travaille actuellement avec plusieurs d'entre vous sur le crédit d'impôt recherche (CIR) et le problème auquel sont confrontées les entreprises est très clair : les concepts d'ingénierie financière sont souvent trop difficile à appliquer.

M. Michel Canevet . - On ne peut que se féliciter des efforts du Gouvernement de réduction des dépenses publiques malgré un contexte économique particulièrement dégradé. En revanche, je ne suis pas satisfait des réponses apportées par Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics, et Christian Eckert, secrétaire d'État au budget, lors de leur audition, hier, concernant les finances des collectivités territoriales. Nous ressentons le nouveau « tour de vis » qui a été effectué par le Gouvernement en termes de dotations car, parallèlement, les collectivités territoriales ont subi de nouvelles contraintes et supporté de nouvelles charges qui ne permettent pas de compenser cette baisse en réalisant des économies. L'équilibre des comptes d'un certain nombre de collectivités territoriales risque ainsi d'être altéré.

Si la baisse des dépenses améliore l'état des finances publiques, je ne pense pas que les mesures prises par le Gouvernement seront efficaces pour améliorer la croissance. À mon sens, c'est l'emploi qui soutient la croissance, et non l'inverse. Or, les chiffres concernant l'emploi ne s'améliorent pas.

Il paraît ainsi indispensable de prévoir une baisse générale des charges sociales pesant sur nos entreprises, afin de les rendre plus compétitives au niveau international et d'améliorer, ainsi, notre balance commerciale ainsi que notre situation économique. Même s'il est tabou dans notre pays d'envisager une hausse d'impôt, cette baisse des charges sociales devrait être compensée par une hausse du taux de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) afin de ne pas altérer la situation de nos finances publiques.

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - Pour répondre à Michel Bouvard, je pense également que la situation actuelle est fragile et qu'elle risque d'avoir un effet anesthésiant. Si le contexte économique s'améliore grâce notamment à la baisse du cours du pétrole, au taux de change de l'euro et à des taux d'intérêt particulièrement bas, les États sont susceptibles de recourir encore à des solutions de facilité, en continuant à emprunter et donc à s'endetter, sans procéder aux réformes structurelles nécessaires. Ce risque, que rappelle régulièrement le président de la BCE Mario Draghi, est réel.

Lors de son audition, hier, devant la commission des finances, je n'ai pas obtenu de réponses précises de Michel Sapin à mes questions concernant le financement des mesures nouvelles annoncées par le Gouvernement le 8 avril dernier afin d'accélérer l'investissement, qu'il s'agisse de l'avantage fiscal exceptionnel pour les investissements industriels des entreprises, de la hausse du budget alloué à l'Agence nationale de l'habitat (ANAH) en 2015 ou encore de la prolongation d'un an du crédit d'impôt pour la transition énergétique (CITE). Il m'a simplement été indiqué que le coût de ces dispositifs serait couvert par la réalisation d'économies.

De même je ne dispose d'aucune information précise sur les modalités de financement du dispositif de préfinancement à taux zéro des remboursements versés par l'État au titre du FCTVA, mais il me semble évident que sa création résulte bien de la volonté que la Caisse des dépôts et consignations en assure la charge sur ses fonds d'épargne et d'éviter, par cet artifice, le recours à des dépenses budgétaires pour l'État. Il s'agit bien là d'un retour de la même dérive que pour les prêts bonifiés qui étaient accordés aux collectivités territoriales.

Je ne suis pas d'accord avec l'analyse de François Marc qui considère que les chiffres retenus par le Gouvernement dans le programme de stabilité rejoignent ceux de la programmation des finances publiques pour les années 2014 à 2019, qui n'avait pas été adoptée par le Sénat à l'automne dernier en raison, notamment, du fait que les hypothèses de croissance n'étaient pas réalistes. Pour l'établissement de cette loi de programmation, le Gouvernement était, au contraire, bien plus optimiste puisqu'il prévoyait une croissance de 1,7 % en 2016, 1,9 % en 2017 et 2 % en 2018, contre respectivement 1,5 %, 1,5 % et 1,75 % pour ces mêmes années dans le cadre du programme de stabilité que nous examinons aujourd'hui.

Comme l'avait indiqué le Haut Conseil des finances publiques dans son avis relatif au projet de loi de programmation, les hypothèses de croissance péchaient alors par optimisme et c'est la raison pour laquelle le Sénat n'avait pas adopté les dispositions de programmation de ce texte. Le Gouvernement est aujourd'hui bien plus prudent en revoyant ses prévisions.

Comme le soulignait Claude Raynal, le taux de croissance de 1 % retenu pour 2015 dans le programme de stabilité paraît effectivement raisonnable, compte tenu de l'amélioration d'un certain nombre de facteurs, notamment macroéconomiques, et en phase avec les estimations de la Commission européenne. Il est même plus faible que celui avancé par le Fonds monétaire international (FMI) et l'OCDE.

Fabienne Keller a souligné la forte sensibilité de la dette et du déficit à la conjoncture économique. Il ne s'agit pas d'être pessimiste, mais simplement de constater que nous vivons dans un monde incertain. Nos repères économiques sont chamboulés, notamment du fait de la baisse de l'inflation. Ainsi, toute modification, même légère, du taux de croissance, emporte d'énormes conséquences sur le plan budgétaire.

Il ne s'agit pas de se faire peur à tout prix : pour répondre à Claude Raynal, et lui démontrer que nous ne sommes pas pessimistes par nature, il faut rappeler que nous avons également présenté un scénario plus optimiste que celui du Gouvernement.

M. Claude Raynal . - Vous ne vous êtes pas attardé sur ce point !

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - Quant aux interrogations sur la pertinence actuelle de prévisions établies en octobre 2014, je voudrais insister sur le fait qu'il ne faut pas confondre croissance effective et croissance potentielle. Le « consensus des économistes » que nous avons choisi de présenter et qui date de la fin de l'année 2014 concerne bien la croissance potentielle, et celle-ci n'a pas vocation à être modifiée régulièrement, puisqu'elle reflète les fondamentaux productifs d'une économie donnée. Alors que le Gouvernement avait choisi à l'automne, dans la loi de programmation pour les années 2014-2019, de suivre les prévisions de la Commission européenne en matière de croissance potentielle, il en diverge désormais fortement : la Commission européenne a baissé son estimation de la croissance potentielle pour la France et le Gouvernement l'a augmentée. Si nous n'avons pas de critiques de fond sur les prévisions du Gouvernement en matière de croissance effective, nous sommes en revanche beaucoup plus réservés sur la révision à la hausse de la croissance potentielle, d'autant plus qu'elle nuit à la lisibilité de la politique menée par le Gouvernement et au bon déroulement du contrôle du Parlement.

Concernant les collectivités territoriales, que vous êtes plusieurs à avoir évoquées, il n'y a eu à ma connaissance aucune annonce de nouvelle baisse des dotations, mais le Gouvernement a pris, sur toutes les administrations publiques, l'engagement d'une moindre croissance de la dépense publique d'environ 50 milliards d'euros, en considérant que les conditions économiques favorables vont également influencer les dépenses des collectivités locales : la faible inflation devrait favoriser le ralentissement de l'évolution des salaires, et le faible prix du pétrole allégerait certains achats. Il s'agit donc, en quelque sorte, d'économies de constatation.

Michel Canevet a évoqué le poids des normes qui pèsent sur les collectivités territoriales et qui rend d'autant plus difficile la baisse des dotations. Sur ce sujet, le Sénat s'est montré, sur tous ses bancs, constructif durant les discussions relatives au projet de loi de finances pour 2015 : aucun d'entre nous n'a rejeté l'idée d'une baisse des dotations aux collectivités locales. Le groupe socialiste a suggéré un étalement dans le temps et la majorité sénatoriale a proposé de déduire de la baisse des dotations le coût des charges nouvelles imposées par l'État. L'inflation des normes et des charges est toujours d'actualité, notamment avec l'obligation de revalorisation des bas salaires, du RSA pour les départements, et ne facilitera pas l'atteinte des objectifs du Gouvernement en matière de maîtrise de la dépense des collectivités territoriales.

Pour répondre à Francis Delattre qui s'interrogeait sur le montant de 200 millions d'euros provenant de dividendes des entreprises: j'ai interrogé hier le ministre des finances à ce sujet, qui a expliqué qu'il s'agissait notamment de dividendes de la Banque de France.

M. Michel Bouvard . - Ce sont des questions de gestion du portefeuille.

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - Il faut souligner que les revenus issus des actifs détenus par l'État ne proviennent pas d'opérations patrimoniales de cession ou d'achat d'actifs, comme la prise de capital de Renault par l'État, à hauteur de 1,2 milliard d'euros, évoquée par Francis Delattre. Le programme de stabilité ne retrace d'ailleurs pas la gestion patrimoniale de l'État.

Pour conclure, les hypothèses macroéconomiques du Gouvernement nous paraissent, dans l'ensemble, prudentes et raisonnables mais il faut que soit davantage documenté l'effort d'économies supplémentaires annoncé. La prévision d'évolution de la dépense publique au cours des années 2015 à 2018 est en effet extrêmement ambitieuse, puisqu'elle ne devrait croître que de 0,5 % en moyenne annuelle. Pour mémoire, la dépense publique a crû de 1,1 % en 2014. Dans un contexte aussi tendu que le nôtre, un écart même minime aux hypothèses retenues peut avoir de lourdes conséquences sur le solde et la dette publics. Notre commission devra donc faire preuve d'une vigilance toute particulière quant à l'exécution de ce programme.

Je regrette, enfin, que nous n'ayons pas eu l'occasion de débattre en séance de ces sujets.

Mme Michèle André . - Je rappelle la possibilité, pour les groupes politiques qui le souhaitent, de présenter leur point de vue sur le projet de programme de stabilité sous la forme d'une contribution écrite, dès lors qu'ils ne peuvent l'exprimer lors d'un débat en séance.

La commission a donné acte de sa communication au rapporteur général et en a autorisé la publication sous la forme d'un rapport d'information.

AUDITIONS DE LA COMMISSION

I. AUDITION DE MICHEL SAPIN, MINISTRE DES FINANCES ET DES COMPTES PUBLICS, ET DE CHRISTIAN ECKERT, SECRÉTAIRE D'ÉTAT CHARGÉ DU BUDGET, SUR LE PROJET DE PROGRAMME DE STABILITÉ 2015-2018 (15 AVRIL 2015)

Réunie le 15 avril 2015, sous la présidence de Mme Michèle André, présidente, la commission a entendu MM. Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics, et Christian Eckert, secrétaire d'État chargé du budget, sur le projet de programme de stabilité pour les années 2015 à 2018.

Mme Michèle André , présidente . - La présentation du programme de stabilité est devenue un moment important de notre année budgétaire, en particulier depuis qu'il est transmis aux autorités de l'Union européenne, dans le cadre du semestre européen et de l'article 121 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. Le droit européen prévoit que le programme de stabilité doit être soumis avant la fin du mois d'avril ; le programme national de réforme répond au même calendrier. La Commission présentera une recommandation de recommandation au Conseil, lequel adressera une recommandation à la France au début de l'été.

Au niveau national, le projet de programme de stabilité est adressé au Parlement au moins deux semaines avant sa transmission à la Commission européenne, et donne lieu à un débat puis à un vote, qu'il n'est pas toujours possible d'organiser - nous sommes dans ce cas cette année, comme l'a constaté la Conférence des Présidents du 8 avril dernier. Pour autant, notre assemblée reste très attentive à ces documents essentiels sur lesquels le conseil des ministres a délibéré ce matin. Nous avons déjà entendu le président du Haut Conseil des finances publiques, et nous entendrons la communication du rapporteur général demain matin. Nous sommes heureux d'accueillir ce soir Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics et Christian Eckert, secrétaire d'État chargé du budget. Enfin, je salue la présence de nos collègues de la commission des affaires européennes auxquels cette audition est ouverte.

M. Jean Bizet , président de la commission des affaires européennes . - Tout en me réjouissant de votre présence parmi nous, je ne peux m'empêcher de vous dire, messieurs les Ministres, combien nous regrettons que le Gouvernement n'ait pas donné suite à notre invitation à débattre en séance du programme de stabilité. Le semestre européen ne peut se dérouler sans un contrôle démocratique plein et entier. Nous réfléchissons au niveau européen à développer une expression collective des parlements nationaux à travers la Conférence dite « de l'article 13 » du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG). Il est essentiel que le Parlement puisse faire connaître son appréciation sur le programme de stabilité : gardons-nous d'un dialogue exclusif entre l'exécutif et les autorités européennes ; il ne ferait que renforcer la défiance de nos concitoyens à l'égard du projet européen.

Nous avons tous à l'esprit la recommandation adressée à la France par la Commission européenne au début du mois de mars. Nous en avions débattu avec le vice-président, Valdis Dombrovskis. La France a obtenu un report jusqu'en 2017 pour ramener son déficit à moins de 3 % du PIB, avec une obligation de mettre en oeuvre des mesures d'ajustement. D'ici le 10 juin, 4 milliards d'euros devront être affectés à l'effort structurel, qui s'ajouteront aux 50 milliards prévus pour 2016 et 2017. Si l'on considère que la Commission européenne ne retient que 25 milliards sur les 50 annoncés par le Gouvernement, l'effort attendu s'élève à 79 milliards d'euros d'économies. Comment le programme de stabilité prend-il en compte ces contraintes ? Quel effort sera fait pour réduire le poids des dépenses publiques ? Le Gouvernement pourra-t-il tenir l'objectif de 50 milliards d'économies annoncé à l'automne ? Enfin, notre pays reste visé par la procédure concernant les déséquilibres macroéconomiques introduite par le « six pack » dès décembre 2011. Nous sommes classés dans la cinquième catégorie avec la Croatie, la Hongrie, l'Italie et le Portugal. Que peut-on attendre du programme national de réforme dont le rôle est crucial sur ce sujet ?

M. Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publiques . - La présentation du programme de stabilité est un moment important que nous partageons tous les ans. La procédure s'applique à l'ensemble des pays de l'Union européenne, a fortiori aux membres de la zone euro. Puisque nous partageons la même monnaie, il est tout à fait légitime que nous acceptions de nous soumettre au regard attentif et critique de nos partenaires. En contrepartie de notre solidarité, il nous faut coordonner nos politiques budgétaires et convenir ensemble des réformes qui auront des conséquences sur la croissance de la zone euro.

Cette procédure déjà rodée marche sur deux jambes, dont l'une est le programme de stabilité qui couvre les grandes orientations macroéconomiques (données sur les déficits, poids de la dette, prélèvements obligatoires, dépense publique par rapport au PIB, etc.) sur lesquelles se construit la stratégie financière d'un pays sur une période de trois ans ; l'autre est le programme national de réforme qui inclut les mesures structurelles, profondes et durables qui modifient le tissu économique du pays, mais aussi sa situation budgétaire. Plus de croissance, c'est en effet une meilleure capacité à faire face aux situations budgétaires difficiles. Avec Christian Eckert, nous vous présenterons la trajectoire budgétaire de notre pays sur trois ans ; Emmanuel Macron reste à votre disposition pour détailler le programme national de réforme, qu'elles soient accomplies, en cours ou à venir. Je sais combien les sénateurs comme les députés regrettent de ne pas avoir pu avoir de débat dans l'hémicycle sur le programme de stabilité ; nous sommes d'autant plus à votre disposition, ce soir.

L'objectif fondamental du programme de stabilité est que la France retrouve une croissance suffisante pour faire reculer le chômage. Loin de nous livrer à un exercice théorique d'une technicité incroyable, nous voulons que ce programme soit une stratégie au service de la croissance et de l'emploi. Il mobilise les trois moteurs classiques de la croissance, au premier rang desquels la consommation, relancée en 2014 et toujours active, grâce aux baisses d'impôts : 9 millions de foyers fiscaux vont voir baisser leurs impôts et trois millions seront dispensés d'impôt sur le revenu. À cela s'ajoutent les bénéfices d'une inflation nulle qui, conjuguée à une évolution des revenus positive, a favorisé le pouvoir d'achat des ménages.

Le deuxième moteur s'allume progressivement : les exportations contribuent à créer de la croissance dans notre pays et par-delà, dans la zone euro. Avec le reste du monde, elles sont favorisées par le cours actuel de notre monnaie qui bénéficie aux entreprises.

Enfin, troisième moteur de la croissance, l'investissement des entreprises, stable voire négatif en 2014, reprend légèrement en 2015 (1,2 %) et commence à monter en régime. Il devrait augmenter de 4,6 % en 2016, ce qui n'est pas forcément considérable, mais reste absolument nécessaire. D'où notre volonté d'accélérer l'investissement par un avantage fiscal pour une durée d'un an, disposition dont vous aurez bientôt à débattre, dans le cadre du projet de loi sur la croissance et l'activité.

Le Haut Conseil des finances publiques a souligné la prudence de nos hypothèses de croissance. La loi de finances pour 2015 avait prévu un taux de croissance de 1 % en 2015. Même si les observateurs - FMI ou autres - s'accordent à dire qu'il sera en réalité plus élevé, nous préférons nous en tenir à cette hypothèse prudente, quitte à reporter sur le niveau du déficit public les effets bénéfiques d'un meilleur résultat. Nos hypothèses affichent la même prudence pour 2016 et 2017, avec un niveau de croissance de 1,5 %, révisé à la baisse par rapport aux hypothèses précédentes. Alors que les hypothèses de croissance étaient un objectif à atteindre, nous préférons les envisager comme un plancher. Nous gagnons ainsi en crédibilité auprès de nos concitoyens comme de nos partenaires européens.

Quant à la trajectoire du déficit, elle est conforme à 0,2 point près à la loi de programmation des finances publiques que le Parlement a votée à la fin de l'année dernière, et elle respecte la dernière recommandation de la Commission européenne. L'Europe recommandait 4 % pour 2015, nous prévoyons 3,8 % de déficit ; elle demandait 3,4 % pour 2016, nous prévoyons 3,3 % ; elle préconisait 2,8 % pour 2017, nous prévoyons 2,7 %. Là encore, nous avons souhaité conserver une marge de sécurité. Ce schéma exigeant mais réaliste est considéré par tous comme crédible. Pour la première fois depuis longtemps en situation de respecter ses engagements, la France a la capacité de passer la barre des 3 % en 2017.

Augmenterons-nous les impôts pour respecter ces orientations ? Non, nous ferons plutôt l'inverse. Les prélèvements obligatoires ont été stabilisés en 2014 par rapport à 2013, alors qu'ils n'avaient cessé d'augmenter depuis 2009. En 2015, ils sont prévus à la baisse, tant pour les foyers que pour les entreprises auxquelles nous offrons ainsi 12 milliards d'euros. Pour la première fois depuis très longtemps, les impôts diminueront par rapport au PIB, en 2015, 2016 et 2017. Nous maîtrisons nos finances sans austérité ni augmentation d'impôts.

Sommes-nous en capacité de maîtriser le poids de la dette par rapport au PIB, après les explosions survenues en 2009 et 2010 ? Tous les regards se focalisent sur le chiffre symbolique de 100 % de dette par rapport au PIB. Notre programme de stabilité confirme les analyses de l'ensemble des observateurs, y compris les agences de notation, selon lesquelles même si le poids de la dette continue d'augmenter légèrement en 2015 et se stabilise en 2016, la décrue s'enclenchera en 2017. Tant pour le déficit que pour les dépenses obligatoires, les impôts ou l'endettement, nous sommes sur les rails d'une gestion efficace.

Le Parlement a validé notre choix de diminuer le déficit par la réalisation d'un programme de 50 milliards d'euros d'économies. Si des efforts supplémentaires sont nécessaires en 2015, c'est pour atteindre les 21 milliards d'euros d'économies grâce auxquelles nous pourrons financer la baisse d'impôts, les dépenses prioritaires de l'État (éducation, sécurité, investissements d'avenir, etc.) et réduire le déficit. Nous n'aurons pas besoin de plus que ces 50 milliards d'euros pour respecter la stratégie de réduction des déficits et la baisse du déficit structurel de 0,5 point par an demandée par l'Europe.

Une inflation nulle alors que le prévisionnel était proche de 1 % a réduit le montant des économies prévues. C'est pour combler ce manque que nous avons ajouté des mesures nouvelles dégageant 4 milliards d'économies supplémentaires. Ces 4 milliards correspondent parfaitement à la réduction du déficit structurel de 0,5 point que la Commission européenne nous incite à faire. Notre politique nationale converge avec les règles européennes.

