C. LES EFFORTS À POURSUIVRE POUR IDENTIFIER LES SITUATIONS À RISQUE

1. Améliorer la coordination des acteurs

Plusieurs personnes entendues par vos rapporteurs ont souligné les difficultés liées à la coordination des différents acteurs de la sécurité dans les transports terrestres , qu'ils soient étatiques ou privés.

En effet, comme évoqué supra , la sécurisation des gares et des trains implique un très grand nombre d'acteurs, dépendant de plusieurs ministères - intérieur, défense, transports et finances -, rendant la coordination d'autant plus nécessaire.

Or, cette coordination est effectuée à plusieurs niveaux et par plusieurs acteurs, selon des modalités variables, puisqu'un service coordonne parfois l'action, alors même que d'autres acteurs concluent des conventions particulières, parfois très précises, avec certains opérateurs pour lutter contre certaines menaces.

Si le système semble bien fonctionner, une multiplication d'acteurs a pour effet d'engendrer d'importants coûts de coordination, nécessitant des échanges de personnels, des réunions, des arbitrages éventuels en cas de désaccords, etc .

Il serait donc préférable que le service national de la police ferroviaire assure seul la coordination de la sécurité ferroviaire , à l'échelle nationale . Bien sûr, au regard des spécificités liées à la région parisienne et au poids qu'elle représente, il serait indispensable de prévoir une représentation adéquate de la SDRPT au sein du SNPF, en disposant par exemple qu'un représentant du SDRPT assure les fonctions d'adjoint du chef du SNPF. En tout état de cause, le rôle opérationnel de la SDRPT serait maintenu, voire renforcé, sur le ressort de l'Île-de-France.

Par ailleurs, un recentrage du SNPF sur sa mission de coordination lui permettrait de mettre pleinement en oeuvre les nouvelles possibilités qui lui ont été accordées en matière de renseignement.

En effet, en application du décret n° 2015-1639 du 11 décembre 2015 relatif à la désignation des services autres que les services spécialisés de renseignement, autorisés à recourir aux techniques mentionnées au titre V du livre VIII du code de la sécurité intérieure, pris en application de l'article L. 811-4 du code de la sécurité intérieure, l'unité judiciaire du SNPR a été désignée comme un service relevant du « deuxième cercle » du renseignement et peut ainsi demander, dans le cadre de la police administrative, la mise en oeuvre de plusieurs techniques de renseignement : l'accès administratif aux données de connexion, la localisation de terminaux en temps réel sur sollicitation du réseau, la pose et le retrait de balise permettant de localiser en temps réel une personne, un véhicule ou un objet et la possibilité de demander des interceptions de sécurité - cette possibilité s'étendant désormais à l'entourage de la personne concernée par l'autorisation.

En conséquence, les effectifs opérationnels actuellement employés par le SNPF - la brigade centrale des chemins de fer - pourraient renforcer la SDRPT. Le dispositif local resterait quant à lui inchangé.

Proposition n° 2 : Attribuer la coordination de l'action de la sécurisation des réseaux au SNPF, en concentrant le rôle de la SDRPT sur ses missions opérationnelles

2. Développer et améliorer la vidéoprotection

Plusieurs éléments pourraient permettre de renforcer l'efficacité de la vidéoprotection.

En premier lieu, il convient d'encourager le déploiement des caméras et l'équipement des salles de contrôles, afin de permettre un contrôle étroit des gares, des quais et des couloirs de correspondances.

En second lieu, il peut être observé que les caméras déployées au sein des trains, des bus ou des wagons ne sont que de simples enregistreurs et ne sont pas reliés en temps réel à un dispositif en permettant l'exploitation, visant à détecter immédiatement une situation anormale.

Or, certaines sociétés de transports de bus ou de tramways organisent la transmission en temps réel des données captées dans le tramway, le métro ou le bus vers un poste de commande centralisé, permettant à des agents privés d'intervenir en cas d'incident.

L'attentat raté du Thalys d'août dernier montre l'intérêt d'une exploitation en temps réel des images captées en cas d'incident. Il semble donc nécessaire de systématiser cette possibilité, même s'il apparaît que dans certains cas il existe des obstacles techniques qui pourraient être levés progressivement, à l'occasion du remplacement du matériel.

