B. DÉBAT

M. Jean-Claude Carle, rapporteur pour avis des crédits de l'enseignement scolaire

Personne ne nie la nécessité d'une réforme du collège. Toutefois est-ce cette réforme qui va permettre de régler le problème de la liaison entre les inégalités sociales et les inégalités scolaires dans un pays où le déterminisme social est fort ? La vraie réforme à mener ne se trouve-t-elle pas au niveau de l'acquisition des fondamentaux lors du premier cycle ?

J'ajouterai que chacun reconnaît la nécessité des enseignements interdisciplinaires. Toutefois, le fait que le temps d'enseignement de ces EPI soit pris sur les enseignements disciplinaires ne pose-t-il pas problème ?

En matière d'autonomie des établissements, cette réforme va dans le bon sens, quoique pas suffisamment loin. En 2011, j'avais proposé de substituer à l'évaluation individuelle des enseignants par les inspecteurs une évaluation collective des établissements. Les enseignants auraient été en partie évalués par le chef d'établissement. Qu'en pensez-vous ? Ne faudrait-il pas confier la présidence des établissements à une personne extérieure, comme dans l'enseignement agricole ?

Concernant la remise en cause des filières d'excellence. Pourquoi supprimer des dispositifs qui fonctionnent ? Je pense aux classes bilangues, au latin et au grec ainsi qu'à d'autres disciplines. Cela ne va-t-il pas au contraire accroître les inégalités ?

Je terminerai par la question de l'orientation. Comment pourrions-nous mettre en place une réelle individualisation des parcours afin de passer d'une orientation aujourd'hui subie à une orientation plus positive ?

M. Jacques-Bernard Magner

On entend parfois certaines formations politiques réclamer que les chefs d'établissements recrutent eux-mêmes les professeurs. Qu'en pensez-vous ? En outre, que pensez-vous de la liaison mise en place au sein du cycle trois entre les cours moyens et la classe de sixième ?

Mme Colette Mélot

Je partage l'avis selon lequel la réforme est nécessaire. À ce stade, je voudrais insister sur la pertinence des classes bilangues et des classes européennes. L'efficacité de ces voies n'est plus à démontrer. Je voudrais également mettre l'accent sur l'importance de l'enseignement de l'allemand. Je rappelle que la France et l'Allemagne se sont engagées, lors du cinquantième anniversaire du traité de l'Élysée, à favoriser l'enseignement de la langue du partenaire européen. C'est pourquoi il me semble qu'une réflexion devrait être menée autour de cet engagement, afin de présenter l'Allemagne et sa langue à tous les élèves, comme il est question de présenter la culture latine et grecque puisqu'il s'agit des origines de notre culture.

Mme Marie-Christine Blandin

Les écologistes retiennent des temps forts comme les demandes de formation continue, les demandes de temps pour les équipes pédagogiques et un plus grand rôle dévolu aux conseils pédagogiques. Dans cet esprit, les chefs d'établissement vont-ils prévoir un temps de lecture commune, en vue d'une appropriation de la réforme par tous les enseignants pour la rentrée ? Et vont-ils, dans l'élaboration de leurs emplois du temps, pouvoir laisser une place plus grande à l'identification des équipes pédagogiques, qui auront un rôle accru en particulier pour les EPI ? Quelles sont vos aspirations quant au calendrier de mise en oeuvre de cette réforme ? Enfin, les corps d'inspection prévoient-ils des évolutions de leurs pratiques afin de faciliter l'accompagnement des enseignements dans la mutation prévue par la loi, les programmes et par la réforme ?

Mme Françoise Laborde

Mon propos rejoint quelque peu celui de ma collègue. La formation des enseignements pour la rentrée 2016 est le point qui m'inquiète particulièrement. Qu'en pensez-vous ? Enfin, ne pensez-vous pas que cette réforme est l'occasion de réformer voire de supprimer le brevet des collèges ?

M. Patrick Abate

Le temps accordé aux élèves et le nombre d'élèves par classe me semblent être des points primordiaux. Ma question sera très concrète. Dans une situation à moyens équivalents ou supplémentaires, est-il possible d'imaginer que dans un collège, du fait de l'autonomie, de la pluridisciplinarité, de l'aide personnalisé, il puisse y avoir des classes d'une dizaine d'enfants lorsque cela est nécessaire, afin de leur donner du temps et des classes à l'effectif bien plus important pour les enfants ayant plus de facilités ? De la même manière, peut-on imaginer, dans un même bassin d'emploi, dans une même région mêlant des collèges défavorisés et des collèges plus favorisés, qu'il y ait dans certains collèges des classes à faibles effectifs et dans d'autres des classes à effectifs importants ? Ou est-ce plus simple d'avoir uniquement des classes d'une trentaine d'élèves ?

