B. LES CRÉDITS BUDGÉTAIRES DE L'ÉTAT PARAISSENT TROP LIMITÉS POUR FAIRE FACE AU FINANCEMENT DE TOUS LES PROJETS DÉJÀ ANNONCÉS

1. Les crédits budgétaires consacrés par l'État aux infrastructures de transport sont relativement stables depuis une dizaine d'années

En 2015, l'État a consacré, selon les données transmises à votre groupe de travail par la DGITM, 4,39 milliards d'euros au financement de l'investissement et du fonctionnement des grandes infrastructures de transport (routes nationales, réseau ferroviaire et voies navigables).

Ces crédits budgétaires ont transité par deux grands canaux : le programme 203 « Infrastructures et services de transport » de la mission « Écologie » du budget général et le budget de l'AFITF .

Ce montant est relativement constant depuis une dizaine d'années, à l'exception des années 2009 et 2010, où, sous l'effet du plan de relance, l'État avait consacré successivement 5,54 milliards d'euros puis 5,53 milliards d'euros aux infrastructures de transport.

Dépenses de fonctionnement et d'investissement de l'État en faveur des infrastructures de transport

Infrastructures

Programme

2006

2007

2008

2009

2010

2011

2012

2013

2014

2015

Routes Développement

203

1 559

1 252

1 275

1 335

1 084

790

738

760

715

617

Routes Développement

AFITF

13

16

22

61

122

52

2

3

2

9

Routes entretien*

203

459

412

490

759

750

667

639

619

607

663

Infrastructures ferroviaires

203

195

211

208

233

248

286

244

226

131

118

Infrastructures ferroviaires

AFITF

356

560

656

619

680

409

431

502

372

450

Concours ferroviaires**

203

1 743

1 799

1 688

2 448

2 552

2 343

2 335

2 238

2 291

2 225

Infrastructures VN

203

8

12

14

9

6

6

7

2

2

2

Infrastructures VN***

AFITF

3

7

9

19

36

65

36

60

35

60

Subvention VNF****

203

0

58

55

56

55

46

53

263

256

246

Total Routes, Fer et VN

4 337

4 327

4 417

5 540

5 532

4 663

4 483

4 673

4 411

4 389

* Routes entretien : hors transferts aux départements (décentralisation 2006)

** Concours fer : réforme en 2009

*** Infras VN AFITF : y compris régénération

**** Subvention à VNF : intégration en 2013 de la masse salariale des agents transférés

Toutefois, il apparaît clairement qu'il ne permettra pas , sans substantielle augmentation, de faire face dans les années à venir à la hausse des financements rendue nécessaire par les nombreux engagements souscrits par l'État .

2. Les montants accordés par l'État aux infrastructures de transport dans le cadre des contrats de plan État-région (CPER) pour la période 2015-2020 seront analogues à ceux de la période 2007-2014

Le montant total des financements consentis par l'État via l'AFITF et inscrits au titre des infrastructures de transports aux 27 contrats de plan État-région (CPER) 2015-2020 ainsi qu'aux deux contrats de plan interrégional État-région (CPIER) Vallée de la Seine et Plan Rhône signés en 2015 s'élève à 6,84 milliards d'euros , auxquels s'ajoutent 193 millions d'euros de crédits portés par Voies navigables de France (VNF).

En y ajoutant les financements apportés par les collectivités territoriales, les crédits mobilisés dans le cadre des CPER 2015-2020 pourraient atteindre 23,44 milliard d'euros .

76 % de ces crédits sont consacrés aux modes alternatifs à la route , dont 7,48 milliards d'euros au titre des seuls transports collectifs en Île-de-France .

Au titre de comparaison, le montant total des crédits accordés par l'État aux projets d'infrastructures de transports inscrits aux contrats de projets État-région (CPER) 2007-2013 prolongés au 31 décembre 2014 s'élevait à 3,27 milliards d'euros . Toutefois, ces contrats de projets n'intégraient pas le volet routier , objet d'une contractualisation distincte au titre des programmes de modernisation des itinéraires routiers (PDMI) , pour un apport de l'État de 3,6 milliards d'euros .

À périmètre comparable intégrant les routes, les contributions de l'État aux CPER 2015-2020 et aux CPER 2007-2014 et PDMI sont donc quasiment identiques , à 6,8 milliards d'euros environ.

Pour les CPER 2007-2014, le montant total des autorisations d'engagement (AE) de l'État effectivement mises en place au 31 décembre 2014 s'élevaient à 2,8 milliards d'euros , soit un taux d'exécution en AE de 86 % . Le taux de crédits de paiement exécutés était pour sa part de 65 % fin 2014. Le solde de crédits de paiement, soit 980 millions d'euros environ devrait être reporté sur la période de mise en oeuvre des CPER 2015-2020.