Proposition n° 3 : Développer la transmission en temps réel des données enregistrées par les caméras à bord des matériels roulants, afin de permettre leur exploitation par un centre de traitement à terre

Par ailleurs, il convient de prévoir la possibilité de transmettre ces données en temps réel aux forces de l'ordre.

Ainsi, pour assurer la protection des parties communes des immeubles collectifs à usage d'habitation , l'article L. 126-1-1 du code de la construction et de l'habitat a prévu la possibilité de transmettre, en cas d'incident et sous condition, les images en temps réel captées par un système de vidéoprotection mis en oeuvre par une personne privée vers les forces de l'ordre.

Article L. 126-1-1 du code de la construction et de l'habitat

La transmission aux services chargés du maintien de l'ordre des images réalisées en vue de la protection des parties communes des immeubles collectifs à usage d'habitation lors de circonstances faisant redouter la commission imminente d'une atteinte grave aux biens ou aux personnes est autorisée sur décision de la majorité des copropriétaires dans les conditions fixées à l'article 25 de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis et, dans les immeubles sociaux, du gestionnaire. Les images susceptibles d'être transmises ne doivent concerner ni l'entrée des habitations privées, ni la voie publique.

Cette transmission s'effectue 34 ( * ) en temps réel et est strictement limitée au temps nécessaire à l'intervention des services de la police ou de la gendarmerie nationales ou, le cas échéant, des agents de la police municipale.

Une convention préalablement conclue entre le gestionnaire de l'immeuble et le représentant de l'État dans le département précise les conditions et modalités de ce transfert. Cette convention prévoit l'information par affichage sur place de l'existence du système de prise d'images et de la possibilité de leur transmission aux forces de l'ordre.

Lorsque la convention a pour objet de permettre la transmission des images aux services de police municipale, elle est en outre signée par le maire.

Cette convention est transmise à la commission départementale de vidéoprotection mentionnée à l'article 10 de la loi n° 95-73 du 21 janvier 1995 d'orientation et de programmation relative à la sécurité qui apprécie la pertinence des garanties prévues et en demande, le cas échéant, le renforcement au représentant de l'État dans le département.

Ne sont pas soumis au présent article les systèmes utilisés dans des traitements automatisés ou contenus dans des fichiers structurés selon des critères permettant d'identifier, directement ou indirectement, des personnes physiques, qui sont soumis à la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés.

La transmission d'images collectées par un opérateur privé aux forces de l'ordre nécessite un fondement législatif ; en effet, cette possibilité dépasse le cadre de l'autorisation accordée à une personne privée pour mettre en place un système de vidéoprotection.

Ainsi, pour organiser la transmission vers les forces de l'ordre d'images collectées au sein des lieux ouverts au public que sont les moyens de transports ou les gares, une procédure analogue à celle de l'article L. 126-1-1 du code de la construction et de l'habitat pourrait être adoptée.

Proposition n° 4 : Autoriser la transmission en temps réel aux forces de l'ordre d'images collectées dans les moyens de transport et les gares, en cas d'incident, selon des modalités et des garanties comparables aux dispositions de l'article L. 126-1-1 du code de la construction et de l'habitat

Enfin, la possibilité d'enregistrer le son à l'aide de caméras de vidéoprotection, qui est un progrès technique, envisagé notamment pour permettre de détecter plus facilement des situations anormales 35 ( * ) , pourrait aussi se traduire par la collecte de conversations, ce qui nécessiterait alors d'encadrer par la loi cette nouvelle possibilité , comme la CNIL l'a souligné dans son rapport annuel d'activité pour l'année 2014, en observant que « de nombreux dispositifs vidéo sont aujourd'hui composés de caméras permettant un enregistrement du son. Or, cette possibilité n'est ni prévue, ni interdite par le code de la sécurité intérieure bien qu'elle pose des questions au regard de la protection de la vie privée des personnes situées dans leur champ de visualisation et donc, d'enregistrement sonore » 36 ( * ) .

Cette question dépasse l'objet du présent rapport. Dans son rapport 2015, la CNIL indique toutefois que le Gouvernement étudie la possibilité d'encadrer juridiquement l'enregistrement d'images et de sons sur la voie publique, dans le cadre de la mise en place de « caméras boutonnières » destinées aux forces de l'ordre 37 ( * ) .