M. Claude Desfray

Concernant la formation des enseignants, nos recteurs nous ont réunis et un calendrier a été établi. Il est prévu que la formation ait lieu par districts et en deux temps. Tout d'abord, les professeurs représentants les conseils pédagogiques seront formés en janvier-février 2016 sur les nouveaux programmes, puis l'ensemble des professeurs recevront une formation au dernier trimestre de l'année scolaire 2015-2016.

Mme Claudie Paillette

Nous sommes favorables à une évolution très forte concernant les modalités d'évaluation des personnels. Le ministère doit ouvrir ce chantier. Les chefs d'établissement n'ont pas, selon nous, la compétence pédagogique qui leur permettrait d'évaluer les personnels. Nous pensons également que le chef d'établissement ne doit plus être le président des conseils d'administration car il représente l'État, ce qui a tendance à transformer les conseils en chambre d'enregistrement. Toutefois, la présidence du conseil d'administration ne devrait pas pour autant être confiée à une personnalité extérieure.

M. Michel Richard

Nous sommes favorables à une réforme du brevet des collèges car cet examen n'a cessé de se complexifier et ne correspond plus à la logique de validation du socle commun.

Il faut travailler à la préparation de la rentrée 2016 dès que possible. Pour notre part, nous considérons que les enseignants doivent être valorisés en tant que cadres et donc associés à la conception et à la mise en oeuvre de la réforme.

Nous avons une position différente concernant la présidence des conseils d'administration. Pour nous il est indispensable que les chefs d'établissements président les conseils, car c'est un principe général d'organisation des établissements publics et le système fonctionne.

Nous estimons que l'excellence est une nécessité pour le service public. Mais la priorité doit être de concilier la bienveillance avec la recherche de l'exigence.

M. Didier Laffeach

Le débat existe au sein de notre organisation, concernant la présidence des conseils d'administration. Mais nous sommes majoritairement favorables au maintien de la présidence par le chef d'établissement. La référence aux établissements agricoles ne nous semble pas complètement pertinente car le représentant extérieur qui préside leur conseil est toujours un membre actif au sein du monde agricole. Pour les collèges, il reste encore à trouver le profil qui pourrait correspondre.

Nous sommes résolument hostiles au recrutement des professeurs par les chefs d'établissement car cela créerait une concurrence entre les établissements pour attirer les meilleurs profils et amènerait les enseignants à arrêter leurs choix d'affectation en termes de carrière et d'intérêt personnel, fragilisant d'autant les zones les plus difficiles.

À propos de la formation des enseignants, le phasage proposé par le ministère est délicat car la préparation d'une rentrée se fait en janvier et non au mois de juin. La vie des établissements va ainsi être rendue difficile.

Mme Claudie Paillette

Nous ne sommes pas favorables au maintien du brevet, car le collège doit être consacré à la validation du socle commun.

Concernant la gestion du corps professoral, nous proposons que les critères retenus pour les mutations professionnelles tiennent compte à la fois des aspects géographiques et des projets d'établissement. Il serait cohérent de développer les programmes par cycles et de permettre aux enseignants de conduire jusqu'à leur terme les projets, conçus le plus souvent sur trois ans, avant de changer d'établissement. Concernant la réforme, il nous semble indispensable de développer la formation dès que possible dans les établissements pour préparer la rentrée 2016.

M. Paul Devin

Tout à l'heure, j'entendais dire que le collège unique avait vécu. Pour ma part, je ne le souhaite pas ! Le collège, comme lieu unique dispensant la même formation à chaque élève, doit demeurer le fondement de notre politique scolaire et de toute réforme qui s'y attacherait.

S'agissant du recrutement des personnels enseignants par les chefs d'établissement, pour avoir longtemps travaillé en Seine-Saint-Denis, je vous affirme qu'il conduirait à ce que, dans ce département, l'enseignement ne soit plus dispensé que par des contractuels ou par des professeurs inexpérimentés. Le mécanisme naturel de déplacement des enseignants, couplé à une liberté des chefs d'établissement en matière de recrutement conduirait à un déclassement des territoires les plus fragiles, contraire à la démocratisation du système scolaire comme à l'objectif de réussite de tous les élèves.

