C. LE JOBS ACT ITALIEN : UN ENSEMBLE DE RÉFORMES COHÉRENTES DU MARCHÉ DU TRAVAIL PORTÉ PAR UNE FORTE VOLONTÉ POLITIQUE MAIS DONT LES RÉSULTATS DEMANDENT À ÊTRE CONFIRMÉS

1. Une réforme ambitieuse pour un objectif de flexibilité du marché du travail
a) Un marché de l'emploi dégradé

Comme les autres pays de l'Union européenne, L'Italie a vu son taux de chômage augmenter fortement du fait des crises successives enregistrées à la fin des années 2000 (cf. supra ).

Evolution du taux de chômage en Italie, en France
et dans la zone euro depuis 1990

Son marché du travail présente en outre certaines caractéristiques particulières :

- le taux de chômage est supérieur à la moyenne de la zone euro (11,5 % contre 10,1 % en mai 2016) ;

- le taux de chômage des jeunes (15-24 ans) est parmi les plus élevés d'Europe : il était de à 40,3 % en 2015, après 42,7 % en 2014. En mai 2016, ce taux s'élève encore à 36,9 %, et dépasse même les 50 % dans le sud du pays ;

- de fortes disparités régionales existent, avec des taux de chômage et de population active très différents entre le nord et le sud ;

- le marché du travail connait une forte dualité entre les contrats de travail standards (CDI à temps plein) et les autres formes d'emplois (CDD, emplois à temps partiel) : en 2014, 65 % des contrats sont des CDI et 70 % des nouvelles embauches se font en CDD. 14 % de la population salariée est en CDD. L'emploi indépendant est également important : 24 % de l'emploi total ;

- le taux de participation des femmes est faible (taux d'activité de 54,9 % pour les femmes et de 74,6 % pour les hommes) ;

- les politiques passives, ciblées fortement sur la protection de l'emploi, plutôt que sur la protection de l'employé, étaient privilégiées, au détriment des politiques actives.

Enfin, de l'avis unanime des interlocuteurs rencontrés par votre commission d'enquête, l'économie italienne enregistre depuis les années 2000 « une situation de décrochage entre salaires réels et productivité, liée à une forte centralisation de la négociation salariale au niveau des conventions collectives nationales » 99 ( * ) .

Évolution de la productivité par salarié entre 2000 et 2014

Source : Eurostat, calculs DG Trésor

b) Une réforme dont les objectifs répondent aux recommandations de l'Union européenne

La réforme du marché du travail adoptée en décembre 2014, dite Jobs Act, affiche l'ambition d'introduire la flexisécurité en Italie en renforçant la sécurité juridique tant des salariés que des employeurs et des investisseurs.

Elle s'inscrit dans la lignée de réformes structurelles du marché du travail, engagées depuis le début des années 2000, en particulier la réforme Fornero 100 ( * ) décidée en 2012 qui s'organisait autour de deux axes. « Premièrement, elle vise à introduire plus de flexibilité, notamment en réduisant significativement l'obligation de réintégration en cas de licenciement illégal (article 18 du Statut des travailleurs de 1970) et en facilitant pour partie le recours aux CDD 101 ( * ) , mais tout en cherchant à lutter contre la dualité du marché du travail (en encadrant notamment l'intérim, les contrats de travail sur appel ou les prestations de service). Deuxièmement, elle réforme l'assurance chômage, qu'elle étend à tous les travailleurs détachés . » 102 ( * )

Toutes ces réformes répondent aux demandes exprimées par le Conseil européen et la Banque centrale européenne, dans le contexte des deux crises traversées par l'Italie au cours de la décennie, sur la mise en place de « contrats d'emploi souples et fiables de nature à promouvoir la transition du marché du travail et à éviter un marché de l'emploi à deux vitesses . » Initialement formulées en 2011, ces recommandations européennes ont été renouvelées les années suivantes et élargies à la préconisation de favoriser les négociations, notamment salariales, au niveau des entreprises en vue d'un meilleur alignement des salaires sur la productivité.

