B. ASSOCIER DAVANTAGE LE MONDE PROFESSIONNEL

Le constat d'un besoin d'accroissement des relations entre l'éducation nationale et le monde professionnel est unanimement partagé. Dans son rapport d'information de 2011, notre collègue Jean-Claude Carle avait déjà insisté sur la nécessité de généraliser les liaisons entre l'école et le monde professionnel 219 ( * ) ; la très grande majorité des intervenants entendus par la mission d'information a abondé en ce sens, estimant que des progrès avaient été réalisés mais que beaucoup restait encore à faire.

1. Les enseignants doivent améliorer leur connaissance du monde professionnel

Dans son audition devant la mission d'information, M. Jérôme Gervais, représentant du Conseil national éducation économie (CNEE) soulignait que les enseignants étaient « moins rétifs que méconnaissant des réalités de l'entreprise et du monde économique » 220 ( * ) . Par ailleurs, alors que 73 % des responsables d'organismes d'enseignement sont convaincus que leurs diplômés se préparent efficacement pour le monde du travail, seuls 27 % des employeurs partagent leur avis 221 ( * ) : on est loin d'une vision partagée entre monde de l'éducation et monde du travail.

Dans le cadre de l'examen, en 2013, du projet de loi sur la refondation de l'école, nos collègues Catherine Morin-Desailly et Françoise Férat avaient proposé qu'un représentant du monde économique siège au sein du conseil des ÉSPÉ. Cette proposition n'avait pas été retenue mais votre rapporteur y apporte tout son soutien, estimant que c'est dès la formation des professeurs, en ÉSPÉ, que la question de la connaissance du monde professionnel doit se poser.

Recommandation : faire siéger un représentant du monde professionnel au sein des ÉSPÉ

À de nombreuses reprises au cours des auditions de la mission, l'idée d'imposer aux futurs professeurs un stage en milieu professionnel pendant leur scolarité à l'ÉSPÉ a été évoquée. En 2006, le Haut Conseil de l'éducation 222 ( * ) avait ainsi préconisé un stage en entreprise préalable à la titularisation des enseignants. Votre rapporteur estime cependant qu'il faut veiller à ne pas surcharger la formation initiale en ÉSPÉ d'impératifs tellement divers que sa cohérence et son « tronc commun » en soient affectés 223 ( * ) .

Une immersion en entreprise (ou dans tout autre milieu professionnel à l'exclusion bien entendu de l'éducation nationale) pourrait plus facilement s'envisager au cours de la formation continue des enseignants. Ce stage, d'une durée minimale d'un mois, devrait obligatoirement avoir lieu au cours des cinq premières années d'exercice des enseignants titulaires du second degré. Il ferait partie intégrante du cursus pour devenir professeur principal.

Recommandation : renforcer la formation continue des professeurs avec notamment un stage obligatoire en milieu professionnel

Des opérations sur le mode « Vivre une journée le métier de l'autre » sont également intéressantes pour permettre une meilleure connaissance mutuelle des enseignants et des acteurs du monde économique. Votre rapporteur a ainsi pu découvrir lors de son déplacement en Alsace une opération intéressante intitulée « Les boss invitent les profs » 224 ( * ) . Malheureusement, le plus souvent, la grande majorité des enseignants volontaires pour ce type d'échanges sont des enseignants des lycées professionnels : il faudrait également que les enseignants des lycées généraux et technologiques y participent dans de plus fortes proportions.

Recommandation : développer les opérations de connaissance mutuelle entre les enseignants et les entreprises dans les académies

2. Le monde professionnel doit être plus présent dans l'éducation
a) Une large panoplie de dispositifs associant le monde professionnel et l'école

Les dispositifs associant le monde professionnel et l'école sont légion. Ils forment un riche vivier d'initiatives intéressantes dans lequel chaque établissement peut puiser pour construire un dispositif adapté aux capacités et aspirations de ses élèves et à son environnement économique. À cet égard, les brochures éditées par le CNEE sont particulièrement riches 225 ( * ) . Votre rapporteur vous présente ci-après quelques exemples emblématiques de coopérations école-entreprise.

(1) Les conventions de coopération avec les branches et les entreprises

Afin de favoriser la connaissance de tel secteur d'activité, l'éducation nationale peut signer une convention-cadre avec les entreprises qui le représentent. Cette convention permet de développer des relations privilégiées avec cette branche et donc à la fois de mieux analyser ses besoins en termes de formation et de mieux la faire connaître aux élèves.

Du point de vue de l'éducation nationale, cette opération permettant aux élèves de découvrir des métiers est aussi un moyen de mettre en valeur l'enseignement professionnel. Les branches signataires des vingt-trois conventions actuellement en cours sont très variées et représentent toutes des secteurs caractérisés par un important besoin d'employés qualifiés.

Parmi elles, on trouve, par exemple, l'Association des syndicats de l'horlogerie, la Fédération de la plasturgie, le Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales ou l'Union des industries chimiques.

