B. DÉBATS

M. Jean-Claude Carle, rapporteur pour avis des crédits de l'enseignement scolaire

La plupart des acteurs de la communauté éducative entendus par notre commission ont exprimé de fortes inquiétudes quant à cette réforme : certains en demandent même l'abrogation.

Je ne conteste pas la nécessité d'améliorer la situation, puisque 20 à 30 % des entrants en sixième ne maîtrisent pas les fondamentaux et que certains élèves sortant de troisième ont des difficultés à résoudre des exercices de mathématiques de niveau CM2.

Parmi les 150 000 élèves qui sortent du système sans diplôme, la moitié a éprouvé des difficultés dès le premier cycle, conséquence du déterminisme social. À sept ans, l'avenir des élèves est déjà largement déterminé. Il est nécessaire de prendre le problème à la racine, dès l'école élémentaire, pour faire en sorte que tous les élèves sachent lire, écrire et compter à leur entrée en sixième. Nous pensons que vous devez aller plus loin. Quel est votre point de vue sur ce sujet ?

La méthode et la philosophie de la réforme suscitent elles aussi des interrogations. L'école mérite mieux que des prises de position politiciennes, dans un jeu où droite et gauche se renverraient le « référentiel bondissant » ! Pourquoi supprimer les classes bilangues et les sections européennes ? Leur utilité a été rappelée par un récent rapport de l'inspection générale soulignant que leur présence « participe indéniablement à une meilleure attractivité du collège, facteur de mixité sociale pour les établissements classés en éducation prioritaire ».

La deuxième langue vivante en cinquième est une mesure louable, mais son enseignement, trop superficiel, risque de fragiliser les élèves en difficulté, comme les enseignants des collèges qui l'ont expérimentée l'ont relevé.

Le latin et le grec sont injustement taxés d'élitisme ; votre réforme n'offre pas la possibilité de les étudier sérieusement, elle propose un enseignement au rabais dans le cadre des EPI. L'arrêté crée, en plus, un enseignement de complément sans dotation horaire dédiée. Certes, un programme est en projet, mais qu'en sera-t-il sans volume dédié ? Ce sont pourtant des fondements de notre culture.

Je m'interroge sur la pertinence des EPI, qui sont créés au détriment de l'enseignement disciplinaire. Rappelons-nous les expériences, peu concluantes, des travaux personnels encadrés (TPE) et des itinéraires de découverte (IDD).

L'orientation, maintenant. La réforme met fin à l'option de découverte professionnelle en troisième au profit du parcours individuel d'information et de découverte du monde économique et professionnel (PIIODMEP), mais sans horaires spécifiques. Le temps de cet enseignement sera nécessairement pris sur le temps disciplinaire. L'avenir de la classe de troisième prépa-pro est tout aussi incertain, en l'absence de précisions sur le volume horaire qui lui sera attribué. Le Président de la République veut favoriser les filières professionnelles et l'apprentissage ; pourquoi ne pas individualiser davantage les parcours ? Enfin, le devenir des sections d'enseignement général et professionnel adapté (SEGPA) au collège reste flou. Quelles orientations prévoyez-vous ?

Sans revenir sur le caractère facultatif de l'enseignement de certaines périodes historiques, je déplore le charabia ridicule utilisé dans certains programmes ; ainsi des éléments explicatifs au programme de français de cycle 4 : « L'élève questionne et expérimente à travers l'écriture, l'oral et la lecture le sens du cheminement qui mène l'être aussi bien au-delà de lui-même vers l'inconnu qu'en lui-même à la recherche de l'énigme qu'il est » ! Va-t-on enfin appeler un chat un chat ? Ce langage prêterait à sourire, s'il n'était pas insultant pour les jeunes et les parents dont le vocabulaire est limité.

J'avais proposé qu'avant les arbitrages budgétaires le Parlement puisse débattre au-delà des deux heures attribuées pour discuter votre budget, autant que pour celui des Monnaies et médailles !

Mme Françoise Férat, rapporteure pour avis des crédits de l'enseignement technique agricole

Plutôt que de revenir sur des points inlassablement soulevés depuis plusieurs semaines, je m'en tiendrai au cadre général de la réforme.

