B. LES ATTENTES EUROPÉENNES

1. L'accord du 20 février

L'accord trouvé entre l'eurogroupe et le gouvernement grec le 20 février 2015 prévoyait l'extension du programme d'assistance financière jusqu'au 30 juin 2015. Il reposait sur la présentation d'une liste de réformes structurelles correspondant aux attentes des bailleurs de fonds internationaux.

a) Les propositions grecques

Le gouvernement grec a présenté le 24 février suivant un programme de réformes. Réparties au sein de quatre chapitres - budget de l'État et fiscalité, stabilité financière, croissance et aide humanitaire -, elles s'éloignent substantiellement des promesses de campagne de Syriza durant la campagne.

La première partie se concentrait sur la lutte contre la fraude, l'évasion fiscale et la corruption. Le gouvernement prévoyait la mise en place d'une base de données sur la richesse, mise à la disposition de l'administration fiscale. Il envisageait également une rationalisation de la taxe sur la valeur ajoutée sans que ne soit précisé ce projet. La lutte contre la corruption, priorité nationale, concerne principalement le blanchiment d'argent, le trafic de tabac et d'essence et les prix des produits importés. Le renforcement de l'indépendance du secrétariat général des revenus publics est envisagé.

Le gouvernement renonçait dans le même temps à la suppression de l'impôt sur la propriété ( Enfia ) même si une baisse de 15 à 20 % est envisagée. Il devait cependant être refondu d'ici à la fin 2015 afin de ne viser que les grandes propriétés. Le relèvement du plafond de non-imposition de 5 000 à 12 000 euros était, quant à lui, ajourné (il est de 9 600 euros en France).

Au final, la réforme fiscale proposée par le gouvernement prévoyait une augmentation des recettes de l'ordre de 6 à 8 milliards d'euros, grâce à un meilleur recouvrement des arriérés d'impôts et une révision de l'assiette de la TVA.

Le gouvernement entendait parallèlement réexaminer et contrôler toutes les dépenses publiques, en vue de dégager des économies. Il souhaitait limiter les dépenses de santé tout en garantissant l'accès universel aux soins. Les salaires de la fonction publique ne devraient pas augmenter, les avantages supra-salariaux étant appelés à être réduits. Symboliquement, les avantages des ministres ainsi que ceux des hauts-fonctionnaires ont également été revus : suppression des véhicules de fonction ou réduction des frais de voyage. Le recours aux services de conseillers spéciaux devait dans le même temps être encadré et a législation sur les partis politiques durcie. Le système des retraites devait également être réformé afin, notamment, de limiter le nombre de départs anticipés dans le secteur public. Les salaires et les pensions ne devaient pas pour autant être baissés, bien qu'ils représentent 56 % de la dépense publique grecque.

La deuxième partie consacrée à stabilisation financière apparaissait assez imprécise. Le gouvernement envisageait principalement une refonte de sa législation en matière d'endettement. Il entendait distinguer les non remboursements de créances frauduleux de ceux imputables à une détérioration de la situation financière des emprunteurs. Le système judiciaire devait également être réformé via une réorganisation des juridictions et une numérisation accrue

Au sujet de la croissance, la liste prévoyait également la poursuite des opérations de privatisations lancées par le précédent gouvernement. Ce revirement par rapport aux intentions initiales du Premier ministre n'a pas été pas sans susciter de tiraillements au sein du gouvernement, le ministre de l'économie souhaitant annuler la privatisation du Pirée et réviser la liste des aéroports concernés et le ministre de l'énergie refusant la privatisation de la compagnie d'électricité CEC ou celle de la compagnie gazière DEPA. Le gouvernement grec entendait dans le même temps poursuivre l'ouverture de son marché domestique à la concurrence et aligner la réglementation sur le gaz et l'électricité sur la législation européenne.

Une nouvelle approche en matière salariale a également évoquée, la négociation en la matière devant désormais concilier flexibilité et équité. La question de l'augmentation du salaire minimum n'a pas été précisément abordée. Une des promesses de campagne consistait pourtant en son relèvement de 586 à 751 euros mensuels, soit un montant supérieur à celui perçu au sein d'autres États membres. Les autorités envisageaient dorénavant une majoration au fil du temps, l'étendue et le calendrier des modifications envisagées devant être définis en concertation avec les institutions européennes, aucune décision unilatérale ne devant être prise en la matière.