Je partage, par ailleurs, la position défendue par M. Richard concernant la présidence du conseil d'administration des établissements : elle doit demeurer au chef d'établissement, représentant de l'État, au risque de fragiliser l'ensemble du système.

Je terminerai par la question de la formation des enseignants, qui rejoint, selon moi, celle des moyens qui y sont alloués. La réforme, et notamment la mise en oeuvre de la liaison prévue entre la classe de CM2 et le collège, demande une formation et un accompagnement accrus des professeurs. Or, les moyens consacrés à la formation continue n'ont cessé de diminuer, au point qu'elle a quasiment disparu dans certains territoires.

M. Patrick Roumagnac

Je m'avoue impressionné par le consensus qui se dégage autour de la nécessité d'une réforme. Mais celle-ci sera-t-elle suffisante pour pallier les maux dont souffre le collège ? Tant de réformes ont déjà été tentées ! D'ailleurs, que convient-il réellement de réformer ? Depuis quarante ans, les études en sciences sociales montrent que nombre d'apprentissages sont extérieurs à l'école. À mon sens, une réforme efficace doit d'abord apprendre aux élèves à s'approprier et à comprendre les informations reçues par l'ensemble des canaux d'apprentissage, notamment les images, parfois dangereuses, véhiculées par la télévision et par l'Internet. La réforme de l'école ne doit pas être le seul fait des spécialistes mais l'affaire de tous les citoyens : nous sommes tous responsables de l'échec comme de la réussite des élèves. Ainsi, il me semble utile d'associer les élus dans la construction d'une politique éducative à l'échelle des territoires. Cette proposition n'est pas une utopie ; de tels partenariats existent déjà. Il est temps d'en dresser le bilan et de s'inspirer des réussites qui auront été observées. Cessons le dogmatisme autour de l'idée que l'école peut et doit tout faire et associons-nous pour la réforme ! La réforme me semble également devoir englober l'ensemble des niveaux jusqu'aux études supérieures. Le lien entre le collège et le lycée doit à cet égard être approfondi. De même, dans la mesure où peu d'élèves cessent leurs études au baccalauréat, un travail approfondi doit être mené pour faciliter le passage entre le lycée et les études supérieures. Vous l'aurez compris, je suis favorable au développement des synergies et souhaite que cesse enfin l'isolation dans laquelle s'est trop longtemps complu l'éducation nationale.

Mme Vivette Lopez

Je rejoins les propos tenus par MM. Devin, Roumagnac et Carle. Pour remédier à ce constat, il est indispensable que les élèves maîtrisent les fondamentaux à l'issue de l'école primaire. À cet égard, la suppression du redoublement, décision démagogique pour les élèves comme pour les parents dont on ne souhaite pas blesser l'ego, me semble constituer une grave erreur. Le redoublement n'est pas une punition mais une seconde chance donnée aux enfants pour lesquels l'apprentissage nécessitait un temps plus long. Sa suppression va conduire un nombre encore plus grand d'élèves à entrer en sixième sans maîtriser les savoirs fondamentaux ; ils ne pourront dès lors qu'échouer au collège. À l'inverse, pour les enfants qui s'ennuient à l'école en raison de leur maîtrise précoce des connaissances, le saut d'une classe est souhaitable.

S'agissant enfin de l'apprentissage des langues, je rappelle que celles-ci sont parfaitement maîtrisées, et ce dès le plus jeune âge, par les enfants des familles bilingues comme par les enfants habitant dans des zones frontalières, et dont l'école primaire propose un enseignement en langue étrangère un à deux jours par semaine. Cette expérience pourrait être généralisée dès la maternelle sur l'ensemble du territoire national afin d'assurer le bilinguisme de tous les élèves.

M. Jacques Grosperrin

Votre discours unanime de défense du collège unique est certainement le fait des fonctions que vous occupez. Pourtant, au vu de ses résultats et du nombre d'élèves qui le quitte sans maîtriser le socle commun, il me semble que ce modèle a vécu, même s'il demeure un symbole et sa suppression un tabou. N'est-il pas temps de sortir de nos postures antagonistes et d'envisager un collège unique plus souple ?

Vous demandez, monsieur Devin, à ce que des moyens supplémentaires soient consacrés à la formation des enseignants. Supprimons le diplôme national du brevet (DNB) et nous pourrons y allouer les 4,5 millions d'euros ainsi épargnés.

