SECOND ENJEU - RÉUSSIR LA DÉSENSIBILISATION DES EMPRUNTS STRUCTURÉS

I. UNE RÉACTION TROP TARDIVE DES POUVOIRS PUBLICS

Les paragraphes introductifs de la Charte dite « Gissler » 38 ( * ) publiée le 7 décembre 2009, rappellent le contexte de l'intervention de l'État sur la question des emprunts toxiques :

« À l'automne 2008 39 ( * ) , certains élus locaux ont dénoncé publiquement la présence dans leur dette de prêts qu'ils qualifiaient de toxiques. Pour mesurer l'ampleur du phénomène, le ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales et celui de l'économie de l'industrie et de l'emploi ont organisé le 3 novembre 2008 une réunion entre les représentants des associations d'élus locaux et les principaux établissements bancaires actifs dans ce secteur.

« Au terme de cette table ronde, un accord s'est fait autour d'une double proposition :

« - le traitement des cas particuliers relèverait du dialogue entre la collectivité locale et ses banquiers ;

« - pour l'avenir une Charte de bonne conduite signée par les établissements financiers qui le souhaiteraient et les représentants des élus , régirait leurs rapports mutuels à l'occasion de la mise en place de nouveaux prêts, d'opérations d'échange de taux et de leur renégociation, pour éliminer les risques excessifs que le recours à ces produits peut comporter ».

À la lecture de ces lignes, il ne fait aucun doute que, du point de vue de l'État, le traitement des prêts toxiques ne relevait pas de sa responsabilité, puisqu'il se réfugie prudemment derrière « le respect du principe de libre administration des collectivités territoriales ». D'ailleurs, contrairement à ce que dit le texte de la Charte, la double proposition qu'elle mentionne ne résultait pas d'un accord mais d'une position unilatérale de l'État.

Pourtant, le rapport de la commission d'enquête de l'Assemblée nationale sur les emprunts à risques souscrits par les acteurs publics locaux 40 ( * ) a bien mis en évidence la responsabilité partagée entre les acteurs locaux, des banques à la politique commerciale agressive et des services de l'État dont le contrôle a été limité et peu vigilant.

Dans un premier temps, l'État a donc nié le fait qu'il devait s'impliquer de manière plus décisive dans la gestion du stock des emprunts toxiques. La Charte Gissler puis la circulaire du ministère de l'intérieur du 25 juin 2010 relative aux produits financiers offerts aux collectivités territoriales et à leurs établissements publics ont surtout veillé - et c'était nécessaire - à ce que des produits toxiques ne soient plus proposés 41 ( * ) .

L' É tat s'est en réalité véritablement engagé dans une gestion active du stock d'emprunts toxiques lorsqu'il est devenu un des deux principaux actionnaires de Dexia (avec l' É tat belge) puis l'actionnaire majoritaire de la SFIL .

Et encore le ministre de l'économie et des finances pouvait-il écrire, le 31 janvier 2013, au nouveau président-directeur général de la SFIL : « L' É tat veillera à ce que les revenus liés à l'activité de désensibilisation compensent au moins les charges de gestion et les pertes de revenus sur les crédits renégociés, de telle sorte que cette activité ne détériore pas le plan d'affaires de la SFIL. De manière plus générale, cette activité de désensibilisation de la SFIL interviendra dans un contexte de consolidation forte des finances publiques, et ne devra pas se traduire in fine par une charge budgétaire supplémentaire pour l' É tat ».

Les services du ministère des finances avaient néanmoins connaissance du fait que les indemnités de remboursement anticipé des emprunts les plus sensibles (ceux indexés sur le franc suisse) représentaient 150 % de l'encours restant dû. Ainsi, dans une note au ministre, en date du 25 février 2013, la direction générale du Trésor écrit que, pour cette catégorie d'emprunt, l'encours (ou capital restant dû) s'élève à 1,6 milliard d'euros, tandis que l'indemnité de remboursement anticipé pourrait atteindre 2,7 milliards d'euros 42 ( * ) .

Il était dès lors évident que certaines collectivités territoriales n'étaient capables ni de faire face à la hausse des taux d'intérêt résultant des contrats, ni de payer l'indemnité de remboursement anticipé pour sortir du prêt.

