CHAPITRE V - LES TRANSPORTS ET LA MOBILITÉ

Marie-Françoise PEROL-DUMONT

Sénatrice de la Haute-Vienne

I. PROPOS INTRODUCTIF

Les transports sont un champ d'action privilégié dans la lutte contre le changement climatique.

Participant à 27,8% des rejets nationaux en 2012, ils constituent en effet le premier secteur émetteur de gaz à effet de serre. Nos modes de déplacement sont encore largement dépendants de l'usage individuel de la voiture, source importante de rejets de gaz carbonique. 92% des émissions produites par les transports sont ainsi imputables au seul trafic routier.

De manière plus préoccupante, le poids des transports dans les émissions nationales a connu une forte progression, avec une hausse de 13% entre 1990 et 2011, et demeure largement supérieur à la moyenne européenne, située aux alentours de 20% 22 ( * ) .

Autorités organisatrices de la mobilité, les collectivités territoriales ont su prendre la mesure de la responsabilité qui leur incombe à l'égard du changement climatique en favorisant des modes de déplacement plus sobres sur leurs territoires.

Aussi agissent-elles dans quatre directions.

Tout d'abord, les acteurs locaux organisent le report modal vers les transports collectifs. Pour ce faire, ils veillent à renforcer la performance des transports collectifs, en proposant des horaires cadencés et des tarifs compétitifs. Ils sont aussi attentifs à l'intermodalité et à la multimodalité, c'est-à-dire à la possibilité d'utiliser plusieurs modes de transport, successivement dans le premier cas, ou alternativement dans le second. Dans cette optique, ils regroupent leurs offres dans des centrales de mobilité, rapprochent leurs tarifs avec des solutions de billettique intégrée, ou coordonnent leurs actions au sein de syndicats mixtes de transport tels que ceux créés par la loi du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains (SRU) 23 ( * ) .

Parce que les transports collectifs ne sauraient suffire pour répondre à l'ensemble des besoins de déplacement, les collectivités proposent en outre des solutions de mobilité dites alternatives. Pour les courtes distances, elles encouragent la mobilité douce, avec l'usage du vélo ou la pratique de la marche. Dans les zones peu denses, elles promeuvent des modes de déplacement partagés, tel que le covoiturage, ou « sur mesure », tel que le transport à la demande.

Au-delà des transports collectifs et des mobilités alternatives, les élus locaux favorisent également l'émergence de véhicules peu émissifs. Ils offrent ainsi un appui technique ou financier à l'achat de véhicules électriques, ainsi qu'au déploiement d'infrastructures de recharge.

Enfin, les collectivités savent mobiliser d'autres compétences que celles relatives aux transports pour favoriser la mobilité durable. En tant qu'employeurs, elles facilitent les trajets domicile-travail de leurs agents au moyen de plans de déplacements d'entreprises. Dans le cadre de la commande publique, elles acquièrent des véhicules peu émissifs à l'occasion du renouvellement de leur flotte. Celles qui sont détentrices de pouvoirs de police en matière de circulation et de stationnement, ou de compétences afférentes à la gestion de la voirie, veillent à une utilisation réfléchie du réseau routier.

Afin de rendre plus concrètement compte de ces actions, votre rapporteure a souhaité mettre en valeur quelques projets locaux.

Dans cette perspective, elle a consacré la journée du 28 septembre dernier à des rencontres de terrain avec trois collectivités dans son département.

Le conseil régional du Limousin a souhaité encourager le report modal vers le transport ferroviaire en modernisant son offre de transport express régional (TER), dont les horaires ont été cadencés en 2013 et les tarifs révisés en 2015, et en favorisant l'intermodalité avec la création de pôles d'échange depuis 2000, et d'une centrale de mobilité en 2009.

De son côté, le conseil départemental de la Haute-Vienne a entendu renforcer la mobilité en zone rurale, où il a développé une offre de transport en autocar à la demande en 2013, ainsi que des aires de stationnement et une plateforme en ligne dédiées au covoiturage dès 2009.

Enfin, Limoges Métropole est impliquée dans le domaine des transports collectifs à traction électrique et des mobilités douces à assistance électrique, puisqu'elle a maintenu en état de fonctionnement un réseau de trolleybus hérité des années 1930, et a déployé un service de location de vélos électriques en 2015.

Outre ces trois initiatives, votre rapporteure a souhaité élargir sa réflexion à deux autres collectivités, en auditionnant leurs représentants.

La première est Mulhouse Alsace Agglomération, qui a mis en service en 2010 une solution innovante en faveur de l'interopérabilité des réseaux de transport : le tram-train, premier exemple français de transport interconnecté capable de circuler tant sur les voies de tramway que sur le réseau ferré.

