TABLE RONDE AVEC LES REPRÉSENTANTS DES SYNDICATS DE DIRECTION ET D'INSPECTION

La commission organise une table ronde sur la réforme du collège avec les représentants des syndicats de direction et d'inspection. Sont entendus :

- M. Didier Laffeach, secrétaire général adjoint du Syndicat Indépendance et direction - Force ouvrière (ID - FO) ;

- Mme Claudie Paillette, secrétaire nationale du Syndicat général de l'éducation nationale - Confédération française démocratique du travail (SGEN-CFDT) ;

- M. Michel Richard, secrétaire général adjoint du Syndicat national des personnels de direction de l'éducation nationale - Union nationale des syndicats autonomes (SNPDEN-UNSA) ;

- M. Paul Devin, secrétaire général du Syndicat national des personnels d'inspection - Fédération syndicale unitaire (SNPI-FSU) ;

- M. Claude Desfray, co-secrétaire général du Syndicat des inspecteurs d'académie (SIA) ;

- M. Patrick Roumagnac, secrétaire général du Syndicat de l'inspection de l'éducation nationale - Union nationale des syndicats autonomes (SI.EN-UNSA) .

A. INTERVENTIONS

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente

Notre commission poursuit ses travaux sur la réforme du collège, en accueillant ce matin les représentants des principales organisations syndicales des personnels de direction et d'inspection de l'éducation nationale. Le Syndicat national des inspecteurs d'académie - inspecteurs pédagogiques régionaux (SNIA-IPR-UNSA) n'a pas été en mesure de se faire représenter aujourd'hui.

Les principes et modalités de la réforme du collège ont été fixés par un décret et un arrêté publiés le 20 mai dernier - au lendemain d'un mouvement de grève des enseignants du second degré. Elle s'accompagne d'une refonte des programmes de la scolarité obligatoire, dont les projets élaborés par le Conseil supérieur des programmes (CSP) font aujourd'hui l'objet d'une consultation.

Cette réforme demeure contestée, notamment au sein du corps enseignant. Un groupe de travail réunissant le ministère et l'intersyndicale des enseignants du second degré se tiendra aujourd'hui, à la veille d'une nouvelle journée de mobilisation dans les collèges.

Notre commission a déjà reçu les syndicats d'enseignants et les représentants de parents d'élèves. Elle a entendu la ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, la semaine dernière et nous souhaitions absolument vous rencontrer.

Je vous propose de vous exprimer chacun à votre tour, pour une durée de cinq minutes environ. À l'issue de vos interventions, je donnerai la parole à notre rapporteur pour les crédits de l'enseignement scolaire, M. Jean-Claude Carle, puis à l'ensemble des sénateurs.

M. Michel Richard, secrétaire général adjoint du Syndicat national des personnels de direction de l'éducation nationale (SNPDEN-UNSA)

Le SNPDEN a donné un avis favorable à la réforme du collège lors de la réunion du Conseil supérieur de l'éducation qui l'a largement adoptée.

Cette réforme parachève les précédentes plutôt qu'elle ne bouleverse l'organisation du collège. Nous approuvons cette révision du collège qui, dans sa situation actuelle, ne satisfait ni les enseignants ni les parents, puisque les élèves soit y rencontrent des difficultés, soit n'arrivent pas à obtenir les résultats auxquels ils aspirent.

La possibilité de laisser une part d'autonomie à l'établissement - et j'insiste sur les mots « à l'établissement » - représente un point intéressant et fondamental de cette réforme, à laquelle il a été reproché de donner un « chèque en blanc » au chef d'établissement. La marge horaire de trois heures va permettre à chaque établissement d'adapter l'offre de formation selon ses besoins, compte tenu de l'énorme diversité existant entre les 8 000 établissements publics locaux d'enseignement (EPLE), dont plus de 5 000 collèges.

La fongibilité horaire entre les disciplines au cours des quatre années du collège constitue également une marge d'autonomie laissée aux établissements. Nous pensions qu'avant de définir les horaires, il était préférable de préciser les curriculums et les acquis des élèves à l'issue du socle commun de connaissances, de compétences et de culture. Une démarche différente a été choisie.