En ce qui concerne la situation humanitaire, le gouvernement entendait combler les besoins de ses concitoyens en situation d'extrême pauvreté. Cette ambition ne doit pas, cependant, avoir d'effet budgétaire négatif. Ces dispositions (repas subventionnés et électricité gratuite pour 300 000 familles vivant en dessous du seuil de pauvreté, accès gratuit au système de santé) étaient estimées à 1,86 milliard d'euros.

b) Un simple point de départ pour les négociations

Suite à la présentation de son programme, la Grèce entendait pourtant bénéficier rapidement de la dernière tranche du programme d'assistance financière européen, soit 1,8 milliards d'euros, et de crédits provenant du FMI, soit 3,5 milliards d'euros. Elle souhaitait, en outre, que la Banque centrale européenne rétrocède dans le même temps 1,9 milliards d'euros perçus au titre des rachats de titres de dette grecs achetés dans le cadre du programme SMP entre mai 2010 et mars 2012.

Les bailleurs de fonds internationaux ont préféré conditionner le versement effectif de ces sommes au lancement des réformes annoncées mais aussi à une estimation précise de la situation financière de la Grèce. Le programme du 24 février dernier, a bien été approuvé par l'eurogroupe, qui espérait alors que les mesures avancées seraient précisées d'ici au mois d'avril 2015.

La Banque centrale européenne estimait, à ce titre, que les dispositions présentées ne constituaient pas des mesures concrètes, rejoignant ainsi les observations du FMI qui regrettait que le gouvernement grec n'ait pas apporté de réelles assurances quant à son intention de mettre en oeuvre les réformes envisagées dans le cadre du mémorandum d'accord de février 2012. Il relevait également un manque de précision en ce qui concerne la TVA (le mémorandum d'accord prévoyait pourtant une majoration du taux de TVA sur l'hôtellerie dans les îles grecques en 2015), le système des retraites, les privatisations ou la réforme du marché du travail (modification du cadre législatif concernant les licenciements collectifs et l'exercice des droits syndicaux) et celui des biens. La volonté du gouvernement grec d'aller de l'avant en matière de lutte contre l'évasion fiscale et la corruption a été néanmoins été saluée par l'ensemble des bailleurs de fonds.

2. Les points d'achoppement des négociations
a) Un cadre de négociation difficile à mettre en place

Les négociations se sont en premier lieu focalisées sur des questions sémantiques. Contrairement aux ambitions qu'il avait affichées, le gouvernement grec n'a pas obtenu la suppression de la troïka, thème de campagne de Syriza . Seul le terme disparaît pour être remplacé par la formule « institutions européennes ». Outre les anciens membres de la troïka, elles comprennent des représentants du Mécanisme européen de stabilité (MES). Associés aux négociateurs grecs, les associations prennent la forme de « groupe de Bruxelles ». L'essentiel des négociations techniques a en effet eu lieu dans la capitale belge afin d'éviter des crispations liées à la venue de ces experts sur le terrain.

Une première réunion technique entre représentants du gouvernement grec et ceux des bailleurs de fonds internationaux a été organisée le 11 mars à Bruxelles. Une visite des « institutions européennes » était organisée dans le même temps à Athènes afin de pouvoir disposer de la totalité des informations financières. Cette évaluation était jusque-là d'autant plus délicate que les représentants des bailleurs de fonds à Athènes n'avaient plus accès directement aux données des ministères.

Les réunions de Bruxelles et Athènes n'ont pas permis de réellement avancer. Un mini-sommet réunissant le président de la République française, la chancelière allemande, les présidents du Conseil, de la Commission européenne, de l'eurogroupe et de la BCE, et le premier ministre grec a été organisé le 19 mars. Ce rendez-vous politique de haut niveau, sollicité par les autorités grecques, ne s'est pas traduit pour autant par une modification de la posture relativement attentiste du gouvernement grec. Une liste de réformes, précisées et chiffrées, a ainsi été demandée à Athènes.

L'absence de transmission d'éléments chiffrés a, en effet, longtemps pesé sur les négociations, empêchant toute avancée, alors que l'accord du 20 février prévoyait une renégociation d'environ un tiers des mesures contenues dans le mémorandum d'accord signé par le précédent gouvernement avec ses créanciers. Les réformes avancées sont jugées trop générales et pas assez détaillées, alors que le gouvernement n'a remis au cours des deux premiers mois de négociations que deux documents : un dossier de 8 pages fin février et un autre un peu plus exhaustif de 26 pages en mars.

Une succession de listes de réforme
destinées à préciser les intentions du gouvernement

Une première liste de sept projets de réformes a été présentée par le gouvernement grec lors de l'Eurogroupe le 9 mars . Cette liste comprenait l'aide aux foyers les plus démunis, une vente de licence à des sites de paris en ligne, un projet d'amnistie fiscale pour effacer 78 milliards d'euros d'arriérés d'impôts ou la formation d'agents du fisc pour des missions ponctuelles de lutte contre la fraude (les touristes auraient ainsi pu filmer en caméra cachée des commerçants). Le rattachement du SDOE, qui regroupe les agents du fisc, au Secrétariat général des recettes publiques, organisme indépendant, n'est à l'inverse pas envisagé, alors qu'il figure parmi les demandes de la troïka depuis trois ans. Les autorités grecques entendaient enrichir cette liste par l'introduction de déclarations fiscales pour les revenus non déclarés au cours des années précédentes. Aucune pénalité ne serait alors appliquée. Un dispositif a parallèlement été mis en place fin mars permettant le paiement des arriérés d'impôts sans majoration. L'État grec a pu ainsi percevoir 110 millions d'euros. Il en attendait cependant 500 millions d'euros .