Globalement, les réformes engagées depuis 2012 en Italie répondent aux objectifs suivants :

- « un assouplissement du droit du licenciement, assorti d'une aide financière importante à l'embauche, pour favoriser l'embauche en CDI ;

- un recours facilité aux CDD pour répondre rapidement à la crise de l'emploi ;

- une extinction progressive d'un bon nombre de contrats autonomes parasubordonnés pour lutter contre le dualisme du marché du travail ;

- une décentralisation du droit de la négociation collective ;

- la recherche d'une maîtrise du coût du travail au travers de la modération des évolutions salariales et d'une baisse du coin socio-fiscal ;

- une réforme profonde de l'assurance chômage qui devient plus universelle mais dont les allocations sont désormais clairement conditionnées à la recherche effective d'emploi ;

- une réforme du service public de l'emploi tant dans sa gouvernance (recentralisation) que dans son mode de fonctionnement (contractualisation accrue avec les demandeurs d'emploi, recours à des opérateurs privés de placement) ;

- un accent mis sur les politiques actives pour améliorer la qualification de la population active et augmenter le taux d'activité . » 103 ( * )

Le Jobs Act approfondit et corrige sur certains points les réformes précédentes. Il a déjà été lui-même complété, depuis son adoption, par plusieurs initiatives du gouvernement italien :

- exonération fiscale des primes de productivité, négociées au niveau de l'entreprise, pour les salariés 104 ( * ) ;

- création d'un bonus en cas de transformation de stage en CDI ;

- encadrement, via une meilleure traçabilité, de l'usage des « vouchers » pour le travail occasionnel ;

- projet de loi sur le travail autonome (protection des travailleurs vis-à-vis des donneurs d'ordre, soutien à la formation, adaptation de la protection sociale, création d'un statut de « smart working »).

c) Une concertation sociale mise temporairement de côté

L'adoption du Jobs Act s'est déroulée sur une période de neuf mois entre la présentation au Conseil des ministres en mars 2014 du projet de loi d'habilitation 105 ( * ) et la publication des huit décrets législatifs qui ont permis l'entrée en vigueur de ses mesures.

Cette procédure a été marquée par une très forte implication de la Présidence du Conseil et surtout par l'absence de concertation préalable officialisée avec les partenaires sociaux, ce qui représentait une nouveauté depuis les années 1990 106 ( * ) mais n'a pas entraîné de réaction négative particulière de la part de la CGIL, premier syndicat de salariés.

On notera à cet égard que le gouvernement italien a incité les partenaires sociaux à se saisir d'autres sujets de négociations, comme l'institution d'un salaire minimum national, initialement prévu à titre expérimental par le Jobs Act, mais que ce débat n'a pas abouti.

Certaines des mesures du Jobs Act sont toutefois toujours contestées par les syndicats italiens qui ont réuni sur leur pétition le nombre de signatures nécessaires pour engager une procédure de proposition de référendum.

2. Une réforme à plusieurs volets
a) Le contenu protéiforme du Jobs Act

Adopté en décembre 2014, le Jobs Act comprend trois volets principaux portant sur les contrats de travail et le licenciement, l'assurance et l'indemnisation du chômage et la recentralisation du service public de l'emploi.

(1) Contrat de travail à protection croissante et licenciement

Un des aspects le plus souvent mis en évidence est la création d'un nouveau CDI à protection croissante et la suppression concomitante de certaines formes de contrats de travail précaires (en particulier les contrats de collaboration 107 ( * ) ).

De nouvelles règles s'appliquent en matière de licenciement pour les nouveaux CDI à protection croissante. Elles devraient permettre de faciliter la procédure de licenciement et de renforcer la sécurité juridique pour les salariés et les employeurs :

Le Jobs Act met fin à la réintégration automatique pour tous les cas de licenciements injustifiés, mais ce droit demeure pour :

• les cas de licenciement discriminatoire,

• les cas de licenciement pour juste motif (notamment disciplinaires) dans lesquels il peut être directement démontré devant le juge l'absence du fait matériel justifiant le licenciement 108 ( * ) .

Dans tous les autres cas de licenciement injustifié, le Jobs Act a renforcé la sécurité juridique en définissant le montant de l'indemnité qui peut être accordée par le juge : deux mois de salaire par année d'ancienneté. Il ne peut être inférieur à quatre mois et ne peut dépasser vingt-quatre mois de salaire. Pour les salariés des entreprises de moins de quinze salariés, les montants d'indemnisation sont divisés par deux et ne peuvent pas dépasser six mois de salaire.

Une procédure de conciliation a également été introduite pour limiter les cas de recours au juge. L'employeur peut proposer une indemnisation non imposable correspondant à un mois de salaire par année d'ancienneté (minimum de deux mois et maximum de dix-huit mois).

