II. AVANT LE FONDS DE SOUTIEN, UNE POLITIQUE DE DÉSENSIBILISATION VOLONTARISTE MAIS PEU DE MOYENS

Votre rapporteur souligne que, jusqu'à une date récente, il était convenu de parler « d'emprunts toxiques » ou « d'emprunts structurés à risques ». La plupart des documents qu'il a pu consulter, émanant de la SFIL voire des services ministériels, évoquent désormais des « emprunts sensibles », ce qui dénote un certain glissement sémantique, indiscutablement plus favorable en termes de communication.

D'après les données communiquées par la SFIL à votre rapporteur, les emprunts sensibles représentaient :

- au 31 décembre 2012, un encours de 8,5 milliards d'euros pour 879 emprunteurs 44 ( * ) ;

- au 31 août 2015, un encours de 5,4 milliards d'euros pour 658 emprunteurs 45 ( * ) .

La baisse de l'encours sensible résulte à la fois du succès de la politique de désensibilisation menée par la SFIL depuis sa création ainsi que de l'amortissement de certains prêts. L'établissement a également réussi fin 2014 à désensibiliser certaines de ses plus importantes contreparties, telles que le département de la Seine-Saint-Denis ou la ville d'Asnières. Au total, depuis sa création, la désensibilisation a concerné 357 clients (dont 149 en 2015) représentant un encours de 2,8 milliards d'euros (dont 1 milliard en 2015) ; 294 emprunteurs ont été totalement désensibilisés, dont 135 en 2015.

Hormis quelques cas de ce type, il faut toutefois relever que la désensibilisation a surtout porté sur l'encours le moins sensible, dit S4 ( cf. infra ). A l'inverse, les prêts S1 et S2 (les plus sensibles) ont fait l'objet d'un contentieux de masse (74 % des contentieux engagés avec la SFIL portent sur ces prêts). La plupart des emprunteurs, confrontés à des indemnités de remboursement anticipés très élevées ont jusqu'ici préféré la voie judiciaire ou ont attendu que les modalités du fonds de soutien soient plus clairement connues.

De fait, si la politique de désensibilisation actée par le conseil d'administration du 28 février 2013 a été volontariste, la SFIL n'avait pas les moyens d'apporter des réponses satisfaisantes à tous ses clients compte tenu de l'encours de prêts sensibles et des objectifs de l' É tat . En effet, la désensibilisation devait être neutre sur le plan d'affaires et pour les finances publiques. Dans ces conditions, la politique de désensibilisation ne pouvait guère présenter d'intérêt pour les emprunteurs les plus durement exposés.

De plus, il convient de prendre en considération le temps nécessaire aux emprunteurs pour prendre leur décision : le sujet, de par sa complexité, nécessite une appropriation et un mûrissement.

Emprunts sensibles de la SFIL au 31 août 2015

S1 (encours = 0,21 milliard d'euros, 69 emprunteurs) : prêts « hors charte Gissler » indexés sur le franc suisse et souscrits par des collectivités territoriales de moins de 10 000 habitants ou par des petits hôpitaux ;

S2 (encours = 1,05 milliard d'euros, 153 emprunteurs) : les mêmes prêts que S1 mais contractés par d'autres entités ;

S3 (encours = 1,53 milliard d'euros, 102 emprunteurs) : prêts « hors charte Gissler » indexés sur d'autres cours de change et prêts classés 5E dans la charte Gissler ;

S4 (encours = 2,14 milliards d'euros, 311 emprunteurs) : autres prêts classés dans la « charte Gissler » dont la formule de taux d'intérêt n'est pas activée mais a déjà été activée dans le passé ;

S5 (encours = 0,48 milliard d'euros, 23 emprunteurs) : mêmes prêts que S4 mais dont la formule n'a jamais été activée dans le passé 46 ( * ) .

Source : SFIL

Dans un premier temps, la politique de désensibilisation mise en place a reposé sur des abandons de créance. Pour l'année 2013, le conseil d'administration avait autorisé un plafond de 17,2 millions d'euros d'abandons de créance, dont 16,5 millions ont été consommés ; l'État ayant explicitement fait valoir en conseil d'administration que « l'idéal serait de ne pas consommer toute l'enveloppe » (réunion du 18 avril 2013). En 2014, les abandons de créance se sont élevés à 9,9 millions d'euros.

Par ailleurs, la SFIL a décidé de proposer de refinancer les IRA « à prix coûtant », c'est-à-dire à un taux qui correspond aux conditions d'émission de la CAFFIL majorées des coûts de gestion, mais sans marge additionnelle. L'établissement estime que la « perte d'opportunité », c'est-à-dire sa perte de marge, a représenté un montant de 61 millions d'euros.

En parallèle, la banque a proposé des financements nouveaux à des taux attractifs (2 % pour des prêts à quinze ans). L'enveloppe de liquidités nouvelles s'élevait à un milliard d'euros. L'existence d'un « produit d'appel », à savoir les prêts bonifiés pour les financements nouveaux, a constitué, du point de vue de la SFIL, une initiative habile, puisqu'elle lui a permis de conserver et fidéliser des clients qui auraient logiquement pu préférer se tourner vers d'autres banques compte tenu des déboires passés.

Ainsi, sur les années 2013 et 2014 (avant mise en place des deux fonds de soutien), la politique de désensibilisation a coûté à la SFIL 87,4 millions d'euros, ce qui n'est pas négligeable au regard des déficits cumulés en 2013 et 2014 de l'ordre de 102,7 millions d'euros.

