C. DEUX PRÉOCCUPATIONS COMMUNES AUX TERRITOIRES DE L'OCÉAN INDIEN : LE DÉVELOPPEMENT DES ADDICTIONS ET LA MORTALITÉ PÉRINATALE

1. Le développement des addictions

Si les outre-mer se caractérisent, d'une manière générale, par des niveaux de consommation d'alcool, de tabac et de drogues plus faibles que dans l'hexagone, avec une quasi-absence de recours aux drogues dures , le problème des addictions n'y est cependant pas inexistant. La Réunion constitue ainsi l'un des départements français les plus touchés par les pathologies liées à l'alcool, tandis que l'on relève l'existence d'une polytoxicomanie mêlant tabac, médicaments et produits locaux à Mayotte -pour laquelle peu de données sont toutefois disponibles.

En tout état de cause, la zone Océan Indien constitue ici l'échelle d'analyse pertinente , dans la mesure où la consommation des produits concernés alimente un trafic local , notamment en provenance de Madagascar, des Seychelles, des pays de la corne de l'Afrique ou de Maurice. Si La Réunion apparaît encore aujourd'hui comme une citadelle relativement protégée de ce point de vue, il a été souligné devant vos rapporteurs que l'arrivée de produits fortement addictogènes telles que la méthamphétamine ou la méthaqualone sur le territoire réunionnais y aurait des conséquences sanitaires désastreuses.

Votre délégation relève par ailleurs de manière liminaire que, sur les 9,6 millions d'euros de crédits d'intervention régionale dont a bénéficié la mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca) pour l'année 2015, 160 000 euros ont été versés à La Réunion (contre 290 000 euros en 2014), et 99 000 euros à Mayotte.

a) La permanence des troubles sanitaires liés à l'alcool à La Réunion

Le problème majeur qui se pose à La Réunion, dans le champ des addictions, est celui de l'alcool . Si une diminution globale marquée de l'alcoolisme a été observée depuis les années 1970, le problème se concentre aujourd'hui sur une population très vulnérable - selon les données toutefois disponibles : lors d'une table ronde organisée sur ce sujet, le manque de données épidémiologiques nécessaires à l'objectivation de la question a été unanimement constaté par les interlocuteurs de votre délégation 18 ( * ) .

(1) Un problème majeur concentré sur une population vulnérable


• A La Réunion, quatrième région française 19 ( * ) en matière de mortalité liée à l'alcool , l'alcool constitue l'une des causes principales de la surmortalité chez les moins de 65 ans, en particulier pour les hommes. Le taux standardisé de décès directement liés à l'alcool est par ailleurs 1,5 fois plus important à La Réunion qu'en moyenne hexagonale, tandis que près de la moitié des accidents mortels sur la route sont liés à l'alcool. Les jeunes sont particulièrement touchés par l'apparition récente des bières fortes, qui affichent des taux d'alcool élevés, pouvant aller jusqu'à 16 %, et dont la consommation repose sur un objectif clairement énoncé d'alcoolisation rapide et massive.

Cette situation apparaît paradoxale, dans la mesure où l'on observe à La Réunion une sous-consommation globale d'alcool par rapport à la moyenne française . On relève ainsi un plus grand nombre d'abstinents sur le territoire réunionnais (18 % de Réunionnais, contre 8 % pour la France entière). Si la morbi-mortalité liée à l'alcool est cependant plus élevée que sur le reste du territoire, c'est en raison d' une plus grande proportion de mésusages, notamment s'agissant des alcools forts .

Selon le Dr Mété, chef du service d'addictologie au CHU de La Réunion, cette situation est d'autant plus problématique qu'elle s'inscrit dans un contexte culturel promouvant la consommation d'alcool. Il existerait ainsi une véritable mythologie autour des boissons alcoolisées, et notamment autour du rhum, produit emblématique de l'île . Lui sont en effet prêtées de très nombreuses vertus, parfois antagonistes, tels qu'un pouvoir énergisant ou calorifique, une vertu antiseptique, une efficacité contre les malaises ou encore un pouvoir antalgique.