L'acquis des fondamentaux dès le primaire est essentiel. La réforme ne présuppose-t-elle pas que tous les élèves doivent savoir lire, écrire et compter convenablement en entrant en sixième, ce qui favoriserait la réduction des inégalités par la suite ?

Pour remonter plus loin encore, la maternelle est un moment important, celui de l'acquisition du langage. Or les inégalités sont déjà fortes à l'entrée à l'école. Je crois savoir qu'il existe un projet de programmes pour la maternelle. Qu'en est-il exactement ?

Certaines des dispositions du décret et de l'arrêté sont déjà mises en oeuvre dans l'enseignement agricole, en premier lieu l'accompagnement personnalisé et l'autonomie pédagogique, qui s'accompagne d'une véritable autonomie de gestion - et ça marche ! Ne pourrait-on pas s'en inspirer ?

L'orientation est la grande absente de la réforme. L'article 6 de l'arrêté se contente d'une allusion : les EPI contribuent à la mise en oeuvre du PIIODMEP. Pour le moment, en dehors d'un projet de référentiel, rien n'est prévu pour sa mise en oeuvre. Aucune dotation horaire n'a été annoncée. Faudra-t-il ponctionner sur les disciplines pour l'organiser ?

Plus généralement, je déplore la logique qui consiste à maintenir les élèves autant que possible dans une filière générale. La revalorisation de l'enseignement professionnel demeure hélas un voeu pieux.

Mme Françoise Laborde

Premièrement, quelles sont les conséquences de cette réforme sur le diplôme national du brevet ?

Deuxièmement, les heures normalement consacrées à l'enseignement de l'éducation civique sont souvent utilisées pour terminer le programme d'histoire-géographie. L'enseignement moral et civique au collège aura-t-il un programme et une dotation spécifiques pour éviter cela ?

D'un point de vue pratique, 26 heures de cours hebdomadaires sont prévues en sixième, avec un plafond de six heures par jour et une pause d'une heure et demie le midi, soit au total 4,5 jours de cours. L'école privée sous contrat sera-t-elle soumise aux mêmes règles, ce qui la contraindrait à assurer des cours le mercredi matin ? Dans le cas contraire, ce serait une dérogation, et vous savez que je les déteste...

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre

Je suis convaincue de la réalité de l'effet maître, qui rend d'autant plus importante la formation des enseignants. Avec les écoles supérieures du professorat et de l'éducation (ÉSPÉ), nous avons rétabli la formation initiale. Nous allons veiller à harmoniser les troncs communs et, surtout, accorder une priorité à la formation continue. Un plan de formation pour 2015-2016 est en cours d'adoption avec les organisations syndicales. Nous avons souhaité publier le décret pour commencer dès que possible l'appropriation de la réforme par les enseignants, grâce à ce plan très ambitieux puisque chacun d'entre eux recevra quatre à cinq jours de formation sur la nouvelle organisation, les nouveaux programmes et l'introduction du numérique.

Concernant les classes bilangues, peut-être la formulation est-elle en cause. Nous ne souhaitons pas mettre fin au dispositif, mais l'étendre à l'ensemble des élèves. L'école ne peut organiser la différence de chances entre élèves. Les classes bilangues concernent 15 % des élèves de sixième ; elles concerneront l'ensemble des élèves de cinquième. C'est peut-être insuffisant, mais nous aurons parcouru la moitié du chemin.

Est-ce un risque que d'enseigner une deuxième langue à tous dès la cinquième ? Arrêtons d'opposer les matières : comme des enquêtes sérieuses l'ont démontré, l'exposition aux langues vivantes améliore la maîtrise du français.

Il y a un temps pour la polémique et un temps pour la confiance. Les langues anciennes sont une richesse, un apport dans les domaines de l'histoire, de la citoyenneté, du français, mais aussi du développement de l'imaginaire ; c'est pourquoi, plutôt que de les réserver à une minorité, nous devons les ouvrir à un plus large public grâce aux EPI qui aborderont toutes ces dimensions. Je fais le pari que ces matières attireront ainsi davantage d'élèves. S'ils sont 18 % à étudier le latin au collège, ils ne sont plus que 5 % au lycée. Les langues et cultures de l'Antiquité pourront être étudiées en cinquième, quatrième et troisième de façon continue dans le cadre des EPI, avec en plus la possibilité d'enseignements de complément. Au total, elles bénéficieront du même nombre d'heures, mais pour un plus grand nombre d'élèves. Quant aux professeurs, ils enseigneront ces matières dans le cadre des EPI, comme tous leurs collègues et l'augmentation du nombre d'élèves leur permettra de continuer à assurer des cours de latin et de grec.