La seconde est le conseil régional de Bourgogne, dont la volonté d'accompagner l'essor des véhicules électriques a abouti à l'élaboration d'un schéma de cohérence régional de déploiement des bornes de charge en 2015. Ce document fixe des objectifs précis et chiffrés pour parvenir à un maillage cohérent du territoire d'ici 2025.

Les projets locaux étudiés par votre rapporteure témoignent de la forte implication de nos territoires en faveur d'une conception durable de la mobilité, qui lui a été rappelée par les associations d'élus locaux et le Groupement des autorités responsables des transports (GART) lors de leur audition (voir encadré).

Cependant, face à la nécessité de réduire significativement les émissions de gaz à effet de serre dans le secteur des transports, ces actions demandent encore à être poursuivies et amplifiées.

Votre rapporteure souhaite faire valoir que l'amélioration de la performance énergétique des véhicules individuels ne saurait, à elle seule, permettre d'abaisser significativement l'empreinte carbone du secteur des transports. C'est pourquoi les collectivités doivent continuer à oeuvrer en faveur du report modal vers les transports collectifs, priorité d'action des autorités organisatrices de la mobilité.

À cette fin, votre rapporteure forme le voeu que se diffusent, dans chacun de nos territoires, des politiques de mobilité davantage intégrées. Si l'implication des élus locaux dans le domaine des transports est indéniable, elle achoppe parfois sur deux difficultés : des responsabilités émiettées et des actions cloisonnées. C'est la raison pour laquelle certaines collectivités pionnières ont entendu coordonner et élargir leurs actions dans ce domaine ; ces bonnes pratiques gagneraient à être généralisées.

Une meilleure coordination entre les autorités organisatrices de la mobilité permet d'éviter des politiques isolées, redondantes ou contradictoires en matière de transports. Elle contribue à faire émerger, dans chaque bassin de vie, des réseaux interopérables, une information multimodale et une billettique intégrée, à même de faciliter les déplacements dans le respect du développement durable. L'élaboration des nouveaux schémas régionaux de l'intermodalité, créés par la loi de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles (MAPTAM) 24 ( * ) , ainsi que le transfert aux conseils régionaux de l'organisation de la mobilité interurbaine, prévu par la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe) 25 ( * ) , doit être l'occasion de poursuivre cet effort de coordination.

En outre, une action globale en faveur de la mobilité, dépassant le seul domaine des transports pour embrasser tous les leviers d'action disponibles - l'urbanisme, l'aménagement, la voirie, les pouvoirs de police et la commande publique - permet d'impulser une dynamique positive en faveur de modes de déplacement sobres. Plus spécifiquement, la maîtrise de l'étalement urbain, d'une part, et le déploiement des nouvelles technologies de l'information et de la communication (NTIC), d'autre part, contribuent à limiter en amont les besoins de déplacement.

C'est donc une politique intégrée, coordonnant les différents acteurs et mobilisant l'ensemble des leviers d'action, qui doit être promue.

Enfin, votre rapporteure insiste sur la nécessité d'accorder une attention spécifique aux enjeux sociaux posés par la mobilité, droit fondamental. Une conception durable de la mobilité poursuit trois finalités : la qualité environnementale, bien sûr, mais aussi l'équité sociale et l'efficacité économique. En proposant des alternatives à l'usage individuel de la voiture dans les zones mal dotées en transports - les zones périurbaines et rurales - ou auprès des publics les plus isolés - les personnes jeunes, âgées, défavorisées, non motorisées -, les acteurs locaux oeuvrent tout à la fois contre le réchauffement climatique et pour l'inclusion sociale.

Au terme de ses travaux, votre rapporteure ne peut que constater que la multiplicité des politiques de transport mises en oeuvre par les collectivités fait d'elles des « laboratoires de bonnes pratiques » en termes de mobilité durable, au service de nos concitoyens.

Si les échelons locaux ont développé depuis plusieurs années des pratiques de mobilité vertueuses, ils sont prêts à aller plus loin grâce aux perspectives de clarification des compétences introduites par la loi NOTRe, et dès lors que leurs ressources financières sont garanties : l'assiette du versement transport nécessite d'être préservée, et les solutions de remplacement de l'écotaxe poids lourds d'être pérennisées.

En somme, votre rapporteure rappelle que la nécessité de répondre aux besoins croissants de mobilité tout en luttant contre le changement climatique suppose le déploiement massif de solutions de déplacement moins émissives, dont les collectivités sont les acteurs moteurs.

Les enjeux soulevés par les associations d'élus locaux

Afin d'acquérir une vision globale et précise de l'implication des collectivités en matière de mobilité durable, votre rapporteure a souhaité auditionner les présidents des commissions en charge des transports des principales associations d'élus locaux.