Je m'étonne également qu'aucun d'entre vous n'ait fait mention du décret pris à la va-vite, au lendemain d'une manifestation, pour mettre en place une réforme pour le moins contestée. Outre la méthode, cette réforme, qui supprime les options synonymes d'excellence et à propos de laquelle on envisagea un temps la disparition de la notation, me semble par trop empreinte d'idéologie. La bienveillance, dont vous avez fait état, monsieur Richard, a ici dépassé les limites du raisonnable, tant et si bien que les meilleurs élèves, les plus travailleurs et les plus ambitieux, n'iront plus dans les collèges dits « difficiles » qui les attiraient encore en raison des options qu'ils proposaient. La concurrence avec les établissements privés, qui continueront à dispenser ces enseignements d'excellence, ne fera que croître au détriment du service public, je le crains.

Je suis enfin surpris de votre refus unanime de voir les chefs d'établissement noter leurs enseignants. Pourtant, qui d'autre qu'eux serait mieux placé, notamment s'agissant de l'évaluation de l'implication de chaque professeur dans la vie scolaire ? Plus globalement, de quelle manière pourrait, selon vous, être amendée, pour plus d'efficacité, la réforme du collège ?

M. David Assouline

Cette audition souligne la confusion entre deux types de débat : d'un côté, le débat sociétal et idéologique sur l'école tel qu'il est présenté par M. Grosperrin, et sur lequel nous ne pourrons jamais nous entendre ; de l'autre, le débat concret sur la mise en oeuvre de cette réforme. À cet égard, je tiens à souligner l'influence des chefs d'établissement et de l'équipe enseignante sur l'attractivité de leur collège. Vous aurez donc un rôle fondamental dans l'application concrète de la réforme et la mise à plat des inévitables difficultés. Une expérience similaire a déjà été faite lors de la réforme des rythmes scolaires. Il y avait un consensus sur la nécessité de dégager du temps pour l'apprentissage, mais lorsqu'il a fallu mettre en oeuvre la réforme, le changement a été plus difficile qu'attendu. J'en viens donc à ma question : maintenant que la réforme du collège est lancée à travers la publication des textes d'application, pensez-vous disposer d'assez de temps pour la rendre opérationnelle d'ici la rentrée 2016 ?

Mme Marie-Annick Duchêne

Je ne vois pas qui est le représentant de l'État dans un conseil d'établissement. Ce sont les collectivités territoriales qui sont représentées : les régions dans les lycées, les départements dans les collèges et les communes dans les écoles. Cette précision faite, je rejoins la question de M. Patrick Abate : dans le cadre de l'autonomie accordée aux établissements, sera-t-il possible de créer des petits groupes pendant les trois heures d'enseignement interdisciplinaire ? Par ailleurs, comment s'effectuera désormais la liaison, au sein du cycle 3, entre l'école élémentaire et le collège ?

Mme Françoise Cartron

Cette réforme du collège est une réforme de société. Elle a pour ambition de ne plus accepter ce qu'on accepte depuis des années, à savoir que 150 000 jeunes sortent du système scolaire sans diplôme ni qualification puis soient lâchés ainsi dans la jungle du monde professionnel sans aucun atout. Il ne s'agit pas de porter atteinte à l'excellence ou à l'élite. Je dirais d'ailleurs de manière un peu provocante que les excellents élèves n'ont pas besoin de l'école, car comme il a déjà été fait remarquer auparavant, on apprend également en dehors de l'école. Toutefois, on apprend également avec ses pairs. Face aux inégalités sociales qui existent d'un collège à l'autre, est-ce que la vraie réforme ne serait pas de s'attaquer aux politiques d'affectation dans les établissements scolaires, qui, facilitées par l'assouplissement de la carte scolaire, aboutissent à des ghettos dans les deux sens ? Le rapport du Conseil national d'évaluation du système scolaire (CNESCO) sur la mixité sociale à l'école rappelle qu'en France, des élèves issus d'un milieu très défavorisé ne rencontrent que 5 % d'enfants en provenance de classes moyennes. Il nous faut donc repenser la sectorisation, mais également lutter contre les pratiques qui conduisent à des ségrégations entre les classes. Nous devons nous attaquer à cette tâche très difficile qui consiste à introduire une véritable mixité, une véritable hétérogénéité dans les collèges.