• Les usages de consommation sont par ailleurs atypiques
à La Réunion. En témoigne par exemple le succès de la flasque en plastique couramment désignée sous le nom de « pile plate », par analogie de forme avec les piles de 4,5 volts. Apparu en 1988 à la suite de l'interdiction de la vente en vrac et au détail de l'alcool, ce conditionnement permet de vendre des boissons à forte teneur en alcool (40 °) pour un prix très modique (2,50 à 3 euros).

A par ailleurs été signalée à votre délégation la forte présence sur le territoire réunionnais des « boutiques », qui comprennent, à côté d'un commerce traditionnel de proximité, un espace « buvette ». Dans ces lieux quasi-exclusivement masculins, qui constituent parfois le seul lieu de rencontre et d'animation dans les zones montagneuses difficiles d'accès, l'alcool constitue un élément fort des sociabilités locales. A l'inverse, la consommation féminine d'alcool est bien souvent taboue, et se fait principalement à domicile.

La consommation d'alcools forts apparaît par ailleurs importante : le vin et la bière constituent ainsi respectivement 25 % et 26 % de la quantité d'alcool pur (AP) consommée sur le territoire réunionnais, tandis que le rhum et le whisky et autres alcools forts en représentent respectivement 26 % et 23 %.

La consommation de whisky de marque « Johnny Walker » a également été signalée à vos rapporteurs comme constituant un phénomène régional marqué. 1,2 % de la production mondiale de « Red Label » est ainsi vendu sur le territoire réunionnais, avec une publicité intensive autour du produit, présenté comme le marqueur d'une certaine ascension sociale . Votre délégation a ainsi pu constater l'existence, dans un supermarché, d'une caisse « VIP » réservée aux acheteurs de ce whisky .

(2) Le syndrome d'alcoolisation foetale, une cause largement évitable de handicap chez l'enfant

Les problèmes liés à l'alcool connaissent une déclinaison particulièrement problématique à La Réunion avec la forte prévalence du syndrome d'alcoolisation foetale (SAF) , sur lequel votre commission avait déjà eu l'occasion de travailler lors de son précédent déplacement sur le territoire réunionnais, puis sous l'impulsion déterminée de notre ancienne collègue Anne-Marie Payet.


• En dépit de publications décrivant, chez l'enfant, un groupe de caractères physiques et comportementaux rattachés à l'alcoolisme maternel à la fin des années 1960, et de l'apparition de la notion de « syndrome d'alcoolisme foetal » dans la littérature médicale dès les années 1970 (Lemoine, 1968 ; Jones et Smith, 1973), cet ensemble de troubles n'a été que tardivement pris en compte par la communauté médicale française. A la difficulté inhérente au fait de parler d'alcool s'ajoute, pour les professionnels de santé, une forte méconnaissance du SAF résultant d'une absence de formation globale au sujet.

L'alcoolisation prénatale est à l'origine d'un ensemble de troubles (ETCAF) importants, allant de la mort foetale in utero (MFIU), dans les cas les plus graves, à l'apparition de désordres neuro-développementaux liés à l'alcool (DNDA), en passant par le SAF partiel et le SAF. Ces troubles entraînent des effets pour toute la vie et peuvent influencer l'apparition de près de 400 pathologies différentes. Selon les informations transmises à votre délégation, une part importante des enfants placés auprès de l'ASE pourraient être touchés.

Pourtant largement évitable, car principalement dû à la mauvaise information des femmes enceintes, le SAF constitue ainsi la première cause de handicap non génétique chez l'enfant , mais aussi la première cause de troubles neurocognitifs évitable. Il est à l'origine de trois ensembles de troubles plus ou moins marqués selon les cas : un retard de croissance (le risque étant constitué à partir d'une consommation journalière de un à deux verres durant la grossesse), des troubles cognitifs et comportementaux (souvent difficiles à repérer), ainsi qu'un syndrome dysmorphique et malformatif (principalement en relation avec une consommation très importante, supérieure à six verres par jour, au cours du premier trimestre de grossesse).