Une différence subsiste entre la dernière recommandation de la Commission européenne et notre programme de stabilité. Elle concerne l'effort supplémentaire d'ajustement structurel qui nous est réclamé en 2016 et 2017, soit 0,8 ou 0,9 point. La notion de déficit structurel est très discutée, surtout en période de sortie de crise.

Les résultats de 2014 sont bien plus favorables que ceux que la Commission avait pris en compte en élaborant sa recommandation. Elle prévoyait 4,3 % de déficit en 2014, alors qu'il n'a pas dépassé les 4 % dans notre pays. Tous les pays européens ont le souci de conforter la croissance naissante pour l'inscrire dans la durée. Nous suivons la même logique. Or, ce n'est pas un secret, la recommandation de la Commission aboutirait à casser la croissance en France, en la faisant passer à 0,7 % au lieu de 1,5 % en 2016, et aux alentours de 0,8 % en 2017. Et cela au nom du seul ajustement structurel, qui est une notion difficilement perceptible pour nos concitoyens plus sensibles aux questions de la dette, de la croissance ou du chômage.

Voilà pourquoi nous proposons une voie différente pour parvenir aux mêmes objectifs de déficit avec une croissance plus élevée, et un effort structurel fixé à 0,5 plutôt qu'à 0,8 ou 0,9. Des discussions sont en cours pour faire valoir ces arguments de bon sens auprès de la Commission européenne et de nos partenaires allemands, italiens ou espagnols, tout cela dans un dialogue exigeant mais positif.

M. Christian Eckert, secrétaire d'État au budget . - Les résultats 2014 sont bons, meilleurs qu'attendus. C'est la clef d'entrée pour présenter ce programme de stabilité qui diffère sur les lignes les plus techniques de la recommandation de la Commission. D'exécution à exécution, entre 2013 et 2014, les dépenses de l'État ont diminué de 3,3 milliards d'euros. Les dépenses de l'ONDAM sont inférieures de 1,1 milliard d'euros à la prévision initiale, et de 300 millions d'euros à la prévision révisée. La dépense publique totale a augmenté de 0,9 %, taux le plus faible depuis que les statistiques existent. Quant au déficit structurel, il est à son plus bas niveau depuis 2000.

En 2015, l'inflation très basse minore les économies prévues. Les mesures de sous-indexation rapportent moins qu'espéré : par exemple, le point de la fonction publique étant déjà gelé, nous n'en tirons aucune économie. Les gestionnaires publics, pour un même budget fixé en valeur, gagnent en pouvoir d'achat grâce à des prix plus bas qu'attendu et à la chute du prix du pétrole, facteur spécifique que nous n'avions pas prévu. Dans cette situation, nous maintenons notre effort à 50 milliards d'économies. Nous l'avons fait dès le début de l'année en finançant les dépenses nouvelles liées au renforcement de la lutte contre le terrorisme par des redéploiements au sein du budget de l'État, concrétisés par un décret d'avance dont vous avez été informés, ainsi que par l'augmentation de la réserve de précaution.

Nous dégageons 4 milliards d'euros supplémentaires pour compenser les manques à gagner. En raison de la baisse des taux d'intérêt, nous anticipons une économie de 1,2 milliard d'euros sur la charge de la dette. C'est une économie pérenne puisqu'il s'agit de remplacer les obligations à dix ans contractée à un certain taux en 2008-2009 par des obligations à un taux beaucoup plus faible : aux environs de 0,43 %. Les prévisions de taux d'intérêt contenues dans le programme de stabilité sont de 1,20 % pour la fin 2015, 2,10 % en 2016, et 3 % en 2017. Ce sont des prévisions prudentes.

Nous prévoyons également 1,2 milliard d'économies sur l'État et ses opérateurs. Sur l'État, des annulations de crédits seront mises en oeuvre en cours de gestion par voie réglementaire, au début du mois de juin. Les opérateurs seront également mis à contribution, par la réduction des versements opérés par le budget de l'État et par une modération de leurs dépenses.

Les dépenses de protection sociale ont été revues à la baisse, à hauteur de 1 milliard d'euros, notamment grâce à l'assurance maladie et à la diminution des frais de gestion des organismes. L'objectif national des dépenses d'assurance maladie (ONDAM) est limité à 2,05 %, alors que la loi de financement de la sécurité sociale prévoyait une augmentation de 2,1 %.

Nous anticipons des recettes supplémentaires. Une partie d'entre elles, de l'ordre de 400 millions d'euros, provient des régularisations effectuées auprès du service de traitement des déclarations rectificatives (STDR) qui accueille les « repentis » fiscaux ayant des avoirs à l'étranger. Le flot de dossiers ne tarit pas, 37 000 ont été déposés, environ 6 000 ont été traités complètement. Les dossiers les moins complexes, dont les enjeux sont inférieurs à 600 000 euros, sont confiés à quatre directions déconcentrées. D'autres recettes proviennent de dividendes de la Banque de France plus élevés qu'escomptés. Au total, le cumul de ces postes représente 4 milliards d'euros de recettes qui permettront de tenir le solde nominal de 3,8 % en 2015.

Pour 2016, nous maintenons le rythme de baisse des dépenses publiques, fixée à 0,7 point hors crédit d'impôt et charge d'intérêts par la loi de programmation des finances publiques (LPFP). Afin d'atteindre cet objectif, nous prévoyons des efforts complémentaires qui seront équitablement répartis entre les différentes administrations publiques selon leur poids respectif : la baisse des dépenses devrait être de 1,6 milliard d'euros pour l'État et les opérateurs publics, de 2,2 milliards d'euros en matière de santé et de 1,2 milliard d'euros pour les collectivités territoriales grâce aux marges de manoeuvre offertes par la moindre inflation, renforcées par les mesures de gouvernance, et le nouvel objectif d'évolution de la dépense publique locale (ODEDEL) inscrit dans nos textes financiers. Ces mesures seront détaillées et, je l'espère, validées en fin d'année.

Les prélèvements obligatoires ont été stabilisés à 44,7 % du PIB en 2014, ce qui constitue une inflexion majeure. Ils devraient s'établir à 44,4 % en 2015 et 44,2 % en 2017. Ainsi, entre 2012 et 2017, nous aurons réalisé une amélioration structurelle des finances publiques de 4,6 points de PIB, soit 90 milliards d'euros, reposant à 90 % sur des économies en dépenses. Ceci ne nous empêche pas de financer nos priorités : le Pacte de responsabilité, l'investissement, la revalorisation des minimas sociaux, les départs en retraites anticipés des carrières longues, les moyens nouveaux en faveur de l'éducation, de la justice, de la sécurité et le plan de lutte contre le terrorisme.

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - Je vous remercie d'être venu devant notre commission immédiatement après la présentation du programme de stabilité et du programme de réforme. Nos questions se focaliseront sur le programme de stabilité. Nous avons eu peu de temps pour étudier ce document, qui est parfois difficile à lire en raison de choix de méthode : le solde effectif - qui s'améliore - a opportunément remplacé les références au solde structurel...

Le Gouvernement maintient avec constance l'objectif affiché d'économies de 50 milliards d'euros. Pourtant, dans les documents adressés à la Commission européenne, il indique que si l'inflation tardait à redémarrer, il prendrait des mesures complémentaires pour assurer le respect des cibles nominales de déficit. Quelles seraient ces mesures, puisque l'idée d'une hausse des impôts a été écartée ? Iriez-vous au-delà des 50 milliards d'euros annoncés ?

Le Gouvernement a revu les prévisions de croissance potentielle à la hausse de 0,2 point à partir de 2016. Le Haut Conseil des finances publiques a déploré cette modification, s'agissant d'une estimation qui comporte de fortes incertitudes, quelques mois après le vote de la loi de programmation des finances publiques. Quels éléments nouveaux justifient cette révision alors que le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) et le Pacte de responsabilité étaient déjà connus au moment du vote, en décembre dernier ?

Emmanuel Macron a annoncé ce matin en séance le dépôt d'un amendement du Gouvernement visant à la mise en oeuvre d'un dispositif de « suramortissement » de l'investissement des entreprises. Lorsque le Sénat, presque unanime, avait voté un dispositif de ce type en loi de finances puis en loi de finances rectificative, vous nous l'aviez refusé car trop coûteux. Comment financerez-vous cette mesure nouvelle, encore plus puissante, dont le coût devrait dépasser 2 milliards d'euros en pluriannuel ? Cette somme s'ajoute-t-elle aux 4 milliards d'euros évoqués précédemment ? Des mesures de compensation sur l'impôt sur les sociétés sont-elles prévues ? La fin de la surtaxe sur les sociétés sera-t-elle différée ? Comment financez-vous la prolongation d'une année du crédit d'impôt transition énergétique ?

M. Michel Sapin, ministre . - En 2014, nous avons envisagé des mesures nouvelles pour atteindre l'objectif d'économies, car l'hypothèse d'inflation avait été revue à la baisse. Par honnêteté intellectuelle, nous avons précisé qu'une modification des hypothèses macroéconomiques aurait des conséquences et qu'il faudrait compléter nos mesures pour atteindre le volume d'économies que nous avons décidé. Ce raisonnement démontre qu'il est possible de dialoguer avec la Commission et avec nos partenaires
- ce qui est indispensable dans une zone dotée d'une monnaie unique - et de mettre en oeuvre les décisions votées dans le cadre de la loi de finances sans être dans une posture de soumission. Ainsi que le Haut Conseil des finances publiques l'a reconnu, nos prévisions de croissance sont très prudentes et nos prévisions d'inflation, inférieures à celles de la Commission européenne et de la BCE. Si des mesures nouvelles sont nécessaires, nous les prendrons. Nous avons minimisé le risque d'erreur.

En période de reprise d'activité, les économistes s'accordent à dire qu'il est très délicat d'apprécier la croissance potentielle. Vous nous reprochez d'avoir modifié notre hypothèse de croissance...

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - Il s'agit d'une critique du Haut Conseil !

M. Michel Sapin, ministre . - Il indique, vous l'avez souligné, qu'il existe de « fortes incertitudes » sur l'évolution de la croissance potentielle. La Commission européenne modifie ses prévisions tous les quatre mois, à la hausse ou à la baisse... De quoi parlons-nous ? Nous fixons une cible de déficit nominal et non structurel. Si nous atteignons cette cible, les règles européennes changent. Pour prendre une comparaison automobile, si nous ne roulons pas à la bonne vitesse, la Commission et nos partenaires peuvent ouvrir le capot pour savoir ce qui se passe, mais si nous roulons à la vitesse fixée, pas de raison d'arrêter le véhicule ! Pendant de nombreuses années, la France n'a pas atteint les objectifs fixés - ce qui conduisait la Commission à l'interroger sur ses efforts structurels. Pour 2014, elle a constaté que nous avions consenti les efforts nécessaires. Votre question est pertinente mais j'espère qu'elle a aujourd'hui moins d'actualité. La question est simple : le déficit de la France baisse-t-il ou non conformément à nos engagements ? Si oui, nous verrons en 2018 où nous en sommes... Je reviendrai volontiers vous rendre des comptes !

Christian Eckert vous donnera des précisions sur le dispositif de « suramortissement ». Il s'agit d'une baisse d'impôt et non d'une dépense. La question est de savoir comment nous la compensons pour rester dans le cadre de la cible que nous nous sommes fixée.

M. Christian Eckert, secrétaire d'État . - Il peut arriver qu'une famille souhaite changer de téléviseur et y renonce à un moment donné pour des raisons budgétaires. Quelques mois plus tard, la dépense devient possible. Je ne change pas une virgule à mes déclarations de novembre et décembre. Les résultats de l'année 2014 nous permettent d'envisager des mesures qui étaient hors de portée alors. Cela est pris en compte dans notre trajectoire budgétaire.

Un débat monte dans le pays sur la durabilité des mesures du Pacte de responsabilité - surtaxe de l'impôt sur les sociétés à 2,5 milliards d'euros, baisse des cotisations sociales, tranches supplémentaires de C3S, baisse du taux de l'impôt sur les sociétés dont l'ampleur n'est pas fixée. Le montant d'économies sur lequel le Gouvernement s'est engagé ne changera pas en volume. Les organisations syndicales, même patronales, veulent discuter de la ventilation. Nous pouvons avoir ce débat sereinement. Mais il est incohérent de réclamer dans le même temps stabilité, lisibilité et changement ! Les volumes sont arrêtés, nous procèderons uniquement à des ajustements ligne à ligne s'ils sont consensuels.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx . - Si le programme de stabilité s'appuie cette année sur un cadrage macroéconomique plus prudent, il ne gomme pas tous les aléas. La dynamique économique sera-t-elle au rendez-vous après plusieurs années de stagnation ? Je suis peu convaincue par notre capacité à tenir l'effort de réduction des dépenses sur la durée. Ces économies sont-elles pérennes et reportables d'année en année ? Qu'en est-il par exemple du solde de moindre décaissement au titre du programme d'investissements d'avenir ?

Au sujet des recettes, vous avez peu évoqué la situation des collectivités territoriales. L'État se défausse sur les collectivités. Les hypothèses de la loi de programmation mentionnent 5,3 milliards de recettes provenant de la hausse de la fiscalité locale...

J'en viens au prêt à taux zéro au bénéfice des collectivités locales. Les collectivités bénéficieront d'une avance sur les sommes versées par l'État au titre du fonds de compensation de la TVA pour améliorer leur trésorerie. Or les collectivités n'ont pas de problème de trésorerie mais d'équilibre budgétaire... Un problème que le prêt à taux zéro ne résoudra pas ! La baisse des dotations nous pose un problème d'équilibre en équipement et en fonctionnement.

M. Jacques Chiron . - Vous avez fait exactement la même chose en 2009 !

M. François Marc . - Je vous remercie pour cette présentation détaillée, pédagogique et convaincante. Je me félicite que vous fassiez renaître la confiance dans notre pays. Le Sénat avait rejeté la trajectoire du projet de loi de programmation des finances publiques au motif qu'elle était fondée sur des hypothèses trop optimistes mais les réalités économiques vous donnent aujourd'hui raison.

Je m'interroge sur les relations entre notre pays et l'Union européenne. Au niveau européen, une convergence d'analyse semble se dessiner entre la BCE - qui pratique désormais la facilitation quantitative afin d'aider les PME à investir - et la Commission européenne, qui a changé de doctrine, ni plus ni moins. La logique keynésienne retrouve droit de cité ; le « plan Juncker » en est une illustration. L'Union pourrait-elle dès lors entraver le redémarrage de notre économie ? Si nous poursuivons notre trajectoire et atteignons un objectif de 2,7 % de déficit en 2017, les institutions européennes peuvent-elles exiger des mesures additionnelles de notre pays ?

M. Michel Canevet . - Les perspectives d'amélioration des comptes publics me paraissent optimistes tout comme les prévisions d'augmentation de l'investissement des entreprises. J'ai rencontré hier à Londres des chefs d'entreprises : ils s'interrogent sur un départ à l'étranger compte tenu des blocages administratifs existant dans notre pays.

M. Michel Sapin, ministre . - Vous les aurez dissuadés...

M. Michel Canevet . - De nombreux entrepreneurs se sont déjà exilés à Londres pour développer leur activité. Il y a lieu de compléter le projet de loi « Macron ». La baisse d'investissement des collectivités territoriales a amélioré le solde des comptes publics en 2014 mais la nouvelle baisse de 1,2 milliard d'euros annoncée mettra les comptes des collectivités en péril. La loi relative à la nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe) ne produira pas d'économies réelles. Confirmez-vous l'existence de prélèvements supplémentaires au-delà des 3,6 milliards d'euros annoncés ? Quelles mesures accompagneront les efforts des collectivités pour équilibrer leurs comptes ? La baisse du prix du pétrole a-t-elle eu un effet positif sur notre balance commerciale ?

Mme Fabienne Keller . - Avez-vous mesuré l'impact sur le budget de la France de la baisse de la dotation de l'État aux collectivités locales ? La baisse des investissements des collectivités qui en découle n'aura-t-elle pas un effet négatif sur les recettes de l'impôt sur les sociétés ? L'amortissement accéléré de 2,5 milliards est entièrement financé en 2015, mais qu'en est-il en 2016 et 2017 ? La même question se pose au sujet du traitement des sociétés de projet.

M. Claude Raynal . - Notre réunion d'aujourd'hui traduit l'amélioration sensible de la situation économique du pays depuis la discussion du projet de loi de finances en novembre. Les excellents résultats de 2014 par rapport aux prévisions doivent être salués. Les perspectives 2015 et 2016 traduisent une vision totalement nouvelle : depuis dix ans, les gouvernements pèchent par optimisme ; cette année, vous présentez des hypothèses très prudentes. La position du Haut Conseil des finances publiques, celle des organismes internationaux, l'avis de la Commission vont dans le bon sens et sont susceptibles de ramener la confiance dont notre pays a besoin. Cette confiance aura elle-même un effet positif sur la croissance. Après des années de difficultés, nous pouvons enfin partager un rayon de soleil.

M. Michel Sapin, ministre . - Nos hypothèses macroéconomiques sont prudentes et réalistes - ce qui est fondamental pour la crédibilité de la France. Il en est de même de nos hypothèses sur la reprise de l'investissement. Ni l'Europe ni la France n'ont retrouvé les niveaux d'investissements publics ou privés d'avant 2007. Le déficit d'investissement cumulé est dramatique ! Il est impératif de réagir dans chaque pays et au niveau européen, faute de quoi le retard pris marginalisera notre continent. Une fois que l'investissement aura redémarré, nous retrouverons une confiance durable. Le rapport Gallois l'a souligné, il nous faut adopter des politiques de l'offre car des politiques classiques de soutien de la demande seraient inadaptées.

Vous m'avez interrogé sur la convergence entre les orientations françaises et européennes : elle est aujourd'hui considérable alors qu'elle restait à créer l'an dernier. Toute l'Europe s'est engagée dans la lutte contre la déflation. La Commission européenne a adopté l'idée de la neutralité budgétaire. Mes collègues européens s'accordent sur la nécessité de relancer l'investissement et de stimuler la croissance. La priorité donnée à la croissance est désormais le bien commun de l'Europe.

Je connais les contraintes budgétaires des collectivités territoriales. Pour autant, serait-il légitime qu'elles échappent à l'effort commun de maîtrise de la dépense publique dont elles représentent 25 % ? Toutes les dépenses des collectivités publiques ne sont pas nécessairement bonnes ! Au demeurant j'observe que, pendant la campagne électorale, certains responsables de l'opposition préconisaient des programmes de diminution des dépenses bien supérieures au nôtre. L'hétérogénéité de la situation des collectivités et des niveaux de dotations appelle sans doute des réponses mais nous ne pouvons partir du principe qu'il y aurait lieu de sanctuariser leurs dépenses.

Mme Fabienne Keller . - Nous n'avons pas défendu cette idée.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx . - Ne nous caricaturez pas !

M. Michel Sapin, ministre . - À l'image de l'État, les collectivités doivent consentir des efforts sur leurs dépenses de fonctionnement. La Cour des comptes a relevé l'évolution de ces dépenses, notamment les charges de personnel. Le budget de l'État diminue en valeur absolue : en 2013, les dépenses ont été inférieures aux dépenses 2014 qui seront elles-mêmes inférieures aux dépenses 2015. Nous demandons aux collectivités locales d'agir dans le même sens.

M. Christian Eckert, secrétaire d'État . - Vous avez trahi mes propos : nous envisageons de constater une diminution des dépenses des collectivités locales de 1,2 milliard d'euros ; nous ne demandons pas une baisse supplémentaire de 1,2 milliard.

Il ressort du rapport d'étape de la députée Christine Pires Beaune et de votre regretté collègue Jean Germain que les écarts de dotations par habitant entre des communes comparables peuvent aller de un à quatre voire à six. Je vous mets au défi d'expliquer les modalités de calcul de la dotation de garantie... Nous sommes tous coupables de cette complexité, mais reconnaissons qu'une grosse part est à imputer à la suppression de la taxe professionnelle. Nous devons entamer une réforme des dotations de l'État afin de les rendre lisibles - et parce que certains écarts n'ont aucune justification. Cela sera une tâche passionnante.

