III. LES ENSEIGNEMENTS POUR LA FRANCE

A. UNE MAÎTRISE DES FINANCES LOCALES QUI S'ACCOMPAGNE D'UN EFFONDREMENT DE L'INVESTISSEMENT PUBLIC

1. Le PSI a permis une certaine maîtrise des finances locales, même si les résultats peuvent sembler moins bons qu'attendu
a) Un pacte plus que respecté
(1) Le respect du pacte

Les chiffres ci-dessous, issus des données de l'Ufficio parlamentare di bilancio , montrent que, globalement, le pacte de stabilité interne est bien respecté . Entre 2003 et 2014, la proportion de collectivités ne respectant pas le pacte n'a dépassé 10 % que trois années (2006, 2007 et 2009). Et sur les cinq dernières années, cette proportion était inférieure à 3 % .

Part des collectivités respectant le PSI

Source : Commission des finances du Sénat à partir des données de l' Ufficio parlamentare di bilancio

Si l'on regarde plus précisément, on observe que chaque échelon de collectivité n'a pas forcément rencontré de difficultés à respecter le pacte les mêmes années.

Part des collectivités ne respectant pas le PSI

2003

2004

2005

2006

2007

2008

2009

2010

2011

2012

2013

2014

Régions

0,0 %

0,0 %

0,0 %

0,0 %

40,0 %

22,7 %

18,2 %

0,0 %

0,0 %

0,0 %

0,0 %

4,5 %

Provinces

1,0 %

2,1 %

11,0 %

6,5 %

9,8 %

0,0 %

2,0 %

1,0 %

1,0 %

8,8 %

10,7 %

N.D.

Communes

3,3 %

4,6 %

4,5 %

20,1 %

11,3 %

5,9 %

11,1 %

2,5 %

4,6 %

3,4 %

2,2 %

1,7 %

Collectivités territoriales

2,0 %

3,0 %

6,1 %

16,9 %

11,4 %

5,8 %

10,8 %

2,4 %

4,4 %

3,6 %

2,3 %

1,7 %

Source : Commission des finances du Sénat à partir des données de l' Ufficio parlamentare di bilancio

(2) « L'overshooting »

De façon a priori surprenante étant donné le contexte financier, on observe que pratiquement chaque année, l'objectif contraignant fixé par le pacte a été plus que dépassé, et ce de façon important. En d'autres termes, les collectivités territoriales ont réalisé un effort plus important que l'engagement qu'elles avaient pris , ce que les Italiens appellent l' overshooting .

Dépassement de l'objectif du PSI - « overshooting »

(en millions d'euros)

2003

2004

2005

2006

2007

2008

2009

2010

2011

2012

2013

2014

Régions

4 485

4 824

2 297

2 208

- 493

- 342

- 1 685

673

269

978

886

- 623

Provinces

483

525

44

610

608

278

280

127

147

8

114

0

Communes

1 969

2 330

3 909

3 148

2 206

1 527

1 190

819

- 178

686

1 300

1 610

Collectivités territoriales

6 937

7 678

6 249

5 966

2 320

1 463

- 215

1 619

238

1 672

2 300

987

Source : Commission des finances du Sénat à partir des données de l' Ufficio parlamentare di bilancio

Ainsi, entre 2003 et 2006, l'objectif a été dépassé de plus de 6 milliards d'euros par an . L' overshooting diminue ensuite fortement mais reste autour d'un milliard d'euros en moyenne au cours des cinq dernières années. Or, ce « sur-ajustement » n'est pas optimal d'un point de vue économique , puisqu'il aurait pu donner lieu à des investissements.

b) Des résultats économiques parfois contradictoires avec le respect du pacte

Intuitivement, le respect par les collectivités territoriales italiennes du pacte de stabilité interne devrait conduire à une amélioration de la situation de leurs finances.

Or, paradoxalement, le respect du pacte s'est accompagné d'une augmentation de leur dette , comme le montre le graphique ci-dessous.