En dépit du caractère très lacunaire des données disponibles sur cette pathologie -en raison principalement des difficultés relatives à sa détection et à son évaluation par les professionnels-, il semble que La Réunion soit largement touchée. On y dénombrerait ainsi 10 à 15 cas de SAF par an, pour un total d'ETCAF de 100 à 150 cas annuels.


• Face à ce sombre tableau, la mesure la plus efficace est celle de la prévention par l'information de la population sur les dangers liés à la consommation d'alcool pendant la grossesse.

C'est dans cet objectif que, à l'initiative de votre commission des affaires sociales, le principe de l'apposition d'un message sanitaire à l'attention des femmes enceintes sur toutes les unités de conditionnement de boissons alcoolisées avait été adopté dans le cadre de la loi de 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées 20 ( * ) .

Article L. 3322-2 du code de la santé publique

Aucune des boissons mentionnées à l'article L. 3322-1 ne peut, en France, et sur tous les territoires relevant de l'autorité française, être livrée par le fabricant ou l'importateur, détenue, transportée, mise en vente, vendue ou offerte à titre gratuit, si elle ne porte sur l'étiquette avec sa dénomination, le nom et l'adresse du fabricant ou de l'importateur, ainsi que le qualificatif de digestif ou celui d'apéritif.

Ce qualificatif doit être reproduit sur les factures et circulaires, sur les tableaux apposés dans les débits pour annoncer le prix des consommations et sur les affiches intérieures.

Il est interdit d'y joindre aucune qualification ni aucun commentaire tendant à présenter la boisson comme possédant une valeur hygiénique ou médicale.

Toutes les unités de conditionnement des boissons alcoolisées portent, dans les conditions fixées par arrêté du ministre chargé de la santé, un message à caractère sanitaire préconisant l'absence de consommation d'alcool par les femmes enceintes.

Ce message sanitaire prend la forme d'un pictogramme représentant un symbole d'interdiction placé devant une femme enceinte tenant un verre d'alcool à la main. En pratique, le caractère souvent illisible de ce logo en remet cependant en cause la pertinence : de très petite taille, il est à peine discernable, d'autant plus qu'il apparaît le plus souvent en noir et blanc. Dans son rapport du 22 mars 2016 relatif à l'alcoolisation foetale, l'Académie de médecine relève ainsi que ce logo de prévention est « à totalement reconsidérer dans sa taille, son symbole, son positionnement, sa lisibilité ».

Votre délégation relève qu' un simple texte réglementaire serait suffisant pour harmoniser la présentation de cet important message de santé publique, et pour le rendre véritablement identifiant par nos concitoyens .

En l'état actuel du droit, l'arrêté du 2 octobre 2006 relatif aux modalités d'inscription du message à caractère sanitaire préconisant l'absence de consommation d'alcool par les femmes enceintes sur les unités de conditionnement des boissons alcoolisées prévoit simplement, en son article 3, que « le message sanitaire exigé conformément à l'article 1 er du présent arrêté est inscrit sur fond contrastant, de manière à être visible, lisible, clairement compréhensible, indélébile. Il ne doit en aucune façon être dissimulé, voilé ou séparé par d'autres indications ou images ».

Préconisation n° 1 : Modifier l'arrêté du 2 octobre 2006 pour harmoniser le format du message à caractère sanitaire devant figurer sur le conditionnement des boissons alcoolisées en application de l'article L. 3322-2 du code de la santé publique, pour garantir une présentation en couleur et respectant une taille minimale.

