N° 484

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2014-2015

Enregistré à la Présidence du Sénat le 3 juin 2015

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des finances (1) sur l' enquête de la Cour des comptes relative au fonds de financement de la protection complémentaire de la couverture universelle du risque maladie ,

Par M. Francis DELATTRE,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : Mme Michèle André , présidente ; M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général ; Mme Marie-France Beaufils, MM. Yvon Collin, Vincent Delahaye, Mmes Fabienne Keller, Marie-Hélène Des Esgaulx, MM. André Gattolin, Charles Guené, Francis Delattre, Georges Patient, Richard Yung , vice-présidents ; MM. Michel Berson, Philippe Dallier, Dominique de Legge, François Marc , secrétaires ; MM. Philippe Adnot, François Baroin, Éric Bocquet, Yannick Botrel, Jean-Claude Boulard, Michel Bouvard, Michel Canevet, Vincent Capo-Canellas, Thierry Carcenac, Jacques Chiron, Serge Dassault, Éric Doligé, Philippe Dominati, Vincent Eblé, Thierry Foucaud, Jacques Genest, Didier Guillaume, Alain Houpert, Jean-François Husson, Pierre Jarlier, Roger Karoutchi, Bernard Lalande, Marc Laménie, Nuihau Laurey, Antoine Lefèvre, Gérard Longuet, Hervé Marseille, François Patriat, Daniel Raoul, Claude Raynal, Jean-Claude Requier, Maurice Vincent, Jean Pierre Vogel .

OBSERVATIONS DU RAPPORTEUR SPÉCIAL

Mesdames, Messieurs,

Le 20 novembre 2013, la commission des finances du Sénat a demandé à la Cour des comptes de réaliser une enquête portant sur le fonds de financement de la protection complémentaire de la couverture universelle du risque maladie dit « fonds CMU » , qui finance, d'une part, la couverture maladie universelle complémentaire (CMU-C) et, d'autre part, l'aide au paiement d'une assurance complémentaire santé (ACS).

Cette demande est intervenue après l'adoption de mesures d'élargissement significatif des conditions d'accès à la CMU-C et à l'ACS , en particulier la revalorisation exceptionnelle des plafonds de ressources 1 ( * ) , et alors même que la maquette budgétaire du projet de loi de finances pour 2014 actait la suppression de la subvention de l'État au fonds CMU. Il avait alors été proposé par Jean-Pierre Caffet, qui était à l'époque rapporteur spécial de la mission « Santé », d'analyser les conséquences des décisions récentes en matière d'ouverture des droits à la CMU-C et à l'ACS et des modification des modalités de financement du fonds CMU.

À la remise de l'enquête par la Cour des comptes, la commission des finances du Sénat a organisé, le 3 juin 2015, une audition « pour suite à donner » rassemblant le président de la sixième chambre de la Cour des comptes, Antoine Durrleman, le directeur du Fonds CMU, Vincent Beaugrand, le directeur général de l'assurance maladie, Nicolas Revel, le directeur de la sécurité sociale, Thomas Fatome, et la directrice déléguée santé de la Fédération nationale de la Mutualité française, Agnès Bocognano.

Les travaux de la Cour des comptes montrent l'existence de carences importantes dans le processus d'instruction des demandes de CMU-C et d'ACS et de risques lourds concernant les perspectives financières du fonds CMU .

Votre rapporteur spécial a toutefois constaté un décalage entre les constats alarmants dressés par la Cour des comptes et la réaction des responsables d'administrations entendus par la commission des finances, qui, pour la plupart, considèrent que la situation est sous contrôle et en voie d'amélioration. Il convient toutefois de noter la concomitance de l'annonce par l'assurance maladie du lancement d'un plan national de contrôle des ressources des bénéficiaires de la CMU-C, le 13 mai dernier, avec la remise par la Cour des comptes de son enquête à la commission des finances. Il existe manifestement certains motifs légitimes d'inquiétude et certains points à améliorer dans la gestion des aides financées par le fonds CMU.

Sans contester l'utilité de la CMU-C et de l'ACS, votre rapporteur spécial considère que les risques mis en lumière par la Cour des comptes ne doivent pas être minimisés et qu'il revient au législateur d'anticiper l'apparition de déficits importants du fonds CMU, en adoptant rapidement des mesures d'ajustement.