Vous craignez le retour des IDD, qui déjà étaient destinés à introduire l'interdisciplinarité au collège. Leur échec s'explique par le fait que les heures d'IDD, qui n'étaient pas sanctuarisées dans l'agenda des élèves, sont devenues des heures « gadget ». Les EPI, eux, auront une réalité dans les agendas et une base dans les programmes.

L'éveil des élèves au monde professionnel est favorisé par le PIIODMEP, qui sera bientôt appelé, de façon moins obscure, « parcours Avenir ». Ce parcours est conçu pour faire découvrir aux élèves, les lycées professionnels, les métiers, l'apprentissage dans le cadre de journées dédiées. Les établissements seront invités à adopter un projet en lien avec les entreprises de leur territoire.

Vous vous inquiétez pour les SEGPA. Non seulement ces classes continueront à exister, mais elles seront confortées. Une circulaire en cours de rédaction entend favoriser le rapprochement entre les élèves de SEGPA et ceux des autres filières à travers des moments communs dans leur scolarité.

Le vocabulaire des programmes a suscité de nombreuses réactions. Je conviens de la nécessité de créer des documents de vulgarisation plus aisément accessibles aux parents.

Mme Françoise Cartron

Très bien !

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre

La maternelle n'est pas oubliée, puisque les nouveaux programmes ont déjà été adoptés avec un retour très positif des enseignants mais, curieusement, un écho beaucoup moins important. Il a été unanimement reconnu que le jeu devait y retrouver toute sa place. Nous avons également introduit la conscience phonologique, c'est-à-dire le premier pas vers l'apprentissage de l'écriture. Nous travaillons en ce moment à des documents de vulgarisation de ces programmes.

Vous avez évoqué l'enseignement agricole ; naturellement, nous suivons attentivement ce qui s'y passe, notamment en matière d'accompagnement personnalisé.

Mme Laborde m'a interrogée sur les conséquences de la réforme sur le brevet. Le nouveau brevet apportera une évaluation en conformité avec les orientations du référentiel, en matière de maîtrise de l'oral, de travail en équipe et de connaissance de deux langues vivantes. Contrôle continu et contrôle final seront maintenus.

Enfin, les établissements privés sous contrat devront naturellement respecter le référentiel du collège ; en revanche, la loi leur laisse la possibilité d'organiser la semaine comme ils l'entendent. Ils n'auront donc pas obligation de dispenser des cours le mercredi matin.

Mme Corinne Bouchoux

Vous avez fait preuve de beaucoup de pédagogie pour nous expliquer ce qui est explicite dans la réforme ; mes questions porteront plutôt sur ce qui reste implicite. Chez les enseignants, l'individualisme et le sens de l'autonomie priment sur le travail en équipe. Nous le savons tous, l'ouverture de classes bilangues ou l'enseignement du latin servent à créer des classes « Camif » destinées à améliorer l'attractivité du collège dans un univers de plus en plus compétitif. Enfin, transformer les petits effectifs volontaires pour apprendre une langue ancienne en gros effectifs non volontaires n'ira pas sans difficultés. Se pose également la question de l'équilibre entre la formation des enseignants sur site, dans les établissements, et la mise à disposition des locaux nécessaires - en Allemagne, les professeurs disposent de bureaux et de salles de réunion. Il est indispensable d'y répondre, si l'on veut arriver à une réforme consensuelle du collège.

Mme Françoise Cartron

Votre ton très pédagogique parvient à faire évoluer les représentations et les convictions. M. Carle et Mme Férat sont désormais convertis à l'importance de la maternelle et du primaire. Je me rappelle le rapport de la présidente Papon sur la nécessité d'ouvrir des jardins d'éveil plutôt que des maternelles : nous progressons... Il est désormais acquis que l'apprentissage de la langue dès le plus jeune âge est important : oui, nous avançons ! Quant à la part d'autonomie laissée aux établissements, elle est prônée depuis bien longtemps, toujours par M. Carle, qui y voit le salut de la progression et de l'innovation pour nos établissements : nous y sommes !