(2) Simplification et amélioration de l'indemnisation chômage

L'autre volet de la réforme du marché du travail concerne la réforme du dispositif d'assurance chômage , qui doit répondre à la recommandation des institutions européennes sur la mise en oeuvre de « politiques efficaces afin d'aider les chômeurs à réintégrer le marché du travail » :

Une indemnisation chômage unique (NASpI) a remplacé les deux principaux régimes d'indemnisation existant précédemment. L'indemnité est plafonnée à 1 300 euros par mois et est réduite de 3 % par mois à partir du quatrième mois de bénéfice. Elle est versée aux personnes ayant cotisé au moins treize semaines au cours des quatre dernières années ou dix-huit jours au cours des douze derniers mois, pour une durée équivalente à la moitié des mois travaillés pendant les quatre dernières années (maximum de deux ans et maximum de dix-huit mois à partir de 2017; ainsi, si une personne a travaillé quatre mois au cours des quatre dernières années, elle n'aura droit qu'à deux mois de NASpI). La réforme introduit également une indemnité pour les chômeurs en fin de droits (ASDI) de plus de 55 ans ou ayant un enfant mineur à charge. Le montant de l'indemnité représente 75 % de la dernière indemnisation chômage et elle peut être versée pendant une période maximum de six mois.

Le Jobs Act a également permis d'étendre les dispositifs d' indemnisation du chômage technique ( Cassa integrazione guadagni ) aux apprentis et aux entreprises de cinq à quinze salariés. Il a aussi revu à la baisse la contribution des entreprises au dispositif (-10 % du montant de la contribution actuellement versée), tout en encadrant mieux la durée pendant laquelle l'entreprise peut utiliser le dispositif (vingt-quatre mois par période de cinq ans) et son ampleur (limitation à 80 % du total des heures travaillées), et en renforçant les obligations de formation pour le personnel.

(3) Renforcement des instruments de politique active de l'emploi

Le dernier volet du Jobs Act vise à mettre en place un instrument de soutien aux politiques actives de l'emploi par la création d'une Agence nationale pour les politiques actives de l'emploi (ANPAL), qui a démarré ses activités début 2016. Cette agence doit mieux coordonner les différents services pour l'emploi présents sur le territoire afin de faciliter les démarches des demandeurs d'emploi par la création de guichets uniques et de garantir un niveau de service minimal. L'ampleur de la mission de l'agence dépendra toutefois de l'aboutissement de la réforme constitutionnelle en cours qui vise à recentraliser le service public de l'emploi actuellement éclaté entre l'Etat, chargé de l'indemnisation, les régions, responsables de la formation professionnelle, et les provinces qui gèrent les centres pour l'emploi.

La réforme prévoit également plusieurs mesures d'incitation au retour à l'emploi :

• versement de la totalité des indemnités pour les auto-entrepreneurs ;

• « primes au résultat » pour les agences pour l'emploi ;

• maintien de 80 % du montant des indemnités lorsque le travailleur trouve un nouvel emploi salarié avec un salaire inférieur au salaire minimum.

Enfin, une Inspection nationale du travail est en cours de création. La nouvelle institution regroupe des compétences exercées auparavant par différents organismes.

b) Les mesures fiscales d'accompagnement de la réforme

Par ailleurs, afin de compléter le dispositif du Jobs Act, le gouvernement italien a réduit la pression fiscale sur le travail et adopté des dispositifs visant à faciliter les embauches en CDI.

L'objectif est de rendre plus avantageux pour les entreprises italiennes d'embaucher en CDI grâce à l'introduction d'un CDI à protection croissante, mais également grâce à des mesures fiscales incitatives :

- toutes les nouvelles embauches en CDI en 2015 ont été exonérées des cotisations sociales pendant trois ans, pour un montant maximum de 8.060 euros par an ;

- la loi de finances pour 2016 prévoit que les embauches en CDI effectuées en 2016 sont exonérées à hauteur de 40 % des cotisations sociales pendant deux ans, la mesure étant graduellement supprimée les années suivantes. Pour les entreprises du sud du pays, la réduction de 40 % des cotisations sociales pendant deux ans pour les embauches en CDI sera prolongée en 2017. La loi de finances pour 2017 pourrait prévoir de réduire les exonérations de cotisations à 20 %, mais la mise en oeuvre d'une mesure pérenne de réduction du coût des CDI a également été évoquée par le gouvernement italien.