Une nouvelle liste de réformes a été transmise le 30 mars . Elle était censée générée entre 4,7 et 6,1 milliards d'économies. Elle prévoyait notamment une reprise des privatisations, via la location à long terme de 14 aéroports régionaux, dont la gestion a été transférée à l'entreprise allemande Fraport , et la vente du port du Pirée. Ces privatisations devaient rapporter 1,5 milliard d'euros, soit un chiffre en deçà de celui fixé initialement pour 2015 dans le mémorandum d'accord : 2,2 milliards d'euros. Le document chiffrait également les effets des mesures de lutte contre la fraude à la TVA (entre 350 et 420 millions d'euros) et contre le trafic de carburants et d'alcool (entre 250 et 450 millions d'euros). La lutte contre la fraude à la TVA devait passer par l'instauration d'un système de gratification financière, destinée à récompenser les bons contribuables. Le gouvernement entendait par la suite généraliser l'utilisation de terminaux de paiement par carte, la Grèce n'en disposant que de 130 000. Le contrôle des comptes ouverts à l'étranger devait conduire à rapatrier entre 725 et 875 millions d'euros - 6,3 milliards d'euros seraient ainsi placés illégalement en Suisse, une coopération entre les deux pays a été initiée le 26 mars en se fondant sur l'accord bilatéral existant en matière de double imposition - et la réforme de la législation fiscale 300 millions d'euros. Les auteurs d'évasion fiscale devraient par ailleurs être incités à se repentir et à déclarer les sommes dissimulées.

S'il envisage - sans la préciser - une majoration de la TVA dans les îles, le gouvernement refusait cependant toute augmentation des taxes concernant le tourisme. Une taxe sur les jeux en ligne devait permettre de récupérer entre 125 et 175 millions d'euros. Un prélèvement sur les produits de luxe devrait permettre d'engranger 20 millions d'euros supplémentaires. L'impôt foncier ( Enfia ) mis en place par le précédent gouvernement devrait être remplacé par un impôt sur la grande fortune immobilière.

Le programme prévoyait, par ailleurs, une limitation du nombre de départs en retraite anticipés.

Ces mesures d'économie étaient contrebalancées par la réintroduction d'un treizième mois pour les petites pensions, dont le coût est estimé à 600 millions, et le maintien de la suspension de la clause dite « zéro déficit » pour les régimes de retraites complémentaires. Le salaire minimum devait lui être progressivement réévalué à compter du quatrième trimestre 2015, le gouvernement estimant négligeable l'impact budgétaire de cette indexation en 2015 et 2016.

Faute d'accord, deux autres documents ont été transmis le 11 mai puis début juin par le gouvernement.

La réunion de l'eurogroupe à Riga le 22 avril a d'ailleurs été l'occasion pour les partenaires de la Grèce d'exprimer leurs inquiétudes face aux progrès limités. Le remaniement de l'équipe de négociation annoncé par le gouvernement grec le 27 avril dernier a contribué à rapprocher les positions, au moins en ce qui concerne les méthodes de travail. Des personnalités n'appartenant pas à Syriza ont été désormais directement associées aux négociations, alors que le ministre des finances, Yanis Varoufakis, contesté au sein de l'eurogroupe lors de la réunion à Riga, semble avoir été placé en retrait de celles-ci. La coopération entre la haute fonction publique et la nouvelle équipe gouvernementale, qui craignait un manque de loyauté, s'est sans doute également améliorée. Des organismes publics, à l'image de l'agence nationale des statistiques (ELSTAT) critiquée par le nouveau gouvernement qui doutait de son impartialité, ont également été mieux impliqués dans les négociations. La réunion du 11 mai de l'eurogroupe a permis d'enregistrer quelques progrès, liés à cette réorganisation et à la rationalisation des procédures de travail.

