III. DES MÉDIAS DE SERVICE PUBLIC CONDAMNÉS À SE RÉINVENTER

A. UNE RÉFORME REPORTÉE AU PROCHAIN QUINQUENNAT

Au terme de leurs travaux, vos rapporteurs ont pu se forger une conviction : les médias de service public ne peuvent plus compter seulement sur des facteurs extérieurs pour assurer leur avenir . Ils doivent puiser en eux-mêmes les forces nécessaires à la poursuite de leur développement et faire le deuil d'une hausse supplémentaire continue de leurs ressources publiques - qui ont déjà fortement augmenté - ou de leurs recettes publicitaires qui sont plutôt destinées à voir leur importance relative se réduire compte tenu en particulier de la recomposition du marché publicitaire au bénéfice des chaînes de la TNT et des grands acteurs d'Internet.

La situation présente est en fait paradoxale . Le constat est partagé quant à la nécessité de garantir, dans la durée, les moyens des médias de service public , en tenant compte de l'évolution propre à chacune de ses ressources et de ses charges, mais les décisions sont reportées à plus tard . La nécessité de réformer la CAP n'est pas contestée, mais le calendrier de cette réforme est aujourd'hui subordonné aux échéances politiques. Alors que le rapport Schwartz appelait de ses voeux une réforme ambitieuse du financement de l'audiovisuel public , ce secteur est entré au contraire dans une longue phase de transition. On peut le regretter mais ce peut être également une chance afin de préparer une réforme d'envergure qui soit porteuse d'avenir. Dans ces conditions, vos rapporteurs ont estimé nécessaire de proposer une vision globale apte à inspirer un projet qui soit en mesure de constituer un élément du débat de la prochaine élection présidentielle, une nouvelle vision de l'audiovisuel public ayant vocation à constituer une priorité d'un prochain quinquennat .

B. LES DIFFÉRENTES DIMENSIONS D'UN NOUVEAU PROJET POUR L'AUDIOVISUEL PUBLIC

La tâche à conduire ne saurait être sous-estimée car ce sont les fondations même du modèle économique et financier des médias de service public qui sont aujourd'hui atteintes et qui appellent une consolidation d'ampleur tant sur le plan de la redéfinition de l'identité du service public de l'audiovisuel public que sur les conséquences à en tirer vis-à-vis de la recherche de l'audience et des ressources financières.

Parmi les chantiers qui doivent être lancés figurent, en particulier :

- la nécessité pour les médias de service public de mieux maîtriser leurs dépenses : le nouveau modèle économique de l'audiovisuel public doit assurer une certaine stabilité de ses ressources dans la durée. La contrepartie de cette meilleure visibilité financière doit être la poursuite des efforts de rigueur dans la gestion, tant en ce qui concerne la télévision que la radio publiques . Ces efforts sont d'autant plus indispensables que les sources d'économies demeurent importantes dans ces sociétés ;

- la place de la publicité sur le service public : la publicité constituait jusqu'en 2009 une part substantielle du financement de la télévision publique et une part d'appoint pour Radio France. La décision de supprimer la publicité en soirée sur les chaînes de France Télévisions qui devait s'accompagner quelques années plus tard d'une disparition totale - finalement abandonnée - a profondément perturbé le modèle financier du groupe public de télévision à un moment où l'irruption des nouveaux géants de l'Internet avait pour effet de détourner une part grandissante du marché publicitaire au profit de ces nouveaux acteurs. Par ailleurs, le développement de la TNT a également eu un effet structurel sur le marché de la publicité au détriment des acteurs historiques. La situation n'est aujourd'hui pas stabilisée car le marché des chaînes de la TNT continue à évoluer 125 ( * ) et le régime de la publicité actuel de France Télévisions ne répond à aucune véritable logique . Le gouvernement s'est interrogé au mois de septembre 2015 sur un rétablissement de la publicité en soirée pour pallier une réforme de la CAP, faisant de la publicité une variable d'ajustement du budget de l'audiovisuel public. Si cette idée a été abandonnée, c'est d'abord pour ne pas déstabiliser l'économie des médias privés compte tenu de la baisse tendancielle du marché publicitaire consacrée à la télévision 126 ( * ) , et non pour des raisons relatives au service public. Une clarification est donc nécessaire sur le rôle de la publicité sur le service public. Elle doit être menée en parallèle avec une réflexion sur la recherche d'audience qui ne peut être érigée en objectif prioritaire, au détriment de la qualité et de la création ;

Les effets indésirables sur les enfants de la publicité avant 20 heures

La décision de supprimer la publicité en soirée et de la maintenir en journée sur les chaînes de France Télévisions apparaît paradoxale puisque cela revient, dans les faits, à maintenir l'exposition des enfants à la publicité . Contrairement à ce que l'on pourrait imaginer, le sommet de l'exposition des enfants aux messages publicitaires n'intervient pas pendant les programmes destinés à la jeunesse mais entre 19 heures et 21 heures, lorsqu'ils regardent la télévision avec leurs parents. Les annonceurs ne s'y trompent pas qui n'hésitent pas à diffuser à cette heure-là des messages qui leur sont destinés 127 ( * ) et qui ont pour caractéristique de promouvoir notamment des aliments à très faible qualité nutritionnelle qui sont responsables de la hausse de l'obésité 128 ( * ) .