La baisse des dotations est certes difficile à entendre - moins d'ailleurs semble-t-il au Sénat qu'à l'Assemblée. Les dotations représentent un quart des recettes des collectivités locales. Nous les diminuons cette année de 6 %, soit une baisse de 1,5 % des recettes. Les autres recettes proviennent à 60 % d'impositions et, pour le solde, de loyers et des produits d'activités. Les recettes fiscales ont été accrues mécaniquement de 0,9 % du fait de vos votes sur la revalorisation des valeurs locatives, qui représente environ 580 millions d'euros. S'y ajoute l'impact des variations physiques des bases. Au total, la situation n'est pas facile mais, si l'on tient compte de la dotation de solidarité rurale (DSR), de la DSR-cible, de la dotation de solidarité urbaine (DSU), de la DSU-cible, du fonds national de péréquation (FNP), on s'aperçoit que, dans bon nombre de cas, la baisse de recettes au titre des dotations de l'État - sans citer le fonds national de péréquation des ressources intercommunales et communales (FPIC) dont certains peuvent se féliciter - n'est pas si significative. Les discours catastrophistes entretiennent le doute, minent la confiance : nous avons tous intérêt à travailler dans un esprit de responsabilité.

Nous sommes confrontés à des difficultés d'organisation au niveau de l'État, qui s'impose à lui-même un effort proportionnellement plus important que dans les autres secteurs de la dépense publique. Nous avons un objectif de stabilité en matière d'effectifs, que nous essayons de tenir sur l'ensemble de la législature. L'État exerce ainsi une action volontariste dans l'Éducation nationale, la justice et la sécurité, tout en demandant aux autres ministères de réduire leurs dépenses. Des milliers d'emplois ont donc été supprimés à la direction générale des finances publiques (DGFIP), dans les douanes, aux ministères de la culture, du travail ou de l'environnement. La tâche est rendue encore plus difficile par la loi de programmation militaire (LPM) que vous avez citée. À cause des impératifs de sécurité, le Président de la République a décidé de ne pas suivre le rythme prévu de réduction des effectifs en matière de défense.

Chacun souhaite la réduction de la dépense publique. Mais, tout est une priorité, de l'armée à la culture désormais sacralisée, ou aux dépenses de logement, essentielles aux dires d'un ancien Premier ministre. Lorsque la loi de santé a été discutée, les députés ont été nombreux à dire qu'il fallait revaloriser les honoraires de certaines professions médicales. Que reste-t-il alors pour faire les 150 milliards ou même les 120 milliards d'économie que demandent certains ? L'Éducation nationale et les retraites !

La loi de programmation militaire prévoit une recette exceptionnelle dégagée par la vente des fréquences hertziennes aux opérateurs de téléphonie mobile à hauteur de 2,2 milliards d'euros. Personne ne la remet en cause. En revanche, la date reste incertaine et un délai sera nécessaire pour encadrer les aménagements techniques qu'une telle opération nécessite. Une proposition de loi est en préparation. On a imaginé un dispositif impliquant des sociétés de projets ( Special Purpose Vehicle ou SPV), dont tout le monde sait désormais qu'elles seront considérées comme de la dépense au sens maastrichtien et que leur création est coûteuse. Nous avons une question de délai. S'il s'agit seulement de gagner quelques mois, voire une demi année pour 2 milliards d'euros qui seraient comptabilisés à un moment plutôt qu'à un autre moment, autant mettre des crédits budgétaires. C'est notre position.

Des discussions sont en cours avec le ministère de la défense. Pour préserver nos options, nous avons proposé un amendement au projet de loi « Macron » prévoyant la possibilité de mettre en place des SPV. Un Conseil de défense doit se réunir le 29 avril, où le Président de la République fera connaître ses arbitrages. Les 2,2 milliards prévus seront réalisés, peut-être pas dès cette année mais au début de l'année prochaine et, s'il s'agit de « faire le joint » pour quelques mois voire une année, nous arriverons à trouver les moyens en termes de livraison de matériel et de commande. Si l'arbitrage est rendu pour les sociétés de projet, il sera soumis au Parlement.

Mme Michèle André , présidente . - Nous vous remercions, monsieur le secrétaire d'État, pour votre franchise et votre disponibilité.

II. AUDITION DE DIDIER MIGAUD, PRÉSIDENT DU HAUT CONSEIL DES FINANCES PUBLIQUES, SUR L'AVIS DU HAUT CONSEIL RELATIF AUX PRÉVISIONS MACROÉCONOMIQUES ASSOCIÉES AU PROJET DE PROGRAMME DE STABILITÉ 2015-2018 (15 AVRIL 2015)

Réunie le 15 avril 2015, sous la présidence de Mme Michèle André, présidente, la commission a entendu M. Didier Migaud, président du Haut Conseil des finances publiques, sur l'avis du Haut Conseil relatif aux prévisions macroéconomiques associées au projet de programme de stabilité pour les années 2015 à 2018.

Mme Michèle André , présidente . - Conformément à l'article 17 de la loi organique du 17 décembre 2012 relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques, le Haut Conseil des finances publiques a été saisi par le Gouvernement des prévisions macroéconomiques sur lesquelles repose le projet de programme de stabilité pour les années 2015 à 2018.

Le Haut Conseil a rendu un avis le 14 avril 2015 appréciant la crédibilité du scénario macroéconomique retenu dans le cadre du projet de programme de stabilité et identifié les principaux aléas, positifs ou négatifs, entourant ce scénario.

M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes, président du Haut conseil des finances publiques . - Je vous remercie d'avoir bien voulu m'inviter devant votre commission pour vous présenter, en tant que président du Haut Conseil des finances publiques, les principales conclusions de l'avis relatif aux prévisions macroéconomiques associées au projet de programme de stabilité pour les années 2015 à 2018, qui devrait être rendu public aujourd'hui.

Je suis accompagné des membres du secrétariat permanent du Haut Conseil, François Monier, rapporteur général, Boris Melmoux-Eude, rapporteur général adjoint, Nathalie George et Annabelle Mourougane, rapporteurs.

C'est la troisième fois que le Haut Conseil est appelé à se prononcer sur le projet de programme de stabilité adressé par la France au Conseil de l'Union européenne et à la Commission. Comme vous le savez, l'avis du Haut Conseil, en application de l'article 17 de la loi organique du 17 décembre 2012, ne porte que sur les prévisions macroéconomiques sous-jacentes à la trajectoire de finances publiques jusqu'en 2018. Le Haut Conseil, s'il se prononce sur les seules prévisions macroéconomiques, ne peut, bien entendu, ignorer les finances publiques, qui ont un impact sur la situation économique.

Avant d'en venir aux observations du Haut Conseil sur les prévisions du Gouvernement concernant la période de programmation, je souhaiterais revenir brièvement sur le contexte macroéconomique actuel. Celui-ci a sensiblement évolué depuis le dernier avis du Haut Conseil, conduisant la plupart des analystes à revoir à la hausse leurs prévisions de croissance. Je rappelle, à cet égard, que le Haut Conseil ne produit pas lui-même de prévisions, mais s'appuie sur celles d'un ensemble d'organismes comprenant les institutions internationales - Commission européenne, Fonds monétaire international (FMI), OCDE -, l'INSEE et des instituts de conjoncture.

Nous observons, comme l'ensemble des analystes, que le contexte macroéconomique actuel bénéficie d'une conjonction de facteurs qui devraient soutenir un rebond, en France et, plus largement, dans l'ensemble de la zone euro. Deux moteurs principaux devraient y contribuer. La baisse du prix du baril de pétrole, de près de 40 %, depuis un an, tout d'abord, qui constitue un choc positif, à la fois de demande - en soutenant la consommation des ménages - et d'offre - via la baisse du coût des consommations intermédiaires des entreprises. Cela représente une économie de 20 milliards d'euros, qui bénéficie pour moitié aux entreprises et pour moitié aux ménages. La dépréciation de l'euro, d'environ 10 % en un an contre toutes les autres devises, en second lieu, qui contribue à améliorer la compétitivité-prix des exportations françaises, même si elle ne garantit pas de gains de parts de marché par rapport aux autres pays de la zone euro qui en bénéficient également.

Ces deux chocs positifs conduisent le Haut Conseil à considérer que l'hypothèse d'une accélération de la croissance dès 2015, jugée incertaine à l'automne à l'occasion de l'avis sur le projet de loi de finances qui s'inscrivait dans un contexte très différent, est désormais étayée.

À ces deux moteurs s'ajoutent d'autres paramètres de politique économique. En premier lieu, la politique de rachat d'actifs conduite par la Banque centrale européenne (BCE) depuis mars 2015, dont les effets se feront surtout sentir via la dépréciation de l'euro, compte tenu du fait qu'il n'y a pas de problème d'accès au crédit pour la majorité des entreprises françaises. En deuxième lieu, le ralentissement du rythme d'ajustement budgétaire en zone euro, après trois années de consolidation budgétaire importante et simultanée, qui pèsera donc moins fortement sur l'activité. En troisième lieu, les baisses d'impôts et de cotisations pour les entreprises mises en oeuvre dans le cadre du CICE et du Pacte de responsabilité et de solidarité, qui contribuent à baisser le coût du travail mais dont les pleins effets dépendent des comportements de marge des entreprises. Enfin, dans une moindre mesure, les plans de soutien à l'investissement, tant au niveau national, avec les mesures récemment annoncées, qu'au niveau européen, avec le « plan Juncker », qui pourraient stimuler l'activité à moyen terme.

Même si c'est encore de façon timide, les enquêtes de conjoncture annoncent les premiers indices d'une reprise qui devrait d'abord passer par la consommation. Celle-ci a bénéficié, au cours des derniers mois, d'un regain de pouvoir d'achat lié, notamment, à la baisse des prix de l'énergie et à l'amélioration de la confiance des ménages. S'agissant des entreprises, les carnets de commande se redressent progressivement, tout comme le climat des affaires, même si cela est plus marqué dans le commerce que dans l'industrie et les services. On n'observe pas, cependant, de reprise nette de la production à ce stade.

Si les ingrédients d'une reprise sont bien présents - je viens de les rappeler - des incertitudes demeurent sur l'ampleur de la reprise et sa pérennité. D'une part, les effets pleins d'une baisse du prix du pétrole et celle du change peuvent mettre du temps à se faire sentir sur la production, comme l'ont montré les épisodes de reprise passés - ils dépendront en grande partie du comportement de marge des entreprises -, d'autre part, la durée de ces chocs est imprévisible et leurs effets sont amenés à s'estomper. Ensuite, il faut rappeler que les conséquences de l'assouplissement quantitatif de la BCE - ou Quantitative Easing - sont encore mal connues, notamment sur l'inflation. À cet égard, les anticipations d'inflation à moyen terme sont inchangées, autour de 1,8 % pour les prévisionnistes, mais sont nettement inférieures pour les investisseurs financiers.

Au-delà des incertitudes sur les facteurs conjoncturels et les mesures de politique économique soutenant la croissance, d'autres freins pourraient également brider la reprise de l'économie française. Nous pensons en particulier à la faiblesse persistante de l'investissement, qui menace à terme d'obsolescence les capacités industrielles, et aux difficultés que pourraient rencontrer les entreprises françaises face à la concurrence de certains pays européens où le coût du travail a fortement diminué au cours des dernières années.

Malgré les réserves que je viens de mentionner, nous sommes bien en présence de facteurs favorables à un rebond de la croissance. La question est maintenant de savoir si nous réussirons à transformer l'essai. S'agira-t-il d'une reprise durable dans laquelle l'impulsion initiale donnée par la baisse du prix du pétrole et la dépréciation de l'euro enclencherait d'autres moteurs, ou d'un rebond sans véritable reprise, auquel cas l'économie française croîtrait durablement à des taux modérés ? En définitive, nous pensons que le rebond prévu en 2015 ne se transformera en une reprise durable que si la demande intérieure et les exportations prennent le relais des stimuli extérieurs, ce qui suppose un redémarrage de l'investissement.

Notre analyse de la situation macroéconomique prend également en compte l'importance des risques financiers qui se sont accrus depuis 2014.

La hausse des marchés boursiers a été massive et rapide aux États-Unis puis en Europe, faisant craindre une correction brutale. Dans un environnement de taux historiquement bas, les acteurs de marché recherchent davantage de rendement pour résoudre leur déséquilibre bilanciel, altérant ainsi la perception et la représentation du risque et du prix des actifs. Du côté des marchés des devises, la poursuite de l'appréciation du dollar serait de nature à enrayer la croissance américaine en pénalisant les exportations et à accroître la vulnérabilité des économies émergentes dont beaucoup sont endettées en dollar.

Ces facteurs sont très difficiles à quantifier et sont, par conséquent, peu intégrés dans les exercices de prévision, du Gouvernement comme des organisations internationales. Mais ce sont des risques qu'il faut garder à l'esprit.

Permettez-moi, à présent, de revenir plus en détail sur chacune des années de la prévision : 2015 et, ensemble, 2016, 2017 et 2018.

S'agissant de l'année 2015, le Haut Conseil considère que, compte tenu du contexte que je viens de décrire, la prévision de croissance du Gouvernement est désormais prudente. Dans le projet de loi de finances pour 2015, le Gouvernement retenait une prévision de 1 %. Cette prévision avait été, en l'état des informations disponibles à l'époque, jugée « optimiste » par le Haut Conseil des finances publiques. Malgré les profondes évolutions depuis l'automne, que j'ai mentionnées dans le premier temps de mon intervention, la prévision de croissance présentée dans le programme de stabilité est inchangée. Cela témoigne de la volonté de prudence du Gouvernement dans ce nouvel exercice de prévision sous-jacent à la trajectoire de finances publiques soumise aux autorités européennes. Le Haut Conseil ne peut que saluer cette démarche qui nous paraît bienvenue.

La prévision de croissance présentée par le Gouvernement s'appuie sur une accélération de la consommation, soutenue par l'amélioration du pouvoir d'achat des ménages et sur une progression plus rapide des exportations. Cette prévision est proche de celle retenue par la Commission européenne, les organisations internationales et le consensus des économistes qui se situent tous autour de 1 %, voire au-dessus - le FMI parlait, ce matin, de 1,2 %. Dans un contexte favorable lié à la baisse du prix du pétrole et à la dépréciation du change, elle est désormais jugée prudente par le Haut Conseil.

Les composantes de la demande retenues par le Gouvernement sont cohérentes avec cette prévision de croissance. Le faible rythme d'évolution de l'investissement des entreprises est en ligne avec un lent redémarrage de l'activité. La révision à la baisse de la croissance du commerce mondial s'inscrit dans les tendances observées au second semestre 2014. De même, le Haut Conseil estime que c'est à juste titre que les prévisions d'inflation et de masse salariale ont été revues à la baisse par rapport au projet de loi de finances pour 2015. Une inflation légèrement négative en moyenne annuelle en 2015 ne nous semble néanmoins pas être totalement exclue.

S'agissant des prévisions pour les années 2016 à 2018, le Haut Conseil considère que les prévisions de croissance sont prudentes et permettent d'assurer la crédibilité de la trajectoire nominale de finances publiques. Il formule cependant des réserves sur certains aspects du scénario.

Le Gouvernement retient une prévision de croissance annuelle de 1,5 % en 2016 et en 2017 puis 1,75 % en 2018 à laquelle contribuerait un redémarrage modéré de l'investissement. Ces chiffres sont revus à la baisse par rapport à la loi de programmation : moins 0,2 point en 2016, moins 0,4 point en 2017 et moins 0,3 point en 2018. À l'inverse, la croissance potentielle est revue à la hausse de 0,2 point dès 2016 pour intégrer l'effet des réformes structurelles.

Ce scénario de reprise durable était déjà celui du Gouvernement dans les précédents exercices, mais il en présente cette fois une version prudente avec une croissance qui n'accélèrerait que modérément en 2016, serait stable en 2017 et un peu plus élevée en 2018. Il ne tient pas compte, par construction, des risques financiers qu'il faut pourtant bien avoir à l'esprit. Il repose sur une reprise de l'inflation dont le Haut Conseil estime qu'elle pourrait être plus tardive en raison d'un taux de chômage encore élevé et d'un besoin de reconstitution de marge peut-être encore pas entièrement satisfait.

S'il reconnaît la prudence de ce scénario, le Haut Conseil s'interroge toutefois sur la pertinence d'un écart entre la production effective et la production potentielle - ou écart de production - très creusé pendant près d'une décennie et qui ne se réduit pratiquement pas à l'horizon 2018 : - 3,5 % de 2015 à 2017 et - 3,2 % en 2018. L'absence de fermeture de cet écart est le résultat du rapprochement d'hypothèses de croissance effective plutôt prudentes et d'estimations de croissance potentielle revues à la hausse à partir de 2016, de 0,2 point par an par rapport à la loi de programmation. Prévoir le maintien d'un écart de production aussi important pendant une si longue période, ne semble pas cohérent avec l'accélération de l'investissement, de l'inflation et des salaires retenue par ailleurs dans le scénario du Gouvernement. Une hypothèse de croissance potentielle moins élevée aurait permis un début de fermeture de l'écart de production. Pour la même trajectoire de déficit nominal, elle aurait conduit à un ajustement structurel moins important.

Enfin, le Haut Conseil regrette que la croissance potentielle, dont l'estimation est entourée de fortes incertitudes - comme il a eu l'occasion de le rappeler dans son avis relatif au projet de loi de programmation - ait été révisée quelques mois seulement après l'adoption de cette loi, en décembre 2014. Le fait que le programme de stabilité révise la croissance potentielle arrêtée dans la loi de programmation, qui constitue la référence pour examiner le respect, par le Gouvernement, des objectifs de solde structurel, pose à cet égard un problème de principe. En effet, cette révision rend peu lisible le partage entre les composantes conjoncturelles et structurelles du solde public et, partant, rend difficile l'analyse de la politique budgétaire.

Dans ces conditions, le Haut Conseil recommande que la croissance potentielle ne soit pas trop fréquemment révisée. Rappelons que pour apprécier la cohérence des textes financiers avec les orientations pluriannuelles de solde structurel, c'est la croissance potentielle présentée dans la dernière loi de programmation qui constitue la référence, en application des dispositions de la loi organique du 17 décembre 2012. C'est cette référence que le Haut Conseil doit utiliser dans ses avis sur les projets de loi de règlement ; c'est ce que nous ferons à la fin du mois de mai pour 2014.

Je vous remercie de votre attention et me tiens à votre entière disposition pour répondre à vos questions dans la limite des compétences qui sont les nôtres.

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - Le Haut conseil évoque des risques financiers importants - vous avez mentionné la hausse des marchés boursiers, les risques liés aux devises. Quels sont, plus précisément, les risques que vous avez identifiés. Peut-on craindre une bulle immobilière liée à la baisse des taux d'intérêt ? Un risque sur les activités d'assurance vie, du fait de la baisse du taux de rendement alors qu'ils sont garantis par les contrats ?

Tout le monde s'accorde à tabler sur une croissance de l'ordre de 1 % à 1,2 %. Le Haut Conseil a d'ailleurs fait évoluer sa sémantique et ne qualifie plus la prévision gouvernementale d'optimiste, mais de prudente. Le fait est que la baisse du cours du pétrole et celle des taux d'intérêt ne sont pas pour rien dans cette réévaluation. Mais la vraie question réside, à mon sens, dans ce que l'on peut lire en caractères gras dans l'avis du Haut Conseil : « Le Haut Conseil regrette [...] que la croissance potentielle, dont l'estimation est entourée de fortes incertitudes, ait été revue quelques mois seulement après l'adoption de la loi de programmation de décembre 2014. » Et vous ajoutez que « cette révision rend peu lisible le partage entre les composantes conjoncturelles et structurelles du solde public et plus difficile l'analyse de la politique budgétaire. » Autrement dit, trois mois seulement après la loi de programmation, dont vous rappelez qu'elle devrait être la norme, le Gouvernement révise la croissance potentielle. Si l'on change en permanence de référence, sur quoi fonder notre analyse ? Comment jouer notre rôle de contrôle du respect des engagements de la France ? Et quels sont les effets d'une telle révision sur le calcul du solde et de l'ajustement structurels ? Je rappelle qu'à l'initiative de Jean-Pierre Caffet, le Sénat avait inscrit dans la loi organique relative à la gouvernance et à la programmation des finances publiques le principe selon lequel le respect de la trajectoire du solde structurel devait être mesuré à partir des hypothèses de croissance potentielle figurant dans la loi de programmation. Il y a là un vrai problème de principe. Je rappelle que la loi de programmation est pluriannuelle. Modifier l'estimation de croissance potentielle pèse sur le solde, donc sur la définition des ajustements à opérer, et sur notre capacité d'analyse.

