III. RENFORCER LES MOYENS D'ACTION EXISTANTS

La proposition d'instituer un mécanisme de prélèvement à la source de la TVA sur les achats en ligne constitue une réforme d'ampleur. Celle-ci pourrait le cas échéant s'accompagner de mesures plus immédiates, tendant à améliorer significativement le cadre actuel .

1. Renforcer le droit de communication de l'administration fiscale

Le droit de communication de l'administration fiscale a connu deux renforcements récents . Le premier, en 2009, a étendu sa portée aux principaux acteurs d'Internet : opérateurs de communications électroniques, hébergeurs, services de courtage et de vente de biens ou de services en ligne. Le second, en 2014, a permis d'inclure dans le champ du droit de communication les demandes sur des personnes non nommément désignées , c'est-à-dire se dissimulant derrière un pseudonyme, une adresse électronique, un compte ouvert sur un site etc.

En pratique, cette dernière possibilité commence tout juste à pouvoir être utilisée, avec la publication du décret n° 2015-1091 du 28 août 2015. À cet égard, le groupe de travail ne peut que soutenir la volonté exprimée par l'administration d'en faire l'usage le plus large possible . Si cette nouvelle extension ne remet pas en cause la faiblesse structurelle du droit de communication, c'est-à-dire sa portée strictement nationale, elle permet tout de même de lui donner une force

Par ailleurs, le droit de communication prévu à l'article L. 96 G du livre des procédures fiscales présente une autre faiblesse : alors que la durée de conservation par les tiers des livres, registres et autres documents pouvant être demandés par l'administration est de six ans en droit commun 77 ( * ) , la durée de conservation des données de connexion par les opérateurs de communications électroniques n'est que d'un an 78 ( * ) .

Ce délai est problématique dans le cas précis de la fraude fiscale sur Internet : en effet, le temps nécessaire à la procédure d'enquête et de contrôle fiscal, notamment si celle-ci implique un recours à l'assistance administrative internationale ou l'exercice de demandes successives, dépasse largement cette durée. Les données obtenues des opérateurs, pourtant cruciales, sont dès lors inaccessibles. À cet égard, il conviendrait de réfléchir à une amélioration de l'organisation du contrôle fiscal afin d'obtenir ces données avant l'expiration du délai spécifique applicable aux données des opérateurs de communications électroniques .

2. Supprimer les seuils des « envois à valeur négligeable »

S'agissant des importations, le groupe de travail propose de supprimer les franchises de 22 euros pour la TVA et de 150 euros pour les droits de douane applicables aux « envois à valeur négligeable ».

Ces seuils constituent une incitation objective à la sous-déclaration. Ils ont été institués en 1983, à une époque où le commerce sur Internet n'existait pas : dès lors que celui-ci représente aujourd'hui l'essentiel des flux de fret express et de fret postal, les franchises n'ont plus grand sens.

Cette mesure relève du droit de l'Union européenne 79 ( * ) . Il serait d'ailleurs souhaitable que la suppression des franchises s'applique de manière obligatoire à tous les États membres , afin d'éviter les effets de détournement de trafic.

Accessoirement, le régime applicable aux échantillons et aux cadeaux, également source de fausses déclarations, pourrait également être remis en cause.

3. Étendre le principe de destination à la TVA sur les biens

Depuis le 1 er janvier 2015, la TVA due sur les services en ligne est celle de l'État de l'acheteur . Un système de « mini-guichet » unique permet aux entreprises d'acquitter la TVA en une seule fois dans l'État membre de leur choix, celui-ci se chargeant ensuite de répartir les montants collectés entre les différents États bénéficiaires.

Il s'agit là d'une mesure bienvenue de lutte contre l'optimisation fiscale, dans laquelle la Commission européenne comme l'administration française placent de grands espoirs. Aussi le groupe de travail propose-t-il d'étendre le principe de destination et le système du mini-guichet aux ventes à distance de biens matériels . De fait, le régime actuel, fondé sur le seuil de 100 000 euros de chiffre d'affaires, a montré aujourd'hui ses limites : il est peu utilisé, et peu contrôlé. La mesure proposée permettrait de garantir la neutralité de la taxation des ventes en ligne de marchandises au niveau de l'acheteur , quel que soit l'État d'établissement du vendeur. L'extension du mini-guichet pourrait être l'occasion de permettre la déduction de la TVA, principale faiblesse du dispositif actuel.

