IV. LA LENTE MISE EN PLACE DES RÉGIONS FUSIONNÉES : DES PRIORITÉS DIFFÉRENTES

Dans leur premier rapport d'étape, vos rapporteurs avaient décrit les différentes étapes de mise en place de la nouvelle région Bourgogne-Franche-Comté et s'étaient félicités d'une démarche originale et anticipée. Cet exemple s'avère atypique comme en témoignent les deux autres régions visitées par votre mission, la Normandie et la nouvelle Aquitaine. Plusieurs élus se sont également interrogés sur les difficultés de fusion, notamment lorsqu'une région puissante est regroupée avec une ou deux régions plus modestes sur les plans économique et financier, ainsi que l'a relevé notre collègue M. Jean-Léonce Dupont, président du conseil départemental du Calvados.

A. DES CHOIX D'ORGANISATION PROCHES, DES CALENDRIERS DIFFÉRENTS

Aussi bien pour la Normandie que pour la Nouvelle Aquitaine et contrairement à la Bourgogne-Franche-Comté, la mise en place des nouvelles régions, aussi bien sur le plan administratif que sur la définition des nouvelles politiques régionales, n'a débuté qu'après l'élection de la nouvelle assemblée délibérante, à l'exception d'une réflexion sur l'harmonisation des politiques publiques régionales engagée dès juillet 2015 pour la Nouvelle Aquitaine. Il s'agissait d'une attente délibérée destinée à éviter que toute démarche de regroupement ne soit perçue comme un déni de démocratie par nos concitoyens.

1. Une organisation indépendante de celle de l'État

La caractéristique commune entre ces deux nouvelles régions est la définition d'une organisation institutionnelle indépendante de celle privilégiée par les autres partenaires des régions, en particulier l'État. En d'autres termes, les services régionaux se réorganisent sur un territoire plus vaste sans prendre en compte l'organisation déjà opérationnelle de l'État.

En Normandie, si Caen est la capitale de la Normandie - collectivité territoriale -, l'État a privilégié Rouen comme siège de ses services déconcentrés. Ainsi, le président du conseil régional de Normandie siège à Caen tandis que le préfet de région est à Rouen. Toutefois, bien que la région Normandie a prévu l'implantation de certains de ses services à Rouen, le conseil régional n'a pas tenu compte de l'organisation des services déconcentrés de l'État pour répartir ses propres services sur son territoire, de telle sorte que les interlocuteurs des deux institutions puissent être dans la même ville et faciliter ainsi les échanges. Les services de l'État ont regretté cette situation alors même que, selon eux, les politiques régionales sont des politiques partenariales. Ce choix est parfaitement assumé par le conseil régional : Mme Marie-Françoise Guguin, vice-présidente du conseil régional de Normandie, a indiqué que le choix du conseil régional était de parvenir à un équilibre institutionnel et territorial entre les deux anciennes capitales régionales, indépendamment des choix retenus par l'État.

Le même constat prévaut en Nouvelle Aquitaine. M. Alain Rousset considère que la région doit fonctionner de façon autonome par rapport à l'État. Si la région a suivi la réorganisation de l'État, elle n'a pas pour autant privilégié une localisation commune de ses services avec ceux de l'État car elle n'a pas été jugée indispensable.

Cette situation peut s'expliquer par le décalage temporel entre les réorganisations de l'État et des régions. L'État a adapté son organisation dès 2014 tandis que les régions fusionnées ont attendu l'élection des nouveaux conseils régionaux pour la débuter. Dès lors, les conseils régionaux ont défini une organisation qui leur est propre, répondant à des objectifs spécifiques qui ne correspondent pas toujours à ceux qui ont guidé les services de l'État. Ces différences d'approche sont renforcées par le décalage entre l'État et les conseils régionaux pour opérer leur nouvelle organisation, qui n'a pas permis un dialogue entre les deux acteurs pour définir une politique commune ou coordonnée en la matière.

Cette situation soulève de nombreuses inquiétudes parmi les partenaires de la région - pas seulement au niveau de l'État - qui ne connaissent pas toujours leurs interlocuteurs régionaux, ce qui ralentit l'avancement de certains projets.

2. La recherche d'une organisation administrative équilibrée sur un périmètre régional plus vaste

Ces deux régions sont issues du regroupement de deux ou trois régions dont les anciennes capitales régionales représentaient des métropoles d'équilibre sur leur ancien territoire. Pour compenser la perte de la qualité de chefs-lieux régionaux, les nouvelles régions ont privilégié une organisation administrative répartie entre le nouveau et les anciens chefs-lieux de la région, afin de maintenir un équilibre institutionnel au sein de ces dernières.

En Normandie, le conseil régional a choisi Caen comme capitale de la nouvelle région. Toutefois, les agents sont répartis entre Caen et Rouen, chaque site hébergeant 600 agents chacun, auxquels s'ajoutent les 1 500 agents des lycées. À Caen, siègent les fonctions liées aux ressources humaines, aux finances et aux services informatiques tandis que les directions opérationnelles thématiques sont réparties entre Caen et Rouen.

