N° 493

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2015-2016

Enregistré à la Présidence du Sénat le 23 mars 2016

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur la mission de suivi et de contrôle des dernières lois de réforme des collectivités territoriales ,

Par MM. Mathieu DARNAUD, René VANDIERENDONCK, Pierre-Yves COLLOMBAT et Michel MERCIER,

Sénateurs.

(1) Cette commission est composée de : M. Philippe Bas , président ; Mme Catherine Troendlé, MM. Jean-Pierre Sueur, François Pillet, Alain Richard, François-Noël Buffet, Alain Anziani, Yves Détraigne, Mme Éliane Assassi, M. Pierre-Yves Collombat, Mme Esther Benbassa , vice-présidents ; MM. André Reichardt, Michel Delebarre, Christophe-André Frassa, Thani Mohamed Soilihi , secrétaires ; MM. Christophe Béchu, Jacques Bigot, François Bonhomme, Luc Carvounas, Gérard Collomb, Mme Cécile Cukierman, M. Mathieu Darnaud, Mme Jacky Deromedi, M. Félix Desplan, Mme Catherine Di Folco, MM. Christian Favier, Pierre Frogier, Mme Jacqueline Gourault, M. François Grosdidier, Mme Sophie Joissains, MM. Philippe Kaltenbach, Jean-Yves Leconte, Roger Madec, Alain Marc, Didier Marie, Patrick Masclet, Jean Louis Masson, Mme Marie Mercier, MM. Michel Mercier, Jacques Mézard, Hugues Portelli, Bernard Saugey, Simon Sutour, Mmes Catherine Tasca, Lana Tetuanui, MM. René Vandierendonck, Alain Vasselle, Jean-Pierre Vial, François Zocchetto .

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Le 4 novembre 2015, la commission des lois a mis en place une mission de contrôle et de suivi de la mise en oeuvre des dernières lois de réforme territoriale, pour apprécier, sur le terrain, leur application : mise en place des métropoles 1 ( * ) , nouvelle carte régionale 2 ( * ) et, en parallèle, réforme de l'administration territoriale de l'État, communes nouvelles 3 ( * ) , révision des schémas départementaux de coopération intercommunale, nouvelle répartition des compétences régionales et départementales liées à la suppression de la clause de compétence générale de ces deux collectivités 4 ( * ) . Elle a désigné à cette fin MM. Mathieu Darnaud et René Vandierendonck, co-rapporteurs, MM. Pierre-Yves Collombat et Michel Mercier, rapporteurs délégués.

Les travaux de la mission s'organisent principalement autour de déplacements dans les territoires, complétés par des auditions. Ainsi, le 2 décembre 2015, Mme Clotilde Valter, alors secrétaire d'État chargée de la réforme de l'État et de la simplification, a été entendue par votre commission. Par ailleurs, vos rapporteurs ont reçu, le 10 février 2016, l'association des maires de France (AMF), l'assemblée des communautés de France (AdCF) et la Caisse des dépôts et consignations sur la révision en cours des périmètres intercommunaux.

Le premier déplacement a eu lieu les 21 et 22 janvier 2016 dans la nouvelle région Bourgogne-Franche-Comté. Le prochain interviendra les 24 et 25 mars prochains en Normandie « réunifiée ».

Les premières observations de la mission s'appuient d'abord sur les rencontres organisées à Besançon et à Dijon tant avec les préfets, les élus locaux des différents niveaux de collectivités qu'avec les services territoriaux de l'État et du conseil régional. Ses rapporteurs leur expriment leur profonde gratitude pour leur contribution à leurs travaux, étayés par les auditions organisées au Sénat et les documents élaborés dans le cadre de cette nouvelle et importante étape de la décentralisation, notamment les projets préfectoraux de schéma départemental de coopération intercommunale (SDCI).

Votre commission des lois, dans l'esprit qui l'a guidée tout au long de l'examen parlementaire de la réforme, souhaite s'assurer de la pertinence des novations adoptées par le législateur, conçues pour faciliter les interventions des collectivités locales, mieux les coordonner et améliorer la gestion publique locale.

