B. UN ÉQUILIBRE DÉLICAT ENTRE RENTABILITÉ, RISQUE ET ÉQUITÉ TERRITORIALE

1. Concilier logique de marché et objectifs de politique publique

Principal gestionnaire des instruments financiers européens pour les PME, le FEI est très attaché au respect d'une discipline de marché et se caractérise par une culture assez différente de celle de la BEI, qui se considère en premier lieu comme une « banque d'ingénieurs ». Le FEI revendique quant à lui son excellente connaissance du marché de l'offre de prêts aux PME et du marché du capital-investissement comme étant sa principale valeur ajoutée.

Contrairement aux fonds structurels et de cohésion, aucune enveloppe géographique ou sectorielle n'est prédéterminée au titre des instruments financiers COSME et InnovFin ; ceux-ci sont distribués en fonction de la demande du marché. Les résultats présentés ci-avant confirment que, compte tenu des réponses aux appels à candidature reçus par le FEI et de l'absence de fonds de capital-investissement dans certains pays, moins de deux tiers des États membres bénéficient de ces deux programmes. Il revient donc à la Commission européenne , représentée au conseil d'administration du FEI, de veiller à une certaine équité territoriale ou du moins d'encourager le FEI à cibler ses actions de communication sur les pays non participants. La Commission européenne dispose également pour ce faire d'un levier grâce aux redevances versées au FEI . Ces redevances, dont le montant total s'est élevé à 103 millions d'euros en 2015 dont 43,5 millions au titre de mandats du budget de l'UE, sont composées d'une part fixe et d'une part variable en fonction de la performance du FEI et de sa capacité à atteindre les objectifs en termes de nombre d'États membres et de PME soutenus.

La question de la redistribution des bénéfices nets du FEI illustre également la tension pouvant se faire jour entre logique de marché et mise en oeuvre d'une politique publique européenne. Le FEI redistribue chaque année une part de son bénéfice net à ses actionnaires sous forme de dividendes (24 millions d'euros en 2015, soit 25 % du bénéfice net annuel). Du point de vue du FEI, cette politique de redistribution est nécessaire pour maintenir des institutions financières privées parmi ses actionnaires et attirer des institutions publiques de plus petite taille. Elle le pousse également à se conformer à des pratiques de marché. La Commission européenne souhaiterait en revanche que le FEI conserve ses bénéfices pour les réinvestir et renforcer ses fonds propres. Il convient en effet de s'interroger sur la pertinence de cette pratique de redistribution des profits, compte tenu de la mission du FEI.

2. La demande des acteurs nationaux de développer des instruments financiers en faveur des PME plus risquées

Pendant de nombreuses années, les instruments financiers européens distribués par le FEI ont principalement permis d'augmenter le volume de financement mis à la disposition des PME. La nouvelle génération d'instruments financiers COSME et InnovFin marque la volonté de soutenir des PME plus risquées , que ce soit en raison de leur caractère innovant ou de leur manque de garantie. Ceci a des conséquences sur le taux de perte constaté par les intermédiaires financiers et les garanties appelées : à titre d'exemple, Banque populaire et les SOCAMA, intermédiaires financiers historiques du FEI en France, constataient en 2003 un taux de perte moyen d'environ 2 % sur les portefeuilles de prêts garantis contre environ 7 % aujourd'hui, voire 15 % pour les prêts à la création d'entreprises.

Il ressort des entretiens réalisés avec les acteurs français une demande de cibler encore davantage les instruments financiers européens sur les entreprises et les projets les plus risqués afin de compléter de façon adéquate l'offre de financement disponible au niveau national. Selon Bpifrance, le nouvel instrument InnovFin a déjà permis de répondre à un besoin en prêt innovation et en prêt d'amorçage, en faveur de PME qui ne sont pas ou mal notées, jusqu'ici non couvert. La direction générale du Trésor considère également que l'un des rôles du FEI doit être d'inciter les acteurs nationaux à financer des projets plus risqués.

Or la recherche de la maximisation de l'effet de levier dans le cadre du « volet PME » du plan Juncker pourrait entraîner une baisse du niveau de risque et, par conséquent, de l'additionnalité.

Les premières indications de la Commission européenne et du FEI concernant la deuxième phase de mise en oeuvre du « volet PME » semblent éviter cet écueil. En particulier, la Commission européenne a annoncé son intention de lancer, au quatrième trimestre 2016, un nouvel instrument de garantie non plafonnée pour les PME et ETI innovantes qui ne disposent d'aucune garantie ( uncapped guarantee for unsecured loans ) 30 ( * ) . Partant du constat selon lequel les prêts bancaires traditionnels financent, au maximum, 75 % du coût d'un projet d'investissement mais que de nombreuses PME innovantes n'ont pas accès au reliquat de financement nécessaire, ce qui les contraint à abandonner leur projet ou à le revoir à la baisse, cet instrument de garantie permettrait d'inciter les intermédiaires financiers à étendre leur prêt à ces entreprises et ainsi à les soutenir plus en amont de leur projet. Le risque serait partagé entre le budget du programme Horizon 2020, le FEIS et le groupe BEI. Ce type d'initiative présente une additionnalité plus nette, en particulier dans des pays comme la France où les financements bancaires peu risqués sont largement disponibles, et doit être encouragé.