Des avancées ont, depuis, pu se dessiner sur les privatisations. Celle du port du Pirée apparaissait prioritaire, le gouvernement grec, disposant de 67 % des parts. Le conglomérat chinois Cisco , qui possède déjà deux concessions au sein du port, pourrait ainsi acquérir les actions détenues par l'État et devenir propriétaire des deux terminaux restant (marchandises et passagers). L'État devrait néanmoins conserver une part du capital au sein de ce que le gouvernement grec qualifie de consortium, refusant de parler de privatisation. La plateforme électorale de Syriza prévoyait, en effet, la suspension des privatisations. La privatisation du PMU grec amorcée par le précédent gouvernement avait déjà été entérinée le 24 avril dernier. Dans le même temps les créanciers ont repoussé leurs exigences quant au montant attendu à l'horizon 2020. La cible de 22 milliards d'euros est désormais reportée à 2022. Reste que les revenus attendus des privatisations pour la période 2015-2019, soit 5,3 milliards d'euros, laissent sceptiques quant à la possibilité d'atteindre dans les trois ans qui suivent le montant espéré par les institutions.

Les institutions et Athènes ont surtout trouvé un accord, le 15 juin 2015, sur la question de l'excédent primaire. Celle-ci est cruciale tant elle détermine les marges de manoeuvre budgétaires du gouvernement. La Commission a revu ses estimations initiales à la baisse, tablant désormais sur un solde de 1 % du PIB en 2015 (contre 3 % dans ses premières prévisions), 2 % en 2016 puis 3% en 2017 et 3,5 % en 2018. Le taux retenu pour 2015 était contesté jusque-là par le gouvernement grec, sous la pression de Syriza , qui l'estimait trop élevé. Les autorités tablaient pourtant sur un excédent primaire de 1,4 % lors des premières négociations. Début juin, elles avaient ramené cet objectif à 0,6 %. Une baisse des dépenses militaires (2,3 % du PIB) - les dépenses grecques en la matière étant les deuxièmes d'Europe - était envisagée afin de parvenir au taux de 1 %. Les créanciers tablaient sur une baisse de 400 millions d'euros, le gouvernement souhaitant limiter celle-ci à 200 millions d'euros. Des divergences persistaient, par ailleurs, sur l'état du déficit budgétaire en 2016 : les institutions estiment celui-ci à 2,5 % du PIB contre 1,65 % côté grec.

Au-delà de la trajectoire budgétaire, le gouvernement grec souhaitait un engagement écrit de ses partenaires en faveur de la restructuration de la dette. Conformément aux conclusions de l'eurogroupe du 27 novembre 2012, les créanciers n'envisageaient pas, initialement, d'intégrer la question de la renégociation dans leur proposition. La Commission européenne a, cependant, indiqué le 26 juin que de telles négociations pourraient avoir lieu « à l'automne », insistant plus sur la tenue d'un débat sur la soutenabilité qu'une proposition chiffrée de restructuration.

b) La réforme des retraites

Les créanciers sont unanimes pour souligner le coût trop élevé du système de retraites grec et appelle à une réforme de son mode de fonctionnement. Le coût annuel du système de retraite est estimé à 17,5 % du PIB, soit au-delà de la moyenne européenne établie à 13,2 %. Selon le FMI, l'absence de réforme conduirait ce coût à atteindre 24 % du PIB d'ici à 2050. Le déficit actuel est estimé à 2 milliards d'euros. Les créanciers souhaitent donc que soient mises en place des économies représentant annuellement 1 % du PIB en 2016 et 2017, soit 1,8 milliard d'euros. Ils cernent notamment la dérive des retraites anticipées et appellent à leur suppression rapide. Elles ont en effet progressé de 14 % dans le secteur privé et de 48 % dans la fonction publique depuis 2009. Dans le secteur public, le nombre de départs annuels a progressé de 178 % sur la période 2009-2013 par rapport à période 2000-2008. Le Fonds monétaire international insiste sur un départ effectif en retraite à 67 ans, soit l'âge retenu par la réforme des retraites de 2010, censée être entrée en vigueur le 1 er janvier 2013. Un certain nombre de dérogations et de dispositifs de préretraites et une mise en place progressive retardent la pleine effectivité de cette réforme. Pour les créanciers, seuls les salariés disposant de quarante annuités de cotisation continueraient à bénéficier d'une retraite à l'âge de 62 ans et des retraites anticipées pourraient concerner les métiers les plus pénibles ou les parents d'enfants handicapés. Le nouveau système devait progressivement être mis en place, selon les créanciers, entre le 1 er juillet 2015 et 2022, selon la dernière proposition d'accord transmise le 26 juin. Une augmentation de la contribution des pensionnés en matière de santé de 4 à 6 % en moyenne et l'extension de celle-ci aux pensions complémentaires était également envisagée par les bailleurs de fonds. Il s'agissait de poursuivre les efforts de rationalisation et d'unification du régime grec, dont le nombre de caisses a été ramené de 100 en 2010 à 13 aujourd'hui.