M. Didier Migaud . - Je précise que chacune des parties de l'exposé se termine par une conclusion en caractères gras. Nous relevons aussi, en caractères gras, que la prévision de croissance retenue par le Gouvernement est prudente...

M. Claude Raynal . - Chacun retient le gras qui lui convient !

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - Le propos est ici plus substantiel.

M. Didier Migaud . - Vous m'interrogez sur les risques financiers. C'est un fait que dans tous les scenarii, celui de la Commission européenne comme ceux d'autres organismes, ils ne sont guère intégrés. Celui du Gouvernement envisage une remontée des taux courts - de 0,1 % en 2015 à 0,7 % en 2018 - et des taux longs - de 0,7 % en 2015 à 3,3 % en 2018. Reste qu'il est difficile, faute d'instruments adéquats, d'intégrer l'ensemble des risques financiers.

Ce que l'on constate, en revanche, c'est une différence de perception sensible entre les acteurs des marchés financiers, inquiets de la montée de déséquilibres résultant de politiques monétaires accommodantes, et les conjoncturistes, qui s'accordent sur un rebond de l'activité en début d'année. Il ne faut pas négliger le sentiment des marchés - même si leur insistance actuelle est peut-être le contrecoup du silence qu'ils avaient observé en 2008 - car il fait partie des facteurs de risque. Le FMI insiste, lui aussi, sur les risques financiers. Le premier est boursier, et pourrait se traduire en une correction brutale. Le risque que vous avez évoqué sur l'assurance vie peut aussi être réel si les taux remontent brutalement. On ne peut non plus écarter le risque d'une forte variation des changes, en particulier sur le dollar. Ce peut être aussi la conséquence d'une augmentation trop rapide du crédit dans certains pays - ont été évoqués les crédits automobile et les crédits étudiants, notamment aux États-Unis. Le risque est toujours présent, enfin, d'une remontée mal maîtrisée du cours du dollar américain, avec ses conséquences sur les pays émergents, dont la dette est en dollar. Tout cela additionné représente, de fait, un risque ; il n'est pas dit que ce risque se transforme en réalité, mais il faut le garder présent à l'esprit.

Vous vous interrogez, comme beaucoup, sur la notion de croissance potentielle. C'est une notion, qui avec d'autres, comme celle d'effort structurel, est apparue dans les traités internationaux, parce qu'il semblait utile de ne pas raisonner systématiquement en fonction de facteurs conjoncturels. Cela dit, on sait combien, sur ces sujets, les points de vue des économistes sont partagés. Les estimations de croissance potentielle sont différentes selon les acteurs. Le Gouvernement, dans la loi de programmation, s'était appuyé sur le taux de croissance potentielle retenu par la Commission européenne, laquelle a modifié son estimation à la baisse, tandis que le Gouvernement juge désormais que, compte tenu des mesures qu'il a annoncées, elle peut être revue à la hausse. Si bien qu'il existe à présent un décalage. Pour 2016, la Commission européenne retient 1,1 %, alors que dans la loi de programmation, le Gouvernement retenait 1,3 % et qu'il table sur 1,5 % dans le programme de stabilité. Pour 2017, où il n'existe pas de prévision de la Commission européenne, le Gouvernement table sur 1,5 %, prévision qui se situe dans la fourchette haute des estimations.

La notion de croissance potentielle reste utile, mais il pèse sur elle des incertitudes considérables, en particulier dans la période atypique de longue stagnation que nous connaissons - le PIB est à peu de chose près à son niveau de 2007. Il y a eu, ces dernières années, d'importantes révisions à la baisse de la croissance potentielle et de l'écart de production, qui rendent le concept difficile à utiliser, ce qui ne veut pas dire qu'il faut totalement l'écarter, d'autant qu'il est sans incidence sur le déficit nominal. Il joue, en revanche, sur la répartition entre part structurelle et part conjoncturelle du déficit. Entre l'hypothèse retenue par le Gouvernement et la Commission européenne, il peut apparaître, de ce point de vue, des écarts...

Les révisions trop fréquentes posent, il est vrai, un problème de principe. Pour nous, la croissance potentielle retenue dans la loi de programmation est la référence. Si elle change en permanence, il devient difficile d'exprimer un point de vue stable.

M. François Marc . - Le président du Haut Conseil, suivi par le rapporteur général, a relevé que des ajustements ont été opérés peu de temps après l'adoption de la loi de programmation des finances publiques. Certes, mais le fait est que la conjoncture a évolué, ce qui a amené tout le monde, y compris les commentateurs, à changer de pied. J'en veux pour preuve l'appréciation du Haut Conseil sur l'hypothèse de croissance retenue par le Gouvernement, jugée aujourd'hui prudente alors qu'il l'estimait optimiste il y a quelques mois. À la fin de l'année dernière, le Haut Conseil craignait que les ajustements intervenus ne conduisent à une augmentation de la dette, aujourd'hui stabilisée, voire en régression. Il craignait, enfin, que l'objectif de limiter la croissance de la dépense publique à 1,1 % en valeur ne soit pas atteint ; or, il apparaît désormais que cet objectif devrait être respecté.

On ne peut que se féliciter que le Gouvernement ait su tirer des bords pour atteindre cette trajectoire plus optimiste pour l'avenir .

Le Haut Conseil est chargé de veiller à la cohérence de la trajectoire de retour à l'équilibre des finances publiques avec les engagements européens de la France. Or, la Commission européenne nous demande un effort sur les dépenses structurelles de 0,8 % en 2016 et 0,9 % en 2017, tandis que le Gouvernement retient, pour chacune de ces deux années, 0,5 %. Quelle est votre appréciation sur cette différence ?

M. Roger Karoutchi . - Le Gouvernement vient d'annoncer 4 milliards d'économies supplémentaires en 2015, 5 milliards d'euros en 2016. Si l'on ajoute cela aux changements dans les prévisions qu'à évoqués le rapporteur général, et qui auront in fine un impact sur la structure du budget, on finit par se demander ce que signifie le vote du Parlement et si se prononcer sur des prévisions a encore un sens. L'opinion publique peut-elle encore faire crédit au Gouvernement et au Parlement si ce qu'on lui propose et ce qu'on lui promet change tous les mois ?

M. Vincent Delahaye . - Ces notions de croissance potentielle, de déficit structurel, de déficit conjoncturel me laissent perplexe. Pour moi, le conjoncturel qui s'étend sur dix ans, cela devient du structurel. Et si le Gouvernement change de pied tous les quatre mois, cela devient un problème. J'aimerais savoir précisément de combien il modifie sa prévision de croissance potentielle. Si cette prévision était restée ce qu'elle était en décembre 2014, quel en aurait été l'impact ?

Mme Marie-France Beaufils . - Vous évoquez les prémices d'un redémarrage. Or, dans votre avis, vous vous montrez sceptique sur les effets potentiels, en France, de la politique de rachat d'actifs de la BCE, et vous relevez la faiblesse du redémarrage de l'investissement productif. Vous allez même plus loin, estimant qu'il n'est pas certain que les baisses d'impôts et de cotisations en faveur des entreprises, notamment via le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE), soient suivies d'effet. Vous notez que si la consommation des ménages se redresse, des inquiétudes persistent sur l'investissement des entreprises. Quels sont les freins qui perdurent ? Dans un récent article, un économiste juge que l'on n'utilise pas suffisamment le couple Banque centrale européenne (BCE) - Banque européenne d'investissement (BEI). Qu'en pensez-vous ?

Mme Fabienne Keller . - Les marchés financiers s'inquiètent, avez-vous dit, des risques attachés à des politiques monétaires trop accommodantes. Pouvez-vous préciser la nature de ces risques ?

La baisse des dotations aux collectivités locales a eu un effet récessif sur leur capacité d'investissement, ce qui aura un impact sur les recettes fiscales du budget national. Avez-vous évalué les effets de ce ralentissement sur la croissance ?

M. Claude Raynal . - Ce qui reste vrai, dans la séquence que nous venons de vivre entre octobre et aujourd'hui, c'est que nous sommes encore, indéniablement, dans une période économique et financière troublée. Les évolutions sont très rapides, d'où la nécessité pour le Gouvernement de revoir régulièrement la croissance potentielle. D'où aussi, ainsi que l'a souligné François Marc, la modification, au même rythme, des avis sur les prévisions. C'est ainsi que le Haut Conseil, qui jugeait optimiste, il y a quelques mois, l'hypothèse de croissance du Gouvernement, la juge aujourd'hui prudente. Tout cela exige aussi de nous d'être plus réactifs. J'observe d'ailleurs que la tonalité de nos débats évolue, et que certaines des interventions que l'on a pu entendre en novembre ne sont plus de mise aujourd'hui.

Dans votre avis, vous relevez que le Gouvernement a fait le choix de la prudence à moyen terme. L'évaluation de la croissance future se veut conservatrice et l'hypothèse d'une remontée des taux est intégrée aux prévisions - plus de 3 % sur deux ans -, ce qui n'est pas ordinaire. Vous relevez également la volonté du Gouvernement de ne pas casser la croissance par des politiques trop récessives. C'est peut-être ainsi qu'il faut comprendre la différence d'appréciation entre la Commission européenne et le Gouvernement sur la pente de déficit structurel.

En cette période trouble, la vision annuelle de la prospective devient peut-être dépassée. Il faudra, dorénavant, être plus réactifs, et nous serons amenés à nous revoir.

M. Maurice Vincent . - Vous jugez prudentes les hypothèses de croissance sur les trois années à venir. On rompt ici avec les habitudes, qui tendaient à tabler sur une croissance surestimée pour construire un budget confortable. Et l'on payait la facture, in fine , par de l'endettement.

Vous soulignez que la croissance espérée, pour être durable, devra s'accompagner d'une relance de l'investissement. Des mesures de soutien à l'investissement viennent précisément d'être annoncées, il faut s'en réjouir.

Vous estimez la croissance potentielle surestimée, afin de donner une meilleure appréciation de la réduction du déficit structurel. Je m'étonne, alors qu'il s'agit là de concepts à peine stabilisés dans la recherche en économie, de les voir prendre une importance croissante dans la prospective. Je crains qu'ils ne deviennent une source de débats sans fin, y compris avec la Commission européenne. Ne vous paraitrait-il pas judicieux de ramener ces notions au deuxième plan ? Ce que l'on peut dire avec certitude aujourd'hui, c'est que l'environnement est favorable et que l'on commence à voir apparaître des résultats, même si l'on reste, il ne faut pas l'oublier, dans l'incertitude.

M. Yannick Botrel . - Je retiens que le Haut Conseil souligne la prudence du Gouvernement. Il est vrai que l'on ne peut pas écarter des aléas, comme l'émergence d'une bulle spéculative, dont il a récemment été question dans les médias, mais qui tiennent aussi aux incertitudes sur la dette grecque. Qu'arriverait-il si ce pays était défaillant, voire sortait de l'euro ?

Les élus que nous sommes sont parfois interpellés sur les difficultés du monde économique, notamment des petites et moyennes entreprises (PME) et des très petites entreprises (TPE), qui peinent à accéder au crédit. Cela fait-il partie, à votre sens, des freins à la reprise de l'activité ?

M. Francis Delattre . - J'observe, très respectueusement, que vous rendez moins un avis que vous ne soumettez des interrogations. Vous nous dites, en termes choisis, que malgré des facteurs extérieurs qui devraient favoriser la reprise - même s'il faut tempérer les bénéfices de la baisse du prix du pétrole, sachant que nous payons la facture en dollar - cette embellie conjoncturelle ne masque pas les handicaps structurels de notre économie. La reprise a deux moteurs, la consommation et l'investissement. La consommation, dites-vous, s'améliore. Mais c'est que les salaires en France, comparables à ceux de l'Allemagne, continuent de croître malgré l'atonie de la croissance, ce qui handicape la compétitivité du pays. Notre marché du travail est rigide. Alors qu'avec cinq millions de chômeurs, les salaires devraient être entrainés à la baisse, c'est le contraire qui se passe. Et cela se retrouve au niveau des entreprises, qui manquent de marges. Elles souffrent certes aussi d'autres problèmes, comme la non-déductibilité des intérêts sur les investissements productifs, une véritable idiotie, mais la difficulté centrale reste le niveau des salaires, et l'on ose à peine l'évoquer. Êtes-vous de ce sentiment ?

La BCE devrait, en effet, fonctionner avec la BEI. Si l'on veut que le « plan Juncker » donne un vrai coup de fouet à l'économie européenne, il ne suffit pas de faire fonctionner la planche à billet, encore faut-il orienter cet argent vers l'investissement.

M. Serge Dassault . - Pour qu'il y ait de la croissance, il faut qu'il y ait des investisseurs. Or, ils s'en vont à l'étranger, parce qu'ils ne peuvent plus supporter le niveau d'imposition en France. Des milliers de familles sont parties à Bruxelles, en Angleterre ou en Suisse, où elles investissent. Pour les faire revenir, il faut commencer par supprimer l'impôt sur la fortune (ISF). Quant à l'impôt sur le revenu, la France serait bien inspirée de faire comme ont fait l'Angleterre ou la Suède, qui a ramené le taux supérieur de 70 % à 40 % et a immédiatement constaté une reprise de la croissance. Il faut aussi réduire l'impôt sur le bénéfice des entreprises. Si les entreprises gardent leur argent, elles investissent. Ne croyez-vous pas qu'il serait bon d'insister sur cette nécessité ?

M. André Gattolin . - Vous avez évoqué l'impact de la baisse des prix du brent - 40 % en un an, soit 20 milliards d'économie, presque 1 % du PIB. Moitié est allé vers les ménages, moitié vers les entreprises. Pouvez-vous en estimer l'impact sur le taux de croissance ? 0,1 % ? 0,2 % peut-être ? Car pour les ménages, cela a représenté du pouvoir d'achat, ou une capacité d'épargne. Quant aux entreprises, cela a contribué à restaurer leurs marges.

Mme Michèle André , présidente . - Dans sa note de conjoncture de mars 2015, l'Insee juge que « beaucoup de conditions sont réunies pour que l'investissement des entreprises s'accélère » . Quels sont les facteurs qui expliquent, selon vous, le manque de dynamisme persistant de l'investissement ?

Vous prévoyez une remontée de l'inflation, tout en relevant qu'elle pourrait être plus tardive que ce qu'anticipe le Gouvernement. Peut-on en déduire que le risque de déflation est désormais écarté à court terme ?

Nombreux sont les économistes qui voient dans le recul de l'euro une opportunité pour l'économie française. Vous estimez toutefois que les effets pourraient en être limités ; pouvez-vous préciser votre analyse ?

M. Didier Migaud . - La mission du Haut Conseil est d'apprécier les hypothèses macroéconomiques qui sous-tendent le programme de stabilité. Nous disons nettement qu'elles sont prudentes. Nous apportons, ensuite, un éclairage supplémentaire sur la situation économique telle que nous la voyons et les conséquences que l'on peut en tirer. Il ne nous appartient pas, en revanche, de formuler des recommandations sur ce qui pourrait soutenir la croissance ou répondre aux problèmes structurels de l'économie. Si bien qu'il me sera difficile de répondre à certaines des questions qui m'ont été posées, à commencer par celles de Serge Dassault, qui n'entrent pas dans le champ de notre compétence.

Vous avez été plusieurs à rappeler ce qu'avait formulé le Haut Conseil il y a quelques mois. Je m'attendais à une autre question de la part du sénateur François Marc : pourquoi le Gouvernement n'a-t-il pas modifié son hypothèse de croissance, alors que le contexte économique a beaucoup changé ? Le fait est que ce n'est pas le Haut Conseil qui a changé d'avis, mais le contexte qui n'est plus du tout le même. Des changements de grande ampleur sont intervenus depuis notre avis de septembre. La baisse du prix du pétrole, tout d'abord, qui a représenté un gain de 20 milliards ; c'est un choc considérable. La dépréciation du change, ensuite, qui est aussi un choc important. Pourtant, l'estimation du Gouvernement n'a pas changé, et c'est pourquoi nous estimons, désormais, qu'elle est prudente.

Ce rebond de la croissance se transformera-t-il en reprise durable, là est la question. Maurice Vincent a relevé que le Gouvernement a changé de pied ; il préfère présenter des hypothèses prudentes, quitte à avoir de bonnes surprises.

M. Francis Delattre . - C'est un changement de stratégie.

M. Didier Migaud . - Nous disons que cette prudence est bienvenue, même si nous formulons quelques interrogations sur le scénario tel qu'il nous est proposé. Nous observons qu'alors que le Gouvernement retient un scénario de reprise, certes prudente, sur 2016 et 2017, il n'en tire pas, à notre avis, toutes les conséquences sur la répartition entre la part structurelle et la part conjoncturelle du solde. C'est le fameux débat sur la croissance potentielle. J'avoue que je rejoins Maurice Vincent pour constater que le débat autour de ces notions est loin d'être clos, tant entre les économistes qu'entre le Gouvernement et la Commission européenne.

Dès lors que le scénario inclut une reprise de l'investissement, il est étonnant que l'écart de production ne se réduise pas sensiblement plus que ne le prévoit le Gouvernement. On peut comprendre les raisons qui le poussent à s'en tenir à une hypothèse macroéconomique prudente, tout en éprouvant le besoin de réviser à la hausse l'estimation de la croissance potentielle, sachant le débat qui persiste avec la Commission européenne sur l'effort structurel. Avec cette estimation, l'effort structurel est plus important dans le programme de stabilité que dans la loi de programmation - 0,5 % au lieu de 0,3 % en 2016. La Commission européenne estime qu'il faudrait 0,8 %. Il ne nous appartient pas de nous exprimer dans ce débat. Reste que si l'effort structurel est plus important, cela peut avoir des conséquences sur la croissance, donc sur le niveau de l'emploi. Tel est le débat politique qui se tient entre le Gouvernement et la Commission européenne, sur lequel vous aurez l'occasion d'interroger le ministre.

Si le Gouvernement augmente l'estimation de la croissance potentielle, c'est qu'il estime que les mesures en cours, comme celles du projet de loi « Macron » et d'autres auparavant, peuvent avoir un effet sur celle-ci. Il est, de ce point de vue, cohérent.

Plusieurs questions m'ont été posées sur l'investissement. Beaucoup pensent que l'on ne peut passer d'un rebond à une reprise de la croissance que si le moteur de l'investissement redémarre. Cela dépend du taux de marge des entreprises, qui s'améliore un peu. Des mesures ont été prises qui commencent à porter leurs fruits. Les entreprises bénéficieront aussi de la baisse des prix du pétrole et, pour certaines d'entre elles, de la dépréciation de l'euro. Cela dépend également de leurs perspectives de débouchés, c'est-à-dire de la croissance de leurs exportations. Des mesures sont en voie d'être prises, sur lesquelles vous serez bientôt appelés à vous prononcer, mais il est difficile de penser qu'elles auront des effets dès 2015.

S'agissant, Fabienne Keller, de l'investissement public, nous aurons l'occasion d'y revenir dans le cadre du rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques, qui sera remis dans la deuxième quinzaine de juin, puis du rapport sur les finances locales, qui doit être remis en octobre.

En ce qui concerne l'accès des entreprises au crédit, les études de la Banque de France estiment qu'il n'y a pas de rationnement bancaire, même s'il est vrai qu'il peut exister des problèmes d'accès pour les très jeunes entreprises ou les entreprises innovantes, qui demandent du temps avant d'être rentables.

La dette continuera d'augmenter en 2015. Tant que le déficit nominal restera au niveau qui est le sien, elle continuera de croître. Dans le programme de stabilité, le Gouvernement prévoit une stabilisation en 2016. Ce n'est pas la première fois qu'un scénario fait baisser le poids de la dette. La question est liée de près à celle de la croissance ainsi qu'à celle du déficit, et l'on aura l'occasion d'y revenir avec l'appréciation par la Cour des comptes de l'exécution du budget pour 2014 et du rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques.

La dette grecque ? Un scénario extrême ne peut être exclu, mais reconnaissons que les partenaires européens ont montré leur capacité à s'accorder et à prendre le problème à bras le corps. Le risque de contagion est beaucoup plus contenu qu'il y a deux ou trois ans. Outre les efforts entrepris pour la mise en place de l'union bancaire, les économies de beaucoup de pays d'Europe du Sud sont en moins mauvaise santé qu'il y a quelques années.