(2) Les accords-cadres de partenariat avec les acteurs économiques

D'autres partenariats existent entre le ministère de l'éducation nationale et une quinzaine d'acteurs économiques , qui peuvent être des groupes industriels de différents secteurs, des branches, comme les représentants des professions de l'hôtellerie et de la restauration, ou des associations, comme l'Association jeunesse et entreprises ou « 100 000 entrepreneurs ». Ces accords visent à favoriser les contacts à tous les échelons du territoire et à créer une synergie entre le monde éducatif et le monde professionnel.

Au-delà des accords avec les entreprises ou les branches relevant du secteur marchand, l'éducation nationale a également conclu en juillet 2013 un accord avec l'association ÉSPÉR (l'économie sociale partenaire de l'école de la République), qui vise à renforcer la diffusion des valeurs et des pratiques de l'économie sociale et solidaire (« solidarité, démocratie, proximité, engagement, force du collectif, responsabilité individuelle et collective ») et à favoriser l'accueil des élèves dans le cadre de stages au sein d'entreprises de ce secteur.

(3) Des ingénieurs pour l'école

Le dispositif « ingénieurs pour l'école » consiste à détacher de leur entreprise dans les académies, à titre transitoire, des ingénieurs et des cadres afin qu'ils puissent mettre leur expérience professionnelle au service du système éducatif. L'objectif est de favoriser le rapprochement entre l'école et l'entreprise et d'accroître les chances d'accès des jeunes à l'emploi.

Les missions confiées aux « ingénieurs pour l'école » contribuent à une meilleure préparation des jeunes à la vie professionnelle, au choix d'un métier, à la valorisation des enseignements professionnels et au rapprochement des mondes économique et éducatif.

Ce dispositif a débuté à la rentrée 1994-1995 dans trois académies avant d'être ensuite étendu à d'autres. Actuellement, environ une cinquantaine d'ingénieurs pour l'école sont répartis dans vingt-quatre académies. Parmi les entreprises qui contribuent à ce dispositif, on peut citer Air France, EDF, EADS, France Télécom, Schneider et Thalès.

(4) La semaine école-entreprise

La semaine école-entreprise est née en 2000 d'un constat : malgré la multitude d'initiatives existantes pour faire connaître l'entreprise aux jeunes et plus largement au système éducatif, il s'agit encore d'un monde mal appréhendé, d'où cette initiative conjointe de l'éducation nationale et du MEDEF, à laquelle participent l'Association jeunesse et entreprises et le Centre des jeunes dirigeants.

(5) Les mini-entreprises

Les mini-entreprises sont des structures, actuellement au nombre de 700, qui permettent de stimuler l'esprit d'entreprendre chez les élèves, et qui les préparent idéalement aux responsabilités du monde économique. Elles sont particulièrement utiles pour des jeunes qui n'auraient pas, dans leur milieu familial ou social, d'expérience de ce genre. Le projet des mini-entreprises consiste à engager des collégiens, des lycéens, des apprentis ou des étudiants à créer et à gérer durant une année scolaire une mini-entreprise, soit dans le domaine de la production, soit dans le domaine des services.

(6) Le label « Campus des métiers et des qualifications »

Regroupant en un même lieu et/ou en réseau des établissements d'enseignement secondaire et d'enseignement supérieur, les Campus des métiers et des qualifications associent, au sein d'un partenariat renforcé, des entreprises, des laboratoires de recherche et des associations à caractère sportif et culturel. Ils comprennent au moins un établissement public local d'enseignement. Ils sont construits autour d'un secteur d'activité d'excellence correspondant à enjeu économique national ou régional soutenu par la collectivité et les entreprises (pôles de compétitivité, développement de nouvelles filières industrielles) : aéronautique, bâtiment et travaux publics, énergies nouvelles, numérique, métallurgie, etc.

Ils proposent aux jeunes des pôles d'excellence offrant une gamme de formations générales, technologiques et professionnelles jusqu'au plus haut niveau, dans un champ d'activités d'avenir. Les liens privilégiés avec les entreprises locales facilitent l'accueil des élèves pour leur formation en entreprise et la formation continue des salariés. Ils favorisent également la réalisation de prototypes, en mettant des plateaux techniques à disposition du campus. Ce sont des lieux propices à l'innovation technologique sous toutes ses formes et aux transferts de compétences.

Les projets de campus font l'objet d'une labellisation pour une durée de quatre ans renouvelable, attribuée par une commission composée de représentants des collectivités régionales, des recteurs, de l'Association des régions de France, des inspections générales de l'éducation nationale, des directions du ministère chargé de l'éducation nationale et de l'enseignement supérieur et du ministère en charge de l'économie.

b) Des nouvelles modalités à inventer

Les parents d'élèves doivent être plus largement associés au processus d'orientation , y compris dans la découverte des métiers. L'enseignement catholique 226 ( * ) fait déjà largement appel au réseau des parents d'élèves pour animer des actions de découverte des métiers, les COP n'intervenant pas dans les établissements privés sous contrat d'association avec l'État.