La consultation des enseignants de maternelle livre un retour favorable sur la réforme des programmes. Celle des enseignants du primaire est en cours. Disposez-vous d'une synthèse éclairant les points de consensus et de litige ? Cette réforme ne fonctionnera que si les enseignants se l'approprient. Quel accompagnement avez-vous prévu pour oeuvrer au plus près des professeurs ? Irez-vous jusqu'à modifier les missions des inspecteurs de l'Éducation nationale pour qu'ils privilégient, dans cette période de changement, l'accompagnement pédagogique au contrôle administratif ? Enfin, des questions ne manquent pas de surgir depuis le 11 janvier sur la nécessité d'éduquer les enfants aux medias et à l'esprit critique : comment l'école peut-elle y contribuer ?

Mme Colette Mélot

Je ne reviendrai pas sur le diagnostic, ni sur la nécessité d'une réforme de notre système éducatif. Je m'étonne cependant que la vôtre propose d'abroger des options et de les remplacer par des parcours moins nourris, notamment en langue. Enseigner à tous une deuxième langue dès la cinquième ? Le saupoudrage ne bénéficiera certainement pas aux élèves. Mieux aurait valu pour certains approfondir la première langue vivante. Supprimer les classes européennes ou les langues anciennes prive ceux qui l'auraient voulu de la possibilité de bénéficier de cet enseignement. Vouloir généraliser les apprentissages est irréaliste, et particulièrement dans les établissements difficiles. Il n'y a pas que les enfants issus des classes sociales favorisées qui choisissent ces options. Dans un collège de zone d'éducation prioritaire (ZEP), en Seine-et-Marne, des classes bilangues et européennes y ont été créées il y a vingt ans. On y compte 50 % de boursiers, et le collège fait désormais partie d'un réseau d'éducation prioritaire (REP). Grâce à ces dispositifs et aux échanges linguistiques, les élèves y bénéficiaient d'une ouverture au monde. Ce ne sera désormais plus possible.

Le collège unique qui a vu le jour en 1975 n'est plus adapté. Si le socle commun reste nécessaire, il faut des enseignements diversifiés pour que les élèves trouvent leur voie et s'épanouissent. Ce n'est pas tout à fait ce que vous proposez. Enfin, pouvez-vous nous confirmer que la réforme ne modifiera ni les sections internationales, ni les sections sportives, ni les classes à horaires aménagés ?

Mme Brigitte Gonthier-Maurin

Cette réforme fait naître un véritable émoi : à l'instar de mes collègues, je suis inondée de courriers. Nous aurons besoin de temps pour lutter contre les déterminismes sociaux. Des inquiétudes demeurent sur la reconstitution d'un vivier d'enseignants. Les résultats d'admissibilité au concours externe laissent entrevoir des manques dans certaines matières. Au certificat d'aptitude au professorat de l'enseignement du second degré (CAPES) externe de mathématiques, le taux des admissibles a chuté de 5,1 %. La même désaffection se constate en allemand, en lettres et en anglais, où le nombre d'admissibles est même inférieur au nombre de postes à pourvoir. Cette réforme risque de s'opérer dans un contexte de pénurie d'enseignants. Manifestement, les dispositifs des emplois d'avenir professeur (EAP) et du Master 1 en alternance ne suffiront pas à rétablir la situation. La question du pré-recrutement demeure plus que jamais essentielle.

M. Philippe Bonnecarrère

Mon collègue Claude Kern s'interroge sur la préposition « ou » dans l'intitulé de la thématique « Langues et cultures étrangères ou régionales ». Il aurait souhaité lire « et ». Quelle place faites-vous aux langues régionales dans la réforme ?