Quels sont nos handicaps structurels ? Nous en évoquons quelques-uns. Je confirme que les salaires nominaux ne baissent pas, mais augmentent - c'est une particularité française qui peut avoir des conséquences sur la compétitivité de nos entreprises. Le CICE, le Pacte de responsabilité et de solidarité ont pu contribuer, cependant, à l'améliorer, de même que l'environnement international, avec la baisse des prix du pétrole et la dépréciation de l'euro - dont il faut toutefois garder à l'esprit qu'elles profitent à toutes les économies européennes.

M. Francis Delattre . - Comme il ne faut pas oublier que nous acquittons notre facture pétrolière en dollar.

M. Didier Migaud . - La politique monétaire accommodante ? Elle est assumée par la BCE, à l'instar de la politique longtemps menée par la Réserve fédérale américaine, et qui conduit d'ailleurs à s'interroger sur les conséquences liées à sa sortie.

Le Haut Conseil ne retient pas, en effet, une perspective déflationniste. La hausse des prix, ainsi qu'il ressort d'un document publié par l'Insee ce matin, reste, sur un an, négative, - 0,1 % ce mois-ci, - 0,2 % le mois précédent, mais la baisse des prix sur les produits pétroliers y est pour beaucoup : l'inflation sous-jacente - c'est à dire hors prix de l'énergie - reste positive, à 0,2 % sur une année. L'augmentation nominale des salaires est supérieure, ce qui peut contribuer à contenir la baisse des prix. On constate également que la progression du PIB reste proche de 1 % en rythme annuel et que les anticipations en termes d'inflation des conjoncturistes restent positives, autour de 1,8 %, même si l'on peut considérer, comme je l'ai dit, qu'il faudra un peu de temps pour retrouver ce niveau. Reste également le bémol que j'ai apporté tout à l'heure en rappelant les anticipations, moins hautes, des acteurs du marché, compte tenu des risques qu'ils perçoivent sur la sphère financière.

Mme Michèle André , présidente . - Nous vous remercions de ces informations et vous retrouverons très prochainement avec grand plaisir.

III. AUDITION DE VALDIS DOMBROVSKIS, VICE-PRÉSIDENT DE LA COMMISSION EUROPÉENNE EN CHARGE DE L'EURO ET DU DIALOGUE SOCIAL, SUR LA RECOMMANDATION DE LA COMMISSION EUROPÉENNE AU CONSEIL SUR LE DÉFICIT PUBLIC DE LA FRANCE (11 MARS 2015)

Réunie le 11 mars 2015, la commission a entendu, sous la présidence commune de MM. Charles Guené, vice-président, et Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes, conjointement avec la commission des affaires européennes, M. Valdis Dombrovskis, vice-président de la Commission européenne en charge de l'euro et du dialogue social, sur la recommandation de la Commission européenne au Conseil sur le déficit public de la France.

M. Gérard Larcher , président du Sénat . - Monsieur le vice-président de la Commission européenne, commissaire en charge de l'euro et du dialogue social, c'est un grand plaisir de vous accueillir aujourd'hui, aux côtés du président de la commission des affaires européennes Jean Bizet, du vice-président de la commission des finances Charles Guené et du rapporteur général de la commission des finances Albéric de Montgolfier, au palais du Luxembourg, pour un échange de vues sur la situation de la zone euro après l'adoption hier par le Conseil de l'Union européenne d'une nouvelle recommandation pour la France, dont chacun ici connait les termes. Votre venue fait suite à l'entretien que j'ai eu le 5 février dernier, accompagné du président Bizet, avec le Président Juncker. Soyez-en remercié. Elle témoigne de la richesse du dialogue entre nos deux institutions. Je saisis cette occasion pour saluer l'ensemble de mes collègues ici présents et tout particulièrement Michèle André, présidente de la commission des finances, qui a dû nous quitter.

Monsieur le vice-président, je crois, comme vous, à l'utilité d'échanges ouverts et sans détour. Les Français sont convaincus de la nécessité de rétablir l'équilibre des comptes publics dans toutes leurs composantes. L'alignement des dépenses publiques à un niveau plus compatible avec la richesse produite sera un facteur essentiel de ce rétablissement. Il faudra mettre le cap sur cet objectif, qui me semble partagé au-delà des clivages politiques. Cela suppose une démarche résolue, suivant un calendrier et des modalités acceptables par le corps social.

En 2015, pour la troisième année consécutive, le déficit public représentera plus que 4 % du PIB, sans amélioration notable, alors que pratiquement partout ailleurs dans la zone euro on observe des évolutions positives. Ces évolutions résultent de réformes ambitieuses. La France doit s'y atteler, c'est une nécessité. Le Sénat s'est déjà exprimé à ce sujet lors de l'examen, à l'automne dernier, du budget pour 2015 et de la loi de programmation des finances publiques. Il continuera de le faire, normalement dès le mois prochain, à l'occasion du Programme de stabilité.

La France connaît depuis plusieurs années une croissance faible : moins de 0,5 % par an entre 2012 et 2014 et sans doute guère plus de 1 % cette année, d'après les prévisions de vos services. Bien entendu, le contexte international est difficile. Mais, indépendamment des facteurs externes, le dynamisme économique est aussi le résultat d'une politique économique adaptée. La responsabilité qui incombe au Gouvernement et au Parlement, c'est bien de créer les conditions les plus favorables à l'activité : un environnement simplifié, des entreprises innovantes, dynamiques et compétitives, une main d'oeuvre bien formée, disponible et mobile, voilà assurément des facteurs de croissance ! Je recevais aujourd'hui même une grande confédération patronale et une grande confédération syndicale pour aborder ces sujets.

Dans quelques jours, le Sénat va entamer l'examen du projet de loi pour la croissance et l'activité. Ce texte doit constituer une première étape significative dans les réformes structurelles que notre pays doit mener pour créer à nouveau de la croissance et assurer la viabilité de notre modèle social auquel nous sommes tous très attachés. Moderniser le marché des biens et services, alléger les obligations des entreprises, fluidifier le marché du travail, tels sont les principaux objectifs à atteindre. Le Sénat partage cette ambition. L'examen par notre Assemblée permettra d'enrichir ce texte au service de la croissance et de l'emploi.

Monsieur le vice-président de la Commission européenne, je souhaite souligner à nouveau l'importance de la relation que la Commission doit avoir avec les Assemblées de chaque pays de l'Union européenne, et notamment avec ceux de la zone euro. Nous irons à la rencontre du président du Parlement européen, et j'ai invité le président Tusk à venir s'exprimer devant l'ensemble de notre assemblée. C'est l'esprit du traité de Lisbonne, et celui dans lequel nous devons aborder les questions européennes. Je vous remercie à nouveau pour votre disponibilité. Soyez le bienvenu - c'est votre première visite ! - et sachez que l'ensemble de mes collègues ici présents sont à la fois heureux et impatients de vous écouter.

( Applaudissements )

M. Jean Bizet , président de la commission des affaires européennes . - Monsieur le vice-président, nous sommes très heureux de vous accueillir au Sénat. Nous vous sommes très reconnaissants d'avoir accepté notre invitation malgré un agenda très chargé, notamment avec la session du Parlement européen à Strasbourg. Cette audition revêt à nos yeux une grande importance. Dès sa prise de fonctions, le Président du Sénat avait souhaité que nous puissions nouer un dialogue régulier avec la Commission européenne, et en particulier sur les positions que celle-ci est appelée à prendre sur la situation budgétaire de la France. Il avait évoqué cette audition au Sénat lors de son entretien avec le Président Juncker le 5 février dernier.

Le vote du budget est la première des compétences des Parlements. Il est donc essentiel que le Sénat soit non seulement informé, mais qu'il puisse aussi avoir des échanges avec les institutions européennes sur les décisions de celles-ci, qui ont un impact direct ou indirect sur le budget de notre pays. Les textes européens adoptés à la suite de la crise des dettes souveraines ont donné à la Commission européenne une mission importante de suivi et de recommandation. Le souci d'assurer une application plus effective des règles de discipline budgétaire doit être approuvé, et aller de pair avec une gouvernance économique renforcée.

Mais ce processus ne sera pas compris et accepté par nos concitoyens sans un contrôle démocratique effectif, en particulier par les Parlements nationaux. C'est tout l'intérêt de la conférence instituée par l'article 13 du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance. Nous souhaitons qu'elle puisse développer son activité rapidement. C'est pourquoi nous demandons que le projet que vous soumettez au Conseil soit transmis au Sénat suffisamment à l'avance pour lui permettre de formaliser, s'il le juge utile, une position à l'adresse du Gouvernement. Ce n'est pas le cas aujourd'hui. Nous le déplorons.

Dans votre recommandation, vous demandez à la France de mettre fin à la situation actuelle de déficit public en 2017 au plus tard. Vous fixez au 10 juin 2015 la date limite pour que la France engage une action suivie d'effet et remette un rapport détaillé sur la stratégie d'assainissement envisagée pour atteindre les objectifs fixés. J'ai pris connaissance avec intérêt des détails de la réunion de l'Eurogroupe d'hier : certains pays, comme le Portugal ou l'Irlande, ont fait preuve d'une certaine fermeté à notre égard. Vous soulignez que l'assainissement budgétaire devra être étayé par la mise en oeuvre de réformes structurelles globales et ambitieuses - le président Larcher en a évoqué certaines. C'est sur ces différents points et plus généralement sur le contenu de votre recommandation ainsi que sur la démarche de la Commission européenne que nous souhaitons vous entendre. Merci d'être venu.

M. Charles Guené , vice-président de la commission des finances . - Monsieur le vice-président de la Commission européenne, chargé de l'euro et du dialogue social, je tiens, à mon tour, à vous remercier d'être parmi nous. Il est désormais absolument nécessaire de renforcer les liens qui unissent les parlements nationaux et les institutions européennes, mais aussi les parlements nationaux entre eux. C'est pourquoi la commission des finances s'attache à multiplier les échanges avec nos homologues européens - ceci a constitué une préoccupation centrale d'un récent déplacement à Berlin et le sera également lors du voyage du bureau de la commission à Madrid et à Lisbonne en avril. Il en va de la légitimité démocratique de l'Union européenne, mais également de la capacité des parlementaires nationaux à s'inscrire pleinement dans le jeu européen.

Dans le cas de la France, la réunion qui se tient aujourd'hui revêt une importance toute particulière. En effet, au cours de la journée d'hier, le Conseil de l'Union européenne a fait sienne la recommandation proposée par la Commission, tendant à reporter de deux années le délai de correction de notre déficit excessif dans le cadre du Pacte de stabilité et de croissance. Le gouvernement français communiquera le programme de stabilité à l'Assemblée nationale et au Sénat dans un peu plus d'un mois, avant sa transmission à la Commission européenne. Dans ces conditions, il est essentiel que le Sénat soit en mesure d'appréhender l'ensemble des enjeux associés à la recommandation du Conseil de l'Union européenne. Les recommandations de la Commission et du Conseil ne se limitent pas aux mesures ayant trait au redressement des comptes publics, mais invitent aussi la France à continuer à avancer sur le chemin des réformes structurelles. L'évolution plus générale du cadre budgétaire européen, engagée à l'initiative de la Commission européenne à travers sa communication du 13 janvier dernier, intitulée « Utiliser au mieux la flexibilité offerte par les règles existantes du Pacte de stabilité et de croissance » a notamment pour but de mieux concilier responsabilité budgétaire et mise en oeuvre des réformes structurelles. Monsieur le vice-président, pourriez-vous nous préciser les implications concrète de cette interprétation des règles du Pacte de stabilité et de croissance? Quelles sont les marges de flexibilité nouvelles ?

M. Valdis Dombrovskis, vice-président de la Commission européenne . - C'est un grand honneur de m'adresser à vous. Je souhaite d'abord remercier le président Larcher pour son invitation. J'aimerais également exprimer mes sincères condoléances aux familles et aux amis des athlètes français, des membres de l'équipe de tournage et des pilotes argentins qui ont tragiquement perdu la vie en Argentine. C'est un grand choc et une immense tristesse pour les Français, mais je ne doute pas qu'ils parviendront à les surmonter.

Ce débat au Sénat a lieu à un moment très important pour l'Europe, et pour la France en particulier. Comme vous le savez tous, le 25 février, la Commission européenne a publié le rapport 2015 pour la France contenant un bilan approfondi sur la prévention et la correction des déséquilibres macroéconomiques, dans le cadre du semestre européen. Avant d'en parler de manière plus détaillée, je souhaite souligner l'engagement des autorités françaises en faveur des réformes et saluer le programme de réforme détaillé qui a été envoyé à la Commission européenne le 19 février 2015.

Si l'économie mondiale et européenne se relève de la crise financière et économique, la sécurité dans différentes régions du monde demeure une préoccupation. Les menées persistantes de l'État islamique, les conflits au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, les récentes attaques terroristes au Mali sont autant de durs rappels de l'insécurité dans le monde. Dans ce contexte, je tiens à remercier la France pour son implication et sa contribution à la sécurité mondiale grâce à ses opérations au Mali, Tchad et sur d'autres points chauds dans le monde.

L'Europe elle-même fait face à des pressions accrues sur sa sécurité, avec les récents attentats terroristes ici en France, mais aussi à des menaces en Belgique et ailleurs en Europe. La confrontation militaire dans notre voisinage oriental, l'agression de la Russie contre l'Ukraine, montre que l'architecture de sécurité en Europe a besoin d'une sérieuse refonte. Sur le plan économique, les sanctions contre la Russie et les représailles qu'elles ont déclenchées ont un impact direct sur l'économie européenne, qui reste toutefois, jusqu'à présent, plus limité que ce que l'on aurait pu craindre. Néanmoins, les accords de Minsk sont constamment violés, et la crise ukrainienne se transforme en une source d'instabilité en Europe. Inutile de dire que cela ne fait qu'accentuer les défis économiques en Europe.

Sur le plan politique, les lendemains de crise sont un terrain fertile pour le populisme et le radicalisme. Malgré nos efforts visant à remettre durablement nos économies sur la bonne voie, certains hommes politiques exploitent cette conjoncture pour présenter l'Europe comme coupable de toutes les difficultés.

Malgré les défis auxquels nous sommes confrontés, les perspectives globales pour 2015 sont modérément positives : l'économie européenne va croître de 1,7 % cette année et de 2,1 % l'an prochain. Pour la zone euro, ces chiffres sont respectivement de 1,3 % et 1,9 %. Les vingt-huit économies de l'Union européenne devraient croître cette année, sauf changements politiques majeurs. Des contributions positives à la croissance proviennent de la baisse du prix du pétrole et de la politique monétaire d'assouplissement quantitatif de la BCE.

Autre aspect positif : la situation budgétaire en Europe commence à s'améliorer. Le déficit public agrégé dans la zone euro passera de 2,6 % du PIB l'an dernier à 2,2 % cette année. Cette année, pour la première fois, nous allons assister à une réduction des déficits publics due davantage à la croissance économique qu'à des mesures de consolidation budgétaire. C'est la preuve que la discipline budgétaire et les réformes structurelles portent leurs fruits et qu'un cercle vertueux s'établit entre des finances publiques saines et un environnement économique amélioré.

L'ajustement et les réformes doivent être aussi rapides et larges que possible. Les pays qui ont ajusté leurs finances et effectué des réformes rapidement sont ceux qui jouissent des plus forts taux de croissance dans l'UE. Il s'agit de l'Irlande, de l'Espagne, du Portugal ou encore des États baltes. L'exemple de ces pays montre que la discipline budgétaire et la croissance économique ne sont pas incompatibles, et qu'un engagement fort en faveur des réformes envoie des signaux encourageants aux marchés et aux investisseurs financiers, qui jouent un rôle important pour soutenir la croissance économique.

Certes, l'économie européenne dans son ensemble va croître cette année, mais il s'agit d'une croissance atone. Le taux chômage élevé et, plus récemment, le faible taux d'inflation sont des facteurs qui pèsent sur de nombreux pays européens dans le sillage de la crise économique et financière. Dans ce contexte, la Commission européenne a présenté un programme traitant la lenteur de la reprise et de la création d'emplois en mettant l'accent sur la croissance, l'emploi et l'investissement. Dans l'examen annuel de croissance (EAC) que la Commission européenne a publié novembre dernier, nous avons défini une approche intégrée qui repose sur la stimulation de l'investissement et l'accélération des réformes structurelles.

Pour soutenir cette politique, la Commission européenne a proposé un plan d'investissement de 315 milliards d'euros. Ce plan renforcera les investissements dans les grands projets d'infrastructure dans des domaines tels que les transports, l'énergie, l'environnement. Il aidera également les petites et moyennes entreprises, pour créer de nouveaux emplois en Europe. Il sera mis en oeuvre grâce à des instruments spécifiques, comme le Fonds européen pour les investissements stratégiques (FEIS). Hier, le Conseil des ministres de l'UE a adopté le règlement sur le FEIS, qui est un important pas en avant. Compte tenu de la priorité accordée à l'investissement, le règlement sur le FEIS sera examiné par le Parlement européen selon une procédure accélérée et, espérons-le, sera adopté d'ici l'été 2015, toujours sous la présidence lettone de l'UE.

Les États membres sont invités à participer à cet effort. La France a déjà annoncé sa participation via la Caisse des dépôts et consignations avec une contribution de 8 milliards d'euros. L'Allemagne, l'Italie et l'Espagne ont fait de même. C'est un signe encourageant de l'engagement des États membres de l'UE. Nous espérons que d'autres pays suivront cet exemple. De notre côté, nous allons tout faire pour que ce cadre d'investissement soit un succès. Les États membres ont déjà contribué au plan en apportant des projets nationaux, qui pourront être financées par un large spectre d'instruments : prêts, garanties et contre-garanties...

En ce qui concerne le deuxième pilier de notre approche intégrée
- les réformes structurelles - la crise récente a mis en lumière les points faibles de l'économie européenne. Certes, le niveau de résilience diffère d'un pays à l'autre. Cependant, tous les États membres ont besoin de réformes structurelles. La plupart des économies européennes ont un problème de compétitivité, et le taux de chômage demeure élevé dans de nombreux pays. Le chômage important des jeunes est particulièrement inquiétant, comme le sont les risques d'exclusion sociale, en particulier des personnes âgées. Les rigidités du marché du travail ou la viabilité des systèmes de retraite ne sont que deux exemples de points faibles partagés par la plupart des États membres : tous doivent mettre en oeuvre des réformes structurelles crédibles et viables, qui doivent absolument être adoptées.

Un des éléments les plus importants, dans une réforme, est le soutien des parties prenantes, d'où l'importance du dialogue social. Nous savons qu'en France ce sujet est particulièrement sensible et une loi sur la qualité du dialogue social est en préparation.

L'Union européenne dans son ensemble doit se réformer aussi. Un des éléments clés de la construction européenne - le marché unique - doit encore être amélioré, afin de mieux assurer encore les quatre libertés fondamentales - libre circulation des biens, des services, du travail et du capital. L'économie européenne a besoin d'approvisionnements en énergie sûrs et compétitifs, les instruments du marché intérieur de l'énergie doivent encore être développés et les réseaux d'énergie doivent être remis à niveau.

Nous avons besoin d'une Union forte et qui fonctionne bien. C'est pourquoi l'amélioration de la gouvernance économique de l'Union européenne est l'une des priorités de la nouvelle Commission. Depuis novembre dernier, où la nouvelle Commission a pris ses fonctions, les premières mesures pour améliorer la mise en oeuvre du pacte de stabilité et de croissance ont été prises. Le semestre européen est notre principal outil de gouvernance macroéconomique pour favoriser une véritable convergence des politiques économique et sociale en Europe. Nous avons entrepris de rationaliser le semestre européen. Comme vous le savez sans doute, nous avons choisi de simplifier les rapports et fait plus de place à la discussion sur le fond au sein de la procédure du semestre européen. Cette année, nous n'aurons qu'un seul rapport au lieu de deux auparavant et les rapports nationaux seront publiés trois mois plus tôt que les années précédentes. Nous pourrons donc utiliser ces trois mois pour expliquer l'analyse et obtenir les commentaires des États membres et des partenaires sociaux sur nos évaluations.

En ce qui concerne notre communication de janvier 2015 sur l'utilisation de la flexibilité, je tiens à souligner qu'elle reste dans les règles existantes du pacte de stabilité et de croissance et ne s'applique pas aux pays en procédure de correction. La flexibilité est conditionnée à l'effort de réforme structurelle. L'Europe ne peut fonctionner que si les règles du jeu sont jugées équitables par tous les membres et si elles sont respectées.