1. De graves déficiences dans la gestion de la CMU-C et de l'ACS par l'assurance maladie

Lors des contrôles effectués sur place dans les caisses primaires d'assurance maladie du Gard, du Hainaut et du Val d'Oise, la Cour des comptes a constaté que les déficiences du processus d'instruction des demandes de CMU-C et d'ACS, déjà relevées en 2006 2 ( * ) , n'avaient pas été corrigées. L' application informatique utilisée demeure largement obsolète , ce qui est à la fois source d'erreurs dans le calcul des ressources des bénéficiaires et de charges de gestion importantes pour les caisses, qui consacrent déjà 1 460 emplois au total à la gestion de la CMU-C et de l'ACS. À ceci s'ajoute un manque de contrôle et des risques de sous-déclarations des ressources élevés , en raison de l'absence d'échange automatique de données avec l'administration fiscale.

Lors de l'audition pour « suite à donner », le directeur général de la CNAMTS, Nicolas Revel, a admis qu'il existait un problème de procédure - qui repose à l'heure actuelle essentiellement sur des déclarations en version papier - et d'outil informatique. Il a indiqué que le projet « Indigo » de modernisation du système d'information faisait partie des priorités du nouveau schéma directeur informatique de l'assurance maladie et serait mis en oeuvre en deux étapes, entre 2016 et 2017 . Il a également précisé que la procédure de vérification des ressources des bénéficiaires à partir de leurs comptes bancaires , expérimentée pour la première fois en 2014 3 ( * ) , allait être généralisée. À partir de 2015, environ 400 000 dossiers par an devraient être contrôlés selon cette procédure.

Votre rapporteur spécial se félicite du lancement de ces travaux par l'assurance maladie mais insiste sur l'urgence à mettre en place, en priorité, un processus d'instruction des demandes fiable et le plus largement possible automatisé.

2. L'impasse de la politique d'élargissement continu des conditions d'accès à la CMU-C et à l'ACS

L'absence d'amélioration du taux de recours à la CMU-C et à l'ACS ces dernières années confirme l'inefficacité de la politique d'augmentation continue des plafonds de ressources pour répondre au problème du non-recours et de l'accès aux soins des ménages disposant de faibles ressources. La mesure de relèvement exceptionnel de 7 % des plafonds de la CMU-C et de l'ACS, décidée en juillet 2013 par le gouvernement de Jean-Marc Ayrault, a certes augmenté de 2,7 à 4 millions le nombre de personnes éligibles à ces aides mais, dans les faits, cette mesure s'est traduite par seulement 309 000 attributions supplémentaires de CMU-C et 204 000 nouvelles souscriptions de complémentaire santé à l'aide de l'ACS. Le taux de non-recours s'est ainsi détérioré : il est désormais estimé entre 28 % à 40 % pour la CMU-C et 59 % à 72 % pour l'ACS .

Comme l'ont souligné plusieurs commissaires lors de l'audition pour « suite à donner », ce décalage croissant entre l'étendue des droits ouverts et l'effectivité de leur exercice peut créer un malaise chez nos concitoyens.

Par conséquent, votre rapporteur spécial préconise une approche plus réaliste et pragmatique , d'une part, en restreignant de façon modérée les conditions d'accès à ces aides (cf. infra ) et, d'autre part, en se concentrant sur l'amélioration du taux de recours grâce à la simplification des démarches pour les usagers.

Les campagnes d'information et de communication semblent peu efficaces pour augmenter le recours : selon le directeur général de la CNAMTS, sur 335 000 courriers envoyés à des foyers éligibles, moins de 5 % ont entraîné une demande d'aide. Or des marges de manoeuvre semblent exister en matière de simplification des démarches : simplification des formulaires, réduction du nombre de pièce justificatives demandées grâce à un échange automatique de données entre l'assurance maladie et l'administration fiscale ou encore la télédéclaration, qui, selon l'assurance maladie, devrait être possible à partir de la fin de l'année 2017.

3. La nécessité d'évaluer le risque de surconsommation des soins et d'étudier de façon plus approfondie les facteurs expliquant la répartition géographique des bénéficiaires

Les données disponibles font apparaître que les bénéficiaires de la CMU-C et de l'ACS sont, en règle générale, en moins bonne santé que le reste de la population. Toutefois, ces données ne permettent pas de déterminer si leur niveau de consommation de soins est proportionné aux pathologies.