Évolution de la dette des collectivités territoriales italiennes

(en points de PIB)

Source : Commission des finances du Sénat à partir des données Eurostat

De même, les dépenses de fonctionnement des collectivités territoriales italiennes ont augmenté de façon importante sur la même période. Pour une base 100 en 1998, elles étaient de 120 en 2002, de 140 en 2007 et de 155 en 2010, avant de redescendre légèrement en 2011 et 2012. Sur la même période, on notera que l'inflation s'est élevée à 20 % environ.

Ce constat macroéconomique est confirmé par l'analyse plus fine menée par Daniela Monacelli, Maria Grazia Pazienza et Chiara Rapallini, dans une étude de 2014 22 ( * ) , à partir de l'étude des budgets locaux 1999-2009 de la quasi-totalité des communes italiennes.

Les auteurs notent ainsi que le pacte de stabilité interne ne semble pas avoir eu les effets théoriquement attendus. Le niveau de dette par habitant a doublé sur la période, sans que l'on observe de différence claire entre les collectivités ayant respecté le pacte et celles ne l'ayant pas respecté. De même, ils notent, sur la période, une « nette tendance à augmenter les dépenses de fonctionnement ».

De même, Rinieri Ferone, conseiller à la Cour des comptes italienne, expliquait à vos rapporteurs spéciaux que plusieurs communes qui avaient respecté le PSI en 2013 avaient fait défaut l'année suivante.

c) Un paradoxe qui trouve une explication essentiellement conjoncturelle

Ces résultats paradoxaux trouvent plusieurs explications.

Tout d'abord, selon plusieurs auteurs et notamment Luisa Giuriato, professeur d'économie à l'université de Roma La Sapienza que vos rapporteurs spéciaux ont rencontrée, il faut y voir le signe d'un degré de contrainte faible , au moins durant les premières années du pacte.

Elle observe ainsi 23 ( * ) que, entre 1999 et 2006, « les bons résultats constatés par la Ragioneria dello Stato en termes de respect du pacte devraient être interprétés comme la conséquence du manque de contrainte de la règle plutôt que comme un comportement vertueux des collectivités ». Et d'ajouter « en 2002 la contrainte était si faible que le déficit a augmenté de 2,5 % ».

La seconde explication, avancée entre autre par Daniela Monacelli, Maria Grazia Pazienza et Chiara Rapallini dans l'étude précitée, réside dans la facilité pour les collectivités territoriales italiennes à s'endetter au début des années 2000 :

- d'une part, la règle limitant les intérêts remboursés par une collectivité à une proportion donnée de ses recettes de fonctionnement (cf. supra ) n'était pas, d'après elles, suffisamment contraignante (25 % entre 1999 et 2004 contre 4 % depuis 2014) ;

- d'autre part, la mise en place de l'euro a permis une diminution très importante du taux auquel les collectivités territoriales italiennes empruntaient : le « coût implicite de financement » calculé par les auteurs est ainsi passé de 7,1 % à 3,2 % sur la période.

d) Une maîtrise des finances locales

Cependant, ces observations ne doivent pas laisser penser que le PSI n'a pas eu d'effet .

Certes, jusqu'en 2006, la contrainte était peut-être faible. Mais son durcissement, conjugué à une baisse importante des ressources des collectivités territoriales, n'a pas empêché d'enregistrer de très bons résultats les années suivantes en termes de respect du pacte. D'après Pasqualino Castaldi, directeur à la Ragioneria dello Stato , il faut surtout y voir un signe de l' efficacité des sanctions prévues par le pacte.

Quant à l' overshooting , dont l'ampleur diminue considérablement en fin de période, il faut sans doute y voir aussi une conséquence de l'instabilité de la règle et de la non proportionnalité des sanctions, qui incitait les collectivités à une grande prudence.

Enfin, on observe une réelle inflexion des dépenses des collectivités territoriales italiennes à partir de 2010, comme le montre le graphique ci-dessous, qui ne prend cependant pas en compte les transferts de compétences (voir page 41).