La France a toujours été un moteur pour l'Europe. Avant même que Robert Schuman ne lance l'idée européenne, la France a toujours été le laboratoire de nouvelles idées pour l'Europe, que ce soit au siècle des Lumières ou lors de la Révolution française. Par conséquent, les réformes préparées par son gouvernement actuel sont importantes, pour la France comme pour l'Europe. Étant donné le rôle et le poids de la France en Europe, la France ne peut pas échouer. Le 25 février, la Commission a publié le rapport spécifique à la France. Ce rapport conclut que la France est dans une situation de déséquilibres économiques excessifs exigeant une action politique déterminée et volontaire ainsi qu'un suivi spécifique, avec des examens réguliers des progrès par tous les États membres dans les commissions compétentes au niveau de l'UE. En particulier, le rapport national a souligné que, dans un contexte de faible croissance et de faible inflation, couplée à une rentabilité modeste des entreprises, et compte tenu de la réponse politique insuffisante à ce jour, les risques découlant de la détérioration des coûts, du manque de compétitivité et de l'endettement élevé et croissant - en particulier la dette publique - ont augmenté de façon significative.

Dans ce contexte, il est important que la France s'engage dans des réformes réduisant le coût du travail, principalement par le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) et le Pacte de responsabilité et de solidarité. Nous prenons bonne note des efforts déployés par les autorités françaises pour simplifier le fardeau réglementaire. Des efforts supplémentaires sont nécessaires pour améliorer la viabilité du système de retraite et des dépenses de santé. Nous nous félicitons des intentions du gouvernement dans la lutte contre la rigidité du marché du travail et la réforme du système d'indemnisation du chômage. Nous saluons également les mesures prises relatives au marché du travail, à l'éducation et à la formation professionnelle.

L'UE attend désormais des autorités françaises qu'elles prennent de nouvelles mesures à la fois sur le plan budgétaire, pour une réduction d'un montant de 0,2 % du PIB et sur en matière de réformes structurelles, nous nous attendons à un programme national de réforme robuste. L'un des principaux sujets de discussion en France est le projet de loi sur la croissance et l'activité. Ce projet est bien accueilli par la Commission car il contient un grand nombre de mesures dans différents domaines de la vie économique. Le travail du dimanche, la mobilité, la réforme des prud'hommes ou des professions juridiques réglementées : tous ces domaines sont importants, mais ce n'est qu'un début : il y a deux cents professions réglementées en France !

Ce projet de loi est examiné par le Sénat et son adoption définitive est encore l'objet de discussions dans les deux chambres. Nous considérons qu'il sera un pas dans la bonne direction et que la France prendra des mesures supplémentaires sur la voie des réformes durables.

Une fois de plus, je tiens à vous remercier pour votre invitation. Je suis impatient de poursuivre avec vous une coopération de qualité pour parvenir à notre objectif commun : la croissance durable et la création d'emplois. (Applaudissements)

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - La recommandation au Conseil comporte l'exigence d'un ajustement structurel de 0,2 % du PIB courant 2015. Préconisez-vous des mesures de réduction des dépenses ou d'accroissement des recettes ? Le Gouvernement français prétend que des efforts budgétaires suffisants ont été engagés. Quel montant avez-vous en tête ? S'agit-il de 3 ou 4 milliards d'euros, ou faudra-t-il une loi de finances rectificative ? L'ajustement budgétaire programmé a un effet récessif de recommandation : le document de travail des services de la Commission accompagnant la « recommandation de recommandation du Conseil » anticipe une croissance de 0,8 % jusqu'en 2017, alors qu'à politique inchangée le PIB aurait crû de 1,6 % en 2016 et en 2017. Comment cet effet récessif est-il calculé ? Un multiplicateur budgétaire de 1 n'est-il pas trop fort, compte tenu de la conjoncture ? Quelles sont les principales réformes structurelles attendues de la France ?

M. Valdis Dombrovskis, vice-président de la Commission européenne . - Les propositions de la Commission, approuvées hier par le Conseil, octroient à la France un délai supplémentaire de deux ans - jusqu'en 2017 - pour ramener son déficit budgétaire à un niveau inférieur à 3 % de son PIB. Un effort structurel de 0,5 % du PIB est donc réclamé chaque année. Cette année, la France fournit un effort de 0,3 % du PIB : il manque 0,2 %. Étant donné le niveau de la dette, la Commission recommande plutôt des mesures de réduction des dépenses, mais l'essentiel est que le pacte de stabilité soit respecté et que cet ajustement structurel soit effectué. Pour cette année, cela représente un effort de 4 milliards d'euros, par des mesures devant être présentées en avril et mises en oeuvre avant le mois de juin. Dans sa recommandation précédente, le Conseil réclamait un effort structurel de 0,8 % du PIB : ce chiffre a été réduit à 0,5 % mais les délais sont serrés et la Commission suivra la situation de près.

Je ne reconnais pas les chiffres que vous évoqués sur l'effet récessif des ajustements structurels. Mais la soutenabilité de la dette conditionne la reprise économique. La France a des problèmes de compétitivité-coût et hors coût mais aussi un niveau de dette très élevé, surtout dans le secteur public. Son déficit budgétaire, qui était de 4,1 % du PIB en 2012, est passé à 4,3 % en 2013 et en 2014 : il reviendra à 4,1 % cette année. Il doit passer sous la barre de 3 % du PIB.

Dans le cadre de la réforme du semestre européen, nous avons accéléré la préparation des rapports relatifs aux différents États, et nous publierons des recommandations spécifiques en mai. Cela laisse aux pays trois mois pour nous faire part de leurs observations.

M. François Marc . - Merci pour cet éclairage. Premier ministre de votre pays, vous avez fait preuve de détermination et de volonté pour en redresser rapidement les finances publiques, immédiatement après la crise. Vous avez su prendre des mesures douloureuses ; les baisses de salaire ont été conséquentes. Cela nous donne confiance dans votre détermination, mais il convient de bien anticiper les effets des mesures que nous envisageons.

Le two-pack et l'évolution du pacte de stabilité renforcent la surveillance des États membres soumis à une procédure de déficit excessif, ce qui est notre cas. Quelles seront les modalités de ce renforcement ?

Quelle est la doctrine de l'Union européenne sur les mesures à mettre en oeuvre ? Certains éditorialistes se demandent si, à la suite du FMI, elle en train de devenir keynésienne. De fait, on a bien vu que certaines mesures trop drastiques pouvaient avoir des effets pervers et limiter la croissance. Il faut donc éviter de taper trop fort.

Quels sont les objectifs du renforcement du dialogue social, qui apparaît comme un nouveau départ ? Enfin, comment pousser l'Allemagne à utiliser ses marges budgétaires pour accroître son niveau d'investissement public ?

M. Valdis Dombrovskis, vice-président de la Commission européenne . - La surveillance macroéconomique a été renforcée après la crise. Le six-pack et le two-pack constituent une interprétation plus stricte du pacte de stabilité. Le nouveau dispositif de gouvernance macroéconomique a pour fonction de corriger les déséquilibres des États-membres, et les procédures de déficit excessif ou de déséquilibre macroéconomique sont opérationnelles. La France doit faire davantage en matière de réformes structurelles et d'ajustement budgétaire. Nous réévaluerons ses propositions budgétaires en avril, et statuerons sur leur conformité avec la recommandation du Conseil en juin. Nous renforcerons la surveillance macroéconomique des deux pays qui sont menacés de procédure pour déséquilibre macroéconomique, la France et la Croatie, en évaluant la pertinence de leurs programmes de réformes.

Sommes-nous devenus keynésiens ? La Commission précédente a fait face à une grave crise économique et financière, qui a entamé la confiance des marchés financiers. Il fallait donc d'abord restaurer la stabilité financière. Nous sommes désormais en phase de reprise, mais cette reprise est trop lente, et ne comporte que peu de création d'emplois. Cette situation appelle donc une réponse plus large, organisée autour de trois priorités : stimulation de l'investissement, grâce au plan Juncker, renforcement de la compétitivité, par des réformes structurelles européennes et nationales, et assainissement budgétaire. Les États membres dont le déficit budgétaire est excessif - la France n'est pas seule dans ce cas - doivent prendre des mesures pour le ramener sous les 3 % de PIB.

En définissant le processus du semestre européen, nous souhaitions dégager davantage de temps pour le dialogue social et pour le dialogue avec les États membres. Nos recommandations ne sont mises en oeuvre que lentement par les États membres : seules 10 % d'entre elles sont entièrement appliquées, et environ 40 % le sont partiellement. Pour atteindre un meilleur résultat, nous souhaitons que les États membres s'approprient nos recommandations grâce à un processus de dialogue plus développé avec eux.

La situation excédentaire de l'Allemagne - plus de 6 % de son PIB - montre que si l'économie allemande est une des plus compétitives du monde en matière d'exportations, la demande et les investissements restent faibles sur le marché intérieur. Dans une recommandation, la Commission a suggéré au gouvernement allemand d'exploiter son excédent budgétaire pour relancer les investissements. L'Allemagne a annoncé qu'elle consacrerait 8 milliards d'euros par an au plan Juncker. La Commission s'intéresse à la situation de tous les États membres. Elle n'a pas pour politique de leur forcer la main. Pour l'Allemagne comme pour la France, nous nous sommes informés sur les spécificités de la situation économique du pays, en discutant avec les autorités en charge, avant de formuler nos recommandations.

M. Charles Guené , président . - La Commission a tenu compte du poids relatif de la France en Europe. La situation globale a changé. Quels éléments ont plaidé en faveur du délai de deux ans qui nous a été accordé : s'agit-il plutôt de la conjoncture économique ou de la flexibilité du pacte de stabilité et de croissance ? Lors du Conseil des ministres du 18 février 2015, le Premier ministre a détaillé le contenu du programme national des réformes. Quelle appréciation la Commission européenne porte-t-elle sur l'annonce de ces réformes ? Y voyez-vous une réponse aux grands défis que vous avez évoqués ?

M. Valdis Dombrovskis . - La Commission souhaite rester dans le cadre du pacte de stabilité et de croissance. Elle n'en change pas les règles ; elle clarifie l'interprétation de certaines dispositions. Le principe général consiste à donner davantage de flexibilité aux États dont l'approche budgétaire est rigoureuse et dont le déficit n'est pas excessif. Une disposition du pacte prévoit que si l'un de ces États souhaite lancer des réformes structurelles pour relancer sa croissance, il pourra dévier de ses objectifs budgétaires de manière temporaire, avec l'obligation de rétablir l'équilibre dans un délai de quatre ans. La « matrice » annexée à la communication de la Commission du 13 janvier 2015 prévoit de moduler l'effort budgétaire et fiscal des États en fonction de leur situation économique. Un État en difficulté économique, avec un taux de croissance négatif, n'aura pas besoin de consentir d'effort supplémentaire, car les rentrées fiscales augmenteront graduellement. Il s'agit d'un État que l'on classe dans la catégorie préventive.

Dans le cas de la France, nous avons tenu compte des réformes structurelles qui ont été mises en oeuvre, et nous avons appliqué les dispositions du pacte de croissance et de stabilité. Il ne suffit pas d'annoncer des réformes pour bénéficier des mesures de flexibilité ; elles doivent être effectives et donner lieu à des prises de décision pertinentes au niveau national. La Commission a estimé que la réforme du marché du travail a commencé à faire effet en France. Elle souhaite néanmoins que le Gouvernement aille plus loin dans le programme national de réforme qu'il proposera dans les prochaines semaines.

M. Richard Yung . - Je me réjouis de cette occasion qui nous est donnée de débattre avec un membre de la Commission européenne. De plus en plus, les politiques budgétaire et financière seront définies à Bruxelles. Pour nous, législateurs, qui votons la loi de finances, il est essentiel de pouvoir vous entendre, vous questionner et vous répondre. Les points de vue divergent sur le déficit de la France. Olli Rehn se montre très critique ; d'autres sont plus encourageants comme le président de la zone euro, ou même Angela Merkel, qui nous a félicités d'être sur la bonne voie. Le Gouvernement a promis un effort en dépenses de 50 milliards d'euros entre 2015 et 2017. La Commission estime qu'il faudrait augmenter massivement le quantum d'économies. Il s'agit d'un effort considérable qui ne pourra être obtenu qu'au prix d'une politique d'économies drastique et cruelle sur les salaires et les retraites. Si l'on se tient à l'objectif fixé par la Commission, la croissance qui était prévue à 1,6 ou 1,7 % risque d'être réduite de moitié. Pire encore, nous enclencherons un processus déflationniste mortel pour toute économie. Confirmez-vous ces chiffres inquiétants que la Commission européenne a fixés ?

M. Jean-Yves Leconte . - Si la gestion et la supervision des budgets sont indispensables, elles ne suffisent pas à définir un projet politique. N'est-il pas temps de commencer à construire ce projet, en instituant un parlement et un budget de la zone euro ? Sans un projet politique de cette nature, l'opinion publique aura du mal à consentir les efforts nécessaires dans cette période de crise. Par ailleurs, le plan Juncker envisage d'investir 315 milliards d'euros dans l'économie réelle, soit trois fois moins que ce que la BCE s'est engagée à injecter pour aider les banques. Que penser d'une telle disproportion ? Enfin, l'euro perd de sa valeur, ce qui rend nos entreprises plus compétitives mais nous ne bénéficions plus de la baisse du prix du pétrole et nos entreprises européennes sont de moins en moins en mesure d'investir sur les marchés internationaux. Le plan Juncker suffira-t-il à rétablir la situation ?

M. Jean-Paul Emorine . - Les prévisions de croissance ne sont jamais atteintes. Avec une croissance à 0,9 %, le nombre de chômeurs continuera à augmenter. Quand on parle de réformes structurelles, on cache sous un beau terme une réalité plus difficile. Les efforts budgétaires pèsent en France, les prélèvements obligatoires sont excessifs. Les réformes structurelles sont difficiles à mener dans ce contexte. La relance de l'économie n'est pas assez forte pour que les entreprises puissent investir. Le plan Juncker est un plus pour renforcer cette relance. Sa mise en oeuvre reste complexe. Un fonds de garantie a été mis en place par la Banque européenne d'investissement, d'un montant de 21 milliards d'euros, avec un effet de levier pouvant aller jusqu'à 315 milliards en trois ans. Cela pourra aider les entreprises à développer la recherche. Pour ce qui est des collectivités territoriales, les projets d'infrastructures sont longs à réaliser. Le plan numérique est en revanche un investissement qui portera ses fruits rapidement. La baisse de l'euro, le rachat de la dette par la Banque centrale européenne, à hauteur de 60 milliards d'euros par mois, et la baisse des taux d'intérêts suffiront-ils pour relancer l'économie de la zone euro ?

M. Valdis Dombrovskis . - La Commission n'impose pas d'effort budgétaire supplémentaire à la France. Elle lui offre un délai supplémentaire de deux ans pour ramener son déficit à moins de 3 % de son PIB. Je rappelle que si la recommandation précédente du Conseil s'appliquait, la France devrait être sanctionnée pour avoir échoué à réaliser son objectif budgétaire en 2015. Alors que le Conseil recommandait un ajustement de 0,8 % du PIB, la Commission ne demande plus qu'un ajustement de 0,5 % du PIB.

Ce ne sont pas les pays dont le déficit est le plus élevé qui ont la plus forte croissance. L'Allemagne, dont le budget est à l'équilibre avec un léger excédent, est le moteur économique de l'Europe. Il y a dix ans, quand elle avait du mal à ramener son déficit à moins de 3 % de son PIB, elle était « l'homme malade de l'Europe ». D'autres facteurs jouent sur la croissance, comme la confiance des marchés financiers, ou celles des entreprises. Il y a d'autres moyens de régler le problème de l'endettement qu'en créant davantage de dette.

Une discussion est en cours sur l'approfondissement de l'Union économique et monétaire. Un débat informel s'est tenu, en février, au sein du Conseil. Les présidents de quatre institutions (Conseil européen, Commission européenne, BCE et Eurogroupe) travaillent sur un rapport qui sera remis d'ici l'été. Pour l'instant, nous nous en tenons aux limites de l'architecture existante. Des voies d'amélioration sont possibles dans le cadre des traités actuels. À plus long terme, il faudra développer le partage du contrôle et de la souveraineté entre les États si l'on veut approfondir l'intégration, et gagner en solidarité et en mutualisation. Quel rôle les parlements nationaux pourront-ils encore jouer en matière budgétaire ? C'est un débat qui ne sera pas simple. Toutes les contributions seront utiles.

Le plan d'investissement vise à dégager des moyens privés supplémentaires pour limiter l'investissement public. Avec le plan Juncker, nous disposons de 21 milliards d'euros provenant de fonds publics, montant que nous espérons multiplier par trois grâce à la capacité d'emprunt de la Banque centrale européenne. Les liquidités ne manquent pas, mais les prêteurs et les emprunteurs restent frileux face au risque. Il faut réduire le risque pour que des projets puissent voir le jour. Voilà pourquoi la Banque centrale européenne injecte autant d'argent.

La baisse du prix du pétrole a un impact positif sur l'économie, car c'est un facteur de croissance. Cependant, cela ne va pas sans entraîner une certaine déflation. On dit souvent qu'en perdant de la valeur l'euro a fait baisser l'inflation, alors que c'est surtout la baisse du prix du pétrole qui est responsable de ce phénomène. Un euro à la baisse est le résultat de la politique monétaire de la Banque centrale européenne. Il y a quelques années, lorsque la Réserve fédérale a initié sa politique de quantitative easing , on avait un dollar faible et un euro fort. C'est l'inverse aujourd'hui. Nous n'en sommes pas pour autant au niveau historiquement bas de 0,8 dollars pour un euro. Il revient à la BCE d'intégrer les effets de sa politique de quantitative easing dans le taux de change de l'euro.

Mesdames et messieurs les sénateurs, je vous remercie de m'avoir donné l'occasion de m'exprimer devant vous et de répondre à vos questions.

M. Jean Bizet , président . - Monsieur le commissaire, permettez-moi à mon tour de vous remercier, tout en saluant la structure architecturale de la Commission Juncker et le souhait formulé par son président de voir les commissaires oeuvrer au plus proche des États membres. Le Sénat a pris la mesure des menaces terroristes qui planent sur un certain nombre d'États membres. Lors d'une prochaine réunion, nous examinerons une proposition de résolution qui offrira un corpus législatif pour lutter contre le terrorisme. Nous aurons cette résolution en commun avec la Lettonie, le Danemark, la Grande Bretagne et l'Allemagne. Un risque terroriste fort ne peut que porter atteinte au développement économique des États. À plus long terme, le Sénat souhaite contribuer à mettre en oeuvre une Union européenne de l'énergie et une gouvernance européenne de l'internet. Des marges de croissance restent possibles pour conforter le marché unique. Le rôle de la Commission européenne est fondamental ; nous lui accordons toute l'attention qu'elle mérite.

CONTRIBUTIONS DES GROUPES POLITIQUES

I. CONTRIBUTION DU GROUPE SOCIALISTE

Le programme de stabilité pour les années 2015 à 2018, auquel les sénateurs du groupe socialiste adhèrent pleinement, témoigne de la continuité et de la cohérence de la politique menée depuis 2012. Plusieurs résultats positifs sont à relever ces derniers mois, tant sur le plan de la gestion budgétaire et de la réduction de nos déficits, que de consolider la reprise économique, l'investissement des entreprises devant repartir à la hausse en 2015.

De récentes mesures, comme celles annoncées le 8 avril dernier et portant sur le soutien à l'investissement privé et public, ont été intégrées au programme de stabilité, et permettront d'accélérer le redémarrage de la croissance, avec comme perspective la relance de l'emploi.

Le programme de stabilité s'appuie sur des résultats budgétaires meilleurs qu'anticipés en 2014 , qui démontrent notre volonté non démentie depuis 2012 de procéder au redressement des comptes publics, dans des proportions permettant de ne pas étouffer la reprise économique en cours.

Le déficit public a finalement atteint 4,0% en 2014, soit 0,3 point de moins que le niveau anticipé en fin d'année dernière. La dépense publique n'a quant à elle progressé que de +0,9% (en valeur) en 2014 , témoignant de l'efficacité des efforts réalisés depuis 2012. Il convient ainsi de rappeler qu'entre 2002 et 2011, celle-ci avait progressé de +2% par an en moyenne. Enfin, pour la première fois depuis 2009, les prélèvements obligatoires n'ont pas augmenté en 2014, et diminueront en 2015.

