B. EN FINIR AVEC LE « PSEUDO DIALOGUE » OU LES PRATIQUES CRÉANT L'ILLUSION D'UN DIALOGUE ENTRE L'ÉTAT ET LES COLLECTIVITÉS

Il est ressorti des auditions des élus locaux un sentiment largement partagé de « pseudo dialogue ». Certes, le système actuel prévoit de nombreuses structures de concertation entre l'État et des collectivités territoriales, mais il existe une différence majeure entre « consultation » et « codécision ».

Comme le soulignait Vanik Berberian, président de l'Association des maires ruraux de France (AMRF), devant votre délégation : « Ce ne sont pas les outils du dialogue qui posent aujourd'hui question dans notre pays, mais la manière dont ils sont utilisés. On peut multiplier les structures et instances de dialogue : si le décideur qui contrôle l'outil ne veut pas écouter ou prendre en compte, il n'y aura pas de dialogue ». Et d'ajouter : « Prenons le cas des Conseils départementaux de l'éducation nationale 30 ( * ) (CDEN) , ce sont typiquement des outils qui ne servent à rien : leur fonctionnement reste très formel, et même si tous les acteurs se prononçaient contre la carte scolaire, elle serait adoptée ! C'est un alibi de concertation et non une instance de décision. Si le ministère de l'Éducation décide demain de fermer telle classe dans telle commune, les élus seront impuissants ».

L'enjeu aujourd'hui est bel et bien de forcer la technostructure à intégrer les collectivités territoriales dans le processus de décision . Il convient de s'appuyer sur les exemples qui fonctionnent, à l'image du Conseil national d'évaluation des normes (CNEN), qui a commencé à transformer en profondeur la culture des relations entre les administrations et les élus locaux. Agissant comme un véritable « tribunal des normes », il autorise les élus à revenir dans le processus décisionnel et à contester des décisions de l'État.

Lors de son audition, Vanik Berberian a multiplié les exemples d'un système aujourd'hui à bout de souffle d'association des collectivités territoriales aux décisions qui les concernent. Selon lui, la Commission départementale des sites, perspectives et paysages est un cas emblématique : « À la commission départementale des sites, on voit débarquer des fonctionnaires de l'État avec un mandat pour installer un maximum d'éoliennes. En face, les défenseurs des paysages se positionnent systématiquement contre. À côté, la chambre d'agriculture se positionne systématiquement pour. Le maire, quant à lui, a souvent cruellement besoin d'argent pour sa commune et est pris en étau. Au sein de ces instances, on ne parvient toujours pas à sortir des positions dogmatiques ». M. Verberian a également évoqué les situations compliquées vécues par de nombreux élus avec les Architectes des bâtiments de France (ABF), illustrant son propos en évoquant un territoire où « l'ABF, seul contre tous les acteurs locaux, menaça même le préfet de le poursuivre au tribunal administratif en cas de désaccord avec lui » . Enfin, il a mentionné le pouvoir offert aux préfets de « passer outre » les refus des élus locaux dans le cadre de la fusion d'EPCI, mécanisme qui, selon lui, « illustre le manque d'écoute de la part de l'État et qui montre qu'in fine le préfet peut faire ce qu'il veut ».

Enfin, il a ainsi relayé le sentiment des élus locaux : « On souhaiterait que l'écoute des élus locaux ne soit pas de pure forme. Certes on est reçus, écoutés, mais pas entendus. Il faut aussi que les fonctionnaires développent de nouveaux réflexes et cessent de penser qu'ils peuvent décider en lieu et place des politiques élus. Or, lorsque vous avez un ministre de l'Aménagement du territoire qui change en moyenne tous les deux ans, comment s'assurer d'un dialogue pérenne et constructif ? La réalité, c'est que la main qui a écrit les grandes réformes des collectivités territoriales ces dernières années c'est celle de l'administration et pas celle du politique » .

Votre délégation est d'avis que le dialogue ne sera pas constructif tant que les collectivités ne sont qu'écoutées sans pouvoir, in fine , infléchir les décisions . C'est pourquoi elle souhaite envisager la possibilité d'élargir les domaines dans lesquels les collectivités exercent un pouvoir d'avis conforme, l'idée étant que dans certains domaines, l'État ne puisse pas aller outre l'avis recueilli au sein des instances associant l'État et les collectivités territoriales.

Recommandation 8 : Envisager, dans le cadre des instances locales et nationales associant les collectivités territoriales aux décisions de l'État qui les concernent, la possibilité d'élargir les domaines dans lesquels les collectivités territoriales exercent un pouvoir d'avis conforme, afin d'éviter que l'État puisse passer outre l'avis de ces instances.


* 30 Le conseil peut être consulté sur toute question relative à l'organisation et au fonctionnement du service public d'enseignement dans le département. Les CDEN sont composés de représentants des collectivités locales, des personnels des établissements d'enseignement et de formation, et des usagers (parents d'élèves, associations, etc.).

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