N° 687

SÉNAT

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2014-2015

Enregistré à la Présidence du Sénat le 16 septembre 2015

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des finances (1) sur l' enquête de la Cour des comptes relative aux aides personnelles au logement ,

Par M. Philippe DALLIER,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : Mme Michèle André , présidente ; M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général ; Mme Marie-France Beaufils, MM. Yvon Collin, Vincent Delahaye, Mmes Fabienne Keller, Marie-Hélène Des Esgaulx, MM. André Gattolin, Charles Guené, Francis Delattre, Georges Patient, Richard Yung , vice-présidents ; MM. Michel Berson, Philippe Dallier, Dominique de Legge, François Marc , secrétaires ; MM. Philippe Adnot, François Baroin, Éric Bocquet, Yannick Botrel, Jean-Claude Boulard, Michel Bouvard, Michel Canevet, Vincent Capo-Canellas, Thierry Carcenac, Jacques Chiron, Serge Dassault, Bernard Delcros, Éric Doligé, Philippe Dominati, Vincent Eblé, Thierry Foucaud, Jacques Genest, Didier Guillaume, Alain Houpert, Jean-François Husson, Roger Karoutchi, Bernard Lalande, Marc Laménie, Nuihau Laurey, Antoine Lefèvre, Gérard Longuet, Hervé Marseille, François Patriat, Daniel Raoul, Claude Raynal, Jean-Claude Requier, Maurice Vincent, Jean Pierre Vogel .

LES PRINCIPALES OBSERVATIONS DU RAPPORTEUR SPÉCIAL

Mesdames, Messieurs,

En application de l'article 58 paragraphe 2° de la loi organique du 1 er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF), la commission des finances du Sénat a demandé à la Cour des comptes la réalisation d'une enquête sur les aides personnelles au logement 1 ( * ) .

Le poids de ces aides ne cesse de progresser, avec 6,5 millions de ménages bénéficiaires et une dépense totale de 17,4 milliards d'euros en 2013, soit 40 % des dépenses publiques en faveur du logement et à 0,8 % du PIB. Dans ce contexte, il est apparu nécessaire de s'interroger sur leur efficacité, en particulier s'agissant du taux d'effort 2 ( * ) des ménages, ainsi que sur la soutenabilité financière de la dépense associée.

Une fois l'enquête remise par la Cour des comptes, la commission des finances a organisé, mercredi 16 septembre 2015, une audition «  pour suites à donner » à ce travail, au cours de laquelle des représentants de la Cour des comptes, du ministère du logement, de l'égalité des territoires et de la ruralité ainsi que du ministère du budget ont été invités à s'exprimer en répondant aux questions des sénateurs.

Il ressort de cette enquête que les aides personnelles au logement constituent désormais une prestation sociale essentielle pour les ménages les plus modestes, à l'effet particulièrement redistributif « verticalement » et efficace en termes de réduction du taux d'effort net des ménages . Un ménage sur cinq (quatre locataires sur dix) perçoit ainsi une aide personnelle au logement.

Pour autant, la Cour des comptes met également en évidence les limites de ces aides , tant en termes d'efficacité au regard de certains des nombreux objectifs qui lui sont assignés, que des coûts qu'elle engendre, y compris en termes de gestion.

1. L'existence d'un aléa financier important face à une dépense toujours croissante

Confirmant, pour l'essentiel, les constats du rapporteur spécial au cours de l'examen des lois de finances et de règlement, l'enquête de la Cour des comptes met en exergue la constante progression des dépenses liées aux aides personnelles. Cette tendance se poursuit au cours des dernières années, même si la hausse ralentit depuis dix ans et malgré des modes d'indexation qui tendent à la contenir.

Face à cette progression, les déterminants de la dépense sont encore « mal appréciés » par l'État. La prévision est réalisée à partir de deux modèles reposant tous deux sur des hypothèses contestables et sans qu'aient été conduits des « travaux scientifiques sur les déterminants réels de l'évolution des dépenses ».

Évolution des charges du FNAL entre 2006 et 2015

(en milliards d'euros)

Source : commission des finances du Sénat d'après les projets et rapports annuels de performances

La mauvaise prévision des dépenses, et même parfois des recettes , conduit à ce que, systématiquement depuis plusieurs années, la subvention d'équilibre finalement versée par l'État au Fonds national d'aide au logement (FNAL) 3 ( * ) soit bien plus élevée que la prévision initiale.

