C. STRASBOURG, CAPITALE EUROPÉENNE

1. Une capitale, fruit de l'histoire et de compromis politiques entre les États européens

Symbole historique de la réconciliation européenne, Strasbourg fut dans un premier temps désignée en 1949 comme siège du Conseil de l'Europe puis dix ans plus tard de la Cour européenne des Droits de l'Homme 23 ( * ) .

Parallèlement, en 1951, il fut décidé, essentiellement pour des raisons pratiques de fixer à Strasbourg le siège de l'assemblée parlementaire de la Communauté européenne du charbon et de l'acier (CECA) 24 ( * ) puis de la communauté économique européenne (CEE) devenue Parlement européen en mars 1962.

Force fut toutefois de constater à partir de cette période, une tendance au transfert de facto d'une partie des activités du Parlement vers Bruxelles de façon à se rapprocher du siège de la Commission européenne et du Conseil. Avec l'adoption du rapport du député conservateur britannique Derek Prag, en janvier 1989, ce déménagement partiel vers Bruxelles fut consacré par la possibilité, en plus des sessions plénières maintenues à Strasbourg, de tenir des sessions supplémentaires à Bruxelles. En 1985, le Parlement avait d'ailleurs, de sa propre initiative, décidé d'acquérir un hémicycle dans la capitale belge.

À la fin des années 1980, le Parlement européen se trouvait ainsi installé sur trois sites différents, Luxembourg étant (à la suite de l'assemblée de la CECA) le siège du secrétariat général 25 ( * ) . Cette situation a donné lieu à une opposition entre la France et la Belgique, dans la mesure où, près de trente ans après sa création, le Parlement ne disposait toujours que de lieux de travail à titre temporaire, issus de différentes décisions successives des États membres, sans qu'un accord définitif sur son siège officiel ait pu être conclu.

C'est au Conseil européen d'Édimbourg (des 11 et 12 décembre 1992), qu'un accord politique est intervenu entre les gouvernements des États, la Belgique acceptant que Strasbourg devienne à terme le siège officiel du Parlement accueillant douze sessions plénières à condition que les autres activités politiques (les réunions des commissions, celles des groupes politiques et les sessions plénières additionnelles) se tiennent à Bruxelles. Cet accord prit la forme de la décision relative à la fixation des sièges des institutions et de certains organismes et services des Communautés européennes, sur le fondement des articles 216 du traité CEE, 77 du traité CECA et 189 du traité CEEA (Communauté européenne de l'énergie atomique). À l'occasion de la Conférence intergouvernementale préparatoire au traité d'Amsterdam, le texte de cette décision a été repris en tant que protocole n° 12 annexé aux traités UE, CE, CECA et CEEA et ces dispositions figurent aujourd'hui dans le protocole n° 6 annexé aux traités UE et FUE et le protocole n° 3 annexé au traité CEEA, relatifs à la fixation des sièges des institutions et de certains organes, organismes et services de l'Union européenne, dans des termes identiques à la décision d'Édimbourg, à savoir que :

« Le Parlement européen a son siège à Strasbourg, où se tiennent les douze périodes de sessions plénières mensuelles, y compris la session budgétaire. Les périodes de sessions plénières additionnelles se tiennent à Bruxelles. Les commissions du Parlement européen siègent à Bruxelles. Le secrétariat général du Parlement européen et ses services restent installés à Luxembourg. »

2. Une capitale communautaire contestée

Malgré la construction d'un bâtiment nouveau et spécifique au Parlement européen, (inauguré en 1999) 26 ( * ) , l'inscription officielle dans le droit européen de Strasbourg comme siège du Parlement n'a pas mis fin aux débats ni aux critiques.

Aussi la France a-t-elle dû, à deux reprises, contester devant la Cour de justice de l'Union Européenne des actes du Parlement visant à affaiblir l'ancrage de l'institution dans la capitale alsacienne. En 1997 puis en 2012 la Cour a ainsi annulé des délibérations du Parlement européen réduisant le nombre de sessions tenues à Strasbourg, dont le nombre et la définition sont fixés par le Protocole n° 6.