Mais cette mesure est coûteuse : le gouvernement prévoyait un coût de 5,7 milliards d'euros en 2016 en comptant les exonérations pour les embauches en 2015 et en 2016 109 ( * ) . Toutefois ce montant sera certainement revu à la hausse, car le nombre de contrats ayant bénéficié des exonérations s'est élevé à 1,55 millions en 2015 contre une prévision de 1 million. Pour sa part la CGIL, rencontrée par votre commission d'enquête, a confirmé estimer le coût de cette incitation fiscale à 6 milliards d'euros.

De manière générale, le gouvernement italien a mené une politique de baisse de la pression fiscale sur le travail, en particulier grâce à la suppression de la part salariale de l'impôt régional sur les activités productives (IRAP) dans la loi de finances pour 2015. Contrairement aux recommandations de la Commission européenne, la baisse de la fiscalité sur le travail n'est pas neutre pour le budget. En 2016, l'Italie a choisi de baisser la fiscalité sur la propriété immobilière (suppression de l'impôt municipal unique « IMU » et de la taxe sur les services indivisibles « TASI »), un choix qui a été très critiqué par la Commission européenne car la fiscalité sur la propriété et la consommation devrait compenser la baisse de la fiscalité sur le travail. La loi de finances pour 2016 prévoit une baisse du taux de l'impôt sur les sociétés (IRES) de 27,5 % à 24 % en 2017, mais il n'est pas certain que l'Italie dispose des marges budgétaires nécessaires pour mettre en oeuvre cette mesure.

3. Des résultats à confirmer sur le long terme
a) La réforme du marché de l'emploi a eu des effets positifs immédiats et non contestés

L'Italie a connu en 2015 une embellie du marché du travail, dont les résultats ont été, selon les économistes de la Banque d'Italie entendus par votre commission d'enquête, « supérieurs aux attentes ».

Cette amélioration a pris trois formes :

En premier lieu, une nette augmentation des CDI . Selon les données de l'INPS (Institut national de la protection sociale), le nombre de créations nettes de CDI en 2015 s'est établi à plus de 910.000 alors qu'il était négatif en 2014 (-50.000). Le nombre de nouveaux CDI et les transformations de CDD en CDI ont augmenté respectivement de plus de 50 % et de plus de 70 % sur un an. Après cette forte hausse, le nombre de créations nettes de CDI est toutefois en net ralentissement depuis le début de l'année 2016, alors que les exonérations de cotisations sociales pour les nouvelles embauches en CDI ont été réduites. Ainsi, sur les cinq premiers mois de l'année 2016, le nombre de créations nettes de CDI s'est élevé à un peu plus de 82.000, ce qui est inférieur de 78 % à celui enregistré il y a un an (près de 380.000), et même inférieur aux cinq premiers mois de 2014.

La courbe du chômage s'est inversée en 2015 : après avoir culminé à 13,1 % de la population active en novembre 2014, le taux de chômage s'est inscrit sur une tendance baissière puis s'est à peu près stabilisé depuis le second semestre 2015. En mai 2016, il s'établit à 11,5 %, ce qui reste toutefois supérieur à la moyenne européenne (8,6 %). Le taux de chômage des jeunes (15-24 ans) a également reculé, passant de plus de 41 % au début de 2015 à 36,9 % en mai 2016 mais reste toutefois parmi les plus élevés d'Europe.

Enfin, selon l'Istat 110 ( * ) , le nombre de chômeurs a reculé de 161.000 unités au cours de l'année 2015. Cette baisse résulte en grande partie d'une hausse de l'emploi (+120.000) mais aussi d'une augmentation du nombre de départs à la retraite. La reprise de l'emploi a surtout bénéficié aux hommes : sur les 120.000 créations d'emplois, 99.000 concernent l'emploi masculin. On pourra également noter que la population inactive des 15-64 ans a reculé de près de 110.000 unités, mais cette baisse reflète à la fois le retour de près de 170.000 hommes sur le marché du travail et, à l'inverse, la sortie de 60.000 femmes.

b) Leur pérennité à plus long terme n'est pas garantie

Si les effets favorables des mesures prises par le gouvernement italien sont reconnus et mesurables à court terme, leur persistance à long terme est beaucoup plus incertaine, pour des raisons multiples.