Ses rapporteurs proposeront, le cas échéant, les assouplissements qui leur apparaîtraient nécessaires au terme de leurs travaux. D'ores et déjà, le Sénat est intervenu à plusieurs reprises pour amender la réforme territoriale sur plusieurs volets, soit pour la compléter par des coordinations apparues depuis lors nécessaires, soit pour différer l'entrée en vigueur de certains points, soit encore pour en tirer les conséquences pour les interventions locales. Il s'agit notamment des compléments apportés au régime des fusions de communes 5 ( * ) , du report au 1 er janvier 2020 de la réforme du régime indemnitaire des présidents et vice-présidents des syndicats de communes et des syndicats mixtes 6 ( * ) ainsi que du maintien de la compétence départementale en matière de protection des forêts contre l'incendie 7 ( * ) .

Le présent rapport tire les premiers enseignements de la mission à la lumière des déplacements et des auditions d'ores et déjà organisés.

I. LA RÉVISION DES SCHÉMAS DÉPARTEMENTAUX DE COOPÉRATION INTERCOMMUNALE : DU RESPECT AU CONTOURNEMENT DE LA LOI

Le schéma départemental de coopération intercommunale

La loi du 16 décembre 2010 de réforme des collectivités territoriales (article L. 5210-1-1 du code général des collectivités territoriales) a prescrit l'établissement, dans chaque département, d'un schéma départemental de coopération intercommunale (SDCI) prévoyant une couverture intégrale du territoire par des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre 8 ( * ) et les modalités de rationalisation des périmètres des EPCI et des syndicats mixtes existants.

Les SDCI ont été élaborés et mis en oeuvre au cours des années 2011, 2012 et jusqu'au 1 er juin 2013. Les nouvelles intercommunalités en résultant ont été mises en place le 1 er janvier 2014.

En 2012, le législateur a prévu que la procédure de révision des schémas serait mise en oeuvre au cours de l'année suivant le prochain renouvellement général des conseils municipaux - c'est-à-dire en 2015 -, puis tous les six ans au moins.

En modifiant les orientations fixées au schéma ( cf. infra ), la loi NOTRe a anticipé la procédure de révision.

S'inscrivant dans la démarche initiée par la loi de réforme des collectivités territoriales du 16 décembre 2010, la loi NOTRe du 7 août 2015 constitue une nouvelle et ambitieuse étape de la rationalisation des intercommunalités.

Celle-ci passe par un renforcement de l'intégration communautaire : accroissement de la taille des groupements intercommunaux 9 ( * ) - auparavant fixée à 5 000 habitants au moins sauf en zone de montagne -, élargissement du champ de leurs compétences obligatoires, réduction en conséquence du nombre des syndicats de communes et des syndicats mixtes.

Le seuil minimal avait été initialement proposé à 20 000 habitants, le Gouvernement motivant l'élargissement du périmètre des intercommunalités par la recherche d'une meilleure concordance avec les bassins de vie. Il convient cependant de noter que, si ces bassins comptent en moyenne en métropole 38 000 résidents et s'échelonnent de 20 100 habitants dans le Limousin jusqu'à 70 800 habitants dans le Nord-Pas-de-Calais, leur liste fait apparaître des disparités importantes : leur superficie s'échelonne en effet de 2,38 à 49 006,9 km 2 , leur population de 1 868 à 10 677 924 habitants 10 ( * ) . De son côté, votre commission des lois avait refusé ce relèvement « sec » du seuil à 20 000 habitants car elle redoutait les conséquences de cet élargissement brutal tant pour la gouvernance que sur l'ajustement des compétences et la solidité de l' affectio societatis devant nécessairement présider à la bonne conduite de ces intercommunalités. Elle avait cependant souhaité poursuivre la démarche entreprise en 2010 en ouvrant une nouvelle phase de rationalisation de l'intercommunalité. À cette fin, elle avait renforcé les orientations fixées au schéma départemental en visant la cohérence des périmètres intercommunaux au regard des unités urbaines, des bassins de vie et des schémas de cohérence territoriale et non plus seulement son amélioration.

À l'issue de la discussion parlementaire, le seuil minimal de constitution des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre a finalement été fixé à 15 000 habitants, limite assortie d'un ensemble de dérogations destinées à tenir compte de la diversité du territoire national. Pour rappel, il s'agit d'un seuil adapté , sans pouvoir être inférieur à 5 000 habitants, pour les établissements :

« a) Dont la densité démographique est inférieure à la moitié de la densité nationale, au sein d'un département dont la densité démographique est inférieure à la densité nationale ; le seuil démographique applicable est alors déterminé en pondérant le nombre de 15 000 habitants par le rapport entre la densité démographique du département auquel appartiennent la majorité des communes du périmètre et la densité nationale ;

« b) Dont la densité démographique est inférieure à 30 % de la densité nationale ;

« c) Comprenant une moitié au moins de communes situées dans une zone de montagne délimitée en application de l'article 3 de la loi n° 85-30 du 9 janvier 1985 relative au développement et à la protection de la montagne ou regroupant toutes les communes composant un territoire insulaire ;

« d) Ou incluant la totalité d'un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre de plus de 12 000 habitants issu d'une fusion intervenue entre le 1 er janvier 2012 et la date de publication de la loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République ; 11 ( * ) ».

