B. A MAYOTTE, UNE SITUATION SANITAIRE TRÈS INQUIÉTANTE DANS UN CONTEXTE SOCIAL EXPLOSIF

1. En dépit de progrès importants au cours des dernières années, la permanence d'une situation d'urgence sanitaire

Signe du très fort décalage de la situation mahoraise par rapport à la métropole en matière d'état de santé de la population, l'espérance de vie à la naissance y est inférieure de 6 à 10 ans à celle estimée pour la population hexagonale - avec 73 ans 15 ( * ) à Mayotte, contre 78,8 ans pour les hommes et 85 ans pour les femmes dans l'hexagone. En raison à la fois de la jeunesse de la population mahoraise et du caractère très élevé de la mortalité infantile, la part des décès prématurés -c'est-à-dire survenus avant l'âge de 65 ans- et même prédominante à Mayotte (58,2 % en 2008-2009, contre 38,2 % à La Réunion et 20,7 % en métropole en 2007).

En dépit de progrès importants dont témoigne la réduction spectaculaire de la prévalence du paludisme et de la lèpre, la situation sanitaire mahoraise reste extrêmement grave , ainsi que le soulignait la Cour des comptes en 2014.

a) La présence à l'état endémique de maladies infectieuses oubliées dans l'hexagone

Nonobstant le caractère souvent peu fiable des données dont on dispose pour dresser le panorama sanitaire de Mayotte -on observe en effet, notamment, une importante sous-déclaration des maladies à déclaration obligatoire comme des causes de décès-, le risque infectieux y est très important, avec la permanence de maladies oubliées dans l'hexagone, ou dont la présence sur le territoire français ne laisse pas de surprendre . Les données figurant ci-dessous ont été transmises à votre délégation par l'InVS, étant précisé qu'elles sont probablement très fortement sous-évaluées.


• La fièvre typhoïde (31 cas recensés en 2013), les hépatites A (64 cas relevés en 2014) et B, la leptospirose 16 ( * ) (171 cas en 2011) et la tuberculose (38 cas en 2011) sont présentes à l'état endémique sur le territoire mahorais. La lèpre est également présente à Mayotte, avec 54 cas déclarés en 2014, en augmentation par rapport aux quatre années précédentes. Un cas de diphtérie autochtone chez un nourrisson a été confirmé en 2008.

Les arboviroses sont également très présentes : on note la présence d'un paludisme autochtone (quoiqu'en nette diminution depuis 2011, où 433 cas avaient été recensés) et de la dengue (525 cas déclarés en 2014), mais aussi de la fièvre de la vallée du Rift. La possible arrivée du virus zika suscite de fortes inquiétudes, dans la mesure où le suivi des femmes enceintes y est déjà insuffisant.

La question de la santé sexuelle est également très aiguë, avec une recrudescence observée de la circulation du VIH et une incidence notable de la syphilis récente. La prévalence de l'hépatite B est cinq fois plus élevée que dans l'hexagone, celle des chlamydiae plus de deux fois plus élevée, celle enfin des gonocoques jusqu'à trois fois plus importante.


• Dans ce contexte, la couverture vaccinale de la population est particulièrement mauvaise , avec seulement 73 % des jeunes de 14 à 15 ans couverts pour le BCG (contre 98 % à La Réunion), 61 % protégés contre la rougeole ( versus 91 % à La Réunion), ou 32 % contre la coqueluche (contre 49 %). Ainsi une épidémie importante de rougeole s'est-elle déclarée en 2005 à Mayotte, concernant principalement les enfants, adolescents et jeunes adultes n'ayant pas bénéficié des campagnes de vaccination dans leur enfance.

Cette situation est aggravée par la présence de flux de populations importants en provenance des pays voisins (Comores et Madagascar, notamment), dans lesquels le risque infectieux associé n'est pas maîtrisé.

b) Le développement de pathologies diverses résultant du mode de vie

La situation mahoraise présente cette particularité qu'on y trouve à la fois des pathologies résultant de la malnutrition, et des pathologies chroniques résultant de l'évolution rapide de l'alimentation et du mode de vie traditionnels .

Ainsi, tandis qu'une dizaine de cas de béribéri sont toujours recensés chaque année, la prévalence du diabète serait de 10,5 % dans la population âgée de 30 à 69 ans, tandis que celle de l'obésité aurait atteint, en 2008, 34 % chez les hommes et 72 % chez les femmes.

Il a par ailleurs été souligné devant votre délégation que les conditions de vie très dégradées des Mahorais contribuent largement à la diffusion et à la propagation des épidémies , que ce soit en raison des densités de population, de l'équipement sommaire des logements ou des conditions d'hygiène très en-deçà des standards métropolitains. Selon le recensement effectué par l'Insee en 2012, 30 % des résidences ne disposent pas d'un raccordement à l'eau, et 60 % d'entre elles ne sont pas équipées de toilettes. La survenue épisodique de cas de diphtérie cutanée à Mayotte est favorisée certes par le climat tropical et l'insuffisance de la couverture vaccinale, mais aussi par la promiscuité et les mauvaises conditions d'hygiène.