La campagne anti-Strasbourg était en particulier orchestrée par le comité Single Seat fondé par un député européen conservateur (non réélu en 2014), Edward McMillan-Scott. Le comité a notamment produit un rapport pointant le coût financier de la dispersion des lieux de travail du Parlement européen dans trois villes différentes en l'estimant entre 156 et 204 millions d'euros. Le comité évaluait également l'impact environnemental à l'émission de 19 000 tonnes de CO 2 supplémentaire, par rapport à une situation dans laquelle le Parlement siègerait uniquement à Bruxelles. Une pétition a également été mise en ligne à l'initiative de ce même comité, visant à rechercher le soutien des citoyens européens à la réunion de tous les services du Parlement à Bruxelles, qui a reçu 1,2 million de signatures. Ces chiffres ont fait l'objet d'un débat et ont notamment été contestés par un autre rapport, celui, de l'Association européenne des jeunes entrepreneurs (AEJE) 27 ( * ) concluant un impact financier 4,5 fois inférieur à celui du rapport Mc Millan-Scott (51,5 millions d'euros), et à un impact environnemental largement inférieur (4 199 tonnes de CO 2 ).

Toutefois, le 20 novembre 2013, le Parlement européen, a adopté par 483 voix contre 141, une résolution visant à contester la répartition actuelle des lieux de travail de l'institution et indirectement, à mettre fin à la présence de l'Assemblée à Strasbourg.

Reprenant largement les arguments du comité Single Seat, et en particulier ses chiffrages, la résolution revendiquait pour le Parlement la capacité à choisir lui-même le lieu de son siège en déclarant que le Parlement « estime qu'il y a lieu de reconnaître au Parlement européen, en tant qu'unique organe de représentation directe des citoyens européens, la prérogative de déterminer ses propres modalités de travail, y compris le droit de décider où et quand il se réunit » 28 ( * ) . Prenant acte du fait qu'une décision de modification ne peut venir que du Conseil européen et être ratifiée par l'ensemble des États membres, la résolution précise que le Parlement « s'engage dès lors à lancer une procédure de révision ordinaire des traités au titre de l'article 48 du traité sur l'Union européenne afin de proposer de modifier l'article 341 du traité FUE et le protocole n° 6 de sorte que le Parlement puisse décider de la fixation de son siège et de son organisation interne » 29 ( * ) .

La résolution adressait en outre une demande à la Cour des comptes européenne à laquelle cette dernière a répondu par un rapport concluant à une économie potentielle de 118 millions d'euros par an en cas de réunion de l'ensemble des services du Parlement à Bruxelles, prenant en compte à la fois les économies de fonctionnement mais également les coûts liés à l'amortissement et à l'entretien des différents bâtiments. La délégation note toutefois que ce rapport n'envisage que la solution d'un déménagement complet à Bruxelles, laissant entièrement de côté l'hypothèse d'une installation complète à Strasbourg, alors que la demande du Parlement ne concernait que l'étude de l'impact d'un siège unique, sans préciser son lieu.

3. Les principaux enseignements de la délégation

En premier lieu, la délégation a pu, sur place, se rendre compte du fait que les débats lancés à la fin de la précédente législature européenne étaient toujours d'actualité, M. Alain Cadec soulignant que les anti-Strasbourg représentent déformais une large majorité des députés et ce, à un moment où la France a perdu de son influence au sein du Parlement. 30 ( * )

S'il est clair que la campagne de contestation du siège à Strasbourg se poursuit, le risque est peut-être moins l'hypothèse d'une modification des traités que pour reprendre l'expression de M. Roland Ries, celui d'un « glissement progressif du déplaisir » occasionné par des déménagements entre les différents lieux de travail du Parlement.