M. David Assouline

Il faut que ceux qui se servent de la concomitance entre la réforme des programmes et celle du collège pour créer la confusion arrêtent de mentir. Beaucoup se sont émus de la suppression du latin ou du fait qu'on privilégierait l'enseignement de l'islam à celui des autres religions, ce qui est totalement faux. Quelles nouvelles instructions avez-vous données au Conseil supérieur des programmes (CSP) pour garantir que l'enseignement des humanités et des Lumières reste au coeur des contenus, comme vous l'aviez annoncé au lendemain du 11 janvier ?

M. Louis Duvernois

Quelle continuité avez-vous prévue pour les enseignements et les contenus du collège au lycée, sachant que chaque professeur aura enseigné le latin selon ce qu'il lui aura été possible ? Sous couvert de faire découvrir les langues anciennes à plus d'élèves, les disparités qui seront rendues inévitables par les mises en pratique propres à chaque collège inciteront-elles à poursuivre cette option ? Pourquoi la direction générale de l'enseignement scolaire (DGESCO) ne reconnaît-elle pas l'inscription véritable des langues et cultures de l'Antiquité dans le socle commun de connaissances, de compétences et de culture ?

Pourquoi la DGESCO a-t-elle choisi huit thématiques d'EPI, dont certaines ne sont pas forcément adaptées, alors que le CSP en proposait dix parfaitement justifiées ?

Les classes bilangues ne seront maintenues que pour les élèves ayant commencé une autre langue que l'anglais en CP. Que prévoyez-vous pour la période transitoire 2016-2021 durant laquelle ces élèves entreront en sixième ?

Mme Mireille Jouve

Quel dispositif proposez-vous pour former les enseignants au numérique, assurer la maintenance du matériel et équiper les établissements ?

Mme Maryvonne Blondin

Les collectivités et les familles sont engagées depuis longtemps dans la résurgence des langues régionales. Celles-ci ont été prises en compte dans la loi de refondation de l'école. Il ne faudrait pas qu'elles soient perdues dans le cadre de cette réforme du collège. Elles mériteraient de figurer dans l'article 8 de l'arrêté.

Les enseignements de complément renforceront le contenu des EPI. Dans certains collèges, les classes-relais contribuent à lutter contre l'absentéisme et l'échec scolaire. Comment seront-elles organisées ? Bénéficieront-elles de dotations globales ? Les inspecteurs et les chefs d'établissement auront à choisir les heures d'autonomie qui seront accordées. Comment les former et les accompagner dans cette mission ?

Mme Marie-Annick Duchêne

En cette période troublée, il est rassurant de savoir que nos adolescents vont dans des écoles de service public, ou du privé sous contrat. Qu'en est-il du hors-contrat qui tend, dans certains territoires, à s'étendre ? L'État envisage-t-il des contrôles supplémentaires ?

Mme Marie-Pierre Monier

Le parcours personnalisé s'adressait aux élèves de troisième en grande difficulté, afin qu'ils sortent du collège avec un diplôme : le certificat de formation générale (CFG) ou le brevet série pro. Quel est son devenir ? Selon quel calendrier s'organisera la mise en place des nouveaux programmes et comment les remarques des enseignants seront-elles prises en compte ? Enfin, cette réforme donnera-t-elle des précisions sur les effectifs, qu'il s'agisse de ceux des classes, des groupes ou de l'aide individualisée ?

Mme Christine Prunaud

Vous entendre plus tôt, madame la ministre, aurait éclairci bien des choses... Cette réforme prévoit de bonnes mesures. Les 4 000 postes attribués pour l'accompagnement personnalisé sont-ils inclus dans le chiffre que le Gouvernement avait annoncé, ou viennent-ils en plus ? Qu'en est-il de la mise à disposition de nouveaux locaux ? J'ai cru comprendre que vous ne toucheriez pas aux classes bilangues. Même si ce n'est pas la majorité, on y trouve un pourcentage d'élèves issus du milieu ouvrier. Comment les encourager à s'y inscrire davantage ? Je crois fermement qu'il faut développer l'enseignement des langues. Cependant, comment articuler l'apprentissage d'une première avec celui d'une deuxième langue ? Enfin, puisque tout le monde ici s'accorde à reconnaître la valeur des classes maternelles, pourquoi ne pas encourager la scolarisation dès deux ans ?