Le temps de travail du collégien, réparti entre temps de présence dans l'établissement et travail personnel, est un creuset d'inégalités entre les élèves de milieux favorisés, qui bénéficient de l'aide de leurs parents dans leurs études, et ceux qui se trouvent livrés à eux-mêmes, n'ayant pas la chance d'être accompagnés par leurs parents : il est nécessaire de se pencher sur ce problème dans la nouvelle définition du fonctionnement des collèges.

Le dernier point concerne la réforme profonde des modalités d'évaluation des élèves. Nous militons depuis de longues années pour l'abandon de l'école du tri. Dans le cycle de l'école obligatoire, le socle commun du cours préparatoire (CP) à la 3 e doit être le même pour tous. Il est inconcevable de sélectionner les élèves dès le plus jeune âge alors que la maîtrise du socle commun est indispensable pour former de futurs citoyens.

M. Didier Laffeach, secrétaire général adjoint du Syndicat Indépendance et direction (ID-FO)

La réforme du collège agite les esprits, nourrit les conversations et occupe les médias depuis de longs mois ; les interrogations des personnels de terrain et notamment des personnels de direction ne s'apaisent pas.

Indépendance et direction considère comme légitime l'évolution du collège, a fortiori quand le niveau qui le suit comme celui qui le précède ont été réformés.

Pourtant, nous réfutons l'idée du « maillon faible du système éducatif » car nous estimons que, s'il est loin d'être parfait, le collège n'a pourtant pas failli à l'ensemble de ses missions et notamment dans celle de la massification. Notons à ce sujet que l'Observatoire sur les inégalités en France affirme dans un rapport publié au début de ce mois « que l'école n'aggrave pas les inégalités » même si « elle ne réussit pas à les réduire ».

Sans doute, l'évolution de la société, des techniques, de l'environnement comme de la pédagogie rendent la mutation du collège nécessaire et nous sommes tout prêts à participer à cette démarche. Dans nos sociétés, l'école est un enjeu sur lequel chaque enfant, chaque citoyen, chaque responsable, chaque élu a un point de vue, tant il est vrai que chaque âge de la vie a un lien avec l'école.

Nous nous interrogeons cependant sur la situation actuelle qui, à travers les études internationales, tend à faire prévaloir un modèle plutôt anglo-saxon, qui ne coïncide pas toujours avec le mythe national de l'école laïque et républicaine de la Troisième République. Et d'ailleurs, qui, objectivement, souhaite réellement voir proposer à nos enfants une école de type sud-coréen pourtant bonne élève des comparatifs ?

Un autre écueil doit être évité : attendre de l'école qu'elle réforme la société. L'école a un rôle, une responsabilité dans la construction du citoyen et de la société qu'elle partage avec tant d'autres, de la famille aux médias et aux autres institutions. Mais elle demeure aussi le fruit de cette société et de ses attentes. Il est normal que la société interroge l'école, mais la société doit aussi s'interroger quand elle constate que trop d'élèves peinent à comprendre le sens de l'école, la chance qu'on a d'apprendre, parce que l'effort n'est plus considéré comme une valeur positive.

Toute société doit avoir confiance dans son école, la valoriser et valoriser ses acteurs, c'est une condition de sa réussite et de son efficacité.

À ID-FO, nous nous affirmons comme des acteurs de terrain, responsables et soucieux de la qualité du service public offert aux élèves, à tous les élèves et nous avons le sentiment que, faute d'avoir clairement et précisément défini les préalables et les attendus, la réforme du collège ne permettra pas, en l'état, à la société de retrouver la fierté dans son école.

Nous estimons que la mise en place d'une réforme dont les objectifs sont louables, qui s'appuie sur la définition d'un nouveau socle et des programmes, constituait une bonne base de départ. Il était également intéressant de réfléchir en parallèle sur les méthodes pédagogiques et les supports numériques. Mais le tempo adopté vient ruiner cet édifice, car la réforme doit être mise en oeuvre sans avoir permis aux acteurs de s'approprier ces éléments. La rédaction des programmes n'est pas achevée et la déclinaison en items du nouveau socle n'est pas réalisée.