Ainsi, selon le directeur général de la CNAMTS, « pour ce qui est du risque de surconsommation, aucune étude ne prouve aujourd'hui que celui-ci existe. Certes, nous n'avons pas administré la preuve qu'il n'y en ait pas, mais encore faut-il administrer la preuve qu'il y en ait un ! ».

Compte tenu de la gratuité de la protection complémentaire offerte par la CMU-C et de l'extension du tiers-payant intégral aux bénéficiaires de l'ACS à compter du 1 er juillet 2015, il apparaît essentiel de ne pas éluder la question de la surconsommation et d'évaluer au mieux ce risque .

Votre rapporteur spécial est, sur ce point, en désaccord avec le directeur général de la CNAMTS, pour lequel la mise en place d'actions de gestion des risques ciblées sur certains publics stigmatiserait ces derniers. Au contraire, il apparaît essentiel pour préserver la légitimité de la CMU-C et de l'ACS de vérifier si ces dispositifs n'entraînent pas un recours excessif au système de santé . Comme l'a rappelé à juste titre Agnès Bocogano, directrice déléguée santé de la FNMF, le financement de ces aides repose en effet sur les autres assurés, par le biais de la taxe de solidarité additionnelle (TSA), assise sur les primes de contrats d'assurance maladie complémentaire.

Par ailleurs, les écarts de pourcentage de bénéficiaires de la CMU-C et de l'ACS parmi les assurés associés sont très marqués d'un département à l'autre : les bénéficiaires de la CMU-C représentent plus de 36 % des assurés sociaux en Guyane et à la Réunion et environ 4 % dans le Jura ou en Corrèze. Interrogé par votre rapporteur spécial ainsi que par le rapporteur général, Albéric de Montgolfier, sur les causes de ces disparités géographiques et sur leur corrélation avec le niveau de vie de la population, le directeur de la sécurité sociale a répondu que « la répartition géographique des bénéficiaires [était] un point qu'il fa [llait] étudier plus précisément », même si le décalage entre « la cartographie de la précarité et celle de l'accès à la CMU-C » ne lui semblait pas important.

4. Des perspectives financières dégradées : l'apparition d'un déficit du fonds CMU dès 2017-2018

Les prévisions financières du fonds CMU publiées dans le rapport de la Cour des comptes font état d'un résultat négatif (- 35 millions d'euros) dès 2017, date à laquelle les réserves disponibles du fonds de roulement seraient épuisées. Selon le directeur du fonds CMU, Vincent Beaugrand, les prévisions actualisées indiquent que ce déficit n'apparaitrait qu'en 2018.

En tout état de cause, ce résultat déficitaire devra être comblé soit par le budget de l'État - qui finançait le fonds CMU jusqu'en 2008 - soit par l'affectation d'une fraction supplémentaire de droits tabacs . Selon la Cour des comptes, le niveau déjà élevé du taux de la TSA (6,27 %), versée par les organismes complémentaires et assise sur les primes et cotisations des contrats commercialisés par ces derniers, et le risque de répercussion d'une hausse sur le prix des garanties rendent peu souhaitables une augmentation de cette taxe affectée.

Interrogés par votre commission des finances, le directeur de la sécurité sociale et le directeur du fonds CMU ont souligné la grande prudence des hypothèses sur lesquelles reposaient ces prévisions financières. « Nous intégrons des hypothèses de croissance des effectifs importantes, de plus de 700 000 bénéficiaires pour la CMU-C à l'horizon 2019, et de 500 000 bénéficiaires pour l'ACS, en tenant compte de la croissance naturelle du dispositif, mais aussi de l'augmentation du taux de recours. La deuxième hypothèse est celle d'une croissance de 2 % à 2,5 % du chiffre d'affaires des organismes complémentaires qui forme la base de notre ressource. (...). L'hypothèse d'évolution du coût moyen retenue est de 0 % à 1 %, alors même que le coût moyen par bénéficiaire est plutôt en baisse depuis 2013 » a indiqué Vincent Beaugrand.