À cette occasion, l'Association des maires de France (AMF) a indiqué que de nombreuses initiatives ont émergé dans les communes en faveur de modes de déplacement moins polluants, tels que les mobilités douces, le covoiturage ou l'auto-partage. L'association a cependant identifié le contexte financier et l'instabilité normative comme des freins au plein développement d'une conception durable de la mobilité. Par ailleurs, l'AMF a souligné que les enjeux des transports et de l'urbanisme sont liés, l'usage individuel de la voiture étant bien souvent la conséquence de l'étalement urbain.

La représentante de l'Association des communautés de France (AdCF) et du Groupement des autorités organisatrices des transports (GART) a rappelé que les intercommunalités et, au-delà, les différentes autorités organisatrices de la mobilité sont également investies. Une trentaine de solutions de mobilité durable, parfois très innovantes, ont ainsi été portées à la connaissance de votre rapporteure. L'AdCF et le GART ont insisté sur le besoin de sécuriser les financements des autorités organisatrices de la mobilité, et de développer des formes de coopération entre elles. Tout comme l'AMF, ils ont mis en évidence le lien unissant les transports à l'urbanisme. Ont été citées comme bonnes pratiques : le renforcement de la compétitivité des transports collectifs, la combinaison des potentialités de chaque mode de transport, la sensibilisation des citoyens à la mobilité durable et la limitation de l'usage de l'automobile notamment. En outre, l'AdCF et le GART ont indiqué que, si l'amélioration de la performance énergétique des véhicules individuels est appréciable, c'est aussi par le report modal vers les transports collectifs que l'empreinte carbone du secteur des transports pourra être maîtrisée.

Également auditionnée, l'Association des départements de France (ADF) a présenté les modes de transport moins polluants développés par les départements, en soulignant le rôle historique de cet échelon dans l'essor du covoiturage. Après avoir rappelé les difficultés imputables au contexte financier, l'ADF a indiqué que le transfert de la compétence des départements en matière de transport scolaire vers les régions 26 ( * ) n'était pas de nature à favoriser une conception durable de la mobilité, dans la mesure où elle contrevient au besoin d'une gestion de proximité. De plus, l'ADF a jugé important de ne pas perdre de vue la finalité sociale que doit poursuivre le développement durable : dans le domaine de la mobilité, les transports interurbains permettent la desserte de zones et de publics défavorisés.

Enfin, l'Association des régions de France (ARF) a souligné l'implication des régions en faveur des alternatives à l'usage individuel de la voiture, en particulier dans le cadre de leur compétence ferroviaire. Cet effort a rencontré un certain succès avec, pour les transports express régionaux (TER), une hausse de 24% de l'offre et de 55% des voyageurs de 2002 à 2012. L'ARF a estimé essentiel de définir une vision stratégique et de garantir des ressources pérennes pour que cet effort puisse être poursuivi.

Par ailleurs, l'association a fait observer que les nouveaux modes de transport doivent se développer en complémentarité avec ceux existants, à commencer par le transport non urbain en autocar, récemment ouvert à la concurrence 27 ( * ) . Enfin, l'ARF a fait le même constat que l'AdCF et le GART quant à l'importance du report modal vers les transports collectifs pour renforcer la sobriété des modes de déplacement.


* 22 Sources : ministère de l'Écologie, du Développement durable et de l'Énergie ; Agence européenne de l'environnement.

* 23 Ces types de syndicats mixtes de transport fédèrent plusieurs autorités organisatrices de la mobilité sur un même territoire, dans le but de coordonner leurs services et de mettre en place un système d'information et de tarification permettant la délivrance de titres de transports uniques ou unifiés (article L. 1231-10 du code des transports).

* 24 L'article 6 de la loi n° 2014-58 du 27 janvier 2014 de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles a créé les schémas régionaux de l'intermodalité par lesquels les conseils régionaux pourront coordonner l'offre de services, l'information des usagers, la tarification et la billettique (article L. 1213-3-1 du code des transports).

* 25 L'article 15 de la loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République fait des conseils régionaux les autorités organisatrices des services non urbains réguliers ou à la demande, à partir du 1 er janvier 2017 (articles L. 3111-1 et s. du code des transports).

* 26 L'article 15 de la loi n°2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République transfère aux conseils régionaux l'organisation des transports scolaires au 1 er janvier 2017 (articles L. 3111-1 et s. du code des transports).

* 27 L'article 5 de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques autorise l'organisation de services de transport non urbain par autocar de façon libre, tout en permettant à une autorité organisatrice de transport d'interdire ou de limiter les liaisons inférieures à 100 km (articles L. 3111-17 et s. du code des transports).

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page