Évolution de la subvention d'équilibre versée par l'État au FNAL
2007-2014 (en euros)

Source : commission des finances du Sénat d'après les projets et rapports annuels de performances

L'ensemble de ces éléments permet de douter de la soutenabilité financière du système actuel.

Le rapporteur spécial ne peut que condamner l'absence de maîtrise de cette dépense et de budgétisation sincère ainsi que l'incertitude pesant sur son financement. Il rappelle qu'à la fin de l'année 2014, l'État avait déjà une dette de 170 millions d'euros vis-à-vis du FNAL et que tout porte à croire que l'année 2015 ne devrait pas permettre d'enrayer cette tendance.

2. Si les aides personnelles au logement jouent leur rôle pour réduire le taux d'effort des ménages, leur action ne parvient pas à juguler sa hausse et reste inefficace quant à la réduction de certains écarts.

Sous l'effet des aides personnelles au logement, le taux d'effort net moyen des ménages passe à 20 % dans le parc privé et à 11 % dans le parc social, soit le taux d'effort le plus bas en Europe. Toutefois, la Cour des comptes souligne que ce taux d'effort augmente depuis 2006 et qu'existe une déconnexion entre le montant de l'aide et l'évolution des loyers. En effet, 75 % des locataires paient en 2012 un loyer supérieur au loyer-plafond, dont 90 % dans le parc privé et 52 % dans le parc social.

Le rapporteur spécial est sensible au constat de la Cour des comptes selon lequel les aides personnelles au logement ne parviennent pas à réduire certaines inégalités . Ainsi en est-il en particulier de l'« avantage comparatif implicite » des locataires du parc social vis-à-vis de ceux du parc privé, les écarts de taux d'effort nets s'établissant entre 16 % et 36 % selon les zones et alors que le parc privé est susceptible de loger des ménages plus précaires.

Il semble également nécessaire d' envisager une révision du zonage applicable aux aides personnelles au logement, dans la mesure où l'adaptation de ces dernières « aux disparités entre les territoires apparaît insuffisante » selon la Cour des comptes .

Ainsi, par exemple, tandis que le taux d'effort des locataires qui bénéficiaient de l'ALF ou de l'ALS en 2011 passait, grâce aux aides personnelles, de 81,6 % à 49,7 % en zone 1, il est passé de 59,5 % à 30,7 % en zone 3 et de 39,3 % à 12,6 % pour les locataires du secteur HLM bénéficiant de l'APL en zone 1.

Plus généralement sur le taux d'effort, le rapporteur spécial considère que mériterait également d'être étudiée précisément la possibilité d'écrêter les aides en-deçà d'un taux d'effort minimal consenti par les ménages .

De même, la prise en compte du patrimoine des allocataires devrait être envisagée , alors qu'environ 7 % des allocataires ont un patrimoine supérieur à 45 000 euros et que 4 % ont un patrimoine immobilier.

3. Les aides personnelles au logement accordées pour l'accession à la propriété (aides personnelles « accession ») restent pertinentes et doivent être maintenues malgré les remarques de la Cour des comptes

La Cour des comptes considère que le dispositif des aides personnelles « accession » 4 ( * ) « n'est pas sans mérite mais se révèle aujourd'hui de moins en moins pertinent », avec notamment une baisse continue du nombre d'allocataires et le fait qu'elles bénéficient principalement à des foyers dont les revenus sont plus élevés.

Le rapporteur spécial réaffirme, pour sa part, son attachement aux aides personnelles à l'accession qui, bénéficiant majoritairement à des familles, sont prises en compte par les établissements de crédits pour la détermination du plan de remboursement. En outre, en favorisant l'accession, elles peuvent contribuer à la libération de logements locatifs, en particulier dans le secteur social. Enfin, le rapporteur spécial s'interroge sur la capacité du prêt à taux zéro à remplacer efficacement ce dispositif.

4. Un effet inflationniste encore insuffisamment démontré et difficilement mesurable mais qui paraît pour autant incontestable dans un certain nombre de situations : étudier la mise en oeuvre d'un dispositif d'écrêtement au-delà d'un loyer-plafond

Parmi les « effets négatifs ou limités » des aides personnelles au logement, l'enquête relève le fait qu'elles contribueraient « au maintien d'un niveau de prix élevé des loyers » , avec la captation d'une grande partie, voire de la totalité, du montant de l'aide par le bailleur. Pour autant, la Cour des comptes considère que les travaux scientifiques sont encore insuffisants sur ce point et recommande aux ministères concernés d'« analyser la réalité et l'étendue de l'effet inflationniste des aides personnelles au logement ».