Éludant la question des réformes de structure, le gouvernement grec s'est focalisé de son côté sur le niveau des pensions versées, et notamment sur le maintien de l'EKAS, prime instituée en 1996. Les institutions entendent la voir supprimée à la fin 2019, avec un écrêtement immédiat pour 20 % des bénéficiaires (elles envisageaient initialement une suppression dès 2016). Comprise entre 120 et 220 euros par mois, octroyée aux retraités dont la pension est inférieure à 8 472,09 euros annuels, soit 706 euros mensuels. En 2014, 195 000 personnes ont bénéficié de cette prime, soit un coût annuel pour l'État de 630 millions d'euros environ. La pension moyenne s'établit à 664,69 euros. Dans la lignée de ses prédécesseurs, le gouvernement grec entend également que la clause de « déficit zéro » pour les régimes de retraite complémentaire ne soit pas appliquée. Cette clause réduit en effet le montant des retraites complémentaires, celles-ci atteignant en moyenne 168,40 euros mensuels. Les autorités estiment que des efforts déjà important ont été demandés aux retraités depuis le début de la crise. 44,8 % des retraités perçoivent des arrérages inférieurs au seuil de pauvreté, soit 1,19 million de personnes sur un total de 2,65 millions de retraités. Les pensions ont diminué d'environ 15 % pour les plus faibles (moins de 500 euros par mois) et de plus de 44 % pour celles supérieures à 3 000 euros depuis 2010. La pension moyenne brute - avant impôt et cotisations santé - s'élève cependant à 960,66 euros mensuels. Le gouvernement grec préconise le remplacement de l'EKAS par un revenu minimum, qui pourrait selon lui, être mis en place, à l'horizon 2018. La suppression de l'EKAS serait alors progressivement réalisée entre cette date et 2020.

Les autorités grecques souhaitaient initialement effectuer un examen approfondi du régime des retraites à l'automne prochain. Elles soulignaient, en outre, que la sécurité sociale a déjà fait l'objet d'une réforme d'envergure visant à l'unification des caisses d'assurance sociale et à supprimer les dispositions permettant les départs en retraite anticipées, ce qui contribue mécaniquement, selon elle, à augmenter l'âge de départ en retraite. Les propositions formulées le 22 juin par le gouvernement allaient dans ce sens, les dérogations au départ en retraite à 67 ans et les retraites anticipées devant être progressivement supprimées à compter de 2016 et d'ici à 2025. Ce calendrier diffère de celui retenu par les institutions. Il s'agissait néanmoins d'une réelle avancée, Syriza s'étant montré favorable durant la campagne électorale au retour de l'âge de la retraite à 60 ans.

Le gouvernement envisageait également une majoration des cotisations salariales et patronales. 800 millions d'euros étaient ainsi attendus en 2016. Les créanciers ont exprimé leurs doutes sur une telle majoration, craignant un effet négatif pour la reprise de l'activité. L'augmentation du taux de la contribution des retraités au système de santé devait être de 5 % en moyenne, avec un système d'exonération, ce qui diffère des propositions des institutions Les pensions complémentaires supérieures à 1 000 euros devaient, par ailleurs, être réduites.

La question des retraites est d'autant plus délicate que le Conseil d'État grec a invalidé, le 10 juin 2015, les coupes opérées en 2012. Si la décision n'a pas d'effet rétroactif, le budget de l'État devrait cependant être grevé à l'avenir d'une somme comprise entre 1 et 1,5 milliard d'euros annuels.

c) Les recettes fiscales

L'augmentation des recettes fiscales grecques doit permettre, selon la Commission européenne, de combler le déficit budgétaire attendu pour 2015, soit 1,1 % du PIB. Les institutions attendent ainsi une augmentation des prélèvements de l'ordre de 2 milliards d'euros.

Le coeur de la négociation concerne la TVA. Le système actuel prévoit trois taux, établis à 6 %, 13 % et 23 % et des taux particuliers concernant les îles. Il convient de rappeler que la TVA est censée rapporter 15 milliards d'euros annuels à l'État, seuls 10 milliards d'euros sont cependant collectés. Les institutions souhaitaient initialement la mise en place de deux taux, fixés à 11 % - qui comprendrait les médicaments, la nourriture et l'hôtellerie - et 23 %. Le gouvernement grec a préconisé, le 22 juin, le maintien d'un système à trois taux. Le taux de 6 % serait maintenu pour les médicaments, les livres et les places de théâtre, celui à 13 % viserait la nourriture et l'hôtellerie. Il refuse, par ailleurs, que la TVA sur l'électricité actuellement établi à 13 % passe à 23 %. Reste la question de la TVA dans les îles. Les autorités grecques ont indiqué, le 22 juin, envisager une différenciation les concernant : les îles les plus prospères, à l'image de Mykonos, Rhodes ou Santorin, se verraient appliquer une TVA normale, les exceptions ne concernant plus que les territoires les plus éloignés et les moins ouverts au tourisme. La proposition du 26 juin formulée par les créanciers prenait en compte les objections des autorités grecques et revenait à un système à trois taux, le taux standard étant fixé à 23 %. Le taux de 13 % comprendrait la nourriture, l'eau, l'énergie et l'hôtellerie et celui de 6 % sur les produits pharmaceutiques, les livres et le théâtre. La différence tient donc à la question de la taxation de la restauration. Le calendrier de la mise en oeuvre était également source de divergences : les institutions souhaitant une application dès le mois de juillet, les autorités grecques tablant sur octobre.