Pour mémoire, la densité démographique nationale est de 103,4 habitants/km 2 . La première dérogation (a) - le seuil adapté - trouve en conséquence à s'appliquer dans 57 départements présentant une densité inférieure, la deuxième (b) aux communautés dont la densité est de moins de 31 habitants/km 2 .

L'ajustement de ces assouplissements a fait l'objet de discussions approfondies tant au Sénat qu'à l'Assemblée nationale afin de favoriser la mise en oeuvre des nouvelles cartes intercommunales.

Cependant, l'examen des projets de schéma élaborés dans chaque département par les préfets révèle que la préoccupation du législateur n'est pas partout prise en compte, non plus que le dispositif qu'il a adopté en conséquence, appliqué.

Il est peut-être utile de rappeler que les projets de schéma sont soumis à l'examen des commissions départementales de la coopération intercommunale (CDCI) qui peuvent les modifier à la majorité des deux tiers de leurs membres. Elles disposent à cette fin d'un délai de trois mois. La procédure de révision s'achèvera au 31 mars prochain, date à laquelle les préfets devront arrêter les nouveaux schémas.

Procédure et calendrier d'élaboration des SDCI 12 ( * )

1. Le projet de schéma est élaboré par le préfet puis présenté à la commission départementale de la coopération intercommunale (CDCI).

Cette présentation a eu lieu au plus tard le 15 octobre 2015 .

2. Le projet est adressé pour avis aux conseils municipaux des communes et aux organes délibérants des EPCI et des syndicats mixtes concernés par les propositions de modification de la situation existante, qui disposent d'un délai de deux mois pour se prononcer. À défaut de délibération dans ce délai, l'avis est réputé favorable.

Lorsqu'une proposition intéresse des collectivités appartenant à des départements différents, le préfet saisit pour avis son homologue du ou des autres départements concernés, qui se prononce dans un délai de deux mois après consultation de la CDCI. À défaut, l'avis est réputé favorable.

3. Le projet de schéma, ainsi que l'ensemble des avis, sont ensuite transmis pour avis à la CDCI qui dispose d'un délai de trois mois pour se prononcer. A défaut de délibération dans ce délai, celle-ci est réputée favorable. La CDCI peut modifier le projet de schéma à la majorité des deux tiers de ses membres.

Les CDCI ont été saisies avant la fin du mois de décembre 2015 .

4. Le schéma est arrêté par le préfet et fait l'objet d'une insertion dans au moins une publication locale diffusée dans le département.

L'arrêté préfectoral doit être pris avant le 31 mars 2016 .

5. Les schémas seront mis en oeuvre au cours des neuf mois suivant pour une mise en place des nouvelles intercommunalités au 1 er janvier 2017 .

A. L'HÉTÉROGÉNÉITÉ DE L'INTERCOMMUNALITÉ ET SES CONSÉQUENCES POUR LA RÉVISION EN COURS

L'état des lieux des schémas départementaux fait apparaître des réalités très contrastées selon les territoires.

Dans certains départements, la carte est aujourd'hui déjà très aboutie par la constitution d'intercommunalités très majoritairement au-delà du nouveau seuil de 15 000 habitants. Tel est le cas de la Loire-Atlantique dont seuls 5 des 22 EPCI à fiscalité propre (1 métropole + 2 communautés d'agglomération (CA) + 19 communautés de communes (CC)) sont en deçà de cette limite (23 %). Dans le Bas-Rhin (1 métropole et 33 CC), 10 communautés ont une population inférieure à 15 000 habitants (29 %). Il en est de même dans le Finistère pour 6 des 26 EPCI à fiscalité propre (1 métropole + 3 CA + 22 CC) - soit 23 % - dont 2 communautés de communes en-dessous de 5 000 habitants.