Nous nous inquiétons de certaines propositions de cette réforme. Si nous sommes favorables à la possibilité d'adaptations pédagogiques pour répondre aux besoins différenciés des élèves, nous considérons que cette autonomie des établissements doit porter essentiellement sur les rythmes, les méthodes, les démarches pédagogiques individualisées et non sur les contenus qui doivent rester nationaux, gage de la formation équitable de tous les citoyens, quelle que soit leur origine géographique ou sociale. Nous sommes ainsi favorables à une autonomie exercée dans un cadre national identique pour tous.

Nous n'hésitons pas à affirmer que la France a besoin d'une élite et qu'il appartient à l'école de la République d'accompagner et de guider chaque élève, selon la devise « citius, altius, fortius » chère à Coubertin. Le devoir de l'école n'est pas de reproduire les élites mais de permettre à chacun d'y accéder : les classes bilangues ou européennes sont précisément des chemins de réussite et d'excellence pour les collégiens qui ne sont pas des « héritiers ». C'est pourquoi nous sommes attachés à la mixité sociale dans les établissements, associée au retour en grâce de l'exigence car on n'exige que de ceux en qui l'on croit. Les formations d'excellence, pour peu que tous puissent effectivement être accompagnés pour y accéder et y réussir dans les meilleures conditions ne sont pas la vraie cause des disparités constatées entre élèves à l'issue de la scolarité obligatoire. Nous redoutons même que certaines familles ne quittent nos établissements pour les retrouver dans d'autres réseaux, aggravant encore la situation.

Sur le plan pratique, nous relevons une contradiction entre l'affirmation de la nécessaire acquisition de compétences tout au long du cycle 4, validées par le palier 3 du socle, et le maintien en parallèle du diplôme national du brevet sur les bases actuelles.

Je m'attarderai brièvement sur un axe de la réforme dont nous avons le sentiment qu'il est la généralisation d'expériences tentées sur de petits nombres : les enseignements pratiques interdisciplinaires (EPI), dont les modalités de mise en oeuvre restent bien floues. Relevons au préalable que les six domaines à sélectionner, valider et auxquels les enseignants devront donner du contenu seront des sources d'inégalités tant en fonction des équipes que des conditions locales, géographiques et budgétaires. L'absence de temps de concertation institutionnalisé pèsera sur leur mise en oeuvre. La manière dont les équipes s'approprieront ces EPI ne manquera pas de différer d'un point à l'autre du territoire, tant sur les contenus choisis que sur la ventilation des domaines au long du cursus. Les premiers concernés seront les élèves amenés à changer d'établissement, pour lesquels il sera fort compliqué et même quasi impossible de repérer les points qui n'auront pas été étudiés. Cette évolution aggravera les disparités entre établissements en termes d'exigence comme de contenus au détriment des élèves les plus fragiles. Sans horaire dédié et sans cadre, dépendante des choix des équipes, l'histoire des arts est un bon exemple de ces écueils.

Sur le plan organisationnel, les établissements à fort effectif seront confrontés aux problèmes de nombre et d'espace, tandis que les autres devront compter avec les multiples postes partagés, qui sont autant d'éléments d'inégalité. À cela s'ajouteront les problèmes de postes qui, immanquablement, viendront interférer dans la réflexion pédagogique, particulièrement en période de baisse démographique comme en connaissent de nombreux collèges. Ces paramètres ne manqueront pas d'inciter les équipes à privilégier tel ou tel domaine pour éviter la fermeture d'un poste ou la création d'un complément de service dans l'établissement voisin. Est-on bien certain que l'élève sortira gagnant de ces arbitrages ?

En outre, il ne suffit pas de dire que les chefs d'établissement seront les garants de l'opération. Leur rôle est loin d'être clairement défini, il n'est que de constater le peu de place qui leur est accordé dans les textes publiés, voire dans les projets à paraître. En termes d'organisation du temps scolaire, notons encore que la prise en compte et la combinaison des EPI à rythme annuel, semestriel ou trimestriel, ajoutée aux « semaines interdisciplinaires », aux enseignements complémentaires, risque de se traduire par des emplois du temps particulièrement pesants pour les élèves. Et je ne mentionnerai que pour mémoire le travail supplémentaire induit pour les personnels de direction qui se fera forcément au détriment d'autres missions.

