N° 730

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2015-2016

Enregistré à la Présidence du Sénat le 29 juin 2016

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur la mission de suivi et de contrôle des dernières lois de réforme des collectivités territoriales ,

Par MM. Mathieu DARNAUD, René VANDIERENDONCK, Pierre-Yves COLLOMBAT et Michel MERCIER,

Sénateurs.

(1) Cette commission est composée de : M. Philippe Bas , président ; Mme Catherine Troendlé, MM. Jean-Pierre Sueur, François Pillet, Alain Richard, François-Noël Buffet, Alain Anziani, Yves Détraigne, Mme Éliane Assassi, M. Pierre-Yves Collombat, Mme Esther Benbassa , vice-présidents ; MM. André Reichardt, Michel Delebarre, Christophe-André Frassa, Thani Mohamed Soilihi , secrétaires ; MM. Christophe Béchu, Jacques Bigot, François Bonhomme, Luc Carvounas, Gérard Collomb, Mme Cécile Cukierman, M. Mathieu Darnaud, Mme Jacky Deromedi, M. Félix Desplan, Mme Catherine Di Folco, MM. Christian Favier, Pierre Frogier, Mme Jacqueline Gourault, M. François Grosdidier, Mme Sophie Joissains, MM. Philippe Kaltenbach, Jean-Yves Leconte, Roger Madec, Alain Marc, Didier Marie, Patrick Masclet, Jean Louis Masson, Mme Marie Mercier, MM. Michel Mercier, Jacques Mézard, Hugues Portelli, Bernard Saugey, Simon Sutour, Mmes Catherine Tasca, Lana Tetuanui, MM. René Vandierendonck, Alain Vasselle, Jean-Pierre Vial, François Zocchetto .

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Depuis la publication de son premier rapport d'étape, le 23 mars dernier, la mission de contrôle et de suivi de la mise en oeuvre des lois de réforme territoriale a poursuivi ses déplacements sur le terrain tandis que, dans le même temps, la réalisation des différents volets de la réforme progresse.

Aujourd'hui, l'ensemble des schémas départementaux de coopération intercommunale ont été arrêtés, ouvrant la voie à leur mise en oeuvre. Les collectivités se prononcent actuellement sur les arrêtés de périmètre.

Les sept nouvelles régions issues des fusions opérées par la loi du 16 janvier 2015 sont en place depuis bientôt six mois. Elles s'attachent aujourd'hui à (re)définir leurs politiques publiques, à mettre en place leur administration en réorganisant les services des anciennes entités, tout en veillant à maintenir un équilibre territorial au sein d'un périmètre plus large. Dans le même temps, l'État déconcentré s'est également réorganisé pour tenir compte de cette nouvelle donne.

Vos rapporteurs se sont rendus en Normandie à Caen puis à Rouen, les 24 et 25 mars puis dans l'ancienne capitale de la Champagne-Ardenne, Châlons-en-Champagne, première étape du Grand Est, le 28 avril dernier avant de visiter les trois chefs-lieux historiques de la Nouvelle Aquitaine, Poitiers et Bordeaux, les 16 et 17 juin, puis Limoges le 24 juin à la rencontre des exécutifs locaux, des préfets de département et de région, des services de l'État et des représentants des agents.

Ils ont rencontré des élus locaux las de la succession rapide des réformes intervenues au cours des dernières années, dans un calendrier souvent trop contraint même si, à la demande du Sénat, des aménagements ont été obtenus. Toutefois, malgré des conditions difficiles, ceux-ci s'attachent à construire des projets de territoire pertinents pour assurer leur développement et préserver la qualité des services publics, animés par une vision parfois plus ambitieuse que ce qu'exige la loi.

La République décentralisée emprunte aujourd'hui un nouveau chemin. À l'uniformité de l'architecture jacobine se substitue peu à peu une organisation plus différenciée non seulement par les institutions - c'est l'exemple de la métropole de Lyon -, mais aussi par une administration territorialisée des collectivités, adaptée aux spécificités du terrain, à son peuplement, à sa densité, aux bassins de vie, qui se caractérise par le recours à des modes de gestion diversifiés.

Aussi, la différenciation territoriale apparaît-elle, selon vos rapporteurs, comme une donnée aujourd'hui incontournable de la nouvelle organisation territoriale de notre pays, ce qui requiert des outils souples pour assurer l'efficacité et la proximité de la gestion locale.

La mission remercie l'ensemble des personnes rencontrées. Elles lui ont permis de mesurer les difficultés comme les atouts du vaste chantier en cours qui présente des réalités nuancées, d'identifier les difficultés qui nécessiteraient, le cas échéant, des ajustements législatifs.