Ces résultats ont été obtenus dans un environnement difficile, caractérisé par une croissance atone en zone euro. Il faut donc se féliciter des hypothèses prudentes sur lesquelles est bâtie la programmation du Gouvernement.

Les perspectives de croissance retenues se situent dans le bas de la fourchette des estimations réalisées par les principales organisations internationales ou le Consensus Forecasts : +1% en 2015, +1,5% en 2016 et 2017. En matière d'inflation, le redémarrage est envisagé de manière très progressive, à savoir une inflation nulle en 2015, puis de +1% en 2016 et +1,4% en 2017.

La trajectoire proposée n'en est pas moins ambitieuse. Si l'effort structurel proposé (0,5 point de PIB par an sur 2015-2017) est inférieur à celui recommandé par le Conseil de l'Union européenne en mars, il faut noter que le niveau de déficit public pour 2014 retenu par ce dernier s'est en réalité révélé être meilleur. En outre, l'évolution du déficit prévue par le Gouvernement conduit à passer sous les 3% en 2017.

Le programme de stabilité illustre notre volonté de poursuivre, de manière équilibrée, le redressement des comptes publics, et le renforcement de la compétitivité de notre économie

Après le doublement de la dette publique connu entre 2002 et 2012, l'assainissement de nos comptes reste une priorité afin de prémunir de toute atteinte des marchés financiers à notre souveraineté. Depuis 2012, la situation du déficit public s'améliore chaque année. La voie choisie est celle de la régularité, afin de poursuivre le financement de nos priorités (éducation, justice,...), et de ne pas étouffer la reprise économique à l'oeuvre.

Le programme d'économies de 50 milliards d'euros engagé sur 2015-2017 doit également nous permettre de dégager des marges de manoeuvre . Ainsi, après la stabilisation du niveau des prélèvements obligatoires atteint en 2014, ce pour la première fois depuis 2009, le poids des prélèvements obligatoires va diminuer en 2015 , notamment grâce aux mesures de réduction de l'impôt sur le revenu votées en 2014, et qui bénéficieront à 9 millions de foyers modestes.

Du fait de la très faible inflation, des efforts supplémentaires seront nécessaires en 2015 , pour atteindre l'objectif que le Gouvernement s'est fixé de 50 milliards d'euros d'économies. Ces efforts seront de 4 milliards d'euros en 2015, et de 5 milliards d'euros en 2016.

Si pour 2015, ces efforts supplémentaires porteront principalement sur l'Etat et ses opérateurs 1,2 milliard d'euros), la protection sociale (1 milliard d'euros), ou proviendront de la baisse mécanique de la charge de la dette due à la faiblesse des taux d'intérêt (1,2 milliard d'euros), pour 2016, l'ensemble des acteurs publics seront sollicités. Concernant les collectivités locales, sollicitées à hauteur de 1,2 milliard d'euros, les sénateurs du groupe socialiste se félicitent toutefois du fait que ces économies soient le fruit « mécanique » de la faible inflation, et ne passent pas par un accroissement de la baisse de leurs dotations. Une telle mesure nous paraîtrait en effet déraisonnable, voire inacceptable, au regard de l'impact qu'aura la diminution des dotations de 11 milliards d'euros sur les 3 années qui viennent. A ce titre, nous resterons vigilants quant à l'impact que pourrait avoir ces baisses de recettes sur l'investissement local, qui représente plus de 70% de l'investissement public de notre pays.

Car l'autre priorité illustrée par le programme de stabilité reste bien entendu la restauration de la compétitivité de nos entreprise s, le renforcement de notre tissu économique. Là encore, la situation héritée en 2012 témoignait d'un décrochage massif de nos entreprises dans la compétition internationale, notamment caractérisée un déficit commercial record atteint en 2011, de 72 milliards d'euros.

Les mesures d'allègement de la fiscalité pesant sur les entreprises prises entre 2012 (CICE) et 2014 (Pacte de responsabilité et de solidarité), pour un total d'environ 40 milliards d'euros, commençent à porter leurs fruits. Ainsi, alors que le taux de marge des entreprises repart à la hausse, c'est l'investissement privé qui devrait accélérer en 2015.

Les mesures de soutien à l'investissement annoncées par le Premier ministre le 8 avril ont vocation à amplifier cette tendance. Les sénateurs du groupe socialiste se félicitent que leur proposition, formulée à l'occasion des débats budgétaires de l'automne 2014, d'un avantage fiscal lié aux investissements des entreprises, notamment celui des PME industrielles, ait été reprise.

Concernant l' investissement public , les sénateurs socialistes avaient également formulé des propositions dans le cadre de la discussion de la loi de finances pour 2015, afin d'atténuer les effets négatifs que pourrait avoir la baisse des dotations. Le dispositif de préfinancement à taux zéro par la Caisse des dépôts et consignations des remboursements versés par l'Etat au titre du FCTVA (Fonds de compensation pour la TVA) constituera un outil utile pour les collectivités territoriales, dans la nécessaire période d'adaptation que constitue pour elles la baisse des concours financiers versés par l'Etat.

Nous resterons toutefois vigilants, dans les mois qui viennent, quant à l'impact de l'effort demandé aux collectivités locales sur la période 2015-2017, notamment au regard du niveau des investissements réalisés sur les années 2015 et 2016. L'éventualité de dotations spécifiques à l'investissement, récemment évoquée par le Premier ministre, constitue une piste de réflexion intéressante, et devra être étudiée en amont du Projet de loi de finances pour 2016.

II. CONTRIBUTION DU GROUPE UNION DES DÉMOCRATES ET INDÉPENDANTS - UNION CENTRISTE (UDI-UC)

Le groupe UDI-UC a souhaité profiter de l'opportunité offerte par la commission des Finances du Sénat afin de faire connaitre sa position sur les orientations présentées dans le présent programme de stabilité.

Les sénateurs centristes regrettent vivement que le programme de stabilité pour les années 2015 à 2017 n'ait pu donner lieu à un véritable débat en séance publique dont l'opportunité est pourtant rendue possible par les dispositions de l'article 50-1 de la Constitution.

Au-delà des considérations liées à un ordre du jour particulièrement dense à l'Assemblée nationale et au Sénat, il semble que l'absence, exceptionnelle, de présentation du programme de stabilité devant la représentation nationale, s'explique davantage par des problèmes politiques propres à la majorité gouvernementale à l'Assemblée nationale et au parti socialiste en particulier.

Au-delà des questions liées aux modalités de présentation du programme de stabilité devant le Parlement, le programme de stabilité pour les années 2015 à 2017 est paradoxal sur plusieurs points. En effet, en dépit d'avoir été construit sur des hypothèses prudentes, le présent programme est fondé sur l'espoir de la prolongation d'une conjoncture internationale favorable et cela au détriment d'un programme de réformes structurelles et d'une véritable stratégie de réduction équitable de la dépense publique.

LE CADRE MACRO-ÉCONOMIQUE ET L'HEUREUX « ALIGNEMENT CONJONCTUREL DES PLANÈTES »

La conjoncture économique nationale se caractérise depuis le début de l'année 2015 par l'agrégation de plusieurs facteurs encourageants en perspective d'une reprise rapide de l'activité.

La politique monétaire accommodante de la BCE, la baisse du prix du baril de pétrole, le maintien de taux d'intérêts faibles en dépit de la hausse continue de l'endettement public semblent effectivement dénoter l'amorce d'une reprise économique via deux canaux :

- Le canal extérieur des exportations : la baisse de l'euro cumulée à la baisse des prix du pétrole permettrait aux entreprises de développer des gains à l'export par un effet sur la compétitivité-prix ;

- Le canal intérieur de la consommation des ménages : les mêmes facteurs permettraient de dynamiser le pouvoir d'achat des ménages et donc de réduire la croissance tendancielle de leur taux d'épargne.

Ce scénario conjoncturel porterait la croissance du PIB pour l'année 2015 à 1%, puis à 1,5% en 2016 et en 2017 et enfin à 1,75% à l'horizon 2018.

Ces prévisions, proches des analyses des principaux centres d'analyses de la conjoncture sont qualifiées de prudentes par le Haut Conseil des Finances Publiques après un avis particulièrement sceptique sur des hypothèses jugées trop « optimistes » à l'automne dernier lors de la présentation du projet de loi de Finances pour 2015 et de la loi de programmation pluriannuelle pour les années 2014 à 2019.

Le groupe UDI-UC reconnait ainsi l'effort de sérieux du Gouvernement en matière de prévision conjoncturelle. Après plusieurs années de prévisions particulièrement optimistes, cet effort est le bienvenu. Cet effort pourrait permettre, conformément aux voeux formulés à plusieurs reprises par les sénateurs centristes, de concourir à l'obtention de meilleurs résultats en matière de gestion de l'exécution annuelle des lois de Finances. Il faudra cependant encore attendre la prochaine loi de Règlement pour mesurer la portée réelle de cet effort gouvernemental.

DÉFICIT STRUCTUREL ET CONJONCTUREL : DES CONCEPTS PEU OPÉRATIONNELS

Le programme de stabilité souffre des mêmes carences conceptuelles que celles qui affligent le cadre européen de coordination de nos Finances publiques : la substitution progressive d'une cible de déficit structurel au déficit nominal qui devrait en réalité retenir notre attention .

Il est vain de distinguer le bon du mauvais déficit au regard de notre niveau d'endettement . La France, avec 95% de PIB de dette publique est l'un des huit pays de la zone euro dont l'endettement dépasse la barre des 90%. Cet endettement, en plus d'être massif est dynamique et haussier. Cette dette fait peser un risque permanent sur les conditions de financement de nos politiques publiques.

En effet, les taux d'intérêts avantageux dont nous bénéficions semblent être le produit d'une anomalie sur les marchés financiers . Nos créanciers ne nous font pas supporter la prime de risque liée à notre niveau d'endettement. Cela est peut-être lié à la déconsidération des notations souveraines ou à la qualité du travail fourni par l'agence France Trésor, toujours est-il que cette situation n'est pas pérenne et que nos taux d'intérêts ont vocation à augmenter à moyen terme.

Dès lors, viser le solde structurel plutôt que le solde nominal n'est pas opérationnel . Cette distinction reviendrait à distinguer l'endettement légitime de l'illégitime, distinction qui n'est pas opérée par nos créanciers .

De plus, la définition du solde conjoncturel pose problème en soit. Un solde conjoncturel permanent, ou du moins maintenu depuis plusieurs années à un tel niveau est-il encore véritablement conjoncturel ?

Ne témoigne-t-il pas plutôt d'une addiction à la dépense publique et des carences gestionnaires de gouvernements successifs incapables d'équilibrer leurs recettes et leurs dépenses même hors période de ralentissement ou de récession économique ?

UNE HAUSSE ARTIFICIELLE DE LA CROISSANCE POTENTIELLE POUR SOUTENIR L'OBJECTIF DE SOLDE STRUCTUREL

Enfin, concernant plus particulièrement le solde structurel , ce dernier procède des prévisions de croissance potentielle .

La croissance potentielle est définie classiquement comme le taux de croissance réalisable avec un emploi optimal des facteurs de production (travail, capital, ressources) sans prise en compte de l'effet de l'inflation. Or, il apparait dans le présent programme de stabilité que les nouvelles encourageantes au plan conjoncturel se traduiraient entre 2016 et 2018 en gains conséquents en matière de croissance potentielle .

Cette projection ne semble pas réaliste si l'on prend séparément les termes de l'équation :

- Concernant le facteur travail : l'INSEE comme l'UNEDIC prévoient une hausse du nombre de chômeurs de près de 100 000 personnes en 2015. Cela confirme que le chômage a vocation à se maintenir à un niveau élevé sur une longue durée, ce qui pénalise l'employabilité des personnes à long terme.

- Concernant le facteur capital : le taux d'investissement est atone et le Gouvernement, après avoir refusé plusieurs initiatives de la majorité sénatoriale lors du débat budgétaire de l'automne dernier, vient tout juste d'annoncer une série de mesures en faveur de l'investissement des entreprises.

D'un trait, rien ne justifie les prévisions du Gouvernement en la matière. Toutefois, cet optimisme quant à notre capacité de rebond économique n'est pas sans conséquence sur le calcul de l'objectif de solde structure l.

En effet, plus la croissance potentielle est élevée, plus il est facile de réduire son effort structurel. Ainsi, la hausse injustifiée de la croissance potentielle en 2016 et en 2017 doit permettre de maintenir la cible de 0,5 qui est le plancher en dessous duquel la procédure de déficit excessif nous interdit de descendre . Fort heureusement, une manipulation statistique aussi visible ne saurait échapper au regard de la Commission européenne.

LE DÉFICIT NOMINAL ET L'ARLÉSIENNE DU RETOUR À 3%

Concernant le déficit nominal, le programme de stabilité entérine l'abandon des engagements passés du Président de la République et du Gouvernement.

En effet, dans la loi de programmation pluriannuelle des finances publiques pour les années 2012 à 2017, l'exercice 2017 devait être celui du retour à l'équilibre budgétaire. Il s'avère maintenant qu'il ne sera, éventuellement, que celui de la sortie du déficit excessif.

La réalisation de nos engagements budgétaires européens attendra donc encore, sauf à ce qu'un nouveau délai ne soit accordé, auquel cas il faudra toujours attendre.

DES ÉCONOMIES BUDGÉTAIRES À GÉOMÉTRIE VARIABLE SELON LE TYPE D'ADMINISTRATIONS PUBLIQUES

Le présent programme de stabilité prend acte de la nécessité de l'effort de 4 milliards d'euros supplémentaires pour l'année 2015 mais ne les documente pas suffisamment .

En effet, outre les économies liées à la baisse de la charge de gestion de la dette (1,2 milliard d'euros), les perspectives avancées par le Gouvernement sont particulièrement incertaines , notamment celles portant sur les dépenses de fonctionnement de l'Etat à hauteur de 1,2 milliard d'euros ou encore celles sur l'ONDAM qui sont incertaines par nature.

Au-delà, les perspectives d'économies budgétaires annoncées pour l'ensemble de l'exercice 2015 sont toutes aussi incertaines . En effet, une certaine injustice semble présider aux arbitrages en matière d'économies budgétaires. Les économies de l'Etat sont calculées en moindre dépense par rapport à une tendance haussière alors que celles des collectivités sont réelles et cumulées dans le temps . Ainsi la réduction de la DGF portera à 28 milliards d'euros en 2017 la perte financière pour les collectivités, hors hausse des recettes fiscales locales. Inversement, les 18 milliards d'euros d'économies annoncées du coté de l'Etat souffrent pour l'heure de n'être pas plus documentées et détaillées à défaut d'exister.

Sur la période 2015 à 2017, ce défaut de documentation a ainsi conduit la Commission à regretter que le Gouvernement ne puisse clairement justifier que 25 milliards d'euros d'économies sur les 85 milliards induits par le présent programme de stabilité. En outre, sur les 50 milliards d'euros d'économies annoncées l'année dernière par le Gouvernement, 30 milliards ont vocation à financer les mesures de baisse du coût du travail . Il s'agit donc plus d'une transformation de la destination de la dépense publique que d'une réduction à proprement parler. Là encore, la transparence et la documentation font encore défaut.

Enfin, le Gouvernement ne détaille pas non plus comment seront financées les mesures en faveur de l'investissement des entreprises.

LE PROGRAMME DE RÉFORMES ET L'ABSENCE DE RÉSULTATS DES POLITIQUES PUBLIQUES NATIONALES SUR L'ACTIVITÉ ÉCONOMIQUE DEPUIS PRÈS DE TROIS ANS

Le programme de stabilité ne saurait présenter qu'une pure trajectoire de réduction budgétaire sans mettre en avant dans le même mouvement un véritable programme de réformes structurelles.

A ce titre , le présent programme surprend en tant qu'il semble reconnaitre implicitement l'absence totale d'effets sur l'activité des actions menées par le Gouvernement jusqu'en avril 2014 . C'est d'autant plus patent lorsque le Gouvernement regrette l'atonie du secteur de la construction à peine plus d'une année après le vote de la loi « ALUR ».

Le présent programme surestime également les effets liés au CICE et au Pacte de responsabilité. En effet, le taux de croissance de l'investissement en 2015 ne devrait pas dépasser les 0,3% après deux années de mise en oeuvre du CICE.

Concernant le Pacte de responsabilité, ce dernier n'est pas encore pleinement déployé dans son volet de réduction du coût du travail de telle sorte qu'il semble encore imprudent de fonder des projections sur ses effets supposés dans l'avenir.

Au demeurant, le présent programme ne met en avant aucune réforme structurelle majeure à venir . Aussi, il semble induire que la stratégie budgétaire du Gouvernement à moyen terme est en réalité fondée sur le bénéfice que la France pourrait retirer d'une conjoncture internationale plus favorable que ces deux dernières années et du soutien de la politique monétaire de la BCE et non pas sur un programme de réformes ou sur des leviers internes à l'économie française.

Cela est d'autant plus inquiétant que cette dynamique conjoncturelle est fragile et ne profitera pas nécessairement à la France à la hauteur des espérances du Gouvernement.

En effet, la baisse du prix du pétrole bénéficiera à tous les pays importateurs et ne sera donc pas un élément de positionnement concurrentiel en matière de coûts de production à l'export. La baisse de l'euro améliore les termes de l'échange pour la France mais aussi pour de nombreux partenaires commerciaux européens qui sont aussi nos concurrents à l'instar de l'Espagne ou de l'Italie.

Inversement, le chômage, maintenu à un niveau élevé et sur une durée chaque jour plus longue obère l'employabilité des personnes. Le coût du travail demeure élevé face à un Pacte de responsabilité encore en phase de mise en oeuvre. Le secteur de la construction, riche en main d'oeuvre non qualifiée est pénalisé, tant par l'incertitude des agents économiques après la loi ALUR que du fait de l'amputation financière subie par les collectivités territoriales.

Il ressort de cette situation paradoxale que si l'activité doit reprendre un rythme croissant dans les prochains mois, cette croissance sera à la fois précaire dans sa durée et insuffisante à politique économique constante pour permettre une décrue du nombre de chômeurs, une reprise solide de l'investissement et donc pour soutenir la croissance potentielle et au final la croissance économique réelle.

RETROUVER UNE SITUATION ÉCONOMIQUE ET FINANCIÈRE SAINE AVEC DES RÉFORMES STRUCTURELLES

Le présent programme manque donc cruellement de vision et de perspectives pour doter la France de leviers internes de stimulation de l'activité économique.

Pour sa part, le groupe UDI-UC fait la promotion de six réformes structurelles fondamentales qui restent à mener à cette fin :

- La réforme de la flexibilisation du marché du travail ;

- La réforme des retraites, pour tendre à la convergence du public et du privé et instituer la retraite à points ;

- La réforme de l' État et de la carte administrative territoriale ;

- La réforme du statut de la fonction publique afin de permettre plus d'équité entre nos concitoyens mais aussi plus de souplesse dans la gestion des ressources humaines de nos services publics ;

- La réforme de la formation, de l'enseignement et de la recherche , pour adapter nos savoirs à l'évolution d'une économie mondialisée ;

- La réforme fiscale , pour des impôts lisibles , simples, à assiette large et à taux faibles, prélevés à la source.

A ces cinq réformes de structures doit se rajouter un effort d'équité réelle dans l'entreprise de réduction de la dépense publique entre les différentes formes d'administrations publiques : Etat, collectivités territoriales, administrations de sécurité sociale. Il n'est plus soutenable de voir les uns subir des réductions réelles lorsque les autres ne connaissent que des moindres hausses tendancielles de dépenses.

RESTAURER LA DIGNITÉ ET LE RESPECT DES PROCÉDURES DE COORDINATION BUDGÉTAIRE AU SEIN DE L'UNION EUROPÉENNE

La France, après avoir bénéficié de deux délais pour assainir ses comptes, après avoir rejeté le principe d'une règle d'or constitutionnelle contraignante sur les déficits publics et après avoir contourné ses propres règles de procédures de programmation pluriannuelle va renvoyer un programme de stabilité dont l'esprit est finalement de considérer qu'une meilleure fortune conjoncturelle peut autoriser l'immobilisme et reporter une nouvelle fois les réformes dont nous avons besoin.

Cette politique du déni et du contournement ne fait pas honneur à la signature de notre pays au bas des Traités européens. Cette politique ne fait pas honneur à la France mais surtout, elle porte finalement préjudice aux pouvoirs publics européens .