La rapidité avec laquelle la réforme doit se mettre en place, en une seule étape, risque de représenter un autre handicap. Avec des équipes enseignantes perplexes, réticentes, si ce n'est hostiles, qui devront toute l'année à venir et sans réelle formation préalable, se projeter et se montrer créatives, le climat a peu de chances de se révéler propice. D'autant que les délais impartis devront permettre les allocations de moyens début 2016 - autant dire demain.

En conclusion, ID-FO reste avant tout attaché à une éducation effectivement nationale, de qualité et qui se préoccupe de tous les élèves. Nous regrettons le flou qui préside à la mise en place d'une réforme essentiellement structurelle qui reposera in fine sur les personnels de direction, pourtant fort entendus dans cette démarche.

Mme Claudie Paillette, secrétaire nationale du Syndicat général de l'éducation nationale (SGEN-CFDT)

Le SGEN-CFDT a exprimé un avis favorable à la réforme du collège. Ses orientations correspondent à l'évolution du projet social et sociétal de la CFDT, notamment par rapport au constat du collège unique, qui, certes, a réussi la massification mais pas la démocratisation. Le collège n'est peut-être pas le « maillon faible » mais il est le « maillon souffrant », tant pour le personnel enseignant que pour les nombreux élèves qui échouent. En tant que principal de collège, j'ai souffert de voir des élèves arriver en 6 e et décrocher très rapidement en raison de la manière dont sont organisés les enseignements.

La loi de refondation de l'école a défini clairement les objectifs de l'école obligatoire dans l'acquisition du socle commun de compétences, de connaissances et de culture, dans la définition des programmes et dans les critères d'évaluation.

La réforme du collège reprend certaines de nos propositions, telle la possibilité pour les établissements d'avoir la main sur une partie de l'élaboration de leurs parcours de formation. Les enseignements doivent être en partie communs et nationaux. Mais il est également intéressant de travailler en fonction des ressources locales, des compétences professionnelles des enseignants et de pouvoir tenir compte de la réalité des élèves. Nous sommes très attachés aux possibilités de modularité dans le cycle. L'évaluation systématique des acquis, de façon définitive, au niveau des classes de 5 e , 4 e et 3 e freine incontestablement les élèves en difficulté dans leur réussite, par manque de temps pour apprendre.

Cette réforme attribue aux personnels enseignants un rôle d'expert plutôt que d'exécutant, la plupart d'entre eux ayant intégré le fait que tout est défini par le haut. Elle contribue ainsi à leur rendre le pouvoir d'agir sur l'organisation pédagogique, avec une marge de manoeuvre allouée aux conseils pédagogiques. Depuis longtemps, nous prônons la notion de collectif d'enseignants, véritable « outil de réflexion » au sein d'une équipe pédagogique dans laquelle, par ailleurs, le rôle d'accompagnement des cadres de l'éducation nationale nous semble prédominant. La réflexion sur les EPI ou les marges horaires, par exemple, devrait permettre de développer, au coeur de l'apprentissage, des projets collectifs, qui se situent aujourd'hui souvent à la périphérie de l'organisation pédagogique.

Notre syndicat s'inquiète des moyens qui seront mis en oeuvre l'année prochaine pour la formation des équipes et du temps qui leur sera réservé pour la concertation.

J'ajouterai pour conclure que l'école n'est qu'un élément de notre cohésion sociale, la réforme du collège ne dédouane ni l'État ni les collectivités territoriales dans la mise en oeuvre de la mixité sociale dans les établissements.

M. Patrick Roumagnac, secrétaire général du Syndicat de l'inspection de l'éducation nationale (SI.EN-UNSA)

Les faits sont têtus : malgré les multiples réformes, malgré les nouvelles connaissances dans les champs didactiques ou pédagogiques et malgré les outils numériques, notre école reste obstinément plus efficace à garantir la reproduction sociale qu'à aider les plus fragiles à réussir. Le rôle d'ascenseur social qu'elle aurait joué dans le passé est une image d'Épinal ; il a toujours été réservé aux élites.

