AUDITION DE MME NAJAT VALLAUD-BELKACEM, MINISTRE DE L'ÉDUCATION NATIONALE, DE L'ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR ET DE LA RECHERCHE

A. INTERVENTIONS

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente

Je vous remercie d'être venus nombreux pour entendre Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. Nous avions demandé cette audition dès la présentation de la réforme du collège en conseil des ministres, au mois de mars, mais l'agenda n'a pas permis de la tenir plus tôt.

La réforme du collège a été mise en oeuvre par un décret et un arrêté publiés voici deux semaines, au lendemain d'un mouvement de grève des enseignants. Au-delà de nos sensibilités politiques respectives, nous sommes tous attachés à la réussite de tous les élèves et tous conscients de la nécessité de réformer le collège. En revanche, les modalités pratiques de votre réforme font débat, chacun ayant son idée de la réforme idéale. Nombre d'entre nous ont participé à l'élaboration de la loi de refondation de l'école en 2013. Aussi mettons-nous les choses en perspective, quand bien même le collège n'a pas été au centre des débats.

Notre commission a d'ores et déjà entendu des représentants des syndicats enseignants et des parents d'élèves. La semaine prochaine, nous entendrons des représentants des chefs d'établissement et des inspecteurs.

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche

Nous étions convenus d'une première date le 19 mai, mais il s'agissait du jour de la mobilisation enseignante, c'est pourquoi nous avons reporté l'audition. Le moment me paraît toutefois opportun pour répondre à certaines questions et lever certaines inquiétudes, comme je l'ai fait devant votre assemblée à l'occasion des nombreuses questions posées au Gouvernement.

La réforme du collège doit être mise en perspective dans la politique éducative du Gouvernement. Nous avons d'abord rendu à l'éducation nationale le premier budget de la nation. Cela s'est traduit par des créations de postes, notamment dans le premier degré. « Pourquoi avoir réformé le collège avant le primaire ? », m'a-t-on souvent demandé. Or depuis 2012, nous avons augmenté le nombre de maîtres dans les écoles primaires, favorisé la préscolarisation avant l'âge de trois ans et modifié les rythmes scolaires dans le premier degré : nous avons donc bien respecté la logique chronologique en commençant par les défis du primaire.

Le collège est un moment charnière dans la vie des élèves. En passant du CM2 à la sixième, l'élève bascule dans un autre monde sans être toujours acculturé et en mesure de comprendre ce que l'on attend de lui. Depuis quelques années, les résultats des élèves - de tous les élèves - de collège français sont en baisse.

Notre collège va mal parce que le niveau général diminue ; parce que l'écart entre les bons élèves et les plus en retard n'a cessé de se creuser ; parce que ces écarts sont liés à l'origine sociale des élèves - le déterminisme social est particulièrement fort en France, qui est la lanterne rouge de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) dans ce domaine. L'école française conforte les inégalités sociales par son organisation, qui donne davantage à ceux qui ont déjà beaucoup.

Nous avons voulu remédier à cet état de fait, en jouant sur tous les leviers d'action. Les enseignements interdisciplinaires et l'accompagnement personnalisé ont déjà fait l'objet de tentatives d'introduction au collège, mais sans les accompagner d'un changement des programmes. Ainsi, on a fait peser une injonction paradoxale sur les enseignants en leur demander de travailler en petits groupes, de mieux accompagner les élèves, tout en leur imposant des programmes très lourds, d'où la souffrance qu'ils ressentent.

Pour la première fois, nous allons modifier à la fois les programmes et l'organisation du collège. Premier levier, partant du constat que tous les établissements n'ont pas les mêmes besoins, nous allons mettre fin à l'uniformité en donnant une marge de manoeuvre aux équipes enseignantes, ici pour renforcer l'enseignement du français, là pour renforcer la motivation en organisant des partenariats avec le monde professionnel. Ce sont les fameux 20 % du temps dont les équipes pédagogiques décideront l'organisation.