Le gouvernement grec entendait parallèlement tabler sur une intensification de la lutte contre la fraude fiscale et sur l'amélioration de la collecte pour maximiser ses recettes. Il envisageait dans le même temps une augmentation de la taxe sur les bénéfices exceptionnels (1 milliard attendu en 2015), de la contribution de solidarité (entre 220 et 250 millions d'euros espérés en 2015 et 2016), la vente de licences audiovisuelles (340 millions d'euros en 2015) et d'autres prélèvements censés rapporter 210 millions d'euros sur la période 2015-2016. La liste de réformes présentée le 11 mai et actualisée le 22 juin par le gouvernement prévoit également la mise en place d'une taxe spéciale visant les 500 familles les plus riches. Un relèvement de la surtaxe sur les salaires supérieurs à 50 000 euros annuels, une taxe de solidarité de 8 % touchant les revenus de plus de 500 000 euros, une majoration du taux de 10 à 13 % de celle portant sur les produits de luxe (piscine, avions, bateaux de plus de 10 mètres et voitures de luxe) et une standardisation de celle visant le chiffre d'affaires étaient également envisagées. L'impôt sur les sociétés passerait de 26 à 29 %. Un projet de loi présenté le 29 avril dernier par le gouvernement prévoit, par ailleurs, une taxe sur les droits de diffusion et la publicité télévisée. La mise en place d'une taxe sur les transactions financières, censée rapporter entre 300 et 600 millions d'euros par an, a finalement été écartée. Le gouvernement envisageait également l'introduction d'une taxe sur les croisières. Les paiements supérieurs à 70 euros pourraient, en outre, faire obligatoirement l'objet d'une transaction par carte de crédit.

Certaines de ces dispositions fiscales, notamment celles visant les entreprises, ont été contestées par les créanciers en raison de leur effet potentiellement récessif. Les institutions craignaient que ces mesures affectent la capacité d'investissement des entreprises. Il en va ainsi de la taxe sur les bénéfices exceptionnels retirée de la proposition transmise au gouvernement grec le 26 juin ou de l'augmentation du taux de l'impôt sur les sociétés, réduite d'un point. Les institutions privilégiaient plutôt la suppression des exonérations fiscales pour les îles de la mer Égée (30%).

d) La réforme du marché du travail

Les négociations se sont également concentrées sur la réforme du marché du travail, sur lesquels l'écart entre les propositions grecques et les attentes de l'eurogroupe demeurait important.

Il convient d'insister à ce stade sur un point : la réforme du marché du travail souhaitée par les créanciers n'a pas véritablement trait à la question du coût du travail elle-même. Celui-ci a largement baissé depuis le début de la crise. La diminution est estimée à 25 % depuis 2009, ce qui le replace au niveau observé en 2001, un an avant l'intégration au sein de la zone euro. C'est plutôt la complexité législative qui était visée, ainsi que l'absence de modernisation des conventions collectives. Le gouvernement entendait néanmoins que l'Organisation internationale du Travail (OIT) effectue une analyse approfondie du marché avant toute réforme visant les conventions collectives. Les professions réglementées sont également visées par les institutions. Le cas des pharmacies est ainsi assez éloquent. Quatre fois plus nombreuses qu'en France, elles souffrent aujourd'hui de difficultés financières conséquentes. L'Ordre des pharmaciens empêche pour l'heure toute réforme d'envergure du secteur.

3. Une position des institutions moins inflexible qu'il n'y paraît
a) La position ambiguë du Fonds monétaire international

Les négociations entre la Grèce et ses créanciers ont parallèlement révélé une certaine fermeté de la part du Fonds monétaire international, qui refuse que le cas grec constitue un précédent dans sa gestion des pays en crise. Des dissensions se font jour entre la Commission européenne d'un côté et le Fonds monétaire international de l'autre quant aux priorités des négociations. La Commission tendait à privilégier une lecture comptable en se montrant inflexible sur l'excédent budgétaire primaire et plus souple sur les réformes des retraites et du marché du travail. Le Fonds monétaire international a adopté la position inverse et jugé les réformes à mener non négociables. Face à la dégradation du solde primaire, il privilégiait une restructuration de la dette qui n'est pas jugée prioritaire par les Européens, appuyant indirectement les demandes en ce sens du gouvernement grec qui souhait relier cette question à la conclusion d'un accord.