M. Jean-Pierre Leleux

Notre objectif commun est la réussite de tous les élèves. Consiste-t-elle pour autant à ce que tous les élèves aient le même niveau ? En généralisant les enseignements et en initiant tous les élèves à toutes les matières, ne risque-t-on pas d'atrophier les filières d'excellence ?

Selon vous, la réforme ne passera pas si les enseignants ne l'accompagnent pas. Or, lors de notre table ronde avec les enseignants, la majorité de leurs syndicats s'y est opposée, certains allant même jusqu'à en demander l'abrogation. Comment comptez-vous faire ? Une consultation des enseignants est en cours sur les programmes. Ce sujet ne devrait-il pas faire l'objet d'un débat parlementaire ? Enfin, pourquoi les bourses au mérite ont-elles été supprimées ?

M. Michel Savin

Une réforme du collège devrait instaurer un meilleur climat dans les établissements. Certains élèves passent parfois de collège en collège et de classe en classe sans jamais parvenir à s'intégrer. Comment traiter une problématique qui met en insécurité les autres élèves et les enseignants ?

M. Guy-Dominique Kennel

Je tiens à féliciter la ministre qui est une remarquable communicante. J'entends beaucoup de questions et toujours les mêmes réponses. Avec ce sens de...

Mme Françoise Cartron

... la pédagogie...

M. Guy-Dominique Kennel

... il n'y a rien d'étonnant à ce que vous soyez ministre de l'Éducation nationale. Au mois de mars dernier, vous disiez que la suppression des classes européennes ne concernerait pas les zones transfrontalières. Je suis alsacien et 73 % des élèves de mon département sont scolarisés en classes bilangues. Qu'en est-il précisément pour ce territoire ?

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente

Le Centre de liaison de l'enseignement et des médias d'information (Clemi) est une petite cellule. Quel sera son rôle à l'avenir ?

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre

Si nous tenons à lancer la réforme dès la rentrée 2016, la concomitance des réformes n'est pas notre fait, mais vient du retard accumulé par le Conseil supérieur des programmes, instance indépendante dont le précédent président, M. Alain Boissinot, a démissionné en juin dernier. Indéniablement, il y a eu des maladresses de formulation au sujet des programmes d'histoire, notamment dans l'usage du terme « facultatif ». Le CSP a jugé bon de distinguer entre sujets obligatoires et facultatifs pour laisser une marge de manoeuvre aux enseignants dans leur traitement des programmes. Il n'est pas pour autant question de rendre l'étude des Lumières facultative, ni de passer aucune période de l'histoire sous silence. Aucun thème n'est facultatif, mais l'enseignant garde la liberté d'approfondir certains aspects plus que d'autres - l'approche sociale des idées des Lumières ou bien leur influence à l'étranger, par exemple. L'un des objectifs de notre réforme, après les attentats de janvier dernier, est de développer chez les élèves les valeurs de la liberté et de la liberté d'expression.

Quant au calendrier, la consultation des enseignants initiée le 11 mai dernier se poursuivra jusqu'au 12 juin. Elle s'adresse à 800 000 enseignants, invités à répondre à un questionnaire, selon la méthode expérimentée pour l'adoption du socle commun et des programmes de maternelle. Pour l'instant, les retours sont satisfaisants. Le 12 juin, je saisirai le CSP à la lumière de ces remontées, puis je validerai définitivement les programmes en septembre, ce qui laissera aux éditeurs une année pour publier les nouveaux manuels. À cela s'ajoutent des consultations plus larges : un forum se tient actuellement en Sorbonne, où de grands historiens éclairent de leurs regards ce que doit être l'enseignement de l'histoire. Une réflexion de même nature devrait s'organiser pour les autres matières.

Un plan national de formation ambitieux sera publié dans quelques jours pour préparer les enseignants à mettre en oeuvre la réforme, avec l'organisation de vingt-trois séminaires nationaux sur la réforme du collège, les nouveaux programmes et le numérique. On pourra ainsi former les cadres - chefs d'établissement ou inspecteurs - qui formeront à leur tour les enseignants, sur site, à raison de quatre à cinq jours par personne entre les mois d'octobre 2015 et de mai 2016. Des crédits supplémentaires seront délégués aux académies.