C'est également une piste que suggéraient Xavier Breton et Valérie Corre dans un rapport d'information de l'Assemblée nationale de juillet 2014 dont la recommandation n° 15 est ainsi formulée : « Associer les parents au processus d'orientation en les sollicitant tout au long de l'année pour l'animation de rencontres sur les formations et les métiers et en les faisant participer comme « personnes ressources » au parcours d'information, d'orientation et de découverte du monde économique et professionnel » 227 ( * ) .

Les parents d'élèves présentent l'intérêt d'être des professionnels en activité, souvent facilement mobilisables dans les collèges et les lycées et dont la participation est totalement gratuite . Ils pourraient ainsi, par exemple, être utilement associés au parcours Avenir dans l'enseignement public.

Recommandation : s'appuyer sur le réseau professionnel des parents d'élèves pour développer les actions de découverte des métiers

Selon une étude précitée, seulement 37 % des employeurs français déclarent échanger avec des responsables d'établissements éducatifs plusieurs fois par an, contre 50 % en moyenne dans les huit pays européens étudiés et même jusqu'à 78 % au Royaume-Uni. Cette même étude précise que les petites et moyennes entreprises, « qui génèrent une part substantielle des créations d'emplois, se disent « désengagées » vis-à-vis de la formation » 228 ( * ) .

De même qu'ils peuvent s'appuyer sur les parents pour faire découvrir les métiers, il est important que les lycées développent systématiquement des partenariats locaux avec les entreprises du territoire pour permettre aux élèves de découvrir le monde de l'entreprise selon des modalités souples et concrètes.

C'est particulièrement indispensable pour les lycéens professionnels. Une expérimentation a d'ailleurs été menée pour sécuriser l'entrée dans la vie active des lycéens professionnels en incitant les lycées professionnels à nouer des partenariats avec des entreprises pour des actions visant à faciliter la transition de la position d'élève à celle de salarié . Le CÉREQ a évalué cette expérimentation tout en regrettant que subsistent encore au sein des établissements de « solides poches de résistance à l'ouverture au monde de l'entreprise » 229 ( * ) .

Recommandation : développer systématiquement des partenariats locaux entre lycées et PME locales

Enfin, la place des représentants du monde économique dans la gouvernance des établissements , en particulier dans les conseils d'administration des lycées, doit être consolidée .

La loi du 23 avril 2005 d'orientation et de programme pour l'avenir de l'école avait prévu dans son article 39 un dispositif expérimental original, qui n'a malheureusement jamais été mis en oeuvre : « s ur proposition de leur chef d'établissement, les lycées d'enseignement technologique ou professionnel peuvent mener, pour une durée maximum de cinq ans, une expérimentation permettant au conseil d'administration de désigner son président parmi les personnalités extérieures à l'établissement siégeant en son sein. Cette expérimentation donnera lieu à une évaluation » 230 ( * ) .

La présidence du conseil d'administration par une personnalité extérieure existe déjà au sein des établissements de l'enseignement technique agricole , où elle a fait ses preuves.

Les expérimentations prévues en 2005 n'ont en rien perdu de leur pertinence : votre rapporteur appelle de ses voeux le lancement de telles expérimentations dans un certain nombre d'établissements pilotes.

Recommandation : renforcer la présence des représentants du monde professionnel dans la gouvernance des lycées et expérimenter leur présidence des conseils d'administration


* 219 De la pyramide aux réseaux : une nouvelle architecture pour l'école, rapport d'information du Sénat n° 649 (2010-2011) de M. Jean-Claude Carle, fait au nom de la mission commune d'information sur l'organisation territoriale du système scolaire et sur l'évaluation des expérimentations locales en matière d'éducation, déposé le 21 juin 2011.

* 220 Audition du 3 mars 2016.

* 221 McKinsey Center for Government, Note de synthèse, février 2014, op.cit.

* 222 Haut Conseil de l'éducation, Recommandations pour la formation des maîtres, octobre 2006.

* 223 Sur les difficultés de construction du « tronc commun » dans les ÉSPÉ voir la communication de nos collègues Jacques-Bernard Magner et Colette Mélot sur le suivi du rapport de la mission d'information sur les ÉSPÉ devant la commission de la culture, de l'éducation et de la communication du Sénat, 22 juillet 2015.

* 224 Déplacement du 13 mai 2016.

* 225 Le CNEE a édité en décembre 2015 deux guides pratiques. Construits comme des « boîtes à outils », ils ont l'ambition de contribuer à « faciliter l'implication réciproque des acteurs du monde économique et du monde de l'éducation au bénéfice des élèves ». L'un est destiné aux entreprises, l'autre aux équipes éducatives.

* 226 Audition du 8 octobre 2015.

* 227 Op. cit.

* 228 McKinsey Center for Government, Note de synthèse, février 2014, op.cit.

* 229 CÉREQ, Bulletin de recherche emploi-formation, n° 320, avril 2014.

* 230 Loi n° 2005-380 du 23 avril 2005 d'orientation et de programme pour l'avenir de l'école.

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