En second lieu, un certain consensus semble dès lors se faire jour sur la nécessité de reprendre l'initiative au-delà d'une simple posture défensive reposant sur des arguments juridiques, la réduction du temps de transport entre Bruxelles et Strasbourg 31 ( * ) et le nécessaire soutien financier de l'État réalisé notamment au travers de contrats triennaux « Strasbourg, capitale européenne », le dernier en date ayant été signé le 26 avril dernier. Au cours de nos échanges deux niveaux d'actions ont ainsi été évoqués.

Il s'agit d'une part de la conduite d'une mobilisation consistant notamment à mettre en avant les atouts de Strasbourg par rapport à Bruxelles tels que l'opportunité qu'ils représentent pour une meilleure identification du Parlement 32 ( * ) au sein des institutions, l'existence d'une société civile locale très favorable et traditionnellement très mobilisée en faveur de la construction européenne ainsi que la proximité du Conseil de l'Europe et de la Cour européenne des Droits de l'Homme, avantage précieux dans la perspective d'une adhésion de l'Union européenne à la Convention. Cette mobilisation est en particulier le fait de la Task force conduite par Mme Catherine Trautmann.

À un niveau plus politique, il s'agit d'autre part d'être en mesure de formuler des propositions sur l'organisation des institutions en particulier au moment où le risque existe de voir le Royaume-Uni tenter d'imposer ses desiderata s'agissant du fonctionnement de l'Union.

Parmi les propositions avancées, la délégation a été très intéressée par celle de M. Philippe Richert visant à faire aussi de Strasbourg la capitale de la zone euro 33 ( * ) et par celle de M. Roland Ries consistant à établir (au moins partiellement) le siège du Secrétariat d'État aux affaires européennes à Strasbourg 34 ( * ) .

Au final, si l'ensemble des élus et de la société civile de l'Alsace nous ont paru pleinement mobilisés, la question de la place de Strasbourg nous semble d'abord être une question d'intérêt national et européen. Il s'agit moins de défendre un héritage du passé que de préserver l'équilibre de l'organisation institutionnelle de l'Europe à venir et le rôle de la France dans celle-ci.


* 23 Si la Convention européenne des droits fut signée le 4 novembre 1950 ; ce n'est en effet que le 18 septembre 1959 que fut arrêté le règlement intérieur fixant le siège de la juridiction à Strasbourg.

* 24 Les institutions de la CECA devaient être implantées à Bruxelles. Les membres fondateurs y étaient favorables, à l'exception du Premier ministre belge de l'époque qui aurait préféré Liège. Faute d'un accord unanime sur Bruxelles, le choix s'est porté sur Luxembourg qui ne disposait cependant pas d'un hémicycle propre à accueillir les parlementaires. Il fut dès lors décidé que l'hémicycle du Conseil de l'Europe, et donc Strasbourg, accueillerait cette assemblée.

* 25 Ce qui est en principe toujours le cas aujourd'hui.

* 26 Année jusqu'à laquelle le Parlement partageait toujours les locaux du Conseil de l'Europe.

* 27 Le siège dans tous ses états. Pour ou contre le siège du Parlement européen de Strasbourg ? Les arguments historiques, institutionnels, politiques financiers et environnementaux passés au crible Rapport du 17 octobre 2013.

* 28 Paragraphe 1 de la résolution.

* 29 Paragraphe 4.

* 30 Notamment du fait de la composition de la délégation française qui, sur un total de 74 députés, compte 24 élus de Front national, n'appartenant à aucun groupe.

* 31 Qui devrait être prochainement de 3h50 (grâce au TGV passant par Roissy-Charles De Gaulle) l'an prochain contre 5 heures aujourd'hui.

* 32 Lorsque la presse parle « le Parlement de Strasbourg », le rôle de ce dernier est clairement reconnu alors que l'expression « Bruxelles » évoque un ensemble indistinct d'institutions.

* 33 À la fois d'un secrétariat général et de structures de réunions propres à la zone.

* 34 Par exemple dans le nouveau quartier d'affaires en construction à proximité immédiate du Parlement européen.

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