CONTRIBUTIONS ÉCRITES DES GROUPES POLITIQUES DU SÉNAT

Contribution de Mme Brigitte GONTHIER-MAURIN,
sénatrice des Hauts-de-Seine, pour le groupe Communiste, républicain et citoyen

De puissants déterminismes et stéréotypes sont à l'oeuvre dans l'orientation scolaire, au point de la réduire souvent à une procédure de tri social des élèves via les trois voies de formation du lycée. Ce constat est certes pointé par la mission d'information sur l'orientation scolaire cependant ses recommandations visent davantage à une régulation des flux d'élèves plutôt que de s'attaquer à l'origine de l'échec scolaire.

Car comment ne pas voir que le poids de ces déterminismes a déjà placé nombre d'élèves en difficulté pour entrer dans les apprentissages, très tôt dans la scolarité et bien souvent avant le secondaire.

Depuis 2005, prenant appui sur les difficultés de l'éducation nationale à faire refluer l'échec scolaire et les inégalités qu'il entraine, les politiques publiques conduites visent à mettre en place une conception de l'éducation de plus en plus tournée vers l'employabilité pour les entreprises. Dans cette même veine, le rapport, qui place l'insertion professionnelle au coeur des objectifs du système éducatif, propose des outils consistant surtout à gérer et calibrer les flux d'élèves, comme par exemple une sélection à l'entrée à l'université selon des prérequis pour les formations à effectifs limités. Il avance aussi l'idée d'une carte des formations plus « réactive » aux besoins locaux, alors même que les entreprises sont bien souvent dans l'incapacité d'anticiper leurs besoins à moyen et à court termes et que la formation d'un jeune prend de 3 à 5 ans.

Si la question de l'insertion professionnelle est bien fondamentale, nous divergeons sur le chemin pour y parvenir. Il s'agit de permettre à tous les élèves d'être en capacité de s'adapter à la complexification des savoirs, du travail et de son organisation. Cet enjeu nécessite une élévation des connaissances pour toutes et tous sans précédent. Ne pas le prendre en compte, c'est accepter, de fait, que certains élèves, les moins en connivence avec l'institution scolaire, demeurent cantonnés à une orientation par l'échec tandis que d'autres seraient destinés, à priori, à la poursuite d'études. Quid alors du principe « du tous capables » inscrit dans la loi de refondation de l'école ?

C'est pourquoi le groupe Communiste, républicain et citoyen (CRC) interroge le principe d'un allongement de la scolarité obligatoire jusqu'à 18 ans avec une orientation plus tardive, afin de penser au sein du service public d'éducation nationale la prise en compte de la re-médiation nécessaire pour les élèves qui en ont besoin.

Le rapport préconise, à l'inverse, de confier le pilotage de l'orientation scolaire à la région, via la régionalisation des CIO, en contradiction avec la loi de 2014 qui a réaffirmé le rôle de l'État en la matière. Quid dès lors du principe fondamental qui sous-tend le service public de l'éducation nationale, à savoir une réponse égalitaire dans le droit et l'accès à l'éducation sur tout le territoire ? On ne peut ignorer le risque d'un creusement des inégalités alors même que les collectivités voient leurs moyens réduits.

Le rapport minore l'importance des processus psychologiques et sociaux dans l'orientation. L'élaboration d'un projet d'avenir chez un adolescent ne se résume pas à une simple question d'information sur la réalité des métiers, les formations offertes et leurs débouchés professionnels. Ce projet doit être en lien étroit avec le développement de sa personnalité et la construction de son identité. S'agissant d'élèves du secondaire, singulièrement de collégiens et de collégiennes, la question devrait davantage être posée en termes de développement et d'émancipation des déterminismes et des stéréotypes, en particuliers de genre.

Ce qui implique que les élèves bénéficient de l'accompagnement d'une pluralité de professionnels. Nous refusons donc la suppression du corps actuel des CO-Psy pour recentrer le conseil en orientation sur des enseignants non formés pour assurer l'intégralité de cette mission. Comment penser qu'un stage obligatoire en entreprise permettra aux enseignants de maîtriser les enjeux du monde du travail et la diversité des environnements économiques ? Au contraire, nous soutenons la démarche engagée au niveau du Ministère pour créer un corps unique de psychologues de la maternelle à l'enseignement supérieur. Démarche qui devra s'accompagner de recrutements pour que cesse la situation inacceptable qui veut qu'un CO-Psy ait la responsabilité de 1 400 à 1 600 élèves sur deux ou trois établissements.

Enfin, la réforme du bac professionnel en 3 ans, dont les écueils sont pourtant connus, n'est pas réinterrogée et il est proposé de favoriser la mixité des publics et des parcours, sans questionner son efficacité sur la réussite des élèves, et en dépit des difficultés pédagogiques et organisationnelles qu'elle entraîne.

D'où un certain malaise à voir ressurgir des propositions déjà portées sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy, sans aucune interrogation sur les moyens tant humains que financiers à mobiliser. Loin « d'insuffler une nouvelle ambition à l'orientation scolaire », ces recommandations se contentent d'accompagner des inégalités préexistantes plutôt que de les combattre.