Toutefois, ces prévisions n'intègrent pas les départements d'outre-mer , dont une large proportion de la population est éligible à l'ACS. En outre, certains facteurs devant conduire à augmenter le taux de recours, tels que l'offre plus attractive des contrats éligibles à l'ACS découlant de la procédure d'appel à la concurrence, l'obligation de demander, lors de l'instruction des demandes de revenu de solidarité active (RSA), si l'allocataire souhaite également bénéficier de la CMU-C ou encore le renouvellement automatique de l'ACS pour les bénéficiaires du minimum vieillesse - semblent sous-estimés dans les hypothèses retenues.

Certes, comme l'a souligné Thomas Fatome, les montants de déficit en jeu sont bien inférieurs à ceux de la sécurité sociale. Toutefois, cette préoccupation financière apparaît légitime, au regard des risques soulignés par la Cour des comptes.

5. Prendre rapidement des mesures afin d'assurer la soutenabilité financière du fonds CMU

Même s'il est peu probable que le non recours à la CMU-C et à l'ACS disparaisse totalement dans les prochaines années, le problème de soutenabilité financière du fonds CMU ne doit pas être minimisé. Selon les évaluations de la Cour des comptes, les engagements financiers latents pris par les pouvoirs publics au titre de l'assurance complémentaire santé individuelle sont estimés entre 1,2 et 2,2 milliards d'euros 4 ( * ) . En outre, la généralisation de la complémentaire santé en entreprise, à compter du 1 er janvier 2016, devrait se traduire par une perte de recettes totale pour l'État et la sécurité sociale de l'ordre de 1,5 à 2,1 milliards d'euros 5 ( * ) .

Par cohérence avec le souhait de voir augmenter le taux de recours à la CMU-C et à l'ACS, sans pour autant aboutir à un déséquilibre financier du fonds CMU, votre rapporteur spécial recommande, à l'instar de la Cour des comptes, l'adoption de mesures d'ajustement .

Il apparaît en effet souhaitable :

- d' élargir l'assiette des ressources prises en compte pour apprécier l'éligibilité à la CMU-C et à l'ACS à l'ensemble des prestations sociales et des revenus d'activité afin d'attribuer ces aides de façon plus équitable et plus lisible pour les assurés. Cette appréciation large de la base des ressources comptabilisées serait cohérente avec la définition du seuil de pauvreté monétaire. A minima, il serait nécessaire de réintégrer certaines prestations sociales telles que la future prime d'activité ou l'intégralité du complément de libre choix d'activité ;

- de baisser, de façon modérée, le plafond de ressources de l'ACS 6 ( * ) afin de le faire coïncider avec le seuil de pauvreté monétaire qui correspond à 60 % du revenu médian. A l'heure actuelle, ce plafond est en réalité plus élevé que le seuil de pauvreté monétaire car un certain nombre de ressources ne sont pas prises en compte pour établir l'éligibilité à l'ACS.

*

En conclusion , les dysfonctionnements importants dans la gestion de la CMU-C et de l'ACS et les risques financiers lourds mis en avant par la Cour des comptes appellent à une réaction rapide de l'assurance maladie et à un suivi attentif par le Parlement . La remise de cette enquête intervient à un moment critique : il est encore temps d'ajuster le périmètre des aides financées par le fonds CMU avant que sa situation financière ne se dégrade. Votre rapporteur spécial proposera, dès l'automne prochain, des mesures en ce sens.


* 1 Décret n° 2014-782 du 7 juillet 2014 relevant le plafond des ressources prises en compte pour l'attribution de la protection complémentaire en matière de santé.

* 2 Cour des comptes, « La sécurité sociale », septembre 2006.

* 3 L'échantillon de mille dossiers contrôlés fait apparaître un pourcentage d'anomalies élevé : 24 % des dossiers dépassaient les plafonds de ressources de la CMU-C et environ 13 % ceux de l'ACS.

* 4 Estimation réalisée sur la base des hypothèses conventionnelles suivantes : montants moyens de dépenses au titre de la CMU-C et de l'ACS observés en 2013, appliqués aux bornes basse et haute de l'estimation de non-recours à ces droits effectuée par la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DREES) pour cette même année, soit entre 1,6 et 2,7 millions de non-recourants pour la CMU-C et 1,9 à 3,4 millions de non-recourants pour l'ACS.

* 5 Étude d'impact annexée au projet de loi relatif à la sécurisation de l'emploi.

* 6 Une telle mesure relève du pouvoir réglementaire.

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