Mme Maryvonne Blondin

Je reviens sur l'importance de la stabilité des équipes afin que la mise en place de pratiques nouvelles porte ses fruits. Malheureusement, la gestion des ressources humaines au niveau du ministère de l'éducation nationale est compliquée et susceptible d'amélioration. Ma première question porte sur le conseil pédagogique : certains enseignants craignent que l'influence décisive du chef d'établissement sur le choix des EPI se fasse au détriment des langues régionales. Ces préoccupations sont renforcées par le fait que les enseignants de langues régionales sont parfois détachés sur plusieurs collèges, ce qui réduit leur poids dans le conseil pédagogique. Par ailleurs, j'attire l'attention des inspections académiques chargées d'établir la nouvelle carte des langues vivantes d'ici la fin de l'année sur la nécessité de prendre en compte les langues régionales, défendues par le Président de la République à travers sa proposition de ratification de la charte européenne des langues régionales et minoritaires.

M. Michel Savin

Je suis surpris que les représentants de chefs d'établissement présents aujourd'hui n'aient pas abordé le problème de la discipline et de la sécurité. Pour assurer des enseignements de qualité, il faut pouvoir garantir la sécurité des élèves et des enseignants. Se pose donc le problème des élèves en situation de rupture, qui sont exclus successivement des différents collèges jusqu'à la fin de leur scolarité obligatoire. En tant que maires, nous sommes sollicités par les chefs d'établissement qui rencontrent des difficultés à la fois à l'intérieur du collège, mais également à l'extérieur.

Mme Marie-Pierre Monier

Je souhaiterais tout d'abord préciser à M. Michel Richard qui a comparé le président du conseil d'administration d'un collège à un maire, qu'un maire est élu par les citoyens et par le conseil municipal. Sinon, je soutiens le principe prôné par M. Paul Devin selon lequel il faut avoir la même ambition pour tous les élèves au collège. Je rappelle qu'avant la création du collège unique, les élèves étaient enfermés dans des filières alors même que leurs performances pouvaient évoluer au cours de la scolarité. Il est également très important de tenir compte du niveau, des compétences et des capacités des élèves pour adapter la pédagogie aux spécificités de chacun. Cela signifie, bien entendu, aider ceux qui sont en difficulté pour éviter qu'ils sortent sans diplôme ou qualification. J'ai été heureuse d'entendre parler de la réduction des effectifs par un intervenant : elle ne permettra pas de résoudre tous les problèmes mais il est évident que ce sont les enfants les plus en difficulté qui souffrent le plus des classes surchargées.

Ma question porte sur le brevet : à titre personnel je suis favorable au maintien du brevet car cela entraîne les élèves à passer des examens. Il faut donc le considérer dans son rôle d'entraînement au baccalauréat, pour lequel l'enjeu en matière d'orientation est beaucoup plus important. Certes, il existe la validation du socle commun de compétences, mais le brevet permet de tester le niveau de l'élève en situation d'examen.

Mme Mireille Jouve

Je partage le point de vue de M. Roumagnac sur le fait que l'éducation ne se fait pas seulement au collège. Par contre, je pense qu'il est nécessaire de prendre en compte la vie des collégiens dans leur globalité : les conditions d'accueil, la vie scolaire, les transports, la restauration, la sécurité...

Ma question porte sur les professeurs documentalistes dont le rôle est important dans la mise en place des EPI. Une réflexion a-t-elle été engagée sur la place des centres de documentation et d'information (CDI) au sein des collèges ? Ces derniers ont un rôle à jouer dans la formation à l'Internet et aux médias.

M. Michel Richard

Nous sommes opposés au redoublement. Il ne peut se faire que dans le cadre d'une modification profonde des méthodes pédagogiques pour être efficace. L'élève qui a échoué une première année sera confronté au même dispositif et aboutira au même échec.

Quelle évolution pour la réforme ? Elle doit permettre une mise en oeuvre rapide pour répondre aux besoins de notre société. Nous formons les citoyens de demain et nous avons tous une responsabilité à partager.

Sur les effectifs, nous pensons que ce sont plutôt les méthodes pédagogiques qui ont de l'importance, plutôt que les seuls effectifs. Nous pensons que l'individualisation est préférable. En ne jouant que sur les effectifs, nous serions confrontés à des problèmes matériels de dimension des établissements.