Une telle harmonisation serait d'autant plus acceptable qu'il semble qu' une prise de conscience du problème soit actuellement en cours au niveau national . L'Académie nationale de médecine a publié, le 22 mars dernier, un rapport de synthèse qui fait référence sur le sujet, tandis que la Mildeca a engagé un programme de prévention et de prise en charge des troubles liés à l'alcoolisation foetale -La Réunion faisant partie, avec l'Aquitaine, des deux régions retenues pour son expérimentation, et qui pourraient constituer à l'avenir un modèle pour la prévention, le dépistage et la prise en charge de ces troubles encore trop souvent mal connus à l'échelle nationale et internationale .

(3) Face à cette grave situation, l'impuissance des pouvoirs publics


• Le premier problème qui se pose, dans le cadre de la lutte contre la diffusion de l'alcool à La Réunion, est celui de son prix de vente, particulièrement bas, notamment s'agissant des alcools forts .

Le caractère bon marché de ces produits est renforcé par la taxation dérogatoire dont ils bénéficient. Le rhum industriel bénéficie ainsi d'un droit d'accise ainsi que d'un octroi de mer interne réduits 21 ( * ) , ce qui en fait un produit particulièrement bon marché.

Taxation comparée des alcools consommés à La Réunion


Source
: Document transmis par le Dr Mété, chef du service d'addictologie au CHU de La Réunion

Or, selon l'OMS, la taxation des boissons alcoolisées constitue l'un des moyens de lutte les plus efficaces contre l'abus d'alcool . Plusieurs pays étrangers ont d'ailleurs, avec efficacité, défini un prix unitaire minimal (PUM) pour l'alcool.


• Se pose ensuite la question de la publicité intensive faite pour ces boissons, dans un contexte de forte concurrence entre les produits et entre les alcooliers, et en dépit du cadre législatif mis en place par la loi Evin 22 ( * ) .

Ces moyens financiers sont mis au service de slogans souvent orientés vers la notion de bien-être lié à l'alcool , et insistant sur la « vie saine » qui résulterait de la consommation d'alcools traditionnels tels que le rhum.

La loi Evin est complétée, pour son application pratique, par les dispositions de la recommandation de l'autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP) relative à l'alcool, qui précise en son point 7.2 que « le titre alcoolique élevé ou la force alcoolique d'une boisson ne peuvent constituer le thème dominant d'un emballage ou de l'information délivrée sur le point de vente ». Or, de nombreux emballages, notamment des bières fortes à destination des jeunes hommes, mettent clairement en avant le degré d'alcool élevé de leur contenu .

L'article L. 3323-4 du code de la santé publique (issu de la loi Evin de 1991)

La publicité autorisée pour les boissons alcooliques est limitée à l'indication du degré volumique d'alcool, de l'origine, de la dénomination, de la composition du produit, du nom et de l'adresse du fabricant, des agents et des dépositaires ainsi que du mode d'élaboration, des modalités de vente et du mode de consommation du produit.

Cette publicité peut comporter des références relatives aux terroirs de production, aux distinctions obtenues, aux appellations d'origine telles que définies à l'article L. 115-1 du code de la consommation ou aux indications géographiques telles que définies dans les conventions et traités internationaux régulièrement ratifiés. Elle peut également comporter des références objectives relatives à la couleur et aux caractéristiques olfactives et gustatives du produit.

Le conditionnement ne peut être reproduit que s'il est conforme aux dispositions précédentes.

Toute publicité en faveur de boissons alcooliques, à l'exception des circulaires commerciales destinées aux personnes agissant à titre professionnel ou faisant l'objet d'envois nominatifs ainsi que les affichettes, tarifs, menus ou objets à l'intérieur des lieux de vente à caractère spécialisé, doit être assortie d'un message de caractère sanitaire précisant que l'abus d'alcool est dangereux pour la santé.

Préconisation n° 2 : Assurer la bonne application de la loi Evin sur l'ensemble du territoire s'agissant de la publicité pour les boissons alcooliques.


• Dans ce contexte, l'agence de santé pour l'Océan Indien coordonne un important dispositif de prévention et de soins pour les personnes touchées par les addictions .