La position du FMI sur la dette se justifie par la volonté de maintenir le caractère solvable de celle-ci, condition sine qua non pour le maintien de ses aides à la Grèce. Il convient par ailleurs de rappeler que le FMI, dont les conditions d'emprunts sont supérieures à celles des Européens, est considéré comme créancier prioritaire en cas de restructuration. Il ne serait donc pas affecté par une réduction éventuelle de l'encours de la dette. C'est dans cette perspective qu'il convient d'analyser le rapport que le FMI a publié le 2 juillet sur la soutenabilité de la dette grecque, qui envisage une réduction de la dette d'environ 53 milliards d'euros afin de permettre à celle-ci de respecter la trajectoire assignée en 2012. Au risque, cependant, de renforcer la dynamique du non lors de la campagne référendaire.

Les Européens entendaient cependant toujours associer le Fonds aux négociations, en raison notamment de son rôle majeur au sein des institutions. Le Fonds est censé disposer, à leurs yeux, d'une capacité d'expertise dont ils ne disposeraient pas.

Le gouvernement grec avait, de son coté, tenté une forme d'ouverture en direction du Fonds monétaire international en nommant le 31 mai l'ancienne députée socialiste Elena Panaritis représentante de la Grèce auprès de l'institution. Celle-ci avait par le passé participé aux négociations sur le mémorandum d'accord. Elle a néanmoins préféré décliner cette proposition face à l'opposition de députés de Syriza . Le gouvernement grec s'est montré, depuis, favorable à un retrait du Fonds monétaire international du programme d'assistance.

b) Une recherche du compromis

L'une des clés de la victoire de Syriza t ient à la brutalité de certaines mesures adoptées par le gouvernement précédent en vue de répondre aux demandes des bailleurs de fonds. Celles-ci, parfois liées à une vision technocratique voire idéologique de la situation, ont été insuffisamment expliquées ou précisées . Il en va ainsi de l'augmentation de la taxation sur les médicaments qui est venue répondre à une demande des bailleurs de fonds visant le trafic de ces produits, qu'ils jugeaient facilité par leur faible coût. Le renforcement des moyens de la lutte contre ce type de trafic attendu par la troïka s'est ainsi traduite par une augmentation du coût pour les consommateurs. Il en va de même pour l'énergie, alors que la troïka dénonçait un trafic de fuel généralisé dans le pays. La demande de suppressions de postes dans la fonction publique, formulée en 2013 par la troïka, a également été analysée diversement par le gouvernement Samaras. Là où les bailleurs de fonds contestaient l'absence de licenciements disciplinaires effectifs ou la rémunération d'agents temporaires ayant cessé leur mission mais contestant leur non-prolongement, le gouvernement a préféré limoger le personnel de ménage des ministères - réembauché par le gouvernement Syriza à son arrivée -, les gardiens des écoles et les policiers municipaux. La fermeture de la chaîne de télévision publique ERT en 2013 relève également de cette même incompréhension.

Une telle traduction gouvernementale des demandes internationales a incontestablement contribué à la victoire en janvier dernier d'une formation souhaitant remettre en cause les mémorandums d'accord. Il appartenait aux bailleurs de fonds de tenir compte de cette lassitude et de présenter les réformes attendues avec pédagogie. Le débat sur l'EKAS était, à cet égard, assez emblématique. La question d'une application d'un taux majoré de TVA dans les îles l'est également. Il convenait de ne pas se crisper sur ces deux demandes, en particulier la première. En ce qui concerne la seconde, les négociateurs devaient avoir à l'esprit que le succès de la saison touristique, principale manne financière pour une économie exsangue, tenait sans doute à une application du taux une fois la période des vacances terminées.

La proposition d'accord du 26 juin, qui prenait en compte les listes des réformes présentées par le gouvernement grec les 8, 14, 22 et 25 juin allaient dans le sens d'une relative souplesse sur ces dossiers. Il est regrettable que le gouvernement ait privilégié la rupture des négociations et choisi l'option référendaire, sur un texte de surcroît antérieur, les Grecs ayant été appelés à se prononcer sur une proposition datant du 25 juin.

c) Une ouverture vers l'avenir ?