D'une manière générale, il semble essentiel de privilégier la vidéoprotection active , c'est-à-dire faisant l'objet d'une surveillance en temps réel, plutôt que d'installer des caméras afin d'enregistrer les évènements qui surviennent. La mise en oeuvre de dispositifs techniques permettant d'alerter l'attention d'un opérateur vers un moniteur en cas de situation considérée comme anormale (forte hausse du bruit ambiant par exemple) permettrait de limiter l'accroissement des moyens humains.

3. Exploiter les possibilités offertes par les nouvelles technologies

Plusieurs technologies sont en cours de développement ou d'expérimentation afin de prévenir plus efficacement les actes terroristes. Si elles ne sauraient constituer une réponse globale à cette menace, elles pourraient contribuer fortement à accélérer l'identification de situations à risques. C'est la raison pour laquelle les opérateurs de transport, les industriels et les différents services de l'État concernés y accordent une attention particulière.

Dans le domaine de la vidéoprotection active , outre les dispositifs déjà existants visant à faciliter le travail d'analyse des images, plusieurs techniques sont en cours d'expérimentation :

- un logiciel visant à faciliter la recherche d'individus, dans les enregistrements vidéo, à partir d'un avatar numérique rappelant le signalement de la personne recherchée, par exemple pour reconstituer le parcours du propriétaire d'un bagage abandonné ;

- des logiciels d'analyse comportementale reliés aux caméras de protection, visant à identifier de potentiels risques en mesurant les différentiels de température du corps des individus, du niveau sonore de leurs voix ou en repérant les comportements brusques. Ces dispositifs sont actuellement en cours d'expérimentation sur le domaine ferroviaire, avec l'accord de la CNIL. Cette technologie est néanmoins confrontée au fait que les différentes variations identifiées peuvent être observées sur un certain nombre de personnes en situation de stress (par exemple parce qu'elles sont en retard), sans que cela s'accompagne d'un réel risque pour la sûreté. Leur acceptabilité sociale devrait aussi être mesurée, en raison de leur caractère intrusif.

Pour la détection de substances explosives, la Gare du Nord et la Gare de Lyon expérimentent actuellement un dispositif de détection de traces d'explosifs sur la peau, les vêtements, les objets transportés, les sacs, les véhicules et toute autre surface par ionisation . Des techniques similaires ont également été testées par les services de la Commission européenne, avec des résultats très prometteurs pour des dispositifs très discrets.

Enfin, la Gare du Nord et la Gare de Lyon testent un système de cloche à bagages, pour raccourcir les délais de levée de doute en cas de signalement d'un colis abandonné . Les alertes de ce type se sont en effet multipliées en 2015, entraînant des difficultés d'exploitation évidentes pour les opérateurs de transport.

L'augmentation des cas de signalement
de bagages abandonnés en 2015

2013

2014

2015

1 er semestre

351

308

805

2 ème semestre

462

526

-

TOTAL

813

834

-

Source : direction générale de la gendarmerie nationale

Ces différents projets n'en sont qu'à une phase expérimentale, et leur efficacité ou intérêt pour traiter les problématiques du domaine ferroviaire devront être confirmés. Vos rapporteurs incitent les différents acteurs concernés à poursuivre leurs efforts de recherche, l'objectif étant de développer des instruments très fiables sans être intrusifs.

Le développement de ces technologies innovantes ne doit pas faire perdre de vue l'intérêt des moyens technologiques existants qui ont fait leurs preuves, comme les drones utilisés pour la surveillance du réseau. Enfin, le recours à des équipes cynophiles , bien que coûteux, reste l'un des moyens de détection d'explosifs les plus efficaces aujourd'hui. Les moyens déployés dans ce domaine doivent donc être au minimum conservés, voire augmentés.

4. Développer le rôle des polices municipales et intercommunales

Le faible nombre de polices municipales des transports peut s'expliquer par l'inadéquation d'un exercice de la compétence transports à l'échelle d'une commune : en effet, les réseaux de transports urbains existent le plus souvent à l'échelle d'une intercommunalité .

En conséquence, comme l'avaient d'ailleurs suggéré nos collègues François Pillet et René Vandierendonck dans leur rapport relatif aux polices municipales 38 ( * ) , il serait souhaitable de transférer au président de l'intercommunalité les pouvoirs de police spéciale correspondant aux compétences exercées par l'intercommunalité .