Alors que celles-ci ont longtemps été prises en charge par les structures psychiatriques, il existe aujourd'hui un dispositif de prise en charge à la fois ambulatoire et résidentielle, avec deux services hospitaliers au sein du CHU de Saint-Denis et un accueil au sein d'un établissement privé, l'institut Robert Debré. En dépit de ce maillage hospitalier, il a été rappelé à votre délégation que les addictions constituent, sur l'ensemble du territoire, l'une des pathologies les moins bien prises en charge .

Les initiatives associatives sont également importantes sur le terrain, notamment au travers de l'initiative santé addictions outre-mer (SAOME), qui coordonne un réseau régional d'addictologie (RRA).

Après une période de relâchement relatif, qui faisait elle-même suite au développement d'initiatives locales très fortes à La Réunion, votre délégation se félicite de constater que la mobilisation semble à nouveau reprendre s'agissant de la lutte contre le SAF . Elle souligne qu'il est indispensable de travailler sur ce point avec les professionnels de proximité que constituent notamment les médecins libéraux, mais aussi les assistants sociaux - dont le rôle est crucial sur ce sujet tabou, qui est souvent cause d'une forte culpabilité chez les mères. Avec l'Aquitaine, La Réunion fait par ailleurs partie des régions retenues pour la mise en oeuvre de l'expérimentation visant à « [construire] un programme intégré de prévention et de prise en charge des troubles liés aux conséquences des conduites addictives sur les femmes enceintes et sur la périnatalité, dont le syndrome d'alcoolisation foetale » et prévue par le plan gouvernemental de lutte contre les drogues et les conduites addictives pour la période 2013-2017.

Au terme de la table ronde organisée sur ce sujet avec la fondation Pierre Favron, les interlocuteurs entendus ont souligné que La Réunion, région fortement touchée par le SAF, pourrait aussi devenir une collectivité pilote quant aux moyens de lutte à mettre en oeuvre, voire un centre stratégique d'expérimentation et de formation sur ce sujet.

b) En matière de drogues, la permanence de l'usage détourné de médicaments psychotropes


• En raison des difficultés d'accès aux substances illicites classiquement consommées dans l'hexagone (cocaïne, crack, héroïne ou encore MDMA), du fait de l'éloignement et de l'insularité, le principal comportement développé à La Réunion en matière d'usage de drogues est, depuis les années 1970, celui du recours aux médicaments psychotropes détournés de leur usage .

L'Artane® y est ainsi utilisé comme un psychostimulant par défaut, notamment en association avec d'autres produits (alcool, cannabis ou benzodiazépines) pour de jeunes polyconsommateurs de sexe masculin. Ceux-ci lui accordent bien souvent une valeur mythique initiatique , qui semble aussi importante, dans les modes de consommation, que son efficacité pharmacologique réelle. Vendu 5 à 10 euros le comprimé, ce produit favorise cependant les passages à l'acte violents , notamment lorsqu'il est consommé en association avec d'autres substances.

Les benzodiazépines , et notamment le Rivotril®, font l'objet d'un usage équivalent par le même type de consommateurs, notamment en potentialisation avec l'alcool.


• S'agissant des autres drogues, le zamal , variété locale de cannabis fumée sous forme d'herbe pure, demeure le produit le plus consommé depuis les années 1970. Les opiacés sont en revanche peu utilisés, l'injection constituant une pratique réprouvée par la majorité des consommateurs réunionnais.

2. Une surmortalité périnatale qui ne se résorbe pas

Le rapport de la Cour des comptes précité constatait, pour l'ensemble des outre-mer, le caractère « préoccupant » des indicateurs relatifs à la santé infantile et maternelle , avec une surmortalité périnatale importante et un écart tendant à s'aggraver par rapport à la métropole . C'est pourquoi votre délégation a tenu à consacrer une journée de ses travaux sur place à cette question.

a) Des indicateurs très préoccupants


• La Réunion comme Mayotte se caractérisent toutes deux par une natalité élevée , dans des proportions toutefois peu comparables. En 2012, le taux de natalité, défini par le nombre de naissances pour 1 000 habitants, atteignait ainsi 17 %o à La Réunion et 41,2 %o à Mayotte, contre 12,4 %o dans l'hexagone.