I. LES TRAVAUX DES CDCI MARQUÉS PAR UNE ÉVOLUTION NÉCESSAIRE MAIS RAISONNÉE DE LA CARTE INTERCOMMUNALE

Les commissions départementales de la coopération intercommunale (CDCI) ont été saisies par les préfets des projets de schéma départemental de coopération intercommunale (SDCI) qu'ils avaient établis avant la fin de l'année 2015. Elles disposaient alors d'un délai de trois mois pour se prononcer en exerçant, le cas échéant, leur faculté de modifier le projet préfectoral à la majorité des deux tiers de leurs membres 1 ( * ) .

Conformément à la date butoir fixée par l'article 33 de la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République (dite « loi Notre »), l'ensemble des schémas ont été arrêtés par les préfets au 31 mars 2016.

Cependant, les cartes intercommunales peuvent encore évoluer au cours de la procédure de mise en oeuvre des schémas par les préfets : les arrêtés de périmètre qui devaient être définis le 15 juin 2016 au plus tard étaient alors soumis à la consultation des collectivités concernées au cours de prochains mois, avant la mise en place au 1 er janvier 2017 des nouvelles intercommunalités.

Pour mémoire :

Calendrier de mise en oeuvre
de la carte de l'intercommunalité 2 ( * )

(Source : commission des lois du Sénat)

Au terme de la procédure d'examen des projets de schéma par les CDCI, environ 65 d'entre eux ont été modifiés dans des proportions très diverses selon les départements.

Il en résulte une diminution de près de 40 % du nombre des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre, d'après les statistiques établies par la direction générale des collectivités locales (DGCL), soit un total de 1 242 intercommunalités contre 2 062 actuellement, réparties comme suit :

- 14 métropoles (+ 1) ;

- 12 communautés urbaines (+ 1) ;

- 213 communautés d'agglomération (+ 17) ;

- 1 003 communautés de communes (- 839).

Ces données traduisent donc la constitution de communautés plus intégrées puisque la classification des EPCI à fiscalité propre se caractérise particulièrement par un transfert obligatoire croissant de compétences communales, les plus intégrées étant de ce point de vue les métropoles alors que les communautés de communes sont soumises au régime des compétences le plus souple.

Cependant, la réalité incline à nuancer cette règle : de petites communautés exerçant déjà en lieu et place de leurs communes membres de nombreuses compétences sans que la loi les y oblige, sur la décision volontaire des élus municipaux ; par ailleurs, demain, des compétences actuellement intercommunales pourraient être restituées à leurs communes, le nouvel EPCI choisissant de ne pas s'en saisir.

La lecture des comptes rendus des CDCI, lorsque les préfectures les ont opportunément publiés sur leur site, permet de constater que leurs travaux ont été fouillés dans l'objectif de parvenir à la constitution d'intercommunalités fondées sur un projet de territoire cohérent et partagé.

L'idée intercommunale a encore progressé comme l'a noté dans son département le président de la CDCI de la Haute-Vienne, M. Jean-Marie Rougier : les débats de la commission se sont déroulés dans un climat apaisé avec la volonté de regrouper, certes pas pour constituer de grandes intercommunalités, mais avec le sentiment que les communautés constituaient des intermédiaires naturels dans la nouvelle grande région.

La composition des CDCI
(art. L. 5211-42, L. 5211-43 et R. 5211-19
du code général des collectivités territoriales)

La commission départementale de la coopération intercommunale est composée à raison de :

1° 40 % par des maires, des adjoints au maire ou des conseillers municipaux élus à la représentation proportionnelle à la plus forte moyenne par les maires regroupés au sein des collèges électoraux déterminés en fonction de l'importance démographique des communes ;

2° 40 % par des représentants d'établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre ayant leur siège dans le département, élus à la représentation proportionnelle à la plus forte moyenne par le collège des présidents des organes délibérants de ces établissements ;

3° 5 % par des représentants des syndicats mixtes et des syndicats de communes, élus à la représentation proportionnelle à la plus forte moyenne par le collège des présidents de chacune de ces catégories de syndicats ;

4° 10 % par des représentants du conseil départemental, élus par celui-ci à la représentation proportionnelle à la plus forte moyenne ;

5° 5 % par des représentants du conseil régional dans la circonscription départementale, élus par celui-ci à la représentation proportionnelle à la plus forte moyenne.

La commission est présidée par le préfet, assisté d'un rapporteur général et de deux assesseurs élus parmi les maires.

Son effectif est fixé à 40 membres. Ce nombre est augmenté d'un siège supplémentaire :

a) à partir d'un seuil de 600 000 habitants dans le département, puis par tranche de 300 000 habitants ;

b) par commune de plus de 100 000 habitants dans le département ;

c) à partir d'un seuil de 400 communes dans le département, puis par tranche de 100 communes ;

d) par établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre de plus de 50 000 habitants dans le département ;

e) à partir d'un seuil de vingt-cinq établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre dans le département, puis par tranche de dix établissements.