La mission des inspecteurs est essentielle pour que les enseignants s'approprient les nouvelles pratiques. Au mois d'août dernier, à l'occasion de la mise en place des chantiers-métiers, nous avons redéfini les missions des enseignants qui ne se résument pas à faire face aux élèves en classe, mais incluent aussi le travail en équipe et le contact avec les parents. Les missions des inspecteurs ont également évolué vers davantage d'accompagnement et de formation. Une circulaire devrait bientôt formaliser cela.

Madame Mélot, vous ne partagez pas notre projet, notamment au sujet des langues vivantes. Arrêtons de nous leurrer en considérant qu'un enfant de onze ans est capable de savoir ce qu'il veut faire. Nous voyons trop souvent le collège avec nos yeux d'adultes. À onze ans, l'enfant a besoin d'être accompagné dans ses choix. Si le collège ne le fait pas, ce sont les parents qui s'en chargent ou qui délèguent la tâche à des entreprises privées. Il serait d'autant plus injuste de laisser l'enfant seul responsable de ses choix et de son parcours quand il ne dispose d'aucun accompagnement. C'est à nous de donner aux enfants le goût du travail et celui du mérite, en les initiant par exemple au latin et au grec. Et quand bien même ce ne serait que saupoudrage, il sera toujours temps d'approfondir et d'aller plus loin au lycée ou à l'université. C'est déjà une belle ambition que d'ouvrir le plus de portes possibles avant quinze ans.

Soyons clairs, il a toujours existé deux sortes de classes bilangues : celles destinées aux enfants qui ont étudié l'anglais comme LV1 à l'école primaire et qui choisissent l'allemand en sixième, et les classes bilangues dites « de continuité » pour les élèves ayant commencé l'apprentissage d'une langue autre que l'anglais en primaire et qui en débutent l'apprentissage en sixième. Ces dernières sont majoritaires dans les zones transfrontalières, où nous les maintiendrons, en leur offrant même une garantie, puisque ce bilanguisme sera désormais garanti dans tous les établissements : c'est inscrit dans les textes. En revanche, les élèves qui ont commencé par l'anglais ne commenceront à apprendre une autre langue qu'en cinquième, comme la réforme le prévoit.

Je reviendrai avec grand plaisir vous présenter en amont la future carte académique des langues. C'est la première fois que nous avons un pilotage national en la matière. Dans les académies, tout tient à la personnalité du recteur. À Lyon, par exemple, un recteur germaniste a ouvert des classes et développé des jumelages, de sorte qu'on compte désormais 30 % d'élèves germanistes dans l'académie. Nous voulons un pilotage national prévoyant des objectifs chiffrés, des ouvertures de classes, des profilages de poste. Recourir à des intervenants extérieurs est un bon moyen de promouvoir l'apprentissage des langues. Qu'on se rappelle le succès des assistants de langue ou des locuteurs natifs, il y a quelques années. Nous voulons redonner une véritable impulsion.

Quant aux concours de recrutement, si l'on se fie à l'exemple du CAPES de mathématiques, les ratios d'admissibilité sont bien meilleurs cette année qu'en 2013 : 1,25 en 2015 contre 1,08 deux ans plus tôt. Ce n'est pas parfait, mais nous sommes sur la bonne voie. Il faudra du temps pour encourager les étudiants à reprendre la voie des concours. Je ne suis pas fermée sur le pré-recrutement.

Monsieur Duvernois, le CSP est une instance indépendante dont nous avons la liberté de ne pas forcément adopter les projets. Nous avons tenu à ce que les EPI soient ancrés dans les programmes. C'est le cas des langues et cultures de l'Antiquité qui prennent en compte l'étude de la civilisation et de la culture en plus de l'apprentissage linguistique.

Dans le cadre de notre réflexion sur les chantiers-métiers, nous avons décidé que les enseignants qui s'impliquaient dans le numérique pourraient bénéficier de l'indemnité pour mission particulière. Lorsqu'il a annoncé le plan numérique, le Président de la République a précisé que la responsabilité de l'entretien du matériel dans les établissements serait partagée entre l'État et les collectivités territoriales.