Compte tenu de la lenteur des négociations et de la proximité des échéances pour la Grèce, l'hypothèse d'un accord en deux temps était la plus souvent envisagée. Le gouvernement grec avait d'ailleurs accepté, le 22 juin dernier, le principe d'une prolongation du plan d'aide actuel au-delà du 30 juin. Le versement des aides internationales serait progressivement réalisé après accord entre la Grèce et ses créanciers sur le solde primaire du budget de l'État - condition déjà remplie - et le montant des recettes fiscales. Le reste aurait été décaissé après le 30 juin, en fonction des résultats obtenus sur les réformes des retraites et du marché du travail. Cette nouvelle prorogation du plan d'aide aurait pu durer au moins trois mois.

Cependant, au-delà du versement de l'enveloppe de 7,2 milliards d'euros, se posait la question de la capacité de la Grèce à pouvoir, se refinancer sur les marchés. Un temps évoquée, la ligne de précaution paraissait, aux yeux d'un certain nombre d'observateurs, insuffisante pour accompagner ce retour. Celui-ci pouvait s'avérer périlleux et aurait fragilisé l'objectif d'une réduction substantielle de la dette publique à l'horizon 2020. Face au risque d'impasse financière, la mise en place d'un troisième plan d'aide apparaît de plus en plus comme la seule alternative possible à une sortie de la Grèce de la zone euro, ordonnée ( Grexit) ou non ( Grexident ).

Le vice-président de la Commission européenne, M. Valdis Dombrovskis, chargé de l'euro et du dialogue social, avait indiqué le 3 mars que la Grèce aurait sans doute besoin de mesures additionnelles au 1 er juillet prochain, précisant que la ligne de précaution envisagée avec le gouvernement précédent ne semblait plus suffisante compte tenu des difficultés budgétaires rencontrées par le gouvernement grec et du scepticisme des marchés. D'après le ministre espagnol des affaires économiques, ce plan pourrait porter sur une somme comprise entre 30 et 50 milliards d'euros. Ce plan n'a pas été officiellement confirmé par la Commission européenne ou l'eurogroupe. Le FMI table, dans son rapport sur la soutenabilité de la dette grecque du 26 juin publié le 2 juillet, sur la somme de 52 milliards d'euros pour aider la Grèce à faire face à ses obligations entre octobre 2015 et décembre 2018. La contribution de l'Union européenne, via le MES, est estimée à 36 milliards d'euros. Cette aide est motivée, selon le Fonds, par une dégradation de la position de la Grèce qui l'empêche de se refinancer sur les marchés à des taux permettant à sa dette publique de demeurer soutenable. Cette estimation intègre, par ailleurs, la mise en oeuvre des réformes proposée par les institutions et vient s'agréger au montant de l'aide qu'elles envisageaient, soit 15,5 milliards d'euros.

Une solution plus modeste pourrait consister en la conversion des crédits du Fonds hellénique de sauvegarde financière (10,9 milliards d'euros), somme à laquelle viendrait s'ajouter les crédits restant à verser dans le cadre de l'enveloppe FMI (8,6 milliards d'euros en 2015 puis 3,1 milliards d'euros en 2016).

Le gouverneur de la Banque centrale de Grèce, Yannis Stournaras, estimait, de son côté que son pays devrait disposer d'un « arrangement de suivi », à l'issue du plan. Celui-ci devrait combiner allègement de la dette et ligne de crédit de précaution d'un côté et programme crédible de réformes budgétaires et structurelles de l'autre. L'allègement pourrait prendre la forme d'un allongement de la maturité des prêts octroyés en 2010 (GFL - prêts bilatéraux) et 2012 (FESF). Dans le même temps, le taux des prêts GFL serait ramené à zéro. La combinaison de ces deux mesures pourrait, selon la Banque de Grèce, réduire l'endettement de 17 % du PIB.

La proposition des institutions présentée le 26 juin allait, dans ce contexte, plus loin que la demande exprimée par les autorités grecques en proposant une aide de 15,5 milliards d'euros. Le plan d'aide aurait été prolongé, dans ces conditions, de 5 mois. Aux 7,2 milliards d'euros s'ajoutaient, 1,4 milliard d'euros de ristourne d'intérêts versé par la BCE et 6,9 milliards d'euros issus du Fonds hellénique de stabilité financière (HFSF), ce qui répond à la fois à une demande du gouvernement actuel mais celui aussi de son prédécesseur. Un débat sur la soutenabilité de la dette était également envisagé à l'automne.

Cette solution a été rejetée quelques heures plus tard par les autorités grecques, qui souhaitaient avant tout obtenir un engagement en faveur de la restructuration de la dette, déjà formalisé par l'eurogroupe le 27 novembre 2012.

C'est dans ces conditions que l'eurogroupe a souhaité, le 27 juin, maintenir au 30 juin la date de fin du programme d'aide, laissant néanmoins la porte ouverte à une reprise des négociations d'ici à la tenue du réferendum, sans pour autant envisager de nouvelles concessions.

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