Le premier risque est que ces bons résultats résultent plus d'un effet d'aubaine que d'une amélioration structurelle du marché du travail. C'est ce qui semble ressortir de l'étude menée par la Banque d'Italie selon laquelle les exonérations de cotisations sociales ont été déterminantes dans la hausse de l'emploi enregistrée en 2015 et encore au début 2016.

La Banque d'Italie a en effet réalisé une estimation des déterminants à la hausse de l'emploi pour la région Vénétie, sur les quatre premiers mois de 2015. De cette analyse 111 ( * ) - certes partielle -, il ressort que les trois quarts de l'augmentation de l'emploi salarié sur les quatre premiers mois de l'année seraient imputables à la reprise économique. Concernant le quart restant, les deux tiers seraient attribuables aux exonérations de cotisations sociales et le dernier tiers au Jobs Act lui-même. La Banque d'Italie précise qu'« il est vraisemblable que des évaluations analogues soient applicables à l'ensemble de l'économie, mais des analyses ultérieures sont nécessaires ». Interrogés par votre commission d'enquête lors de son déplacement à Rome, les représentants de la Banque d'Italie ont cependant précisé que l'étude d'évaluation ne serait ni étendue ni mise à jour.

Le risque est donc qu'après trois années d'exonérations de cotisations sociales pour les nouveaux CDI, les embauches en CDD augmentent à nouveau fortement et que les licenciements des CDI à protection croissante augmentent rapidement eux aussi, avant que ces licenciements ne deviennent plus coûteux.

La même étude fait également apparaître que la hausse de l'emploi résulte en premier lieu du retour de la croissance , certes modeste (+ 0,8 % en 2015), confortant ainsi la thèse développée devant votre commission d'enquête par l'OCDE, selon laquelle les effets d'une réforme du marché du travail sont d'autant plus positifs qu'elle se réalise en période de conjoncture favorable. Or la croissance italienne s'avère fragile. Le gouvernement italien espérait une croissance de 1,2 % en 2016 et 1,4 % en 2017 mais devrait réviser à la baisse ces prévisions, à 0,8 % pour 2016 et 1 % pour 2017.

Enfin les bons résultats enregistrés en 2015 sont diversement interprétés par les analystes du marché du travail. Il en est ainsi de la baisse du nombre d'inactifs, retracée dans le tableau suivant, qui serait surtout révélateur d'un chômage « caché » et qui a concerné, pour l'essentiel, les plus de 50 ans.

Evolution du nombre d'inactifs âgés de 15 à 64 ans en Italie
(avril 2015-avril 2016)

Source : ISTAT

En tout état de cause, les effets du Jobs Act ne pourront être appréciés qu'à une échéance de moyen terme. Le COE rappelait ainsi, dans son rapport de 2015, que selon la plupart des économistes, « aucun effet massif n'est à prévoir avant quatre ans ». De même les analyses assez optimistes du FMI portent sur un horizon de cinq ans et estiment l'effet de la réforme du marché du travail à un gain de PIB de + 1,1 %.

* *

*

Votre commission d'enquête s'est efforcée de recueillir, en France et chez nos proches voisins, les appréciations parfois peu éloignées ou, au contraire, très divergentes, des experts et des acteurs du monde économique sur les réformes structurelles des politiques de l'emploi que ces pays avaient conduites. Son but n'était pas de porter un jugement mais d' identifier les mesures qui avaient produit les meilleurs résultats en matière de lutte contre le chômage . C'est la raison pour laquelle elle ne formule pas de recommandations directes portant sur les politiques menées en France.

Au terme de ses travaux, elle fait le constat de l'absence d'un modèle unique et parfaitement transposable d'un pays à l'autre des politiques de lutte contre le chômage . Des facteurs historiques , économiques et sociaux propres à l'Allemagne ou au Royaume-Uni ont fortement contribué aux résultats exceptionnels en matière d'emploi atteints par ces pays.

Néanmoins, des grandes lignes de convergence dans l'esprit et le fond des réformes structurelles conduites dans ce domaine pour faire face à la crise peuvent être identifiées. L'amélioration de la fluidité du marché du travail en a constitué le coeur, afin de faciliter l'accès à l'emploi et de réduire l'inactivité mais aussi de lever les incertitudes sur les conditions des licenciements individuels. De plus, les droits et les devoirs des demandeurs d'emploi ont été précisés et renforcés. Elles ont été accompagnées d'une décentralisation de la négociation collective au niveau de l'entreprise, notamment en matière salariale et de durée du travail, ce qui a favorisé la compétitivité allemande.