Pour les PDMI, le taux global national d'exécution en AE des crédits de l'État s'élevait à 41 % fin 2014, avec une variabilité très forte entre les différentes régions allant de 10 % à plus de 70 %.

3. L'AFITF, un outil qui manque toujours de transparence

L'Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF), établissement public administratif de l'État créé en 2004 75 ( * ) , porte l'essentiel des crédits budgétaires consacrés par l'État au financement des infrastructures de transport .

Elle est administrée par un conseil d'administration composé de douze membres comprenant six représentants de l'État, un député, un sénateur, trois élus locaux et une personnalité qualifiée. Elle est actuellement présidée par le député Philippe Duron, que votre groupe de travail a entendu au cours de ses auditions. Mais elle dépend entièrement pour son fonctionnement de la direction générale des infrastructures, des transports et de la mer (DGITM) .

Son financement est assuré par des taxes prélevées sur le secteur routier qui lui sont affectées par l'État (voir infra ), à qui elle reverse ensuite les deux tiers de son budget sous forme de fonds de concours 76 ( * ) , en ayant préalablement « fléché » les sommes ainsi reversées vers des projets précis. Elle favorise ainsi le report modal , en contribuant avant tout au financement d'infrastructures ferroviaires et fluviales grâce à des ressources provenant du secteur routier .

Les ressources de l'AFITF

Les taxes affectées à l'AFITF proviennent exclusivement du secteur routier :

- la redevance domaniale versée par les sociétés concessionnaires d'autoroutes (315 millions d'euros prévus en 2016) ;

- la taxe d'aménagement du territoire (TAT) prélevée par les concessionnaires d'autoroute (566 millions d'euros prévus en 2016) ;

- une partie du produit des amendes des radars automatiques du réseau routier national (230 millions d'euros prévus en 2016) ;

- une fraction du produit de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE - 715 millions d'euros prévus en 2016), en remplacement de l'écotaxe poids lourds.

À la suite du protocole d'accord conclu le 9 avril dernier 2015, l'AFITF perçoit également une contribution volontaire exceptionnelle des sociétés concessionnaires d'autoroutes pour un montant total de 1,2 milliard d'euros courants sur la durée des concessions autoroutières répartis en fonction du trafic de chaque concession. Ainsi, 100 millions d'euros seront versés chaque année à l'AFITF de 2015 à 2017 puis le reliquat sera versé progressivement jusqu'en 2030.

Source : AFITF

L'AFITF est donc avant tout une caisse de financement , un « opérateur transparent » 77 ( * ) , dont les décisions engagent l'État.

Ce recours à un établissement public vise délibérément à soustraire les crédits nécessaires au financement des projets d'infrastructures de transport aux délibérations budgétaires annuelles et aux règles qui les régissent 78 ( * ) . Il s'agit de « sanctuariser » ces crédits pour avoir l'assurance de pouvoir faire face aux engagements pluriannuels qu'impliquent nécessairement ce type de projets 79 ( * ) .

La Cour des comptes se montrent particulièrement critique envers cet opérateur dont elle dénonce « l'absence de plus-value ».

Elle considère en effet, dans un référé transmis au Premier ministre le 10 juin 2016, qu'il entraîne « une débudgétisation massive » sans pour autant garantir « un pilotage pluriannuel des investissements de transport dans le cadre d'une trajectoire financière maîtrisée ainsi qu'une orientation des financements de l'État vers les projets les plus créateurs de valeur pour la société ».

Pour leur part, les membres de votre groupe de travail considèrent que le conseil d'administration de l'AFITF constitue un lieu de débat utile et que la sanctuarisation des crédits pluriannuels des infrastructures de transport auquel procède cette agence présente une véritable utilité .

En revanche, ils considèrent que l'utilisation de ces crédits est beaucoup trop soustraite à un contrôle effectif du Parlement .

En effet, les parlementaires ne se voient remettre au moment de l'examen des lois de finance aucun budget prévisionnel de l'AFITF , et doivent se contenter du seul programme 203 « Infrastructures et services de transport » de la mission Écologie, qui ne porte pourtant qu'une part minoritaire des crédits consacrés par l'État aux infrastructures de transport.

Le budget prévisionnel de l'AFITF , dont la version définitive est adoptée en décembre par son conseil d'administration, est pourtant déjà largement finalisé au moment où le Parlement examine le projet de loi de finances.

C'est pourquoi votre groupe de travail réclame que le budget prévisionnel de l'AFITF soit systématiquement transmis au Parlement avant l'examen de la loi de finances , afin que députés et sénateurs puissent enfin opérer un véritable contrôle sur les crédits destinés par l'État au financement des infrastructures de transport .

Proposition n° 11 : Transmettre systématiquement le budget prévisionnel de l'AFITF au Parlement avant l'examen de la loi de finances afin que députés et sénateurs puissent opérer un véritable contrôle sur les crédits destinés au financement des infrastructures de transport.