Contribution de Mme Corinne BOUCHOUX, sénatrice du Maine-et-Loire, pour le groupe écologiste

L'adoption de la publication de ce rapport à l'unanimité souligne le sérieux du travail mené par la mission d'information. La contribution que je présente ne s'écarte pas du constat dressé, mais il s'agit simplement d'exposer notre approche et des pistes pour permettre une orientation scolaire renouvelée et pleinement consentie.

Longtemps une vision caricaturale de l'orientation, empreinte notamment de la sociologie mal comprise de Bourdieu (cf. Les Héritiers ) a perduré en France. Puis avec la massification, accompagnée de la trop lente démocratisation de l'accès à la formation, un plus grand nombre de jeunes scolarisés a pu accéder à un plus haut niveau d'études. Il faut nous en féliciter. Nous sommes passés de l'absence de prise en compte de la question de l'orientation à un modèle d'orientation « vers la réussite ». Mais quelle réussite ? Qu'est-ce que la réussite ? En a malheureusement découlé une hiérarchisation progressive des différents études, d'un côté les cycles longs et de l'autre les cycles professionnels et une survalorisation du bac scientifique à l'intérieur même des baccalauréats généraux.

Des jeunes sont en surnombre dans des filières universitaires et des secteurs où les opportunités professionnelles sont plus rares en termes de débouchés. On constate aussi les insuffisances de l'insertion des diplômés de l'enseignement professionnel et avant tout un nombre important d'élèves en situation de décrochage scolaire, 150 000 chaque année. Éviter les décrochages constitue aussi un enjeu d'une orientation consentie.

L'état de crise actuel de nos économies affecte les sociétés et les individus qui les composent. Donnons un nouvel élan à l'émancipation individuelle en imaginant une nouvelle approche de l'orientation qui souffre actuellement d'une image imparfaite, c `est l'orientation par défaut ou par l'échec malgré la bonne volonté de tous les acteurs.

Nous devons envisager une autre manière d'organiser les trajectoires scolaires, plus individualisées et plus respectueuses des attentes réelles de chacun. Deux leviers nous semblent essentiels pour traiter de la question de l'orientation des élèves au cours de leur scolarité.

Tout d'abord, nous devons changer l'image de certaines filières et améliorer la connaissance que l'école a de l'entreprise et inversement. Trop rares sont les chefs d'établissements et les enseignants et enseignantes qui connaissent le monde de l'entreprise et nous croyons que des rapprochements sont plus que nécessaires. Sur ce point nous sommes favorables à des expérimentations, à celles aussi qui permettront de favoriser toute valorisation de la voie professionnelle et technologique.

Attention à ne pas non plus tomber dans une approche par laquelle le travail et l'éducation devraient être reliés de manière trop prématurée. Dans un contexte entrepreneurial peu enclin à assurer l'accueil de jeunes adolescents et adolescentes et le risque d'un monde de l'entreprise qui pourrait faire des choix enfermant les très jeunes apprentis dans des tâches peu épanouissantes, nous refusons cet apprentissage à un âge trop précoce.

Il ne semble pas imaginable de vouloir une nouvelle ambition à l'orientation scolaire sans aborder la question de son pilotage. Il s'agit de savoir qui est le mieux placé pour orienter les élèves ou comment organiser cette suite de décisions individuelles ou chacun essaye de faire des choix pour le jeune et le placer le plus possible en situation de réussite.

Un pilotage en amont plus efficace et sur parcours permettra de mieux poser la question du but poursuivi et d'éviter les « orientations subies ». Mais nous ne sommes pas favorables à la mise en place d'un passeport d'orientation du collège à l'université. On a droit à l'erreur, à un nouveau départ sans que les difficultés que l'on traverse ne soient traçables en permanence.

Se pose également la question des rôles respectifs de l'État ou de la région dans l'organisation de l'orientation et dans l'offre de formation. Nous ne sommes pas contre l'idée de transférer aux régions le réseau Information Jeunesse et les centres d'information et d'orientation (CIO). Ce transfert doit s'accompagner nécessairement pour les personnels du bénéfice d'un droit d'option entre le maintien de l'éducation nationale ou la région comme employeur. Des moyens conséquents doivent être également conservés.

Enfin, il est important que des jeunes aux cursus variés se côtoient et que les apprentis aient les mêmes droits que les étudiants.

On peut voir l'orientation comme un processus individuel qui aide chaque élève à construire son projet pour être un adulte heureux et épanoui et capable de trouver un emploi. Une autre vision est celle du parcours qui permet d'aller d'un point A à un point B, un système qu'il faut piloter et rendre intelligible avec de la souplesse. Depuis une quinzaine d'années de bonnes pistes existent dans les différents rapports parlementaires mais comment traduire en changement concret les bonnes intentions ?

Nous croyons aussi dans le rôle du soft power , certains films ou séries peuvent parfois mieux changer une image qu'un rapport.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page