En effet, la France dispose d'un poids économique et politique qui la rend incontournable à l'échelle européenne. Toutefois, ces atouts sont mis à profit d'une sempiternelle lutte d'influence entre le Gouvernement et la Commission européenne autour du respect du cadre budgétaire commun.

Jusqu'ici, la France a toujours eu gain de cause et à toujours obtenu des pouvoirs publics européens des délais ou une bienveillance particulière dont aucun autre pays européen ne peut se prévaloir.

Ce rapport de force permanent n'est pas admissible plus longtemps. Il décrédibilise les pouvoirs publics européens et fragilise l'édifice de la coordination des politiques économiques et budgétaires au sein de l'Union Européen. Faut-il rappeler que ce cadre a été justement conçu, en partie, pour soutenir la France lorsqu'elle craignait de voir sa prime de risque s'envoler sur les marchés financiers ?

CONCLUSION SUR L'ABSENCE DE DÉBAT DEVANT LES ASSEMBLÉES PARLEMENTAIRES EN SÉANCE PUBLIQUE

En conclusion, le Groupe UDI-UC estime que le présent programme de stabilité n'est pas à la hauteur des exigences de la Commission européenne . Il ne propose aucune piste d'économies sérieuse et sa trajectoire de sortie du déficit excessif repose finalement sur l'espoir de la prolongation pendant trois ans d'une conjoncture internationale favorable.

Au demeurant, ce programme achève de prouver que le Gouvernement ne compte pas sur sa propre politique économique pour soutenir l'activité mais sur l'espoir de lendemains meilleurs.

Cela n'est pas nouveau mais c'est tout à fait regrettable. Les regrets sont redoublés dès lors que le présent programme, s'il a été présenté et analysé en commission des Finances au Sénat, n'a pu donner lieu à un véritable débat en séance publique . Nos concitoyens en resteront donc là.

La politique économique et financière du pays ne saurait se dessiner en l'absence du Parlement qui, faut-il le rappeler, consent à l'impôt, contrôle le Gouvernement et évalue les politiques publiques. Dès lors, le Groupe UDI-UC affirme qu'en l'absence d'une véritable présentation en séance publique, le présent programme ne saurait engager réellement la France au regard de ce qui se présente comme une volonté manifeste du Gouvernement de se soustraire à ses responsabilités politiques.

Enfin, si débat il y avait eu, et si, prêtons-nous à rêver, le Gouvernement avait sollicité un vote, le groupe UDI-UC, au regard des motifs exposés ci-dessus, aurait voté contre le présent programme de stabilité .

III. CONTRIBUTION DU GROUPE COMMUNISTE RÉPUBLICAIN ET CITOYEN (CRC)

La mise en oeuvre du programme de stabilité en France commence, en cette année 2015, à montrer ses limites.

En effet, malgré quelques signes d'amélioration de la situation économique générale (notamment la baisse des taux courts qui permet à la France d'alléger le coût du service de la dette publique), le niveau de la croissance demeure faible et fragile, s'éloignant progressivement du « potentiel de croissance » tel que mesuré par les éléments transmis à la Commission Européenne.

Le niveau de l'investissement productif demeure faible, le commerce extérieur de la France n'est toujours pas redressé et le nombre des privés d'emploi est particulièrement élevé, dépassant désormais les 5 millions de travailleurs et de travailleuses, frappés par le chômage total pour la majorité mais également par les formes précaires de l'emploi, formes précaires qui ont été pourtant largement encouragées par les logiques politiques à l'oeuvre en Europe depuis trop d'années.

Ainsi, les parlementaires du groupe CRC ne comprennent pas pourquoi la Commission européenne recommande encore à la France de mener une réforme « structurelle » de son »marché du travail » alors même que 85 % des offres d'emploi portent sur des contrats à durée déterminée et que la moyenne de ces contrats s'établit aux alentours de sept jours ouvrés !

Du point de vue des finances publiques, la logique de réduction de la dépense publique semble, elle aussi, montrer ses limites.

Le décalage existant entre croissance constatée et croissance potentielle atteste que la dépense publique directe, insuffisamment sollicitée, ne joue pas son rôle de moteur de l'activité économique et sociale.

Les collectivités territoriales, sans surprise, sont contraintes de compenser les pertes sensibles de dotations budgétaires qu'elles ont à supporter au nom du redressement des comptes publics (alors qu'elles n'ont pas vraiment de responsabilité en la matière), par une majoration de leurs taux d'imposition, une réduction de leurs dépenses d'investissement, pourtant indispensables pour la dynamique économique des territoires.

Dans les faits, la France souffre à la fois d'un mauvais usage de l'argent public et d'une mauvaise utilisation de l'argent privé.

Des sommes considérables sont utilisées pour exonérer les entreprises d'un certain nombre de cotisations sociales ou d'imposition, sans que cela n'ait la moindre conséquence sur le niveau et la qualité de l'emploi.

Et l'investissement, nécessaire pour la qualité et le renouvellement de l'outil de production, n'est pas plus accru.

Selon nos estimations, ce sont entre 210 et 230 Mds d'euros de fonds publics qui, d'une manière ou d'une autre, iraient vers les entreprises.

C'est le dixième du produit intérieur brut et c'est le niveau du décalage entre prélèvements dits obligatoires et réalité de la dépense publique.

Il y a, dans cette manne financière distribuée sans aucune obligation aux entreprises, de quoi plutôt participer au redressement des comptes publics sans solliciter par trop les efforts des plus modestes et des collectivités locales.

Mais l'économie française a également besoin d'un secteur bancaire actif et efficace, se consacrant à financer une économie de production en lieu et place de l'économie financière actuellement en vigueur.

La totale privatisation du secteur bancaire, désormais pratiquement achevée trente ans ou presque après son lancement, semble priver la France des moyens de conduire une politique économique digne de ce nom et relevant les défis du temps.

Cependant, des circuits de financement, échappant aux marchés financiers, existent et doivent être activés.

Une épargne populaire réglementée, calquée sur le modèle du Livret A, doit être développée pour permettre, par exemple, le financement de la transition énergétique mais aussi la réalisation d'un certain nombre de projets d'infrastructure particulièrement importants pour l'ensemble du pays, ses perspectives économiques, son développement, l'aménagement du territoire.

De la même manière, la France doit solliciter l'opération de « quantitative easing » menée en ce moment par la Banque centrale européenne pour requalifier et restructurer sa dette sociale et celle de plusieurs grandes entreprises de réseau.

Ce sont là quelques pistes de réflexion qui nous semblent plus appropriées à la situation de notre pays que la politique de nouvelle réduction de la dépense publique qui risque d'être mise en oeuvre.

IV. CONTRIBUTION DU GROUPE RASSEMBLEMENT DÉMOCRATIQUE ET SOCIAL EUROPÉEN (RDSE)

Le RDSE approuve l'inflexion du discours du Gouvernement concernant ses prévisions macroéconomiques pour la période 2015-2018. Cette nouvelle attitude de prudence (1% de croissance du PIB prévu en 2015, 1,5% en 2016, soit des prévisions inchangées et inférieures ou égales à celles de la Commission européenne, du FMI ou de l'OCDE) qui, comme l'a expliqué le Ministre des finances et des Comptes publics devant notre Commission des finances le 15 avril, consiste à fonder la politique budgétaire non plus sur un plafond de croissance mais sur un plancher de croissance, vient rectifier les annonces des années précédentes qui avaient sans doute péché par excès d'optimisme.

Si l'on constate depuis le début de l'année 2015 une amélioration encourageante de la conjoncture liée à des facteurs exogènes tels que la baisse des cours du pétrole et la dépréciation de l'euro, qui contribuent à alléger la facture énergétique et à améliorer notre compétitivité à l'exportation hors de la zone euro, l'environnement économique reste cependant très incertain. En particulier, le niveau actuellement élevé des cours des marchés financiers, sans lien tangible avec une reprise de l'économie réelle qui se fait toujours attendre, laisse planer un risque de correction brutale au cours de l'année 2015.

La faiblesse de l'investissement en France et en Europe est un second sujet de préoccupation. A ce titre, la décision du Gouvernement de réduire de façon unilatérale la dotation globale de fonctionnement des collectivités territoriales est un motif d'inquiétude, pour ne pas dire davantage. Cette mesure d'économie apparaît à la fois injuste et dangereuse pour la santé économique de nos collectivités et du pays tout entier. Injuste, car les collectivités sont tenues à un strict équilibre budgétaire, tandis que l'Etat et les administrations de sécurité sociale sont les principaux responsables de l'endettement public. Dangereuse, dans la mesure où les collectivités réalisent l'essentiel de l'investissement public, lequel contribue au dynamisme économique, à l'entretien et l'amélioration des infrastructures et au soutien des ménages les plus faibles. Est-il besoin de rappeler que le dynamisme de la consommation de tous les ménages est un facteur essentiel de croissance dans notre pays ? Dans ce contexte, l'annonce de la mise en place de prêts à taux nul de la Caisse des dépôts aux collectivités en avance des sommes versées au titre du Fonds de compensation de la TVA suscite une certaine perplexité et devrait à tout le moins être précisée.

Nous sommes conscients que les marges de manoeuvre sont extrêmement réduites. Nous ne minimisons pas la difficulté à trouver un équilibre entre la nécessaire consolidation des finances publiques - la loi de programmation pour 2014-2019 en tenait déjà compte - et le souci de ne pas étouffer le début de reprise par une politique budgétaire trop restrictive. Nous veillerons attentivement au respect de l'engagement nominal sur le plan d'économies de 50 milliards d'euros. Nous insistons également sur l'importance du respect des orientations budgétaires pluriannuelles. En effet, les précédentes lois de programmation n'ont pas été suffisamment suivies, que ce soit par les majorités de droite ou de gauche. Du côté des mesures propres à favoriser la reprise, les nouvelles dispositions en faveur de l'investissement sur la période 2015-2019 pourront ainsi compléter le CICE et le Pacte de responsabilité qui commencent à porter leurs fruits. Nous veillerons toutefois à ce que leur coût (3,9 milliards d'euros, comme l'a fait remarquer le Rapporteur général) soit justifié. Il en va de la crédibilité de la politique de redressement des finances publiques de la France menée depuis 2012 et du respect de nos engagements européens, en particulier du Traité sur la Stabilité, la Croissance et la Gouvernance, que nous avons approuvé. Plus généralement, nous soutenons toute mesure d'efficacité et d'amélioration de la compétitivité de notre économie. Ainsi, l'évaluation des politiques, mentionnée à l'article 24 de la Constitution, doit être plus encouragée.

Tous ces différents points auraient mérité un débat de fond en séance publique, aussi le groupe RDSE ne peut que regretter que celui-ci n'ait pu avoir lieu. Nous aurions aimé pouvoir échanger avec les différents groupes politiques de la Haute assemblée mais aussi avec le Gouvernement avant d'indiquer que la majorité des membres de notre groupe apporte son soutien au projet de programme de stabilité pour les années 2015-2018.

V. CONTRIBUTION DU GROUPE ÉCOLOGISTE

A titre liminaire, le commissaire écologiste aux finances tient à exprimer son regret que le Gouvernement se soit affranchi de l'obligation de soumettre au débat et au vote du Parlement le projet de programme de stabilité pour 2015 à 2018. Il déplore également que le texte n'ait été transmis à la commission des finances que quelques heures avant l'audition des ministres compétents, alors même que le Haut Conseil des finances publiques en a disposé une semaine auparavant, en même temps que le presse bénéficiait de l'annonce de ses grandes orientations. Les conditions de la consultation du Sénat, sur ce programme budgétaire qui engage la France, ne sont donc pas satisfaisantes. Au-delà de ces remarques de procédure, le projet de programme de stabilité pour 2015 à 2018 inspire au commissaire écologiste aux finances les commentaires suivants.

Il convient tout d'abord de souligner la prudence des estimations de croissance qui sous-tendent ce projet. Alors que la dernière loi de programmation des finances publiques, adoptée en décembre dernier, prévoyait une croissance de 1% en 2015, puis 1,7% en 2016 et enfin 1,9% en 2017, le programme de stabilité conserve la prévision pour 2015, malgré l'amélioration de la conjoncture, et table désormais sur 1,5% pour les années 2016 et 2017. Ces prévisions, inférieures à celles du FMI et de l'OCDE, sont jugées « prudentes » par le Haut Conseil des finances publiques. Ce choix de la précaution, qui tranche singulièrement avec la coutume propre à l'exercice de programmation budgétaire, mérite d'être salué.

Au-delà de cette prudence novatrice, plusieurs éléments de ce programme et de son contexte pourraient justifier, de prime abord, un regain d'optimisme. Tout d'abord, la nouvelle politique monétaire de la BCE permet d'apporter dans une conjoncture particulièrement dégradée un répit bienvenu. S'il n'est pas garanti que les liquidités mises en circulation par les rachats de dettes profitent à l'économie réelle, l'initiative de la BCE a au moins déjà eu deux effets positifs : une dépréciation de l'euro par rapport au dollar, qui relance la demande extra-européenne, et la baisse des taux d'intérêt auxquels sont financées les dettes souveraines, rendant ainsi une marge budgétaire aux Etats, dont la France. A cela s'ajoute l'effondrement inattendu du prix du pétrole, qui aurait rendu en un an 10 milliards d'euros aux ménages et autant aux entreprises, d'après le président du Haut Conseil auditionné par notre commission.

De plus, à travers les annonces du Premier Ministre en date du 8 avril dernier, le Gouvernement témoigne d'une préoccupation nouvelle pour l'investissement là où, jusqu'à présent, l'investissement public était sacrifié à l'objectif de réduction du déficit, et l'investissement privé à la volonté de ne pas contraindre l'utilisation des marges rendues aux entreprises par le pacte de responsabilité. Alors que l'étau de la conjoncture se desserre légèrement, ce changement de vision amorcé par le Gouvernement pourrait donc augurer d'un avenir moins morose.

Il ne faut toutefois pas perdre de vue que cette probable éclaircie repose essentiellement sur des facteurs exogènes. En effet, même si le Premier Ministre avait à plusieurs reprises décrié l'euro fort, les décisions de la BCE ne sont pas directement soumises au pouvoir politique. De plus, même si la BCE s'est engagée à pérenniser son action, on ne peut exclure que surviennent des risques de déséquilibres financiers qui la contraindraient à modérer sa politique monétaire. Quant à la baisse du prix du pétrole, elle résulte d'une stratégie de dupes inattendue entre les pays producteurs. Cela rend difficile la prévision du prix à court terme mais la déplétion de la ressource, combinée aux coûts croissants d'extraction, rend inéluctable un rattrapage des prix, potentiellement brutal, et une hausse supplémentaire à moyen et long terme. Le socle sur lequel repose ce programme de stabilité est donc exogène et fragile. C'est pourquoi il appelle des réformes structurelles, pour assurer à la France une prospérité durable, intégrant la diminution tendancielle de la croissance.

Si l'expression « réformes structurelles » revêt la plupart du temps une connotation libérale, il faut ici l'entendre au sens premier. Les écologistes prônent un changement de paradigme qui nécessitent de modifier profondément la structure du système socio-économique : autant de mesures qui font malheureusement défaut au programme de stabilité, au programme national de réformes et à l'agenda du Gouvernement.

Au plan européen, il apparaît vain de tenter d'établir une coordination budgétaire, dont ce programme de stabilité est un des vecteurs, s'il n'est pas mis en place de coordination fiscale. La compétition fiscale entre Etats, des rescrits fiscaux luxembourgeois au crédit d'impôt recherche français, cause de considérables manques à gagner pour les finances publiques de l'Union européenne. Si on veut les assainir, il est donc urgent de relancer avec volontarisme un processus de convergence fiscale. De même, en matière financière, les questions de la régulation bancaire, de la taxe sur les transactions financière et désormais de la finance parallèle, appellent des politiques européennes fortes, à propos desquelles la France n'apparaît pas, loin s'en faut, en première ligne.

Sur le plan énergétique, le gain tiré aujourd'hui de la baisse inattendue du prix du pétrole est l'occasion de rappeler le coût exorbitant de la facture énergétique de la France, qui s'élevait à 66 milliards d'euros en 2013. Plus de trois points de PIB ! S'engager dans une politique massive d'énergies renouvelables permettrait de développer d'importantes filières industrielles d'avenir, de préserver le climat, d'économiser le coût des importations d'énergies fossiles et de restaurer l'indépendance géopolitique de la France. Le récent rapport de l'Ademe, décrivant un scénario « 100% renouvelables », vient sérieusement accréditer cette ambition ancienne des écologistes.

Sur le plan de l'investissement, les mesures annoncées par le Premier Ministre signent l'échec du pacte de responsabilité. En effet, s'il est aujourd'hui besoin de cibler des mesures sur l'investissement, c'est bien que les 41 milliards d'allègements d'impôts et de cotisations consentis aux entreprises n'y pourvoient pas et qu'il aurait fallu, comme l'avait réclamé notamment les écologistes, conditionner ces allègements, par exemple à de l'investissement. Quoi qu'il en soit, cette évolution est positive. Il reste que la mesure d'amortissement proposée pour les entreprises est indifférenciée : elle subventionnera autant une industrie polluante qu'une industrie durable. Quant à l'idée qu'il faille robotiser tout l'appareil industriel, faute de réflexion audacieuse sur l'accroissement de la productivité et le partage du temps de travail, ce n'est sans doute pas ce qui permettra de relancer durablement l'emploi.

Enfin, ce document budgétaire acte à nouveau une diminution des dépenses publiques, sans que les conséquences sur le service public ou les interventions de l'Etat soient clairement documentées. Cette vision exclusivement comptable de la dépense publique ne rend pas fidèlement compte du choix politique qui est opéré lorsque l'on décide de réduire les dépenses.

En conclusion, le commissaire écologiste aux finances considère que si ce programme de stabilité marque une très légère inflexion politique, dans une conjoncture qui semble s'annoncer favorable, les réformes structurelles nécessaires à la transition écologique ne sont toujours pas amorcées.


* 1 Cf. avis du Haut Conseil des finances publiques n° HCFP-2015-01 du 13 avril 2015 relatif aux prévisions macroéconomiques associées au projet de programme de stabilité pour les années 2015 à 2018.

* 2 L'évolution du PIB au troisième trimestre 2014 fait l'objet d'une analyse approfondie dans le rapport fait par Albéric de Montgolfier sur le projet de loi de finances rectificative de la fin de l'année 2014 (cf. rapport n° 159 (2014-2015) sur le projet de loi de finances rectificative pour 2014 fait par Albéric de Montgolfier au nom de la commission des finances du Sénat, p. 32-34).

* 3 À titre indicatif, l'Insee, dans sa Note de conjoncture de mars 2015, prévoit une croissance du PIB de 0,4 % au premier trimestre 2015 et de 0,3 % au deuxième trimestre ; les prévisions de la Banque de France en date du 10 avril 2015 anticipent également une progression du PIB de 0,4 % au premier trimestre 2015.

* 4 Insee, Note de conjoncture , mars 2015, p. 13.

* 5 Insee, op. cit. , p. 11.

* 6 Cf. rapport n° 159 (2014-2015) sur le projet de loi de finances rectificative pour 2014 fait par Albéric de Montgolfier au nom de la commission des finances du Sénat, p. 13-31.

* 7 E. Conesa, E. Lefebvre et F. Schaeffer, « Notre trajectoire de déficit est meilleure que celle recommandée par la Commission », Les Échos , 9 avril 2015, p. 4.

* 8 Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, à la Banque centrale européenne, au Comité économique et social européen, au Comité des régions et à la Banque européenne d'investissement du 13 janvier 2015, « Utiliser au mieux la flexibilité offerte par les règles du pacte de stabilité et croissance », COM(2015) 12 final.

* 9 Insee, « En 2014, le déficit public s'élève à 4,0 % du PIB, le taux de prélèvements obligatoires se stabilise à 44,7 % du PIB », Informations Rapides , n° 73, mars 2015.

* 10 Cf. rapport n° 55 (2014-2015) sur la loi de programmation des finances publiques pour les années 2014 à 2019 fait par Albéric de Montgolfier au nom de la commission des finances du Sénat, p. 9-12.

* 11 Cf. rapport n° 55 (2014-2015), op. cit. , p. 20.

* 12 Cf. avis du Haut Conseil des finances publiques n° HCFP-2014-04 du 26 septembre 2014 relatif au projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2014 à 2019.

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