4. L'AFITF ne pourra pas mener à bien dans les années à venir sa mission de financement des infrastructures de transport pour le compte de l'État sans augmentation substantielle de ses recettes

L'existence de l'AFITF soulève des interrogations quant au respect des grands principes budgétaires et au contrôle de ses crédits par le Parlement.

Mais la principale inquiétude de votre groupe de travail porte sur sa capacité à faire face , dans les années à venir, à ses nombreux engagements financiers .

À cet égard, la Cour des comptes formule un diagnostic sévère dans le référé précité : selon elle, la gestion de l'AFITF obéit à « une régulation par les crédits de paiement annuels conduisant à une déconnexion entre les engagements pris et les moyens réels de l'AFITF , alimentant le volume de restes à payer et les dettes de l'établissement ».

De fait, le cumul des engagements contractés par l'AFITF depuis sa création représentait au 31 décembre 2015 33,23 milliards d'euros et celui des paiements effectués s'élevait à 21,27 milliards d'euros .

Les « restes à payer » s'élevaient donc à 11,86 milliards d'euros 80 ( * ) , dont environ 35 % de fonds de concours à l'État et environ 65 % d'engagements vis-à-vis d'organismes tiers , soit un montant correspondant à plus de six exercices au regard du budget actuel de l'AFITF , qui s'élevait à 1,89 milliard d'euros en 2015 .

À ces restes à payer s'ajoutent 746 millions d'euros de dettes , principalement envers SNCF Réseau, qui constitue, selon la Cour des comptes, « la principale variable d'ajustement de l'AFITF, présentant l'avantage de se situer, en comptabilité nationale, en dehors de la sphère des administrations publiques ».

La loi n° 2014-1653 du 29 décembre 2014 de programmation des finances publiques pour les années 2014 à 2019 prévoit une cible annuelle de dépenses de 1,9 milliard d'euros pour l'AFITF .

Sur la base de ce chiffre, la Cour des comptes considère « qu'en ne retenant que les paiements correspondant aux engagements budgétaires déjà pris, ainsi que les paiements liés aux contrats de plan 2015-2020, la trajectoire de dépenses de l'AFITF conduirait à une insuffisance cumulée de financement de 0,6 milliard d'euros à l'horizon 2019 . En y ajoutant les paiements correspondant à des engagements nouveaux, l'insuffisance de financement atteindrait 1,6 milliard d'euros à ce même horizon ».

A ces difficultés très importantes, devraient en outre bientôt s'ajouter la montée en charge des dépenses nécessaires pour financer les grands projets du tunnel ferroviaire Lyon-Turin et du canal Seine Nord Europe .

Selon la Cour des comptes, qui souligne « le caractère très préoccupant de cette perspective pour l'équilibre futur des finances publiques », l'État devra dégager entre 2017 et 2019 entre 1,6 et 4,7 milliards d'euros en plus des ressources prévues dans la loi de programmation des finances publiques précitée pour couvrir les dépenses liées aux engagements de l'AFITF.

De fait, la DGITM reconnaît a minima qu' « en incluant la réalisation du tunnel ferroviaire Lyon-Turin et du canal Seine-Nord Europe, la moyenne des dépenses de l'AFITF sur la période 2017-2025 serait de 2,85 milliards d'euros , avec un pic de dépenses particulièrement important sur la période 2018-2019 , pour une recette sur les bases actuelles d'environ 2 milliards d'euros ».

Au total, les membres de votre groupe de travail ne voient pas comment l'AFITF pourrait faire face à sa dette, à ses restes à payer et souscrire des engagements nouveaux sans une nette augmentation de ses ressources dès les prochains exercices budgétaires .

Proposition n° 12 : Augmenter les ressources de l'AFITF pour qu'elle puisse faire face à ses engagements , en particulier avec la montée en charge du projet de liaison Lyon-Turin puis du Canal Seine-Nord Europe.


* 75 Par le décret n° 2004-1317 du 26 novembre 2004.

* 76 Aux termes de l'article 17 de la loi organique n° 2001-692 du 1 er août 2001 relative aux lois de finances, les fonds de concours sont des « fonds à caractère non fiscal versés par des personnes morales ou physiques pour concourir à des dépenses d'intérêt public. Les fonds de concours sont directement portés en recettes au budget général ».

* 77 AFITF, Rapport d'activité 2014, octobre 2015.

* 78 En particulier les principes d'unité du budget de l'État et de non-affectation des recettes aux dépenses.

* 79 Les projets engagés une année font l'objet de décaissements réguliers les années suivantes tout au long de leur réalisation.

* 80 Il convient toutefois de noter que le montant de ces restes à payer a diminué en 2014 de 3,3 Md€ compte tenu du dégagement partiel de la convention Ecomouv et du fait que l'AFITF a décaissé globalement davantage en 2015 qu'elle n'a mis en place d'engagements nouveaux.

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