En revanche, pour les collectivités territoriales concernées, les « efforts » consentis par la SFIL ont souvent paru insuffisants - même si elles se sont parfois résignées à accepter ces conditions. De fait, ces efforts sur les taux des nouveaux prêts se sont traduits par une baisse de l'IRA 47 ( * ) . Or le calcul de l'IRA étant particulièrement complexe, la collectivité n'a pas toujours les moyens de mesurer la portée de cet effort. Il faut d'ailleurs noter que la « perte d'opportunité » mise en avant par la SFIL est quelque peu factice, car si elle n'avait pas consenti à une réduction auprès des collectivités concernées, elle n'aurait pas renégocié les prêts et n'aurait pas constaté 61 millions d'euros de plus dans ses comptes. La SFIL utilise donc une présentation comptable qui lui est favorable. Comme l'a rappelé Christophe Greffet, président de l'association Acteurs publics contre les emprunts toxiques (APCET), lors de son audition par votre rapporteur, les collectivités territoriales auraient souhaité que la SFIL aille au-delà d'une simple politique d'abandon de marge pour porter une partie du reste à charge.

En outre, la SFIL pâtit d'une image très dégradée auprès des collectivités territoriales. Par exemple, dans un article du quotidien financier L'Agefi , paru le 16 avril 2013, intitulé « La SFIL commence doucement la renégociation des prêts toxiques », deux consultants spécialisés dans les finances locales déclarent : « dans les propositions que nous avons pu analyser, la SFIL ne fait pas de cadeau. Les réaménagements suggérés correspondent aux conditions de marché actuelles, la SFIL n'assume pas une partie des pertes » ou encore « il arrive que la SFIL majore les soultes 48 ( * ) avant de démarrer la négociation ». Les représentants de l'APCET ont également relevé la loi de validation sur la question du TEG 49 ( * ) « a rendu la SFIL beaucoup moins accessible ».

Naturellement, la SFIL n'adhère pas à cette analyse et considère qu'elle applique une politique transparente et constante depuis sa création.

De même, le fait que la décision de la Commission européenne a interdit à la CAFFIL d'acquérir un prêt octroyé à une entité avec laquelle la SFIL est en contentieux (ou qui serait de situation d'impayé) s'est traduite par le refus de LBP d'accorder des prêts à ces clients, ce qui a souvent été mal compris par les collectivités territoriales concernées.

En tout état de cause, il est rapidement apparu que la politique de désensibilisation initiale ne serait pas suffisante dans la durée. Elle était même probablement déjà caduque lors de sa présentation au conseil d'administration, le 28 février 2013, soit vingt jours après la décision du tribunal de grande instance de Nanterre relative à l'absence de taux effectif global (TEG) sur les contrats de prêt conclus par Dexia. La direction de la SFIL en avait d'ailleurs conscience puisque Philippe Mills a indiqué au conseil que « le problème juridique du TEG doit être préalablement résolu ». De même, pour les catégories de prêts S1 et S2, la direction n'avait identifié « aucune solution [...] sans perte financière pour CAFFIL ou sans aide financière de l'État », la perte financière étant alors estimée à 330 millions d'euros.

Les services du ministère de l'économie et des finances étaient tout aussi en phase avec cette analyse puisque, dans une note adressée au ministre en février 2013, ils écrivaient que la nécessité de préserver le plan d'affaires de la SFIL « complique l'acceptabilité des offres de renégociation présentées aux collectivités territoriales qui ont souscrit les emprunts dont les formules de taux sont aujourd'hui les plus élevées ou les plus volatiles ».

Au total, la stratégie présentée, prévue pour s'étaler sur une durée d'au moins cinq années et adaptée en fonction des différentes catégories identifiées de clientèles et de risques, n'était pas tenable dans un environnement juridique et financier incertain, comme l'a montré à la fois la décision sur le TEG et la brutale hausse du franc suisse début 2015.


* 44 Dont 6,7 milliards pour les collectivités territoriales (704 emprunteurs), 1,3 milliard pour les établissements publics de santé (134 emprunteurs) et 0,5 milliard pour les autres secteurs (41 emprunteurs). Par ailleurs, d'autres emprunts sensibles sont restés sous la responsabilité de Dexia « résiduel », dont l'État est actionnaire à 44,4 %, pour 1,2 milliard d'euros (au 31 décembre 2014, rapport annuel 2014 de Dexia Crédit Local).

* 45 Dont 4,1 milliards pour les collectivités territoriales (518 emprunteurs), 0,9 milliard pour les établissements publics de santé (101 emprunteurs) et 0,4 milliard pour les autres secteurs (39 emprunteurs).

* 46 Paradoxalement, il peut être difficile de désensibiliser ces prêts, car le taux d'intérêt peut se révéler très avantageux par rapport au taux fixe proposé actuellement. Pour l'emprunteur, la désensibilisation revient alors à payer plus cher son crédit afin de sécuriser le taux d'intérêt et éviter que la formule de taux ne s'active.

* 47 Visuellement, les prêts de refinancement de l'IRA sont présentés à un taux de marché (avec la marge de la SFIL incluse). L'abandon de la marge prend la forme d'une diminution de l'IRA.

* 48 Les IRA.

* 49 Loi n° 2014-844 du 29 juillet 2014 relative à la sécurisation des contrats de prêts structurés souscrits par les personnes morales de droit public.

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