Le passage au principe de destination est un progrès parfaitement compatible avec l'instauration du prélèvement de la TVA à la source .

En fait, ces deux réformes se renforcent mutuellement : en effet, il est plus facile pour la banque du client d'opérer un prélèvement au taux en vigueur dans le pays de celui-ci que d'avoir à appliquer les différents taux de vigueur dans les pays de départ. De fait, la banque ne sait pas toujours si le e-commerçant dépasse ou non le seuil de 100 000 euros, dans le cas de vente de marchandises.

À titre transitoire, il serait dans un premier temps souhaitable d'abaisser ce seuil de 100 000 euros à 35 000 euros , comme le permet d'ores et déjà l'article 34 de la directive TVA. C'est d'ailleurs le choix fait par la majorité des États membres, seuls le Luxembourg, les Pays-Bas, l'Allemagne et la France ayant retenu le seuil maximal de 100 000 euros. Une telle mesure, de niveau législatif, gagnerait à être introduite dès le projet de loi de finances pour 2016 .

4. Utiliser pleinement le dispositif des coups d'achats

Introduits par la loi du 14 mars 2011 80 ( * ) à l'article 67 bis -I du code des douanes, les « coups d'achat » permettent aux agents des douanes de procéder à l'achat de marchandises illicites, notamment sur Internet , afin « de constater l'infraction d'importation, d'exportation ou de détention (...), d'en identifier les auteurs et complices et d'effectuer les saisies ». Soumises à l'autorisation du procureur de la République, ces opérations peuvent être réalisées au moyen de pseudonymes, préservant l'anonymat des douaniers.

Les coups d'achat représentent une possibilité très prometteuse pour la lutte contre la fraude sur Internet , et ont déjà permis d'obtenir de bons résultats. Comme l'ont expliqué les services de Cyberdouane, « la procédure des coups d'achat ouvre de nouveaux horizons en matière de lutte contre la fraude, en permettant par exemple de lutter contre le développement des trafics opérés via les réseaux sociaux 81 ( * ) ».

Toutefois, le dispositif des coups d'achats est à ce jour limité à un nombre restreint et limitatif de marchandises - stupéfiants, tabacs, produits de contrefaçon -, et réservé aux seuls agents des douanes. La fraude fiscale est donc exclue du dispositif, alors que les biens et services ainsi échangés, sans être illégaux, représentent des enjeux importants.

Le groupe de travail propose donc d'élargir le dispositif des « coups d'achat » à la fraude fiscale sur Internet, et de permettre aux agents de la DGFiP d'y avoir recours - bien entendu avec les mêmes garanties, notamment judiciaires, qui s'appliquent au dispositif douanier.

5. Mettre en place une cellule de veille et de prospective

Au cours des travaux du groupe de travail, la faiblesse des moyens alloués à la veille et à la prospective sur la question des enjeux fiscaux du commerce en ligne, et plus généralement de la fiscalité de l'économie numérique, est apparue clairement. De fait, les ressources humaines des ministères économique et financier sont largement affectées à la gestion de l'existant, qui demande déjà une mobilisation permanente. Il existe certes des missions et études de nature prospective, mais celles-ci sont ponctuelles et manquent, à l'inverse, de caractère opérationnel.

Le groupe de travail propose donc d' instituer une cellule permanente de veille et de prospective sur le sujet , en lien direct avec les services opérationnels comme le sont Cyberdouane et la sixième brigade de la direction nationale des enquêtes fiscales, mais également chargée de réfléchir aux évolutions futures de la fiscalité du numérique, tant en termes d'assiettes que de méthodes de recouvrement.


* 77 Article L. 102 B du livre des procédures fiscales.

* 78 Cette situation s'explique par un renvoi à l'article L. 34-1 du code des postes et des communications électroniques, qui prévoit des dispositions spécifiques à ce sujet.

* 79 Article 23 de la directive 2009/132/CE du Conseil du 19 octobre 2009 et article 23 du règlement UE n° 1186/2009 du Conseil du 16 novembre 2009.

* 80 Article 108 de la loi n° 2011-267 du 14 mars 2011 d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (dite loi LOPPSI). Le dispositif a été précisé par l'article 13 de la loi n° 2012-1510 du 29 décembre 2012 de finances rectificative pour 2012.

* 81 Source : rapport n° 93 (2013-2014) d'Albéric de Montgolfier et Philippe Dallier, « Les douanes face au commerce en ligne : une fraude fiscale importante et ignorée », 23 octobre 2013.

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