2. Une société déstabilisée par le poids de l'immigration illégale

Le caractère préoccupant du contexte social mahorais s'est trouvé mis en lumière pour votre délégation de manière inattendue, lorsque les deux jours de déplacement initialement prévus sur l'île ont dû être annulés à la dernière minute, en raison des émeutes qui s'y propageaient alors. Vos rapporteurs ont cependant pu rencontrer divers interlocuteurs qui les ont éclairés sur l'environnement social de Mayotte, et notamment les services préfectoraux de La Réunion, ainsi que le directeur du CHM. Ils ont ainsi pu constater que la situation sanitaire de Mayotte s'inscrit dans un contexte de chaos plus général, et que la première ne pourra trouver de solution sans que le second ne s'améliore.


La société mahoraise connaît une mutation profonde , qui se traduit par des transformations rapides de l'organisation sociale -avec notamment une perte du rôle régulateur traditionnel des kadis, ou encore une certaine déstructuration de la famille traditionnelle- et une précarisation du mode de vie des Mahorais -avec une bidonvilisation de l'habitat- sous l'effet de l'augmentation brutale de la population au cours des vingt dernières années.

Notre collègue Thani Mohamed Soilihi a évoqué à ce propos une « crise d'adolescence » de la société mahoraise, qui résulte de la progression de son développement plus que des difficultés administratives liées à la mise en oeuvre de la départementalisation - par ailleurs demandée de longue date par la population mahoraise, ce qui témoigne de son attachement ancien et profond à la France depuis 1841 17 ( * ) . Il a par ailleurs souligné que plusieurs chantiers institutionnels majeurs, initiés bien avant la départementalisation, avaient été mal menés, entravant ainsi la modernisation de l'île : des difficultés ont ainsi été rencontrées, dans le cadre du passage à la décentralisation en 2004-2005, avec la mise en oeuvre de la réforme foncière, de l'accession au statut de région ultrapériphérique (RUP) de l'Union européenne, ou encore de la réforme fiscale.


Ces problèmes de développement sont aggravés par la crise migratoire traversée par Mayotte, qui se trouve profondément déstabilisée par le poids de l'immigration illégale . Selon les estimations les plus basses, la part de la population clandestine est estimée à 40 % de la population mahoraise officiellement recensée . Selon les informations transmises par l'agence de santé pour l'Océan Indien, l'immigration illégale à Mayotte représente 44 % du total de l'immigration illégale recensée sur l'ensemble du territoire français. La direction générale des outre-mer (DGOM) a précisé que 19 000 reconduites à la frontière avaient été effectuées au cours de l'année 2015 , dont 5 000 concernant des enfants.

L'ensemble des acteurs rencontrés par votre délégation, toutes sensibilités politiques confondues, ont exprimé leur désarroi face à l'arrivée massive de kwassa-kwassa, dans des conditions humanitaires particulièrement désastreuses . Ces petites embarcations fragiles, en provenance principalement d'Anjouan, à 70 kilomètres des côtes mahoraises, charrient en effet avec elles leur lot de drames humains, avec des naufrages réguliers.

Outre cette grave crise humanitaire, cette situation crée des tensions importantes au sein de la société mahoraise , pouvant aller jusqu'à des « chasses aux clandestins » menées par les habitants eux-mêmes, excédés par l'impuissance des pouvoirs publics pour procéder à l'expulsion de résidents illégaux.

Elle n'est évidemment pas non plus sans effet sur les politiques sanitaires. Si l'offre de soins mahoraise pourrait couvrir les besoins des habitants officiellement recensés, sa mission est cependant rendue très difficile lorsqu'il s'agit de couvrir une population représentant près du double de cette estimation. De ce fait, l'hôpital ne peut que fonctionner à flux tendus. D'une manière générale, vos rapporteurs soulignent qu'aucune politique publique durable et efficace ne saurait être mise en oeuvre à Mayotte sans tenir compte du poids de l'immigration clandestine .

L'afflux migratoire a enfin des conséquences importantes quant à la montée de l'insécurité sur l'île . De très nombreux mineurs isolés , dont les parents ont fait l'objet d'une mesure de reconduite à la frontière, se trouvent livrés à eux-mêmes ; ces jeunes sans cadre, qui vivent en bande dans la rue, n'ont bien souvent d'autre ressource que celle de la délinquance, en l'absence d'aide sociale à l'enfance (ASE) à Mayotte. Cette situation dramatique se trouve renforcée par la déliquescence des communautés, qui assurent traditionnellement la prise en charge de l'enfant.


* 15 L'espérance de vie de la population mahoraise s'entend pour les hommes et les femmes confondus, l'Insee n'étant pas de fournir des données fiables différenciées par sexe.

* 16 Il a été signalé à votre délégation que l'éradication de cette pathologie à Mayotte est rendue difficile par le fait qu'il n'est pas toujours possible pour la population de suivre les conseils de prévention.

* 17 Ainsi que le rappelait le rapport de la Cour des comptes précité, « les Mahorais ont un attachement particulier à la France. Ce lien a deux explications principales. D'une part, il résulte d'une histoire commune plus ancienne, Mayotte ayant été, dès 1841, la première île de l'archipel à être rattachée à la France, lorsque le dernier sultan de Mayotte, Andriantsouli, la vendit à un capitaine de vaisseau français. Il faudra néanmoins attendre 1843 pour que le roi Louis-Philippe I er ratifie cette acquisition, faisant de Mayotte un protectorat. Par comparaison, ce n'est qu'entre 1886 et 1892 que les trois autres îles des Comores accédèrent au même statut ».

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