C'est dans ce contexte que nous est proposée une réforme qui puise sa légitimité dans son aspiration à modifier en profondeur le fonctionnement du système éducatif et qui s'inscrit dans une approche systémique. Elle se situe dans le droit-fil de l'ambition affichée dans la loi de refondation de l'école et mérite mieux que les quolibets insensés que nous entendons depuis des semaines. Nous avons aujourd'hui besoin d'un véritable débat éducatif. Il s'agit de choisir entre le maintien d'une structure qui a prouvé son inefficacité - notre pitoyable « exception française » - en construisant patiemment l'échec scolaire et l'exclusion sociale, ou bien oser bousculer nos habitudes, nous orienter vers des solutions plus audacieuses et qui ont fait leurs preuves, qui nous permettront de faire société.

En 1975 déjà, nous avions la possibilité de mettre en oeuvre l'école fondamentale, héritière de la réflexion de Wallon et Langevin. Nous avons retenu le modèle du « petit lycée » pour un collège qui n'a jamais pu devenir unique. Puissions-nous ne pas réitérer cette erreur : errare humanum est, perseverare diabolicum . Je rappelle que cette orientation prend ses sources dans la pensée de Condorcet, synthétisée par Danièle Cosson-Schéré quand elle déclare que l'éducation a pour objectif que « le plus grand des savants et le plus modeste des individus, ayant reçu l'instruction élémentaire, ne soient plus séparés que par une différence de degrés ». Voilà qui est bien loin de l'idée de viatique culturel minimaliste !

Le SI.EN-UNSA affirme et assume résolument son soutien à une réforme indispensable pour tourner le dos aux dérives mortifères de notre système éducatif. Cette réforme est le seul espoir de redonner confiance à ceux qui feront la société de demain. Des valeurs aujourd'hui dépassées comme la solidarité seront peut-être demain la seule voie possible pour conserver l'espoir. Les inspecteurs du SI.EN-UNSA affirment leur soutien à une réforme qui ne va peut-être pas assez loin, mais qui prend le bon chemin.

M. Claude Desfray, co-secrétaire général du Syndicat des inspecteurs d'académie (SIA)

Fort de la connaissance des réalités des classes et de l'expertise pédagogique des inspecteurs d'académie - inspecteurs pédagogiques régionaux (IA-IPR), le SIA a adressé le 19 mai dernier une analyse et des propositions à la ministre. En cohérence avec la loi de refondation de l'école, la réforme prévoit la mise en place de trois types d'enseignement : l'enseignement disciplinaire, l'enseignement pratique interdisciplinaire (EPI) et l'accompagnement personnalisé. Nous ne pouvons que nous réjouir de la diversification de l'offre et des démarches pédagogiques, qui pourront garantir l'acquisition du socle commun de connaissances, de compétences et de culture par tous.

Pour autant, malgré la richesse de sa diversité pédagogique, la réforme tend à fragiliser cette ambition.

Le renforcement de l'autonomie des établissements, qui est la marque de cette réforme, s'accompagne d'un accroissement sensible du nombre de décisions devant être prises en matière d'organisation : sept contre une à deux aujourd'hui. Il s'agira de se prononcer, par exemple, sur la répartition des horaires entre les disciplines pour chaque niveau du cycle, l'organisation des EPI sur le cycle 4 ou encore l'organisation des enseignements artistiques sur l'ensemble du cursus. À défaut d'une solide formation en ingénierie pédagogique et de temps de concertation dédié, cette pléthore de concertation risque de détourner les enseignants du coeur de leur métier ainsi que d'induire des tensions.

Quant à l'interdisciplinarité qui aura lieu dans le cadre des EPI, les programmes proposés à consultation par le CSP ne déclinent pas de façon généralisée les huit thématiques prévues. Quelles problématiques peuvent-elles recouvrir ? Quels savoirs disciplinaires pourront y être convoqués ? Nous souhaitons des propositions concrètes, afin de se prémunir de la mise en oeuvre de projets aboutissant à des réalisations sans de solides apprentissages. Ainsi, l'augmentation du travail épistémologique des enseignants se fera aux dépens de leurs réflexions didactiques et pédagogiques.

En ce qui concerne la pluridisciplinarité, qui est au coeur de l'accompagnement personnalisé mis en oeuvre au lycée et en classe de sixième, nous considérons que le choix d'affecter cet horaire aux disciplines, plutôt que d'en faire un enseignement distinct, constitue un frein aux collaborations entre enseignants. Il risque également de faire perdre de vue la spécificité pédagogique de cet enseignement, qui deviendrait un simple complément disciplinaire.