Deuxième levier : les pratiques pédagogiques. Il n'y a pas une unique façon d'apprendre. En plus des enseignements traditionnels, qui sont disciplinaires, théoriques et magistraux, nous allons mettre en place les enseignements pratiques interdisciplinaires (EPI) : plusieurs enseignants travailleront ensemble auprès des élèves en croisant leurs spécialités. Dans un monde complexe où les sources d'information sont multiples, l'enseignement cloisonné et disciplinaire ne suffit plus. Pour prendre du sens, ce travail doit s'organiser autour de projets concrets - ce que les anglo-saxons appellent learning by doing - par exemple en établissant un lien entre des formules mathématiques et le développement durable.

Les EPI porteront sur huit thèmes, dont le monde économique et professionnel, le renforcement des langues vivantes ou encore le développement durable. Autonomie oblige, les établissements en choisiront six. Que les différentes disciplines ne craignent pas de perdre du temps d'enseignement, puisqu'elles en retrouveront en participant aux EPI.

Troisième levier, l'accompagnement personnalisé et le travail en petits groupes. Les enseignants se plaignent de ne pouvoir avancer en raison de l'hétérogénéité du niveau des élèves. Nous allons créer 4 000 postes - cela n'est pas suffisamment rappelé - pour les aider à s'adapter à la singularité de chaque élève en prévoyant des temps d'accompagnement personnalisé. Ils vérifieront la bonne acquisition du cours ou proposeront un approfondissement aux élèves les plus avancés.

La réforme instaurera ainsi un collège toujours unique mais pas uniforme, car il traitera la diversité des élèves. Elle s'accompagnera d'une réforme des programmes qui entrera elle aussi en vigueur à la rentrée 2016. Ces programmes correspondront au socle commun de connaissances, de compétences et de culture, dont la première version avait été établie en 2005, alors que François Fillon était ministre de l'éducation nationale - vous voyez que nous reprenons les bonnes idées, d'où qu'elles viennent... Cependant, comme les programmes n'avaient pas été révisés, les enseignants devaient évaluer leurs élèves à l'aune du programme et en fonction du socle commun, ce qui a conduit certains à qualifier le livret personnel de compétences « d'usine à cases ».

Nous procédons à une mise en cohérence, pour que les programmes de primaire et du collège conduisent l'élève à la maîtrise de chacune des compétences du socle. C'est un travail considérable. J'ai pu encore le constater ce matin même à l'occasion d'un forum avec des historiens. Bien sûr, un programme est toujours perfectible. Considérez cependant que nous changeons en même temps neuf ans de programmes dans toutes les disciplines.

Enfin, nous ne voulons pas seulement corriger les lacunes du collège, mais aussi le moderniser. En 2023, quand les collégiens de 2016 entreront dans la vie active, de quoi auront-ils besoin ? De connaître plusieurs langues vivantes, de mieux maîtriser l'oral, de savoir travailler en équipe, de développer la créativité, de savoir utiliser les outils numériques.

Dans cette perspective, nous allons d'abord imposer la deuxième langue vivante dès la classe de cinquième. Des contre-vérités ont circulé, on a prétendu que c'était au détriment de la première langue vivante (LV1). C'est faux, la LV1 ne perd pas d'heures. À compter de 2016, les élèves apprendront une langue étrangère dès le cours préparatoire (CP), et non plus à partir du cours élémentaire 1 re année (CE1).

Le 7 mai, le Président de la République a annoncé un plan numérique pour le collège, doté d'un milliard d'euros sur trois ans. Ce n'est pas anodin ! Ce programme, mis en oeuvre dès 2016, comprendra une formation des enseignants, la création de ressources pédagogiques numériques, en particulier pour les langues vivantes, et le financement d'équipements mis à la disposition des élèves.

La réforme du collège répond à un défi particulièrement actuel après les attentats de janvier, celui de la citoyenneté. L'école a également pour mission de transmettre des valeurs, de former des citoyens. C'est pourquoi parmi les thèmes des EPI figure l'éducation aux médias, ce qui a malheureusement été peu commenté. La réforme prévoit également le développement d'un média collégien - journal, radio ou autre - dans chaque établissement, ainsi que la création d'un conseil de la vie collégienne, expérimenté avec succès dans les lycées.

Enfin, la réforme n'oublie pas les parents. Le livret scolaire unique leur donnera la possibilité de suivre le parcours de leur enfant, notamment l'absentéisme.

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