L'article 17 de la proposition de loi visant à créer des polices territoriales et portant diverses dispositions relatives à leur organisation et à leur fonctionnement 39 ( * ) , en cours d'examen à l'Assemblée nationale, et que vos rapporteurs suggèrent de reprendre dans le cadre du présent rapport, vise précisément à attribuer de plein droit la compétence relative à la police des transports au président de l'intercommunalité lorsque l'intercommunalité est compétente en matière de transports.

Proposition n° 5 : Transférer de plein droit la compétence relative à la police des transports au président de l'intercommunalité lorsque l'intercommunalité est compétente en matière de transports urbains

5. Renforcer les moyens octroyés à la sûreté

Vos rapporteurs se félicitent du renforcement annoncé des moyens octroyés à la sûreté, car un renforcement de la présence humaine sera de nature à accroître le climat d'incertitude, et donc de dissuader les auteurs d'actes malveillants. La SUGE devrait ainsi recruter des agents supplémentaires. À la RATP, un renforcement des effectifs du GPSR de 100 personnes est programmé dans les deux années à venir, tandis que la présence des personnels sur le réseau des bus de nuit devrait être renforcée grâce au recrutement de 100 personnes supplémentaires.

Le lieu d'affectation de ces agents demeure une condition importante de l'efficacité de ces unités. Il apparaît nécessaire notamment que la SUGE soit présente dans les gares mais également à bord des trains.

Dans la mesure où les contrôleurs et conducteurs sont les agents les plus exposés au risque terroriste, ce type de formations devraient également leur être proposées afin qu'ils puissent, d'une part, alerter les autorités compétentes de comportements suspects, et, d'autre part, connaître la conduite à tenir en cas d'attentat.

Sans devenir des agents de sûreté, il est important de leur redonner un sentiment de sécurité et de confiance en leur offrant la possibilité de se former aux techniques de défense basiques, ainsi qu'en mettant à leur disposition un protocole d'intervention.

Enfin, seule la présence de contrôleurs dans les trains, en nombre suffisant, permettra le contrôle effectif de l'étiquetage des bagages, réduisant ainsi le risque de colis abandonnés.

6. Favoriser la participation des usagers

Comme l'a indiqué à plusieurs reprises Stéphane Volant, secrétaire général de la SNCF en charge de la tutelle de la direction de la sûreté, « la sûreté est l'affaire de tous ». En signalant un bagage abandonné ou un comportement anormal, chaque usager des transports peut contribuer à l'identification d'un risque potentiel en temps réel, facilitant ainsi, le cas échéant, le déploiement des forces de sécurité concernées dans les plus brefs délais.

C'est dans cet esprit que le groupe public ferroviaire a récemment développé le numéro d'appel d'urgence 31 17 et, depuis peu, le 31 177 (par sms) 40 ( * ) . Si le premier est désormais davantage utilisé depuis la tentative d'attentat du Thalys, il gagnerait à être mieux connu de l'ensemble des usagers, à travers des campagnes de communication par exemple.

La vigilance des usagers, en général élevée dans la période suivant un attentat, a tendance à se réduire au fil du temps. C'est la raison pour laquelle vos rapporteurs insistent sur l'importance de campagnes de sensibilisation régulières, faisant appel à la vigilance des usagers.

Il est regrettable que ces numéros ne soient pas mentionnés sur les billets et abonnements ou dans les informations portées à l'attention des voyageurs lors de leur commande.

Proposition n° 6 : Mener régulièrement des campagnes de sensibilisation auprès des usagers pour les inciter à signaler tout comportement anormal (abandon de bagage par exemple), au moyen des lignes téléphoniques dédiées (31 17 pour les appels et 31 177 pour les sms, sur le réseau ferroviaire)

Se pose également la question de savoir s'il ne serait pas pertinent de développer un dispositif similaire pour la RATP , qui dispose aujourd'hui d'un seul numéro commercial.


* 34 A l'initiative de l'opérateur privé.

* 35 Permettant par exemple de détecter une détonation ou une explosion.

* 36 CNIL, rapport annuel pour l'année 2013, p. 60.

* 37 Rapport d'activité pour l'année 2014, p. 77.

* 38 Rapport d'information n° 782 (2011-2012) de MM. François Pillet et René Vandierendonck, fait au nom de la commission des lois. Le rapport est consultable à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/notice-rapport/2011/r11-782-notice.html

* 39 Le dossier législatif est consultable à l'adresse suivante : http://www.assemblee-nationale.fr/14/dossiers/creation_polices_territoriales.asp

* 40 Cf. supra.

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