A. UN EXAMEN APPROFONDI DES PROJETS PRÉFECTORAUX

Deux éléments caractérisent le travail des élus :

- d'une part, des données quantitatives - le nombre de réunions des CDCI et celui des amendements qu'elles ont examinés ;

- d'autre part, des débats fondés sur l'acceptation, même contrainte, de l'élargissement des périmètres intercommunaux prescrit par la loi NOTRe.

Les travaux des CDCI ont souvent été organisés sur plusieurs mois, d'octobre-novembre 2015 à mars 2016, en permettant ainsi aux réflexions de « mûrir » entre deux réunions. Ce fut le cas dans l'Ain où la commission s'est réunie à cinq reprises, les 18 janvier, 1 er et 29 février, 7 et 14 mars ; en Haute-Corse avec des réunions programmées les 25 janvier, 8 février, 18 mars, et en Seine-et-Marne, les 12 février, 8, 21 et 29 mars.

Des amendements plus ou moins nombreux selon les départements ont été soumis aux commissions départementales. Quelques exemples : 14 amendements dans les Vosges (4 adoptés dont 1 annulant un amendement précédemment adopté) ; 19 amendements déposés dans l'Aveyron et 10 adoptés par la CDCI.

Le plus souvent, les amendements ont été proposés par les membres de la CDCI. Certains, ce faisant, présentaient des modifications « du terrain », en permettant ainsi aux élus non membres de la commission que celle-ci se saisisse de leur demande, en discute, avant de la retenir ou de la rejeter. Même dans ce dernier cas, les amendements ainsi portés constituent un exercice démocratique utile en permettant à tous de s'exprimer et en confiant aux élus membres de la CDCI le soin de trancher les différentes propositions d'organisation du territoire.

Les préfets, qui président les CDCI, ont parfois déposé des amendements, le plus souvent pour débloquer une situation ou préserver, selon eux, la cohérence de la carte.

C'est le cas dans le Calvados où 5 amendements préfectoraux sur le retrait-adhésion de communes ont été approuvés à l'unanimité des suffrages exprimés lors de la CDCI du 5 février 2016.

Un grand nombre d'amendements n'a pas été adopté, faute d'avoir recueilli la majorité des 2/3 des membres de la CDCI, qui n'avaient pas été convaincus de la justesse de la modification proposée, soit qu'elle entraîne des conséquences jugées fâcheuses sur les périmètres, soit qu'elle s'avère prématurée. On doit noter que la condition de majorité, fixée en 2010 pour achever la couverture intégrale des cartes intercommunales, a pu apparaître sévère à certains, le rejet de leur amendement tenant à une voix. Cependant, le législateur a voulu ainsi conforter les intercommunalités inscrites dans les cartes en exigeant la constitution d'un large consensus au sein des CDCI.

Certains rejets traduisaient des antagonismes de territoire, incarnés par leurs élus.

En revanche, par une démarche des élus concertés, l'adoption de certains amendements a dépassé les modifications proposées par le préfet en prévoyant des fusions supplémentaires.

Il convient de souligner le sort généralement défavorable réservé aux amendements constituant des EPCI interdépartementaux. Dans la Haute-Vienne, par exemple, a prévalu le respect des frontières du département promu par celui-ci pour préserver la cohésion de son action en faveur du développement des territoires au bénéfice des communes et EPCI à fiscalité propre.

On doit relever le recours dans certains départements au vote secret alors que d'autres CDCI s'en tenaient au vote à main levée. Ce fut le cas dans l'Ain « pour permettre à chacun de s'exprimer en toute liberté et sans pression », selon l'un de ses membres, et éviter de « générer pour le futur des conflits de personnes » 3 ( * ) . En revanche, ce mode de votation est repoussé dans les Pyrénées-Atlantiques sur la recommandation du préfet pour un double motif : l'allongement en conséquence de la durée des réunions de la CDCI et l'incongruité du vote secret au regard de la publicité des séances de la commission qui se déroule en présence de la presse ( cf . compte rendu de la séance du 18 janvier 2016).

Les commissions ont fait droit aux demandes d'auditions des maires et présidents d'EPCI concernés par le projet de schéma, ainsi que le prévoit l'article L. 5211-45 du code général des collectivités territoriales. La CDCI d'Ille-et-Vilaine a entendu successivement les élus à leur demande avant de délibérer ( cf. réunion du 8 février 2016).

Enfin, il convient de noter le rôle du préfet pour conduire les travaux des CDCI, plus ou moins interventionniste selon les territoires, pour faciliter les décisions de la commission, voire pour permettre l'adoption de son projet.

Il faut souligner que, dans l'ensemble, les préfets avec leurs services ont montré beaucoup de disponibilité pour rencontrer les élus, permettre l'expression de chacun, étudier des propositions ou s'entremettre entre des projets antagonistes.


* 1 Cf. article L. 5210-1-1 du code général des collectivités territoriales.

* 2 Cf. article 35 de la loi NOTRe du 7 août 2015.

* 3 Cf. compte rendu de la réunion du 14 mars 2016 .

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