En Nouvelle Aquitaine, les directeurs et directeurs généraux adjoints siègeront à Bordeaux tout en ayant autorité sur les services répartis sur l'ensemble du territoire régional. Au cours de la période transitoire de mise en place du nouvel organigramme, deux autres directeurs généraux adjoints (DGA) ont été nommés et ont autorité sur les agents des anciennes régions Limousin et Poitou-Charentes. Ainsi, comme en Normandie, les DGA (à l'exception des deux DGA responsables des sites de Poitiers et de Limoges) seront concentrés à Bordeaux tandis que les directions seront, quant à elles, réparties sur les différents sites du conseil régional, y compris Bordeaux.

Les équipes de chaque ancien conseil régional ne changeront pas de site tandis que les chefs de service seront amenés à multiplier les déplacements pour assurer une coordination de leurs équipes réparties sur le territoire, certaines directions étant réparties sur les différents sites. Des reconversions de fonction sont à prévoir. M. Jean-Baptiste Fauroux, directeur général des services de la nouvelle région Nouvelle Aquitaine, a précisé que ce « choc managérial » était l'occasion de proposer aux agents de nouvelles opportunités de carrière. La stabilité des effectifs est privilégiée et il a été décidé de ne pas recourir à des mobilités forcées. Les statuts des agents des trois anciennes régions sont évalués afin d'aboutir à une harmonisation médiane globale : l'harmonisation par le haut de certains avantages ne sera pas systématique en raison du cadre budgétaire contraint de la région. Une harmonisation par le haut de l'ensemble des avantages des agents a été évaluée par la nouvelle région à 15 millions d'euros par an.

3. Des priorités différentes en matière de définition de politiques publiques régionales

Les assemblées régionales issues des dernières élections ont défini des priorités différentes en matière de politiques publiques.

La Normandie a souhaité consacrer l'année 2016 à la mise en place d'une nouvelle administration de projet. Ainsi, toute l'action du conseil régional est prioritairement axée sur la convergence des régimes indemnitaires des deux anciennes régions normandes, qui sera mis en oeuvre à la suite des prochaines élections syndicales prévues en octobre 2016. Un travail conséquent d'écoute et de compréhension des différents métiers a été mis en place afin que chaque agent trouve sa place dans la préparation de ce nouvel organigramme.

L'harmonisation des politiques publiques régionales ne débutera qu'à partir de 2017. Mme Marie-Françoise Guguin a justifié ce choix par la volonté du conseil régional de disposer d'une administration de projet pleinement opérationnelle pour appliquer les politiques régionales définies sur le nouveau périmètre régional. Sur ce point, le nouveau président a souhaité que les futures politiques régionales ne se réduisent pas à de simples dispositifs de saupoudrage, mais que la région assume un rôle de coordinateur sur le territoire.

En Nouvelle Aquitaine, la nouvelle assemblée délibérante a engagé l'organisation de son administration et sa répartition sur les trois sites et, concomitamment, l'harmonisation de ses politiques publiques mises en oeuvre sur les trois anciennes régions.

Sur le premier point, la mise en oeuvre de nouveaux dispositifs régionaux est ralentie en raison de la situation budgétaire difficile de l'ancienne région Poitou-Charentes qui a justifié la remise en cause de certains dispositifs d'aides en raison de leur coût pour les finances de la collectivité.

M. Alain Rousset a rappelé à votre mission son souhait d'une convergence rapide des politiques publiques régionales afin de ne pas ralentir les projets des territoires. C'est pourquoi, dès juillet 2015, les présidents des trois anciennes régions avaient adopté des délibérations communes pour affirmer leur volonté commune d'une mise en oeuvre de dispositifs communs et avaient engagé une première réflexion sur le sujet. M. Jean-Baptiste Fauroux s'est d'ailleurs félicité de ce travail anticipé dont la collectivité commence à recueillir les fruits aujourd'hui.

Les agents du conseil régional ont toutefois relevé que la réorganisation concomitante de la région et de la carte des EPCI risquait de ralentir l'émergence de projets en dépit de la volonté politique clairement affichée. Les périmètres sur lesquels devront s'appliquer les politiques régionales ne sont pas encore totalement stabilisés d'où un problème de temporalité parfois délicat à gérer.

L'ensemble des dispositifs régionaux aujourd'hui existants - au nombre de 200 - fait l'objet d'un audit, au cours duquel les différents régimes d'intervention sont analysés et évalués. Il n'a pas été décidé de privilégier ceux mis en place par une région plutôt qu'une autre, mais de créer des dispositifs nouveaux reprenant les atouts de chaque dispositif, tout en les inscrivant dans une enveloppe budgétaire contrainte. On notera à ce propos que pour le conseil régional, il ne s'agit pas d'« harmoniser » les dispositifs mais d'en « créer » de nouveaux appelés à se substituer à ceux déjà en place. L'objectif est de parvenir à des dispositifs opérationnels dès 2017. En attendant, les anciens dispositifs perdurent sur les anciens territoires régionaux sur lesquels ils s'appliquaient auparavant afin de ne pas ralentir les projets actuels. M. Fauroux a cependant regretté que la coexistence de dispositifs différents ne puisse être envisagée sur le territoire régional au motif qu'elle serait contraire au principe d'égalité qui impose que deux usagers d'un même périmètre régional bénéficient de droits identiques.

Enfin, vos rapporteurs se félicitent de la volonté du conseil régional de la nouvelle région Nouvelle Aquitaine de favoriser une politique contractuelle avec les territoires, ce qui permettra à cette grande collectivité territoriale de concilier souplesse et efficacité avec les autres acteurs locaux de son périmètre.

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