En ce qui concerne la sécurité et la discipline, nous savons, depuis les travaux menés par Éric Debarbieux, qu'il est important de travailler sur le climat de l'établissement. Il est toujours préférable d'être dans une démarche où l'on doit convaincre plutôt que contraindre, sans oublier de sanctionner quand la démarche de conviction n'a pas fonctionné.

Enfin, nous pensons que le brevet n'a plus de raison d'être. Cet examen s'est terriblement complexifié et son organisation est très lourde pour les établissements. Nous pensons qu'il est préférable pour les élèves de bénéficier d'heures d'enseignement que de se disperser pour un diplôme qui ne débouche sur rien !

M. Guy-Dominique Kennel

Vous faites partie de la hiérarchie de l'éducation nationale. Vous en êtes les courroies de transmission. Or, selon un sondage récent, environ 74 % des enseignants sont opposés à cette réforme. A-t-elle été mal expliquée ?

Je ne vous ai pas entendu parler d'orientation : si le module « initiation à la vie économique » n'est pas choisi, qu'en sera-t-il ?

Mme Claudie Paillette

Il me semble difficile que les personnels de direction expliquent une réforme alors que les textes sont en cours de publication et que la désinformation par la vague médiatique a pu inquiéter.

D'où l'importance pour les établissements de disposer d'un temps d'appropriation de la réforme en cette fin d'année. Il nous faut organiser et impulser le travail collectif.

Nous partageons le point de vue de M. Richard sur le redoublement. Refaire la même chose dans les mêmes conditions ne sert à rien. Nous sommes, par contre, partisans d'une progression par cycle dans laquelle l'évaluation de l'élève arriverait en fin de chaque cycle. Se tromper permet de se construire. À niveau égal, l'élève qui est resté dans sa classe d'âge fait plus de progrès que celui qui a redoublé.

Sur les effectifs, les marges horaires qui sont données par la réforme aux établissements permettront d'organiser des apprentissages en groupes restreints ou de faire intervenir deux professeurs pour un même groupe d'élèves. D'expérience, je sais que regrouper les enfants qui ont des difficultés ne crée pas une dynamique propice à l'apprentissage.

Il nous semble important et urgent, dans le cadre de la carte scolaire et du recrutement, de travailler sur la mixité sociale. Mais ce n'est pas le sujet de la réforme du collège !

Les élèves apprennent aussi beaucoup en dehors de l'école. Et ceux sont les plus favorisés qui apprennent le plus en dehors de l'école. Aussi, nous pensons qu'il faut utiliser les moyens de l'école pour ceux qui en ont le plus besoin.

D'autre part, le travail entre pairs est nécessaire, y compris pour les bons élèves. La solidarité et la coopération sont essentielles au sein d'un établissement scolaire. Il faut éviter l'esprit de compétition et de concurrence, nuisible au climat scolaire. Il faut redonner espoir et confiance aux élèves. L'évaluation des élèves doit se faire sur leurs progrès plutôt que sur leurs manques.

M. Didier Laffeach

Je rejoins la position de mes collègues sur le redoublement. Sauf cas extrêmement particulier, le redoublement reste un échec et n'est en aucun cas un remède. En revanche, nous sommes favorables à l'individualisation et à l'analyse des difficultés de chaque élève. Une des difficultés de notre école, c'est le manque de temps.

S'agissant de l'apprentissage des langues, je voudrais vous alerter sur l'extrême pauvreté de la formation continue des professeurs de langues. Les enseignants en langues ont une formation jusqu'à l'université après laquelle tout dépend de leur choix personnel d'aller à l'étranger ou non. Les formations proposées par les académies sont techniques et la formation sur la langue parlée est insuffisante. Si l'on veut développer l'apprentissage des langues, l'État doit se demander comment former en continu ces enseignants, en leur donnant la possibilité de retourner étudier dans le pays dont ils enseignent la langue. Dans le primaire, les situations sont très hétérogènes et les enseignants nous disent bien que cela n'est pas leur discipline essentielle, ni leur quotidien. Nous sommes loin du « bain de langage » que vous évoquiez !

Concernant les effectifs, plus l'hétérogénéité est grande, plus la possibilité de prendre en charge des élèves en nombre restreint, est un moyen de faire progresser les élèves.

Sur la sécurité et la discipline, il faut relativiser les choses : dans la plupart des établissements, on travaille et les élèves aussi.