S'il est effectivement favorable à l'approfondissement de ces études économiques, le rapporteur spécial considère pour sa part que cet effet inflationniste se constate à n'en pas douter sur le terrain, en tout état de cause pour les logements privés situés dans les zones tendues et probablement aussi dans le secteur très spécifique du logement étudiant.

Il est indispensable de réfléchir aux moyens de juguler cet effet inflationniste afin d'éviter les excès .

Le rapporteur spécial préconise notamment de réfléchir à la mise en place d' un système d'écrêtement des aides versées, celles-ci étant alors décroissantes à partir d'un montant-plafond de loyer par m 2 . Si cette mesure ne devrait a priori pas engendrer d'économies considérables, elle permettrait de réduire l'effet inflationniste constaté dans des cas très spécifiques. Afin de ne pas créer de situations trop difficiles, une telle mesure pourrait être réservée aux nouveaux entrants dans le dispositif ainsi qu'aux locataires déjà bénéficiaires des aides dès lors qu'ils changeraient de logement.

5. Un système dérogatoire applicable aux étudiants qui interroge dans un contexte de forte contrainte budgétaire : la possible fin du cumul avec le rattachement au foyer fiscal parental

Parmi les inégalités entre les ménages bénéficiaires des aides personnelles au logement, la Cour des comptes qualifie de dispositif « atypique » celui applicable aux étudiants, qui ne tient pas compte des ressources réellement perçus par eux au titre de transferts familiaux et autorise le cumul avec le rattachement au foyer fiscal parental, qui permet principalement l'octroi d'une demi-part fiscale .

En augmentation de 18 % entre 2007 et 2011, les aides personnelles au logement versées aux étudiants s'avèrent ainsi moins ciblées sur les plus modestes que celles attribuées aux autres allocataires, avec un écart très faible entre le montant de l'aide versée aux étudiants boursiers et non boursiers. En outre, l'ensemble des aides accordées aux étudiants (bourses, aides au logement et avantages fiscaux) profitent le moins aux classes moyennes (déciles 4 à 8 de revenus) . Comme l'indique la Cour des comptes, les trois premiers déciles ont le « meilleur soutien car ils perçoivent les trois quarts des bourses et 44 % des aides au logement » . Parallèlement, même si les effets en ont certainement été réduits par le plafonnement du quotient familial, les foyers les plus aisés (déciles 9 et 10) cumulent, quant à eux, « les avantages fiscaux et une proportion d'aides au logement comparable à celle perçue par les étudiants des déciles 4 à 8 ».

Ce système très dérogatoire se justifie assurément par le souhait d'accompagner les étudiants vers l'autonomie et de leur assurer des conditions de vie satisfaisantes, en dehors des bourses sur critères sociaux qui ne s'adressent qu'aux étudiants les plus modestes. Pour autant, compte tenu de la forte contrainte budgétaire qui s'exerce sur l'État, il paraît indispensable de réfléchir à un meilleur ciblage des aides versées aux étudiants.

En conséquence, le rapporteur spécial considère qu'une réforme est nécessaire et est plutôt sensible à la solution consistant à créer un droit d'option entre la perception des aides personnelles au logement et le rattachement fiscal au foyer des parents . L'économie réalisée serait assez faible pour l'État, avec une estimation à 120 millions d'euros.

Une autre solution pourrait consister à tenir compte des ressources familiales du foyer dont est issu l'étudiant pour calculer les aides. Si elle mériterait sans doute d'être étudiée précisément, elle paraît toutefois bien plus complexe et sujette à contestations dans sa mise en oeuvre.

6. La simplification sans aucun doute nécessaire du régime des aides personnelles au logement face à son coût de gestion et au nombre important d'indus

Le rapporteur spécial rejoint la Cour des comptes dans son appréciation de la gestion difficile et coûteuse des aides personnelles au logement (600 millions d'euros par an, soit 3,5 % des aides versées), compte tenu notamment de l'excessive complexité du barème applicable.

Cette situation génère un nombre important d'indus qui représentent pour les caisses « 43 % des indus bruts identifiés [...] (soit 1,57 milliard d'euros ), alors que les aides ne représentent qu'un quart du montant des 22 prestations légales servies par [elles] ».