Cette situation invite à réexaminer les horaires des messages publicitaires sur le service public de télévision mais aussi à s'interroger sur leur nature, le fait que France Télévisions participe aujourd'hui directement à encourager des comportements alimentaires néfastes pour la santé constituant une anomalie difficilement justifiable aux yeux de vos rapporteurs.

- la nature des productions financées par le service public : les choix des équipes de France Télévisions depuis de nombreuses années ont eu pour effet de privilégier, comme TF1, la production de fictions destinées à un large public peu innovantes et à l'ambition artistique souvent limitée 129 ( * ) . Cette ligne éditoriale a atteint ses objectifs en termes d'audience globale - étant toutefois souligné que l'âge moyen du téléspectateur de France Télévisions est de 58 ans -, mais pas en termes de renforcement de l'identité du service public puisque ces programmes auraient également leur place sur des chaînes privées et qu'ils ne répondent pas toujours à l'exigence de plus-value culturelle et d'originalité qui est attendue du service public . Les conséquences de cette politique sont doubles : la liberté de création n'est pas suffisamment encouragée et les publics les plus exigeants se sont éloignés, en particulier les jeunes qui ne se retrouvent pas dans cette offre. Une telle évolution fragilise la légitimité même des médias de service public et l'acceptabilité de son financement par la voie d'une redevance qui concerne plus de 27 millions de foyers . En outre ces productions semblent difficilement exportables en raison de leur format, mais également du manque de performance de France Télévisions Distribution (FTD), qui peine à promouvoir ces fictions à l'étranger, ce qui prive France Télévisions d'une ressource qui pourrait être importante.

La situation paradoxale de la fiction télévisuelle française

C'est un peu la théorie du verre « à moitié vide et à moitié plein ». La 17 e édition du Festival de la fiction TV de La Rochelle a souligné les bons résultats en termes d'audience des fictions TV françaises tant en ce qui concerne les premières diffusions, les rediffusions et les exportations. Les ventes sont ainsi en hausse de 49,3 % à 38,9 millions d'euros de même que les préventes à 28,6 millions d'euros. Mais en valeur relative, ces ventes restent en retrait des performances des autres pays européens . Le président de l'Union syndicale de la production audiovisuelle (USPA), Thomas Anargyros, rappelle ainsi que le volume de production français est limité à 750-800 heures contre 2 000 heures en Allemagne. Par ailleurs, l'offre de fiction française est centrée sur le prime time et accorderait trop d'importance au genre policier au détriment de thèmes plus audacieux. Le président du festival a ainsi dénoncé « un assèchement de la diversité des genres et des formats » qui reprend une critique souvent entendue concernant les réticences à produire des programmes « clivants ».

Le constat est aujourd'hui partagé : la demande trop « formatée » de France Télévisons en particulier amène les scénaristes et les producteurs à s'autocensurer, ce qui pose la question du rôle du service public dans son soutien à la diversité de la création. Seules les chaînes Canal+ et Arte apparaissent aujourd'hui comme des moteurs de la création. Cette situation fragilise fortement les grandes chaînes françaises face aux nouvelles plateformes ( Netflix , Amazon ) qui investissent dans des programmes plus attractifs, notamment pour les jeunes actifs.


* 125 Le groupe France Télévisions estime ainsi que l'intégration de la chaîne Numéro 23 au groupe NextRadioTV pourrait lui faire perdre entre 5 et 10 millions d'euros de recettes publicitaires du fait d'un « effet masse » tandis que le passage éventuel de Paris Première en clair à l'issue de l'appel d'offres HD lancé par le CSA pourrait également occasionner une concurrence supplémentaire sur le marché publicitaire.

* 126 Le marché publicitaire de la télévision était retombé à 93,6 points en 2014 par rapport à une base 100 en 2010.

* 127 93% des messages publicitaires destinés aux enfants occupent désormais des tranches horaires tous publics.

* 128 Selon une étude UFC - Que choisir ?, « sur l'ensemble de la journée, 80 % des publicités alimentaires destinées aux enfants portent sur des produits gras ou sucrés ».

* 129 La direction sortante de France Télévisions en était très satisfaite puisqu'elle constatait encore en juillet dernier que les audiences de la fiction étaient en progression et atteignaient des niveaux inégalés depuis sept ans. Si le service public est légitime à proposer des productions « grand public » à succès, fédératives, sur le modèle de TF1, la question doit néanmoins être posée sur la pertinence du choix qui a été fait de renoncer à produire toute série audacieuse s'adressant à des publics plus ciblés et exigeants et pouvant être considérées comme des productions de référence en France et à l'étranger, sur le modèle de ce que réussit à faire Canal+ et, dans une moindre mesure, Arte.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page