Avec la Guyane, Mayotte et La Réunion constituent les territoires de la République affichant la plus forte fécondité . On dénombre un peu plus de 14 000 naissances annuelles à La Réunion depuis 2006, ce qui correspond à un indicateur conjoncturel de fécondité de 2,36 enfants par femme en 2011 (contre 1,99 en métropole). Une des raisons principales de ce résultat réside dans la jeunesse de la population de ces territoires, les femmes en âge de procréer y étant proportionnellement plus nombreuses qu'en métropole.


• Ces deux territoires affichent cependant par ailleurs une surmortalité marquée autour de la grossesse .

Le taux de mortalité infantile , défini comme le nombre de décès d'enfants de moins d'un an pour mille naissances, était en moyenne pour les années 2007 à 2012 de 7,4 %o à La Réunion, soit plus du double de la moyenne métropolitaine (3,3 %o). À Mayotte, il serait près de quatre fois plus élevé que dans l'hexagone , avec une estimation de 13,5 %o contre 3,6 %o pour l'année 2007. Dans ce département, la part des enfants mort-nés est par ailleurs 2,5 fois plus importante qu'en métropole.

Mayotte présente par ailleurs un taux important de décès maternels , avec 38 à 45 décès pour 100 000 naissances sur la période courant de 2001 à 2006, pour 26,4 décès pour 100 000 naissances à La Réunion sur la même période - contre 9,3 pour 100 000 en France métropolitaine. Selon l'Inserm, 50 % des décès maternels enregistrés à La Réunion seraient évitables , la plupart étant liés à une hémorragie du post-partum .


• On observe également une plus grande proportion de naissances prématurées , avec deux fois plus de grands prématurés à La Réunion que dans la France entière. Enfin, les grossesses chez des mineures représentent 3,2 % du total des grossesses réunionnaises, pour une moyenne nationale de 0,6 %.

b) La recherche de facteurs explicatifs : l'influence des comorbidités


• L'importance de la mortalité périnatale à Mayotte s'expliquerait principalement par l'état de santé dégradé de la population , notamment s'agissant des parturientes comoriennes, ainsi que par le caractère tardif des prises en charge , les femmes se présentant souvent à la dernière minute aux équipes des maternités, au terme d'une grossesse non suivie.

A La Réunion, l'explication avancée par les équipes du CHU réside dans la comorbidité : lorsque des incidents tels que des hémorragies post-partum (HPP) surviennent au moment de l'accouchement, ils le font sur des terrains déjà fragilisés par l'obésité par exemple, ainsi que les pathologies associées. On relève ainsi à La Réunion une proportion plus importante de grossesses à risque (51 %) qu'en moyenne nationale (39 %), ce qui recouvre notamment les parturientes présentant un diabète traité ou gestationnel, une hypertension artérielle, un surpoids ou une obésité, ou encore une pré-éclampsie.


• L'agence de santé pour l'Océan Indien travaille par ailleurs à mettre en évidence l'incidence possible des pratiques professionnelles dans les variations de la mortalité périnatale sur le territoire réunionnais.

La collectivité réunionnaise compte 7 maternités (dont 2 de niveau III, 1 de niveau IIb, 2 de niveau IIa et 1 de niveau I). Elle est par ailleurs l'une des cinq régions françaises à mettre en oeuvre, depuis le 1 er avril 2016, l'expérimentation des maisons de naissance rendue possible par la loi du 6 décembre 2013 23 ( * ) , adoptée à l'initiative de votre commission des affaires sociales.