En outre, la difficile appréhension du montant de l'aide qui sera versée, son instabilité au regard de la prise en compte des changements de situations de l'allocataire (date d'accès aux droits, changements de situation professionnelle...), ses effets induits sur le reste à vivre du ménage en fonction de son articulation avec les minima sociaux ont notamment pour conséquence une faible incitation au retour sur le marché du travail .

Comme le recommande la Cour des comptes, la simplification des modalités de prise en compte des changements de situation des allocataires , notamment au regard de leur situation professionnelle, semble effectivement nécessaire .

Parmi les pistes avancées par la Cour des comptes pour « améliorer la prévisibilité de l'aide », le rapporteur spécial juge également intéressant d'étudier le fait de figer le montant des allocations pour une période donnée plutôt que de le faire évoluer tous les mois en fonction de la situation de l'allocataire. Si la Cour des comptes propose la fixation des droits pour six mois, une période de trois mois pourrait déjà être utilement retenue.

7. Le renforcement indispensable du contrôle des logements occupés par les bénéficiaires des aides

Selon l'enquête, la complexité du régime applicable rend également difficile la lutte contre la fraude qui est estimée par la Cour des comptes à « environ 280 millions d'euros, soit 28 % du total des fraudes détectées par la CNAF ».

La très faible connaissance des logements concernés par ces aides est en particulier mise en exergue dans le rapport, avec l'impossibilité pour les caisses d'allocations familiales d'identifier certaines fraudes fraudes aux faux logements, les logements occupés par plusieurs allocataires, ou encore certains cas de fausses déclarations d'isolement parental »). En outre, le contrôle des conditions de décence et de peuplement des logements reste très aléatoire.

Le rapporteur spécial restera très attentif aux suites données par le Gouvernement à la recommandation de la Cour des comptes tendant à créer une « base de données sur les logements » , afin de lutter efficacement contre la fraude et de mieux contrôler les conditions de logement des allocataires.

8. Face à un système de prestations qui paraît à bout de souffle, la séduisante fusion, dans une prestation unique, des aides personnelles au logement avec certains minima sociaux et la prime d'activité

In fine , les constats de la Cour des comptes l'amènent à s'interroger à juste titre sur la pertinence de maintenir le système des aides personnelles au logement tel qu'il existe actuellement .

En recommandant de réfléchir à une fusion de ces aides dans une prestation unique avec plusieurs minima sociaux , la Cour des comptes propose une réforme « systémique » qui aurait, selon elle, pour effet « d'améliorer l'efficacité des aides », en « permettant d'optimiser la prise en compte des besoins des logements des plus modestes, la limitation des inégalités constatées et la maîtrise des finances publiques . »

Sensible à ces objectifs ainsi qu'à la difficile articulation existant actuellement entre certaines prestations sociales , le rapporteur spécial juge effectivement cette préconisation intéressante et suggère de suivre attentivement la réforme actuellement menée par le gouvernement britannique et tendant à regrouper dans une seule prestation ( universal credit ) six minima sociaux parmi lesquels l'allocation logement ( housing benefit ).

En tout état de cause, une étude précise et complète doit être réalisée avant d'envisager sérieusement une telle réforme . Il conviendrait, en particulier, d'être vigilant quant à ses conséquences éventuelles pour les classes moyennes bénéficiant encore, pour une part qui ne cesse toutefois de se réduire, des aides personnelles au logement. En effet, la création d'une prestation unique risquerait d'être davantage recentrée au profit des ménages autres que modestes . La définition du champ des bénéficiaires serait d'ailleurs essentielle.

En outre, une extrême préparation est nécessaire pour que la réussite d'une telle réforme soit assurée, avec sans doute une période d'expérimentation .


* 1 Pour rappel, les aides personnelles au logement regroupent à la fois les aides personnalisées au logement (APL), les allocations logement à caractère familial (ALF) ainsi que les allocations logement à caractère social (ALS).

* 2 Le taux d'effort correspond à la proportion du revenu consacré par le ménage à son logement (loyer et charges).

* 3 Pour rappel, le FNAL finance les APL et les ALS tandis que le Fonds national des prestations familiales (FNPF) se charge des ALF.

* 4 Pour rappel, la loi de finances pour 2015 a prévu qu'à compter du 1 er janvier 2016, les aides personnelles « accession » ne seraient plus attribuées pour faciliter l'accès à la propriété des ménages modestes, en prenant en charge une partie des mensualités de remboursement des emprunts contractés, mais uniquement dans l'hypothèse où les propriétaires verraient leurs ressources diminuer de plus de 30 % par rapport au moment où le prêt a été contracté.

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