Enfin, la réglementation de Bâle III, imposant aux établissements financiers d'augmenter le niveau et la qualité de leurs fonds propres et renforçant les exigences prudentielles concernant le risque de contrepartie, fait craindre une plus grande réticence des banques à prêter aux PME risquées, ce qui militerait également en faveur du développement d'outils incitant à la prise de risque.

Recommandation n° 3 : poursuivre le développement d'instruments de garantie en faveur des PME les plus risquées - en raison de leur caractère innovant ou de leur jeunesse - afin de renforcer l'additionnalité de l'intervention européenne.

3. Une nouvelle jeunesse pour la titrisation ?

À côté des garanties de prêt « classiques » et du capital-investissement, le FEI réalise également des opérations de titrisation sur le marché des prêts aux PME , essentiellement en Espagne, au Portugal et en Italie. En 2015, 460 millions d'euros de garanties ont notamment été accordées pour soutenir des tranches de risque « mezzanine » de portefeuilles de prêts à des PME, à partir de ressources de la BEI déléguées dans le cadre du mandat EREM ( Risk Enhancement Mandate ). Considérant que le développement du marché de la titrisation des crédits aux PME permettrait de répondre aux contraintes de financement actuelles d'un grand nombre d'entreprises en libérant du capital sur le bilan des banques, le FEI milite activement pour le développement de cette activité, y compris sous sa forme synthétique, et pour l'adoption de la proposition de règlement européen établissant des règles communes en matière de titrisation et un cadre européen pour les opérations de titrisation simples, transparentes et standardisées 31 ( * ) , actuellement en cours d'examen en première lecture par le Parlement européen.

Définition de la titrisation proposée par la proposition de règlement établissant des règles communes en matière de titrisation

« Considérant ce qui suit :

(1) Une titrisation est une opération qui permet à un prêteur, généralement un établissement de crédit, de refinancer un ensemble de prêts ou d'expositions , tels que prêts immobiliers, leasings automobiles, prêts à la consommation ou cartes de crédit, en les convertissant en titres négociables . Le prêteur regroupe et reconditionne un portefeuille de prêts, qu'il organise en différentes catégories de risque adaptées à différents investisseurs. Cette opération permet à ces derniers d'investir dans des prêts et d'autres expositions auxquels ils n'ont, en principe, pas directement accès. La rémunération des investisseurs est générée par les flux de trésorerie des prêts sous-jacents.

[...]

Article 2

Définitions

« Aux fins du présent règlement, on entend par:

(1) «titrisation»: une opération par laquelle, ou un dispositif par lequel, le risque de crédit associé à une exposition ou à un panier d'expositions est subdivisé en tranches , et qui présente les deux caractéristiques suivantes:

(a) les paiements effectués dans le cadre de l'opération ou du dispositif dépendent de la performance de l'exposition ou du panier d'expositions ;

(b) la subordination des tranches détermine la répartition des pertes pendant la durée de l'opération ou du dispositif ; »

Source : Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil établissant des règles communes en matière de titrisation ainsi qu'un cadre européen pour les opérations de titrisation simples, transparentes et standardisées, COM(2015) 472 final.

Face à la méfiance exprimée ici ou là, le FEI indique que le taux de défaut des produits titrisés sur le marché européen des prêts aux PME fut extrêmement faible pendant la crise financière (0,23 % 32 ( * ) ) et que la titrisation, pratiquée de manière transparente et selon des critères harmonisés, permettrait, au contraire, de diminuer les risques systémiques du système bancaire.

À court terme, dans l'attente de l'adoption de la proposition de règlement établissant un cadre européen pour les opérations de titrisation, l' Italie a exprimé son intérêt pour mettre en place l' « Initiative PME » sous la forme d'opérations de titrisation 33 ( * ) .

Enfin, la Commission européenne et le FEI ont d'ores et déjà évoqué le projet de créer une plateforme européenne de titrisation dans le cadre du « volet PME » du plan Juncker, réunissant le FEI et les banques nationales de développement. Cette initiative se situe néanmoins dans un horizon temporel plus lointain que la plateforme européenne de capital-investissement, qui devrait être lancée mi-juillet 2016.


* 30 Horizon 2020, Work programme 2016-2017, « Access to Risk Finance », décision de la Commission européenne C(2016)1349 du 9 mars 2016.

* 31 Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil établissant des règles communes en matière de titrisation ainsi qu'un cadre européen pour les opérations de titrisation simples, transparentes et standardisées, COM(2015) 472 final.

* 32 Standard & Poor's, « Transition study : Five years on, the European structured finance cumulative default rate is only 1.1%», 2012.

* 33 Cf. infra .

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