Le mode de suivi des femmes enceintes varie sensiblement entre La Réunion et la moyenne nationale . Le médecin généraliste occupe ainsi une place importante dans le suivi prénatal et effectue la majorité des consultations opérées dans ce cadre (53 % des grossesses réunionnaises, contre 28 % en France entière). Les gynécologues-obstétriciens, moins densément présents à La Réunion que dans l'hexagone, y suivent quant à eux une proportion très nettement inférieure de grossesses à haut risque (27,6 %, contre 39 % en moyenne nationale). Enfin, alors que la densité des sages-femmes y est supérieure à la moyenne nationale, celles-ci sont en retrait dans le suivi prénatal, avec seulement 17 % des consultations effectuées (contre 29 % dans l'hexagone).

Il apparaît au total que 12,6 % des femmes enceintes réunionnaises ont eu un suivi insuffisant , que ce soit en raison d'un nombre de consultations inférieur aux recommandations ou de la réalisation tardive des examens prénataux. L'agence de santé a indiqué à votre délégation la poursuite d'un travail sur cette thématique, dans la mesure où c'est sans doute à ce niveau que se situent les marges de progrès.

Il est par ailleurs à noter que, à Mayotte majoritairement, certains accouchements sont toujours pratiqués selon des méthodes traditionnelles. Par ailleurs, les maternités dites « périphériques » mahoraises sont le plus souvent gérées par les seules sages-femmes, sans présence d'un médecin gynécologue.

c) La mobilisation des pouvoirs publics

Face à cette situation, plusieurs initiatives ont été mises en oeuvre, notamment sous l'égide de l'agence de santé pour l'Océan Indien . Elle accompagne ainsi la poursuite de la mise aux normes des maternités ; un centre de formation par simulation, visant à améliorer les pratiques professionnelles, a ainsi été mis en place en 2014 ; des évaluations régulières sont opérées dans le cadre de l'observatoire de la grande prématurité, mis en place en 2008 par la commission régionale de la naissance ; une recherche action sur la mortalité infantile (étude dite « Ramir ») a été lancée en 2016 ; enfin, une exploration du parcours de soins des femmes enceintes à partir des données du système d'information est en cours.

S'agissant de la prise en charge périnatale à La Réunion, les acteurs du secteur ont insisté devant votre délégation sur les problèmes rencontrés pour la prise en charge en aval de l'accouchement - les capacités d'hospitalisation en obstétrique apparaissant quant à elles suffisantes. Plusieurs plans d'action ont été lancés sur cette question par l'agence de santé, portant notamment sur le redimensionnement des capacités d'accueil de la filière néonatale sur le site Sud du CHU, la redéfinition des critères médicaux et éthiques des transferts sanitaires (en provenance de Mayotte), ainsi que la mise en place d'une offre d'hébergement social temporaire à destination des femmes et mineurs isolés.

Il semble cependant que la situation mahoraise soit insoluble en l'absence d'une réelle mise à niveau de la capacité d'accueil du centre hospitalier de Mayotte (CHM) , ce qui nécessite un plan d'investissement important. Au terme de leurs échanges avec les responsables de l'agence de santé ainsi qu'avec le directeur de l'établissement, vos rapporteurs estiment absolument indispensable, a minima , la mise en place d'un plan d'équipement pour la construction d'un pôle mère-enfant .

Préconisation n° 3 : Mettre à niveau la capacité d'accueil de la maternité du site central du centre hospitalier de Mayotte (CHM) en créant un pôle mère-enfant.


* 18 Dans le cadre de son audition dans l'hexagone, l'InVS a toutefois indiqué travailler à l'amélioration du recueil de données, notamment en milieu hospitalier.

* 19 Après la Guadeloupe, la Martinique et la Guyane.

* 20 Loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, article 5.

* 21 Dans la limite d'un contingent de 120 000 hectolitres d'alcool pur (HAP) pour les rhums des Dom.

* 22 Loi n° 91-32 du 10 janvier 1991 relative à la lutte contre le tabagisme et l'alcoolisme.

* 23 Loi n° 2013-1118 du 6 décembre 2013 autorisant l'expérimentation des maisons de naissance. Une maison de naissance est une structure de proximité visant à une prise en charge peu médicalisée de l'accouchement physiologique, avec l'accompagnement de sages-femmes.

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