Évolution des dépenses des collectivités territoriales

(base 100 en 1999)

Italie

France

Source : Commission des finances du Sénat à partir des données Eurostat

Les travaux de Daniela Monacelli, Maria Grazia Pazienza et Chiara Rapallini montrent malgré tout que le PSI a eu un effet sur le « chemin d'endettement », probablement à travers les sanctions du pacte, qui, certaines années, limitaient la capacité d'endettement des collectivités qui ne l'avaient pas respecté l'année précédente.

Ainsi, les études économiques comme les différents interlocuteurs que vos rapporteurs spéciaux ont rencontrés (Cour des comptes, Direction du budget, représentants des collectivités territoriales) considèrent que le PSI a eu un effet modérateur et permis une relative maîtrise des finances locales italiennes . Ceci est d'ailleurs confirmé par l'infléchissement de leurs dépenses à partir de 2009. De façon incidente, le PSI a également permis d'améliorer la qualité des comptes des collectivités.

Malgré l'effort considérable demandé aux collectivités italiennes, vos rapporteurs spéciaux ont eu le sentiment au cours de leur déplacement que celui-ci avait pu être absorbé sans réduire excessivement l'offre de services publics, en améliorant la qualité de la dépense et, au moins partiellement, en ayant recours au levier fiscal . Par ailleurs, le nombre de collectivités faisant défaut est resté bas : entre 10 et 20 au cours des cinq dernières années.

La plupart de leurs interlocuteurs ont cependant estimé que les collectivités italiennes n'étaient plus capables d'absorber des efforts supplémentaires sans conséquences importantes sur les services publics.

2. Des effets pervers inattendus

Différentes interlocuteurs de vos rapporteurs spéciaux ont attiré leur attention sur les effets pervers du pacte qui sont observés en Italie.

Tout d'abord, les contrôleurs du pacte de stabilité interne, au premier rang desquels la Ragioneria dello Stato et la Cour des comptes, qui publie chaque année un rapport sur ses résultats, ont évoqué la « créativité comptable » de certaines collectivités, qui leur a permis de respecter le pacte en apparence, en excluant des dépenses ou bien en gonflant des prévisions de recettes. Ces observations sont confirmées par des études économiques 24 ( * ) .

Par ailleurs, les règles relatives à l'endettement des collectivités territoriales, combinées aux contraintes du pacte, ont pu inciter certaines collectivités à contracter des emprunts structurés , avec des conséquences similaires au cas français. La complexité des produits permettait, d'une part, de bénéficier de taux plus bas en début de période et, d'autre part, d'être moins lisibles dans les bilans comptables. Il faut cependant noter que l'Italie a interdit ce type d'emprunts dès 2008, soit dès le déclenchement de la crise financière, quand la France a attendu 2013.

Enfin, le pacte semble avoir encouragé l'externalisation de dépenses , à travers notamment le recours à des sociétés locales, ce qui s'est traduit en définitive par des surcoûts. La Cour des comptes italienne notait ainsi que les transferts des collectivités territoriales à ces sociétés étaient le poste de dépense qui augmentait le plus vite au cours des dernières années.

Ces différents effets peuvent cependant être évités , à condition de mettre en place des contrôles efficaces, comme c'est le cas aujourd'hui en Italie, d'avoir des comptes de bonne qualité et d'étendre le champ d'application du pacte au périmètre le plus large possible (budgets annexes, etc.), afin de ne pas créer d'incitation de ce type.

3. Un effondrement de l'investissement qui a pesé lourdement sur la croissance italienne

En Italie comme en France, on observe une prépondérance de l'investissement local dans l'investissement public. Ainsi, les investissements des collectivités territoriales italiennes représentent près de 80 % des investissements publics du pays et leur variation a naturellement un effet sur la croissance économique du pays.

Après avoir augmenté de façon continue entre 1995 et 2004 (+ 43 %) jusqu'à représenter 2 % du PIB, les investissements des collectivités italiennes ont diminué de façon tout aussi continue, à l'exception de l'année 2009, jusqu'à atteindre 1,2 % du PIB. Soit une diminution de 40 %.