L'indemnité de remboursement anticipé

« Les emprunts structurés sont des prêts combinant dans un seul et même contrat un prêt bancaire classique et un ou plusieurs dérivés, dont les intérêts sont déterminés selon l'évolution d'un indice sous-jacent non standard (taux de change, différentiel entre un taux long et un taux court, écart de valeur entre deux indices d'inflation,...) ou sont calculés selon des formules complexes pouvant être non linéaires de sorte que l'évolution des taux supportés peut être plus que proportionnelle à celle de l'index lui-même (c'est notamment le cas des produits affectés de coefficients multiplicateurs) » 43 ( * ) . Le taux d'intérêt de ces prêts est par définition variable.

Conformément aux principes de maîtrise du risque en matière bancaire, la banque qui a structuré le prêt s'est normalement « couverte » contre une évolution défavorable du taux d'intérêt. Par exemple, dans le cas d'un prêt indexé sur l'évolution du taux de change euro/franc suisse, elle a acheté, auprès d'une autre institution financière, un produit dérivé dit swap , qui fonctionne comme une assurance la protégeant contre les fluctuations du taux de change.

Si, au vu de l'évolution du taux d'intérêt, l'emprunteur veut rembourser son crédit par anticipation, il doit s'acquitter d'une indemnité (IRA : indemnité de remboursement anticipé).

Le calcul de l'IRA dépend à la fois de la durée résiduelle du prêt mais aussi (et surtout) du montant que la banque doit elle-même débourser pour annuler le swap qu'elle a souscrit en vue de couvrir son risque. Or le coût de cette annulation peut se révéler particulièrement élevé en fonction des conditions de marché.

Il a fallu que le tribunal de grande instance de Nanterre juge que, du fait de l'absence du taux effectif global sur les fax de confirmation des prêts souscrits, il convenait d'appliquer le taux d'intérêt légal en lieu et place du taux contractuel - et cela depuis l'origine du prêt - pour que l'État prenne conscience de l'ampleur du risque financier représenté par les emprunts toxiques.

Dans un contexte de consolidation des finances publiques, l'État avait mis en place, fin 2012, une ébauche de fonds de soutien doté de 50 millions d'euros. Le montant total des fonds de soutien (collectivités territoriales et hôpitaux) s'élève désormais à 3,4 milliards d'euros, même s'il faut rappeler que ce montant était limité à 1,6 milliard d'euros jusqu'au début de l'année 2015 avant l'abandon inattendu, par la Banque nationale suisse, du plancher de 1,2 franc suisse pour un euro.

Votre rapporteur se félicite que les pouvoirs publics aient enfin pris la mesure du désastre des emprunts toxiques. Cependant, il paraît désormais évident que le coût supporté par l'État sera bien supérieur de ce qu'il aurait pu être si le problème avait été pris en compte à sa juste mesure dès 2008.

Votre rapporteur ne peut donc que regretter qu'une action résolue n'ait été engagée « qu'au pied du mur », d'autant qu'elle sera peut-être insuffisante pour assainir totalement le bilan de la SFIL et les comptes des emprunteurs concernés ( cf. infra ).


* 38 « Cette Charte est le résultat de la mission confiée par le Gouvernement à Éric Gissler, inspecteur général des finances, qui a travaillé en concertation avec les collectivités et les banques pour identifier les meilleures pratiques permettant de garantir que les emprunts structurés proposés aux collectivités sont adaptés à leurs besoins ».

* 39 En réalité, dès l'été 2008.

* 40 Commission d'enquête présidée par Claude Bartolone et dont le rapporteur était Jean-Pierre Gorges. Rapport n° 4030 (XIIIe législature), 6 décembre 2011.

* 41 Les articles 32 et 34 de la loi n° 2013-672 du 26 juillet 2013 de séparation et de régulation des activités bancaires ont finalement encadré les modalités d'emprunt des collectivités territoriales et des organismes d'habitation.

* 42 Au total, l'encours sensible était estimé à 8,9 milliards d'euros et les IRA à 5,5 milliards d'euros.

* 43 http://www.collectivites-locales.gouv.fr/lemprunt-structure-et-charte-gissler

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