En conclusion, le SIA demande la reprise des discussions sur la réforme du collège, en vue d'aboutir aux adaptations nécessaires.

M. Paul Devin, secrétaire général du Syndicat national des personnels d'inspection (SNPI-FSU)

Le collège, tel qu'il existe aujourd'hui, ne saurait être résumé à l'ennui des élèves, à un carcan de disciplines ou au désintérêt des professeurs à y traiter les difficultés des apprentissages. Ce serait trahir les efforts déployés au quotidien par les équipes enseignantes.

Que le collège ne parvienne pas à conduire tous ses élèves à la réussite ne peut suffire à le désigner comme le maillon faible du système éducatif. Ce serait ignorer qu'il est confronté à des problèmes spécifiques : ceux de l'adolescence et de ses comportements, de la disparité des acquis, mais également de la réduction progressive des moyens et des taux d'encadrement - déjà moins favorables que la moyenne des pays de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Toutefois, le collège marque la réussite d'une volonté politique essentielle, celle de scolariser ensemble toute une génération d'adolescents et de développer pour eux les mêmes ambitions.

Nous ne considérons pas que la réforme actuelle puisse contribuer à lutter efficacement contre les inégalités, qui constituent le problème majeur du système éducatif. Cette position ne résulte en rien d'un conservatisme qui refuserait tout changement ; les raisons qui guident les opposants à cette réforme ne sont pas les mêmes, ne les agrégeons pas trop vite.

La première nécessité de réforme pour le collège est de permettre une mixité sociale réelle sur l'ensemble du territoire, et non seulement en supprimant quelques sections ou options, d'autant que celles-ci constituent souvent un vecteur de lutte contre l'évitement scolaire. Cette mixité exige une politique déterminée, volontaire et courageuse.

La seconde nécessité est de donner au collège des moyens à la hauteur de l'ambition que nous portons pour tous ses élèves. Lorsque l'on nourrit une telle volonté, il faut en assumer les coûts. Or la rationalisation budgétaire a été portée par un discours de relativisation des moyens, qui prétend que la qualité n'aurait aucune relation avec les moyens consacrés à l'action. Mais peut-on décréter l'aide personnalisée quand les moyens ne permettent pas le dédoublement des classes ? Il en va de même pour les effectifs des classes, la formation continue, ou encore le recrutement des enseignants, qui connaissent une baisse de leur pouvoir d'achat et la dégradation de leurs conditions de travail.

Les aménagements de la réforme ne relèvent en rien d'une révolution pédagogique. S'il est souhaitable de développer la concertation au sein des équipes et l'interdisciplinarité, cela nécessite d'identifier des problématiques dont la résolution fait appel à des concepts issus de plusieurs champs disciplinaires ; il s'agit d'un exercice complexe qui exige une formation adaptée des enseignants.

Faute de volonté de consacrer à l'éducation les moyens nécessaires, la réforme s'appuie sur des volontés d'évolution institutionnelle qui n'apporteront aucune amélioration. La première est l'autonomie des établissements, dont certains affirment dogmatiquement qu'elle contribuera à la réussite des élèves, refusant de tirer parti des bilans désastreux des expériences suédoises et britanniques. Ne procédant pas de la seule réflexion des équipes enseignantes, les organisations nouvelles mises en oeuvre - AP et EPI - vont devoir se conformer à des dotations horaires disciplinaires qui parfois s'avéreront incohérentes avec ces projets. Il faudra trancher et parfois sans ménagement. En résultera-t-il réellement une meilleure coopération des enseignants ?

Nous voulons réformer le collège et ainsi rompre les liens qui unissent inégalités sociales et inégalités scolaires. Mais nous savons que cela nécessite une politique qui ne peut se contenter d'affirmer des valeurs mais qui doit conduire les choix budgétaires nécessaires. À défaut, nous continuerons l'empilement des réformes et nous constaterons l'accentuation des fractures sociales. La pédagogie comme la qualité professionnelle des enseignants sont déterminants ; en revanche, il y a un point critique où elles risquent de n'être plus que cautère sur jambe de bois. Il est notre devoir de le dire à la représentation nationale.

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