En revanche, dans le Doubs, la population de 25 des 30 EPCI à fiscalité propre (28 CC + 2 CA) n'atteint pas 15 000 habitants, voire 5 000 habitants pour 8 d'entre elles. Près de la moitié des intercommunalités de l'Ain (14 des 28 CC et 1 CA), 18 des communautés ardéchoises (2 CA et 24 CC dont 3 interdépartementales) - soit 69 % -, les 14 CC de la Creuse (qui compte également une CA) et les 23 CC de la Lozère (dont 19 de moins de 5 000 habitants) n'atteignent pas le nouveau seuil et, parmi elles, un grand nombre devra évoluer lors de la révision en cours. On peut aussi citer le Calvados (26 des 36 CC et 1 CA), l'Indre (12 des 17 EPCI à fiscalité propre), le Morbihan (11 des 21 EPCI à fiscalité propre) et la Seine-Maritime (23 des 36 EPCI à fiscalité propre).

Ces quelques exemples illustrent la variété de la réalité intercommunale qui ne peut pas toujours s'expliquer par la géographie. Si, en effet, la montagne favorise naturellement la constitution de « petits » groupements en raison de ses barrières naturelles et de la dispersion de son peuplement, l'ensemble du territoire national présente en divers endroits des caractères similaires quelles que soient leurs caractéristiques géographiques et démographiques : territoire littoral, plaine, densité de population. Le Calvados, le Morbihan ou la Seine-Maritime, par exemple, présentent une densité supérieure à la moyenne nationale.

Une tradition coopérative a pu dans certains départements favoriser l'émergence du mouvement intercommunal. Mais la force de celui-ci tient-elle seulement à la statistique de la population plutôt qu'à la volonté et à l'habitude de travailler ensemble, donc au niveau d'intégration communautaire et au fonctionnement harmonieux de la gestion intercommunale ?

En tout état de cause, quelle que soit, sur le terrain, la réalité du fait intercommunal, beaucoup de ces communautés de communes sont aujourd'hui soumises à l'obligation d'élargir leur périmètre pour respecter les nouveaux seuils fixés par la loi du 7 août 2015.


* 1 Cf. loi n° 2014-58 du 27 janvier 2014 de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles, dite loi Maptam.

* 2 Cf. loi n° 2015-29 du 16 janvier 2015 relative à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral.

* 3 Cf. loi n° 2015-292 du 16 mars 2015 relative à l'amélioration du régime de la commune nouvelle, pour des communes fortes et vivantes.

* 4 Cf. loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République, dite loi NOTRe.

* 5 Cf. proposition de loi tendant à permettre le maintien, sous forme de communes déléguées, des communes associées en cas de création d'une commune nouvelle, adoptée le 8 mars 2016 par le Sénat.

* 6 Cf. proposition de loi visant à permettre l'application aux élus locaux des dispositions relatives au droit individuel à la formation et relative aux conditions d'exercice des mandats des membres des syndicats de communes et des syndicats mixtes, adoptée le 3 février 2016 par le Sénat, puis définitivement par l'Assemblée nationale le 9 mars 2016. Loi n° 2016-341 du 23 mars 2016

* 7 Cf. proposition de loi relative à la protection des forêts contre l'incendie, adoptée le 18 novembre 2015 par le Sénat, puis définitivement par l'Assemblée nationale le 10 mars 2016. Loi n° 2016-340 du 22 mars 2016

* 8 Sauf sur le territoire des îles maritimes mono-communales qui en sont exemptés.

* 9 Les orientions, autres que la population minimale des établissements, fixées aux SDCI sont leur cohérence spatiale au regard notamment du périmètre des unités urbaines, des bassins de vie et des schémas de cohérence territoriale ; l'accroissement des solidarités financière et territoriale ; la réduction du nombre de syndicats de communes et mixtes, en particulier par la suppression des doubles emplois ; le transfert des compétences exercées par les syndicats à un EPCI à fiscalité propre ou à un autre syndicat exerçant les mêmes compétences conformément aux objectifs de rationalisation des périmètres des groupements existants et de renforcement de la solidarité territoriale ; la rationalisation des structures compétentes en matière d'aménagement de l'espace, de protection de l'environnement et de respect des principes du développement durable ; l'approfondissement de la coopération au sein des périmètres des pôles métropolitains et des pôles d'équilibre territoriaux et ruraux ; les délibérations portant création de communes nouvelles.

* 10 Source : Commissariat général à l'égalité des territoires (septembre 2014).

* 11 Cf. article 33 de la loi n° 2015-991 du 7 août 2015.

* 12 Cf. articles L. 5210-1-1 du code général des collectivités territoriales, 33 et 35 de la loi n° 2015-991 du 7 août 2015.

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