Je pense que nous avons, aujourd'hui, un vrai problème de société. Le modèle présenté aux adolescents n'est pas celui de l'élève qui réussit grâce à l'école. Selon le parcours personnel des parents, ceux-ci ne tiennent pas le même discours à leurs enfants sur l'importance de la réussite scolaire. Pour beaucoup d'enfants, l'école signifie l'échec. Or, je pense que toute société doit valoriser la réussite scolaire. Apprendre est une richesse.

Enfin, le terme de courroie de transmission me paraît un peu désobligeant. De toute façon, nous sommes tous les courroies de transmission de quelqu'un. Nous avons à la fois un rôle d'animateur et un rôle de représentant de l'État. Nous n'avons pas encore « digéré » la réforme du collège, comment voulez-vous qu'on la « régurgite » à nos collaborateurs ?

M. Patrick Roumagnac

Personnellement, je comparerais ma fonction à celle d'une interface plutôt qu'à celle d'une courroie de transmission.

Nous représentons ici trois corps d'encadrement qui n'ont que peu de contact entre eux, ce qui pose problème. Jusqu'à présent, les différentes réformes ont eu pour effet d'ajouter, à chaque fois, un peu plus de complexité de notre organisation. Or cette complexité est mal vécue par les élèves les plus fragiles et par leurs parents. Nous devrions avoir le courage de procéder au choc de simplification nécessaire à notre système éducatif.

Par ailleurs, la formation des enseignants est calquée sur le modèle de la formation des élèves ; il s'agit d'une formation strictement descendante où l'expert apporte son savoir à celui qui ne sait pas. Les enseignants sont des cadres de catégorie A ; ils doivent être acteurs de leur formation et s'approprier la réforme. Toute autre façon de procéder ne peut conduire qu'à un échec : quelqu'un a-t-il vu mis en oeuvre les cycles d'enseignement, pourtant prévus par la loi d'orientation de 1989 ?

M. Paul Devin

Méfions-nous des fausses bonnes idées : créer des classes de quinze élèves en difficulté d'une part et des classes de quarante bons élèves d'autre part, dans une démarche de discrimination positive, ne satisfait pas les exigences de mixité sociale. Or, la mixité sociale constitue aujourd'hui un enjeu majeur pour la réussite de tous.

De même, alors que le redoublement paraît être fondé sur un principe de bon sens, nous avons des armoires pleines de rapports indiquant qu'il n'est pas bénéfique aux élèves. L'école est un système complexe : la bonne idée n'existe pas en matière d'éducation.

Les représentants syndicaux que nous sommes avons à coeur d'assurer loyalement notre mission de fonctionnaires de l'État, mais nous nous devons de réagir lorsqu'une réforme ne semble pas prendre en compte suffisamment la complexité des choses. Nous regrettons que nos remarques aient été présentées comme des objections superficielles nées d'un simple manque d'explication de la hiérarchie, ou d'une insuffisante compréhension des personnels, dont le refus quasi-généralisé de la réforme devrait être mieux pris en compte.

M. Claude Desfray

Je ne réfute pas les termes de courroie de transmission dans la mesure où nous devons veiller à ce que soient maintenue à la fois une certaine souplesse et une certaine tension pour que la mécanique du système éducatif fonctionne.

Il est maintenant admis que l'instruction ne relève pas de l'école seule et que l'éducation n'est pas de la responsabilité des seuls parents. S'agissant des valeurs de la République, si la liberté et l'égalité sont assez souvent évoquées dans les établissements, le concept de fraternité l'est moins.

Peu de chefs d'établissement revendiquent la possibilité de recruter et d'évaluer leurs enseignants, tant il est vrai qu'ils ignorent ce qui se passe dans les classes : un professeur ponctuel distribuant des bonnes notes dans une classe calme et silencieuse peut avoir des insuffisances professionnelles que seul un inspecteur est en mesure de détecter et d'évaluer. La note administrative et la note pédagogique procèdent de deux logiques différentes et nous avons observé à ce sujet un certain nombre d'échecs dans des pays qui souhaiteraient désormais se doter d'un corps d'inspecteurs disciplinaires comparable au nôtre.

M. Jean-Claude Carle, président

En conclusion, je souhaitais rappeler les propos de M. Roumagnac indiquant que « la réforme ne doit pas être une réforme de spécialiste, mais qu'elle doit être l'affaire de tous les citoyens » et, sur la méthode, à ceux de M. Richard préconisant de « convaincre plutôt que de contraindre ».

MERCREDI 24 JUIN 2015

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