Cette évolution invite nécessairement à s'interroger sur son lien avec le pacte de stabilité interne dans ses différentes versions, notamment à la lumière de la prise en compte, à partir de 2005, des dépenses d'investissement dans le périmètre du pacte.

Évolution des dépenses d'investissement des collectivités territoriales italiennes

(en points de PIB)

Source : Commission des finances du Sénat à partir des données Eurostat

Les études menées sur le sujet comme les interlocuteurs de vos rapporteurs spéciaux permettent de dire clairement que c'est la prise en compte des investissements dans le pacte de stabilité interne qui a eu pour effet cette forte diminution.

Ainsi, Paolo Chiades et Vanni Mengotto ont montré 25 ( * ) le lien de causalité entre le pacte et la baisse des investissements , en comparant notamment la situation des communes selon si elles étaient ou non soumises au PSI. Ils constatent notamment que la baisse des investissements est plus importante chez les collectivités soumises au pacte que chez celles qui n'y sont pas soumises, alors que leurs ressources ont évolué de façon analogue.

Dans leurs travaux précités, Daniela Monacelli, Maria Grazia Pazienza et Chiara Rapallini parviennent à la même conclusion. Elles constatent ainsi qu'entre 2004 et 2005, les communes qui ne respectaient pas le pacte ont vu leurs investissements augmenter de 12,7 % quand celles qui le respectaient les ont vus diminuer de 35,7 %.

Ceci s'explique tout d'abord par la plus grande facilité pour les collectivités à réduire leurs dépenses d'investissements , les dépenses de fonctionnement étant plus rigides du fait notamment des dépenses de personnel et de la charge de la dette.

Cet effet est cependant renforcé par la façon dont est défini le pacte : les dépenses d'investissements sont mesurées en comptabilité de caisse et les dépenses de fonctionnement en comptabilité d'engagement. Or les paiements peuvent être retardés. Il en est résulté l'accumulation d'une dette envers les fournisseurs, qui a conduit la Commission européenne à envisager l'ouverture d'une procédure contre l'Italie.

Il est donc fondamental, dans l'encadrement des finances locales, de définir une règle qui préserve les investissements, par exemple en les excluant du périmètre, ou de prévoir, comme l'a fait l'Italie par la suite, des souplesses spécifiques en matière d'investissement.

Ceci est d'autant plus important que ces investissements ont un effet direct sur la croissance. Alberto Zanardi, membre du conseil de l' Ufficio parlamentare di bilancio , équivalent de notre Haut Conseil des finances publiques, déclarait ainsi à vos rapporteurs spéciaux que la baisse des investissements locaux avait indubitablement eu un impact négatif sur la croissance italienne , qui l'a conduite à sortir moins vite que ses voisins de la crise. Angelo Buscema, Président de chambre à la Cour des comptes italienne, a indiqué à vos rapporteurs que l'impact de la baisse des investissements publics dans leur globalité représentait 1,2 point de croissance en moins . On peut donc estimer l'impact de la baisse des investissements locaux à environ un point de PIB.


* 22 D. Monacelli, M. G. Pazienza et C. Rapallini, « Municipality budget rules and debt : is the italian regulation effective ? », DISEI dell'Università degli studi di Firenze Working paper n. 24/2014 , 2014.

* 23 F. Gastaldi et L. Giuriato, « The domestic stability pact : assessment of the italian experience and comparison with the other EMU countries », Review of economics conditions in Italy , n° 1, janvier-avril 2008.

* 24 G. M. Milesi-Ferretti, « Good, bad or ugly ? On the effects of fiscal rules with creative accounting », in Journal of public economics, vol. 88, n° 1 , 2004.

* 25 P. Chiades et V. Mengotto, « Il calo degli investimenti nei comuni tra patto di stabilità interno e carenza di risorse », in Questioni di economia e finanza, n° 210, Banca d'Italia, novembre 2013 .

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