Je tiens à vous rassurer sur le sort des langues régionales, dont la réforme du collège ne remet pas en cause la promotion. L'enseignement bilingue restera en vigueur et de pleine application dans les écoles et les lycées. Il commencera dès la sixième. L'article 8 de l'arrêté prévoit que les élèves qui ont étudié une autre langue que l'anglais en primaire, commenceront à l'étudier dès la sixième. Cela vaut aussi pour les langues régionales.

Mme Maryvonne Blondin

Et les enseignements de complément ?

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre

Les EPI assureront la continuité et la progression de l'apprentissage entre la cinquième et la troisième. Quant aux classes-relais, elles ne seront pas impactées, non plus que les sections sportives ou les classes à horaires aménagés. Le procès qu'on nous fait de vouloir mettre tout le monde dans les mêmes sections n'est pas justifié. Enfin, la classe de troisième prépa-pro n'est pas non plus remise en cause par la réforme du collège.

Nous souhaitons renforcer notre contrôle des établissements privés hors contrat. La jurisprudence récente nous est favorable : alors que jusqu'à présent notre intervention se limitait aux questions d'hygiène ou de sécurité, nous pouvons désormais exercer un contrôle sur la transmission des valeurs de la République. Une équipe d'inspecteurs est en train de se créer. De la même façon, nous voulons mieux évaluer le respect des programmes ou l'acquisition du socle de connaissances par les jeunes scolarisés à domicile.

En termes d'effectifs, les 4 000 postes annoncés serviront à démultiplier les enseignements en petits groupes. Actuellement, un collège de 500 élèves a une marge de manoeuvre de 10 heures pour organiser du travail en petits groupes. Grâce à la réforme, il en aura 60.

Il faut bien comprendre que les programmes sont les outils professionnels des enseignants. Par conséquent, le Parlement ne peut pas être le lieu où on les conçoit. Définir leur contenu requiert une expertise, une expérience et un vocabulaire particuliers. Plusieurs méthodes ont été expérimentées : on a confié la tâche à la DGESCO, ou bien à des comités ad hoc . Quoique perfectible, le dispositif actuel est efficace. Le CSP est une instance indépendante composée d'experts, mais aussi de membres de la société civile, venus du Conseil économique, social et environnemental, ou bien même du Parlement pour six d'entre eux. On allie ainsi l'expertise aux regards généralistes. La loi a prévu que les enseignants soient consultés. C'est indispensable pour que la réforme réussisse.

Enfin, sur la question des bourses au mérite, je regrette qu'on ait jugé la mesure en la déconnectant de l'ensemble du dispositif. Avant 2012, comme on consacrait peu d'argent aux bourses étudiantes, on avait le souci d'objectiver les critères de leur versement : d'où la création des bourses au mérite, soit 1 800 euros alloués aux bacheliers ayant obtenu une mention « très bien ». Nous avons augmenté le financement des bourses de 450 millions d'euros, ce qui revient à attribuer beaucoup plus de bourses à beaucoup plus d'étudiants : désormais, 130 000 étudiants issus des classes moyennes reçoivent 1 000 euros par an. Toutes les bourses ont été revalorisées, avec un effort particulier à destination des plus défavorisés, soit 20 000 étudiants qui touchent 800 euros supplémentaires. La logique du dispositif n'est plus la même, puisqu'il ne privilégie plus les bacheliers méritants qui bénéficient déjà des coups de pouce donnés par d'autres institutions. Initialement, nous souhaitions supprimer les bourses au mérite. Le Conseil d'État s'y est opposé pour des raisons de forme. Afin d'éviter l'impasse financière, nous avons coupé la poire en deux : nous avons conservé le mécanisme de soutien au mérite, mais en le divisant par deux de 1 800 à 900 euros. Au demeurant, les bourses au mérite complètent les bourses sociales, lesquelles ont augmenté de 800 euros par an. Croire au mérite, c'est offrir au plus grand nombre d'étudiants les moyens de faire leurs preuves, en leur donnant de meilleures conditions pour apprendre.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente

Je vous remercie pour cette audition menée avec dynamisme. Notre commission est très intéressée par les questions d'orientation scolaire. Nous venons de constituer une mission d'information de quinze membres sur ce sujet, présidée par Jacques-Bernard Magner et dont Guy-Dominique Kennel est le rapporteur.

MERCREDI 10 JUIN 2015

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