De manière générale, les politiques actives de l'emploi ont été plébiscitées. Mises en oeuvre par un service public de l'emploi réformé, elles ont permis d'assurer un meilleur accompagnement des chômeurs , d'améliorer leur employabilité à travers la formation et de développer les incitations à la reprise d'emploi . Ces réformes se sont accompagnées d'une flexibilisation accrue du marché du travail , avec la mise en place de contrats atypiques ( mini jobs allemands, zero hour contracts au Royaume-Uni) destinés à accélérer le retour à l'emploi et à intégrer dans l'emploi les personnes qui en étaient auparavant exclues.

Ces politiques sont la conséquence d'un choix de société clair , et partagé par les pays qui sont parvenus à réduire fortement leur taux de chômage : privilégier la reprise d'activité , sous toutes ses formes, plutôt que la persistance d'un haut niveau de chômage indemnisé . Il n'en reste pas moins qu'à court terme elles peuvent avoir des conséquences en matière de productivité , d'inégalités salariales et de segmentation du marché du travail .

Il faut pourtant noter que les efforts consentis par l'Allemagne et le Royaume-Uni durant la crise leur ont permis de dégager des marges de manoeuvre qui sont aujourd'hui mises à profit pour revaloriser les salaires et améliorer la situation des personnes les plus éloignées de l'emploi. L'institution d'un salaire minimum fédéral en Allemagne ou d'un salaire de subsistance au Royaume-Uni participe de la progression vigoureuse du salaire moyen , qui a augmenté respectivement de 2,9 % et de 12 % entre 2014 et 2015.

L'évaluation de ces réformes structurelles ne peut toutefois être immédiate. Leur impact sur l'emploi ne sera mesuré qu'à moyen terme , compte-tenu des modalités de leur application et des fluctuations de la conjoncture. Ainsi, si les conséquences positives pour l'emploi en Allemagne des réformes Hartz est établi, il est encore trop tôt pour tirer un bilan, autre que préliminaire, du Jobs Act.


* 99 Audition de Francesco Leone, conseiller économique de l'ambassade d'Italie, 31 mai 2016.

* 100 Du nom de l'ancienne ministre du Travail et des politiques sociales, Elsa Fornero.

* 101 Suppression de la motivation du recours au CDD de moins d'un an, possibilité de renouveler jusqu'à cinq fois de suite un CDD pendant 36 mois, plafond fixé à 20 % de l'effectif en CDI, dont le dépassement est sanctionné par une amende.

* 102 COE, op. cit., novembre 2015.

* 103 Idem.

* 104 Cette exonération entrera en vigueur en 2017.

* 105 La loi d'habilitation donne six mois au gouvernement pour adopter les décrets législatifs. Ces décrets, une fois adoptés en Conseil des ministres, doivent faire l'objet dans les trente jours d'un avis consultatif des commissions compétentes des deux assemblées, avant retour en Conseil des ministres pour adoption définitive.

Source : France stratégie, « Contrat de travail : les réformes italiennes », Note d'analyse n° 30, mai 2015 .

* 106 Audition de Francesco Leone, conseiller économique de l'ambassade d'Italie, 31 mai 2016.

* 107 « Les contrats de « collaboration » (ou de parasubordination) organisent un statut intermédiaire entre salariat et travail indépendant, destiné à des travailleurs non soumis à un lien de subordination mais « coordonnés » avec l'entreprise et créateur de certains droits sociaux. Il s'agit de travailleurs indépendants mais qui, dans les faits, dépendent d'une seule entreprise cliente (qui exerce des pouvoirs de direction limités, par exemple en matière d'organisation du travail et de temps de travail) ».

Source : France stratégie, op. cit., mai 2015.

* 108 Pour les licenciements collectifs, lorsque la forme écrite n'a pas été respectée, la procédure est identique à celle des licenciements discriminatoires.

* 109 Le gouvernement prévoyait un coût de 1,9 milliard d'euros en 2015, mais le chiffre définitif doit être réévalué et n'est toujours pas connu.

* 110 Institut national statistique italien.

* 111 Paolo Sestito, Eliana Viviano, « Hiring incentives and/or firing cost reduction ? Evaluating the impact of the 2015 policies on the Italian labour market », Bank of Italy occasional paper n° 325, mars 2016.

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